Jean 6, 21
Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient.
Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient.
Voyez quelle est la puissance de la sensualité. Il n'est plus question pour eux de la transgression du sabbat, tout leur zèle pour Dieu s'est évanoui, ils sont rassasiés, tout est oublié ; Jésus est pour eux un prophète et ils veulent le faire roi et le mettre sur le trône. Mais Jésus-Christ se dérobe à leurs désirs, et nous apprend ainsi à mépriser les honneurs du monde. Jésus laisse donc ses disciples et se retire sur la montagne. Les disciples voyant que le Sauveur les avait quittés, descendirent vers la mer, lorsque le soir fut venu, comme le fait remarquer l'Evangéliste. Ils l'attendirent jusqu'au soir, espérant toujours qu'il viendrait les retrouver, mais le soir venu, ils ne peuvent résister davantage au désir de le chercher, tant était grand leur amour pour leur divin Maître ! et cet amour les porte à monter dans une barque pour aller à sa rencontre : « Et étant montés dans une barque, ils naviguèrent vers l'autre bord pour arriver à Capharnaüm, espérant qu'ils l'y trouveraient.
C'est avec dessein que l’Evangéliste précise le moment de la traversée, il veut faire ressortir la vivacité de leur amour pour Jésus-Christ. Ils ne disent pas : Le soir est venu, la nuit se fait, leur amour les pousse à s'embarquer malgré tous les obstacles qui se présentaient, d'abord le temps : « Il faisait déjà nuit, » puis la tempête : « La mer soulevée par un grand vent s'enflait ; » enfin le lieu où ils se trouvaient, la terre était fort éloignée : « Lorsqu'ils eurent ramé environ vingt-cinq ou trente stades. »
Une dernière difficulté, c'est l'apparition inattendue du Sauveur : « Ils virent Jésus marchant sur la mer et s'approchant de la barque, et ils eurent peur. » Il leur apparaît après les avoir quittés, il veut leur apprendre d'un côté ce que c'est que l'abandon et le délaissement, et rendre leur amour plus vif ; et de l'autre, leur manifester sa toute-puissance. Cette apparition est pour eux une cause d'effroi : « Et ils eurent peur, » dit l'Evangéliste. Aussi Notre-Seigneur s'empresse de dissiper leur frayeur et de relever leur courage : « Mais il leur dit : C'est moi, ne craignez point. »
Le Sauveur voulut apparaître aux yeux de ses disciples pour les convaincre que c'était lui-même qui allait apaiser la tempête, circonstance que l'Evangéliste nous fait comprendre, en ajoutant : « Ils voulurent le prendre dans leur barque, et aussitôt ils abordèrent au rivage vers lequel ils se dirigeaient. » C'est donc à Jésus qu'ils furent redevables de cette heureuse traversée. Cependant il ne voulut point monter dans la barque pour faire mieux ressortir la grandeur du miracle et la puissance divine qui l'opérait.
Jésus ne permit pas que la foule le vît marcher sur la mer, parce que ce miracle était au-dessus de sa portée, il ne voulut pas même qu'il se prolongeât longtemps aux yeux de ses disciples, et il disparut presque aussitôt de leurs regards.
On peut dire encore que ce miracle est différent de celui qui est rapporté par saint Matthieu. Dans le récit de saint Matthieu, les disciples ne reçurent pas aussitôt Nôtre-Seigneur, ici au contraire, ils s'empressent de le recevoir sans aucun retard. Dans le premier évangéliste encore, la tempête continuait de battre les flancs du navire, ici d'une seule parole, Jésus fait revenir le calme, on peut donc admettre deux miracles différents, ce qui n'a rien de surprenant, car Nôtre-Seigneur a pu faire plusieurs fois les mêmes miracles pour les rendre plus faciles à croire.
L'Evangéliste fait connaître d'abord le but de leur voyage, avant d'exposer quels en furent les incidents. Ils traversèrent le lac, et saint Jean raconte comme par récapitulation ce qui arriva pendant la traversée : « Il faisait déjà nuit, et Jésus n'était pas encore venu à eux. »
Le récit de saint Jean n'est point ici en contradiction avec celui de saint Matthieu, qui nous dit que : « Jésus monta seul sur la montagne pour prier. » (Mt 4) Car ces deux motifs prier et fuir ne s'excluent pas, bien au contraire, Nôtre-Seigneur nous enseigne que c'est surtout lorsque nous sommes dans la nécessité de fuir qu'il nous faut recourir à la prière.
Nôtre-Seigneur était roi, et cependant il craint de devenir roi, parce que sa royauté n'était pas de celle que peuvent donner les hommes, mais bien plutôt une royauté qu'il voulait communiquer aux hommes. En effet, comme Fils de Dieu, il ne cesse de régner avec son Père. Les prophètes ont aussi prédit son règne comme Fils de Dieu fait homme, il a fait chrétiens ceux qui ont cru en lui, et ce sont ceux qui composent son royaume, royaume qui sur la terre se forme et s'achète au prix du sang de Jésus-Christ. Un jour viendra où ce royaume disparaîtra dans toute sa splendeur, lorsqu'après le jugement dernier, la gloire des saints brillera de tout son éclat. Or, ses disciples et la multitude qui croyait en lui, pensaient que sa venue sur la terre avait pour objet l'établissement de ce royaume.
D'après saint Matthieu, Jésus ordonna d'abord à ses disciples de monter dans une barque, de le devancer au delà du lac, et d'attendre là qu'il eût congédié la foule ; et après l'avoir congédiée, il se retire seul sur la montagne pour prier. Saint Jean, au contraire, rapporte que le Sauveur s'enfuit aussitôt sur la montagne, et il ajoute : « Le soir étant venu, ses disciples descendirent vers la mer, et lorsqu'ils furent montés dans une barque, » etc. Mais il n'y a ici aucune contradiction, car qui ne voit que saint Jean raconte par récapitulation, comme ayant été fait par les disciples, ce que Jésus leur avait ordonné avant de se retirer sur la montagne ?
Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur commence par nourrir la multitude et se retire ensuite sur la montagne, selon ce qui était prédit de lui : « L'assemblée des peuples vous entourera, et à cause d'elle remontez dans les hauteurs. » (Ps 7) C'est-à-dire, remontez dans les hauteurs, afin que l'assemblée des peuples vous entoure. Mais pourquoi l'Evangéliste dit-il que le Sauveur s'enfuit ? car on n'aurait pu le retenir malgré lui. Cette fuite a donc une signification mystérieuse, et nous apprend que la hauteur de ces mystères ne pouvait être comprise ; en effet, vous dites de tout ce que vous ne comprenez pas : « Cela me fuit. » Nôtre-Seigneur fuit donc seul sur une montagne lorsqu'il monte au-dessus de tous les cieux. Tandis qu'il est dans les hauteurs des cieux, ses disciples qui sont restés dans la barque sont exposés à la violence de la tempête. Cette barque était la figure de l'Eglise, il faisait déjà nuit, et il n'y avait rien d'étonnant, la vraie lumière ne brillait pas encore, Jésus n'était pas encore venu les trouver. Plus approche la fin du monde, et plus aussi on voit croître les erreurs et augmenter l'iniquité. En effet, la charité est lumière, suivant les paroles de saint Jean : « Celui qui hait son frère demeure dans les ténèbres. » (1 Jn 2, 9.) Les flots qui agitent le navire, la tempête, les vents sont les clameurs des réprouvés. La charité se refroidit, les flots ne cessent de monter et de battre les flancs du navire, et cependant ni les vents, ni la tempête, ni les flots, ni les ténèbres ne peuvent briser la barque et l'engloutir, ni même l'empêcher d'avancer, car celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé. Le nombre cinq est l'emblème de la loi, renfermée dans les cinq livres de Moïse ; le nombre vingt-cinq est donc aussi la figure de la loi, puisqu'il est le produit du nombre cinq multiplié par cinq. Mais la perfection qui est signifiée par le nombre six, manquait à la loi avant l'Evangile, et en multipliant cinq par six, on obtient le nombre trente, figure de la loi accomplie par l'Evangile. Nôtre-Seigneur vient donc trouver ceux qui accomplissent la loi, en marchant sur les flots, c'est-à-dire, en foulant aux pieds toutes les vaines enflures de l'orgueil et toutes les hauteurs du monde, et cependant les tribulations sont si grandes, que ceux mêmes qui croient en Jésus tremblent d'y succomber.
Nous employons cette locution lorsque nous sommes dans le doute, à peu près vingt-cinq ou trente.
A la vue d'un si grand miracle, le peuple comprit que Jésus réunissait la puissance à la bonté, et il voulut le faire roi, car les hommes veulent dans les princes qui sont à leur tête la bonté dans le gouvernement, jointe à la puissance pour les défendre. Mais aussitôt que le Sauveur en eut connaissance, il s'enfuit sur la montagne, c'est-à-dire, qu'il se retira promptement ; « Jésus ayant connu qu'ils devaient venir pour l'enlever et le faire roi, s'enfuit de nouveau sur la montagne tout seul ; » on peut conclure de là que Nôtre-Seigneur, qui était d'abord assis avec ses disciples sur la montagne d'où il vit la multitude qui venait à lui, était descendu ensuite de la montagne et avait nourri le peuple dans la plaine, car comment aurait-il pu se retirer de nouveau sur la montagne s'il n'en était d'abord descendu ?
Il ne leur dit point : Je suis Jésus, mais simplement : « C'est moi, » parce qu'ils vivaient dans son intimité, et qu'au seul son de sa voix, ils purent facilement reconnaître leur maître ; ou bien, ce qui est plus vraisemblable, il voulut leur apprendre qu'il était celui qui dit à Moïse : « Je suis celui qui suis, » (Ex 3, 14)
Mais cette barque ne porte point d'hommes indolents et paresseux, elle veut des rameurs vigoureux ; c'est ainsi que dans l'Eglise ce ne sont point les âmes molles et nonchalantes mais les âmes fortes et qui persévèrent dans la pratique des bonnes œuvres qui parviennent au port du salut éternel.
Vous voyez ici, en effet, trois miracles réunis : Jésus marche sur la mer, il calme la fureur des flots, et fait aborder aussitôt la barque au rivage dont les disciples étaient encore fort éloignés, lorsque le Seigneur apparut.
Lorsque les hommes ou les démons s'efforcent de nous ébranler par la crainte, écoutons Jésus-Christ qui nous dit : « C'est moi, ne craignez point, » c'est-à-dire je suis toujours près de vous, je demeure avec vous comme Dieu, et ne passe jamais, ne vous laissez donc point enlever par de vaines terreurs la foi que vous avez en moi. Voyez encore comment Nôtre-Seigneur ne vient pas au secours de ses disciples au commencement du danger, mais longtemps après. C'est ainsi que Dieu permet que nous soyons au milieu des dangers, pour éprouver notre courage parce combat contre les tribulations, et nous enseigner à recourir à celui-là seul qui peut nous sauver alors même que tout espoir est perdu. En effet c'est que lorsque l'intelligence de l'homme est à bout de ressources et déclare son impuissance, que le secours de Dieu arrive. Si nous voulons nous aussi recevoir Jésus-Christ dans notre barque, c'est-à-dire lui offrir une habitation dans nos cœurs, nous arriverons aussitôt au rivage où nous voulons aborder, c'est-à-dire au ciel.
Il leur dit (encore le
temps présent)… Jésus rassure d’un mot, identiquement cité par les trois évangélistes, ses apôtres
épouvantés : C’est moi, ne craignez pas. - Ils voulurent alors … (dans le grec, à l’imparfait, ils voulaient).
Cette conclusion revêt dans le quatrième évangile une forme particulière. Si nous n’avions pas les narrations
parallèles pour l’expliquer en la complétant, elle semblerait dire que les apôtres se proposaient de recevoir
Jésus dans leur barque, mais qu’il ne leur en laissa pas le temps. Nous savons au contraire par S. Matthieu
et par S. Marc que le Sauveur monta auprès d’eux. Du reste, S. Jean emploie parfois le verbe grec ἐθέλω
(vouloir) qui exprime une volonté réalisée. Cf. 1, 44 ; 5, 35 ; 7, 17 ; 8, 44. S’il eût opposé le désir des
disciples à un refus tacite de leur Maître, il aurait dit ensuite : mais aussitôt, et non pas et aussitôt. Il signale
donc simplement une disposition, tandis que les deux autres écrivains sacrés racontent l’acte même. Est-ce là
une contradiction, comme le prétendent les rationalistes ? - Et aussitôt la barque se trouva… Ce serait un
nouveau prodige d’après quelques interprètes. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’entendre les choses si
strictement. Il vaut mieux, en ce passage encore, interpréter S. Jean d’après les synoptiques ; or ceux-ci
racontent que la tempête s’apaisa tout à coup, et que la barque vint aborder à sa destination ; ce qui ne
demandait désormais que peu de temps.