Jean 6, 40
Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. »
Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. »
En s'exprimant de la sorte, le Sauveur ne veut point dire qu'il fait ce qu'il ne veut pas, mais il fait paraître son obéissance dans sa soumission à la volonté de son Père, volonté qu'il veut accomplir dans toute sa perfection.
Nôtre-Seigneur, sur le point d'initier les Juifs à la connaissance de ses mystères, commence par établir sa divinité et leur dit : « Je suis le pain de vie, » paroles qui ne s'appliquent point à son corps, dont il dira plus tard : « Le pain que je donnerai, c'est ma chair. » Il leur parle donc de sa divinité, car c'est par suite de son union avec le Verbe que la chair est un véritable pain qui devient le pain du ciel pour celui qui reçoit l'Esprit lui-même.
Ou bien, Nôtre-Seigneur fait ici allusion au témoignage des Ecritures dont il a dit plus haut : « Les Ecritures rendent témoignage de moi ; » et encore à ces antres paroles : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu, » etc. Quant à ce qu'il leur dit ici : « Parce que vous m'avez vu et vous n'avez pas cru ; » il veut parler en termes couverts des miracles qu'il a opérés sous leurs yeux.
Ces expressions : « Tout ce que me donne mon Père, » prouvent que la foi en Jésus-Christ n'est point une chose ordinaire et facile, ni qui soit l'œuvre exclusive de notre volonté, elle demande en même temps une révélation supérieure et une âme sincèrement disposée à recevoir cette révélation. Il suit de là que ceux à qui le Père ne donne point cette grâce ne sont pas à l'abri de toute accusation, car nous avons aussi besoin de notre volonté pour croire. Nôtre-Seigneur condamne en même temps leur incrédulité, en montrant que celui qui ne croit point en lui, va contre la volonté de son Père. Saint Paul dit de son côté, que c'est lui-même qui donne les fidèles à son Père : « Ensuite viendra la fin de toutes choses, lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père. » (1 Co 15, 24.) Le Père, lorsqu'il donne, ne se dépouille pas de ce qu'il donne, il en est de même du Fils ; et s'il est dit de lui qu'il nous remet entre les mains de son Père, parce que c'est lui qui nous amène à son Père ; il est aussi écrit du Père : « C'est par lui que nous avons été appelés dans la société de son Fils. » (1 Jn 1) Celui donc qui croit en moi sera sauvé, car c'est pour les hommes que je suis venu sur la terre, et que je me suis incarné : « Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » Quoi donc ! est-ce que votre volonté est différente de celle de Dieu ? Nôtre-Seigneur va au-devant de cette pensée, en ajoutant : « Or, la volonté de mon Père, qui m'a envoyé, est que, quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle ; » donc c'est aussi la volonté du Fils, puisque le Fils donne la vie à ceux qu'il veut. Tel est donc le sens de ces paroles : Je ne suis point venu faire autre chose que ce que veut le Père, et je n'ai point d'autre volonté que la sienne : « Car tout ce qui est à mon Père, est également à moi ; » ce qu'il réserve de dire à la fin de son discours, car il voile de temps en temps les vérités trop relevées pour l'intelligence de ses auditeurs.
Lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Je ne perdrai aucun d'eux ; » ce n'est pas qu'il ait besoin d'eux, mais en s'exprimant de la sorte, il fait voir le désir qu'il a de leur salut. Après avoir dit : « Je n'en perdrai aucun, et je ne le jetterai pas dehors ; » il ajoute : « Mais je le ressusciterai au dernier jour. » C'est qu'en effet, à la résurrection générale, les méchants seront jetés dehors, selon ces paroles du Sauveur : « Prenez-le, et jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt 22 et 25) Vérité que confirment ces autres paroles : « Lui qui peut précipiter dans la géhenne l'âme et le corps. » (Mt 10) Il ramène souvent la pensée de la résurrection, pour que les hommes ne jugent pas la conduite de la Providence divine par les seules choses présentes, et pour qu'ils vivent dans l'attente d'une autre vie.
Vous désirez donc le pain du ciel que vous avez devant vous, mais vous ne le mangez pas. « Je vous l'ai dit, vous m'avez vu et vous ne croyez point. »
Cependant je n'ai point perdu le peuple de Dieu tout entier, parce que vous avez vu et que vous n'avez pas cru : « Car tout ce que me donne mon Père viendra à moi, et celui qui vient à moi je ne le rejetterai pas dehors. » — BEDE. Il dit en termes absolus : « Tout ce que me donne mon Père, » c'est-à-dire, la plénitude des fidèles. Ce sont ceux que le Père donné au Fils, lorsque, par une inspiration secrète, il les fait croire au Fils.
Cette retraite intérieure, d'où l'on n'est point chassé dehors, est un sanctuaire profond et une douce solitude sans aucun ennui, sans l'amertume des mauvaises pensées, sans les agitations des tentations et des douleurs, et c'est de cette retraite intérieure que Nôtre-Seigneur a voulu parler lorsqu'il dit : « Entrez dans la joie de votre maître. » (Mt 25)
Ou bien encore, le Sauveur donne ici la raison pour laquelle il ne rejette pas dehors celui qui vient à lui : « C'est parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » L'âme est sortie de Dieu, parce qu'elle était orgueilleuse, c'est par l'orgueil que nous avons été chassés dehors, c'est par l'humilité seule que nous pouvons rentrer. Lorsqu'un médecin qui entreprend la guérison d'une maladie, guérit la maladie elle-même, sans guérir la cause qui l'a produite, la guérison n'est que momentanée, et le mal revient sous l'action de la cause qui persévère. Or, c'est pour guérir la cause de toutes les maladies ; c'est-à-dire, l'orgueil, que le Fils de Dieu est descendu des cieux, et qu'il s'est profondément humilié. Pourquoi donc vous enorgueillir, ô homme ? C'est pour vous que le Fils de Dieu s'est réduit à cet état d'humiliation. Peut-être rougirez-vous d'imiter l'exemple de l'humilité qui vous serait donné par un homme, imitez-le du moins quand cet exemple vous est donné par un Dieu, qui vous recommande si hautement l'humilité en vous disant : « Je suis venu, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » L'orgueil, en effet, ne veut faire que sa volonté, l'humilité, au contraire, fait la volonté de Dieu.
Celui-là donc qui viendra à moi, je ne le rejetterai pas dehors, parce que je ne suis pas venu pour faire ma volonté ; humble moi-même, je suis venu enseigner l'humilité ; celui qui vient à moi s'unit et s'incorpore à moi, parce qu'il ne fait pas sa volonté, mais celle de Dieu, et c'est pour cela qu'il ne sera pas jeté dehors, car l'orgueil seul l'avait chassé dehors. On ne peut venir à moi qu'à la condition d'être humble, et on n'est rejeté dehors que par l'orgueil : celui qui pratique l'humilité ne tombe jamais des hauteurs de la vérité. Mais pour quelle raison ne jette-t-il pas dehors celui qui vient à lui, parce qu'il n'est pas venu faire sa volonté ? La voici : « Car la volonté de mon Père qui m'a envoyé, est que je ne perde aucun de ceux qu'il m'a donnés. » Celui qui est donné à Jésus-Christ est celui qui est resté fidèle à la pratique de l'humilité : « Votre Père qui est dans les cieux ne veut pas qu'il se perde un seul de ces petits. » (Mt 18, 14.) Il en peut périr parmi les orgueilleux, mais aucun de ceux qui sont petits ne périt, car il faut devenir semblable à ce petit pour entrer dans le royaume des cieux. (Mt 18, 3-5.)
Ceux donc, qui dans les décrets de la providence de Dieu, ont été prévus, prédestinés, appelés, justifiés, glorifiés, sont déjà enfants de Dieu, avant leur seconde naissance et même avant la première, et il est impossible qu'ils périssent, parce qu'ils sont véritablement venus à Jésus-Christ. C'est lui donc qui leur donne la persévérance finale dans le bien, car elle n'est donnée qu'à ceux qui ne doivent point périr. Quant à ceux qui ne persévèrent point, leur perte est certaine.
Voyez comme il parle ici en termes précis de cette double résurrection : « Celui qui vient à moi ressuscite dès maintenant, en partageant l'humilité de mes membres ; » et de plus : « Je le ressusciterai au dernier jour. » Pour expliquer davantage ce qu'il venait de dire : « Tout ce que mon Père m'a donné; » et encore : « Je ne perdrai aucun d'eux. » Nôtre-Seigneur ajoute : « Telle est la volonté de mon Père qui m'a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle. » Il avait dit précédemment : « Celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé. » Ici au contraire : « Celui qui voit le Fils et qui croit en lui. » Il ne dit point : Et qui croit dans le Père, parce que croire dans le Fils et croire dans le Père, sont une seule et même chose ; car de même que le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même ; et ainsi celui qui voit le Fils et qui croit en lui, a la vie éternelle, en arrivant par la foi à la vie qui est comme la première résurrection. Mais cette première résurrection n'est pas la seule, aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Et je le ressusciterai au dernier jour. »
Si je m'exprime de la sorte, ce n'est pas que j'espère que vous chercherez à vous rassasier de ce pain, mais c'est bien plutôt pour condamner votre incrédulité qui, tout en me voyant, refuse de croire en moi.
Celui donc que le Père attire à la foi qui le fait croire en moi, viendra à moi par la foi pour entrer en union avec moi, et je ne rejetterai pas dehors celui que les pas de la foi et des bonnes œuvres conduiront jusqu'à moi, c'est-à-dire, qu'il demeurera avec moi dans le secret d'une conscience pure, et je finirai par le recevoir dans l'éternelle béatitude.
Ou bien il n'aura jamais ni faim ni soif, c'est-à-dire, qu'il n'éprouvera jamais aucun dégoût, aucune langueur pour entendre la parole de Dieu, et qu'il ne souffrira jamais de la soif spirituelle, comme ceux qui n'ont point été régénérés dans l'eau du baptême et qui n'ont point été sanctifiés par l'Esprit saint.
Il ne dit point : Je suis le pain qui sert d'aliment, mais : « Je suis le pain de vie.» Tout était devenu la proie de la mort, et c'est par lui-même que Jésus-Christ nous a rendu la vie ; et la vie que ce pain soutient et alimente n'est pas cette vie naturelle et passagère, mais la vie sur laquelle la mort n'a aucun empire. C'est pour cela qu'il ajoute : « Celui qui vient à moi, c'est-à-dire, celui qui croit en moi n'aura jamais soif. » Ces paroles : « Il n'aura jamais faim, » doivent être entendues dans le même sens que ces autres : « II n'aura jamais soif, » elles expriment ce rassasiement éternel qui ne laisse place à aucun besoin, à aucun désir.
Le Seigneur nous enseigne la vérité sur la nourriture spirituelle en nous en découvrant la puissance , puis l’origine , et enfin en enseignant la manière de la prendre.
Avant de parler de la puissance de cette nourriture, le Seigneur en révèle l’existence. Après cela, il manifeste ce qu’elle est . A propos de son existence, il dénonce la cupidité perverse des Juifs, puis il les exhorte à se soumettre à la vérité .
893. Le Seigneur dit donc : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, bien que vous vous comportiez comme si vous m’étiez dévoués, cependant VOUS ME CHERCHEZ NON PARCE QUE VOUS AVEZ VU DES SIGNES, MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS, comme pour dire : c’est à cause de la chair et non de l’esprit que vous me cherchez; en effet, c’est pour être à nouveau rassasiés.
Et comme le dit Augustin , ils se trouvent dans cette même situation, ceux qui cherchent Jésus non pas pour lui-même mais pour en obtenir certains avantages profanes : ainsi ceux qui, engagés dans les choses du monde, s’adressent aux dignitaires de l’Eglise et aux clercs, non pas à cause du Christ, mais pour que, par leur intercession, ils soient introduits auprès des grands. Tels sont aussi ceux qui se réfugient auprès des Eglises non pas à cause de Jésus mais parce qu’ils sont opprimés par de plus forts qu’eux, comme d’ailleurs ceux qui, s’approchant du Seigneur par les ordres sacrés, y recherchent non pas le mérite de la vertu mais des ressources pour la vie présente, les richesses et les honneurs, comme le dit Grégoire . Et cela est vérifié ici : en effet, accomplir des signes revient à la puissance divine, mais manger le pain multiplié n’est que temporel. Ceux qui ne viennent pas au Christ à cause de la puissance qu’ils voient en lui, mais parce qu’ils se nourrissent de pain, ne servent donc pas le Christ mais leur ventre, comme il est dit dans l’épître aux Philippiens — Il te reconnaîtra lorsque tu lui auras fait du bien
894. Il les ramène à la vérité en leur donnant connaissance d’une nourriture spirituelle; il parle d’abord de sa puissance, puis de son auteur .
895. La puissance de cette nourriture ressort du fait qu’elle ne périt pas. Sachons à ce propos que les réalités corporelles ont une certaine ressemblance avec les réalités spi rituelles dans la mesure où celles-ci en sont cause et source; et c’est pourquoi elles imitent en quelque manière les réalités spirituelles. Or le corps est soutenu par la nourriture; cela donc qui soutient l’esprit, quoi que ce soit, en est appelé la nourriture. Et ce qui soutient le corps, puisqu’il passe dans la nature de ce corps, est corruptible; mais la nourriture qui soutient l’esprit est incorruptible parce qu’elle n’est pas changée en l’esprit lui-même, mais c’est au contraire l’esprit qui est changé en la nourriture. Voilà pourquoi Augustin dit : "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais c’est toi qui seras changé en moi
C’est pour cela que le Seigneur dit : TRAVAILLEZ, c’est-à-dire, recherchez en travaillant — autrement dit, méritez par vos travaux — non pas LA NOURRITURE QUI PERIT, celle qui est corporelle — Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments, et Dieu abolira l’un comme l'autre les autres parce qu’on ne fera pas toujours usage des aliments, mais TRAVAILLEZ en vue de cette nourriture, celle de l’esprit, QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE. Cette nourriture est Dieu lui-même en tant qu’il est la vérité à contempler et la bonté à aimer qui nourrissent l’esprit — Mangez mon pain — Elle l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence Cette nourriture est aussi l’obéissance aux commandements divins — Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et encore le Christ lui-même — C’est moi qui suis le pain de vie Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson cela en tant que sa chair est conjointe au Verbe de Dieu qui est la nourriture dont vivent les anges. Plus haut, à propos de la boisson corporelle et de la boisson spirituelle, il avait mis en lumière une différence semblable à celle qu’il établit ici entre la nourriture corporelle et la nourriture spirituelle : Quiconque boit de cette eau aura encore soif mais celui qui boit de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif La raison en est que les réalités corporelles sont corruptibles, tandis que les réalités spirituel les, et Dieu plus que tout, demeurent éternellement.
896. Mais il faut savoir, selon Augustin (dans son livre sur Le travail des moines ), que sur cette parole TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, certains moines trouvèrent le moyen d’errer en disant que les hommes spirituels ne devaient pas travailler de leurs mains, à quelque œuvre que ce soit. Mais cette interprétation est fausse, puisque Paul, qui fut éminemment spirituel, a travaillé de ses propres mains, comme lui-même le rapporte dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens : Nous n'avons pas mangé gratuitement le pain de qui conque, mais dans le labeur et la fatigue, œuvrant jour et nuit, afin de n’être un poids pour personne La véritable intelligence du passage est donc que nous orientions notre œuvre, c’est-à-dire notre principal effort et notre intention, vers la recherche de la nourriture qui conduit à la vie éternelle, c’est-à-dire vers les biens spirituels. Sur les choses temporel les, nous ne devons pas porter en premier lieu notre attention, mais seulement d’une manière relative : nous les procurer uniquement en raison de notre corps corruptible qu’il faut soutenir aussi longtemps que nous vivons ici-bas. Pour cette raison, et à l’encontre de ces moines, l’Apôtre dit explicitement : Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus comme s’il disait : ceux qui disent qu’il ne faut travailler à aucune œuvre corporelle — et manger en est bien une —, ceux-là doivent aussi ne pas manger.
897. L’Évangéliste considère ici l’auteur du don de la nourriture spirituelle. Il mentionne d’abord de qui il s’agit, puis montre d’où lui vient l’autorité de la donner .
L’auteur et le donateur de la nourriture spirituelle est le Christ. Et c’est pourquoi il dit CELLE, c’est-à-dire la nourriture qui ne périt pas, QUE LE FILS DE L’HOMME VOUS DONNERA. S’il avait dit "le Fils de Dieu", on n’y aurait rien vu d’étonnant. Mais que ce soit le Fils de l’homme qui la donne est plus propre à éveiller l’attention. La raison pour laquelle il revient proprement au Fils de l’homme de don ner est que la nature humaine blessée par le péché se dégoûtait de la nourriture spirituelle, et n’était pas capable de la prendre dans ce qu’elle a de spirituel : pour cette rai son, il a été nécessaire que le Fils de Dieu prît chair et que, par sa chair, il nous redonnât vigueur — Tu as préparé devant moi une table .
898. D’où lui vient l’autorité de donner? L’Évangéliste le dit : DIEU LE PERE L’A MARQUE comme s’il disait : si le Fils donne, cela ne lui revient qu’à cause du caractère uni que et éminent de sa plénitude de grâce, par laquelle il sur passe tous les fils des hommes. Il l’a MARQUE, c’est-à-dire choisi explicitement parmi les autres : Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tous tes compagnons .
Ou, selon Hilaire , il l’a MARQUÉ, c’est-à-dire marqué de son sceau. Quand on a imprimé un sceau dans de la cire, celle-ci conserve toute la figure du sceau. De même, le Fils reçoit toute la forme du Père. Et c’est de deux manières que le Fils reçoit du Père : l’une est éternelle et ce qui est dit ici ne la signifie pas, parce que dans l’apposition d’un sceau, autre est la nature de ce qui reçoit, autre celle de ce qui imprime. Mais il faut le comprendre du mystère de l’Incarnation, parce que Dieu le Père a imprimé dans la nature humaine le Verbe qui, par son Incarnation, est le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance .
Ou, selon Chrysostome , il l’a MARQUE, c’est-à-dire Dieu le Père l’a établi spécialement pour donner la vie éternelle au monde : Moi, je suis venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles l’aient plus abondamment Ainsi en effet, quand quelqu’un est choisi pour assumer une fonction importante, on dit qu’il est détaché en vue d’exercer cette fonction : Après cela, le Seigneur détacha encore soixante-douze autres disciples . Ou encore, il l'a MARQUE, c'est-à-dire l'a manifesté par la voix lors du baptême, et par les œuvres, comme on l’a dit plus haut.
899. Ensuite, en disant : ILS LUI DIRENT DONC : "QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX ŒUVRES DE DIEU?", l’Evangéliste manifeste ce qu’est la nourriture spirituelle; il note d’abord la question des Juifs, puis la réponse de Jésus-Christ.
900. Sur cette question, sachons que les Juifs, instruits par la Loi, croyaient que rien n’est éternel, si ce n’est Dieu. Ainsi, lorsque le Seigneur eut dit que la nourriture spirituelle DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, ils comprirent que cette nourriture est quelque chose de divin. Et voilà pourquoi, en interrogeant, ils mentionnent non pas la nourriture mais l’œuvre de Dieu : QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX ŒUVRES DE DIEU? En cela, ils n’étaient pas loin de la vérité puisque la nourriture spirituelle n’est rien d’autre que de travailler aux œuvres de Dieu — Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle?
901. Dans cette réponse du Seigneur, il faut avoir pré sent à l’esprit que l’Apôtre distingue la foi des œuvres , en disant qu’Abraham n’a pas été justifié par les œuvres mais par la foi. Qu’est-ce donc que le Seigneur affirme là, que la foi elle-même, c’est-à-dire croire, est l’œuvre de Dieu?
A cela il y a deux réponses. L’une consiste à dire que l’Apôtre ne distingue pas la foi des œuvres prises au sens absolu, mais des œuvres extérieures. Certaines œuvres en effet sont extérieures, celles que produisent les membres du corps, et parce qu’elles sont plus manifestes, elles sont communément appelées œuvres. D’autres au contraire sont intérieures, celles qui s’exercent dans l’âme elle-même, qui ne sont connues que des sages et de ceux qui se recueillent en leur cœur En un autre sens, on dit que croire peut être compté parmi les œuvres extérieures, non que la foi soit les œuvres elles-mêmes, mais au sens où elle en est le principe. C’est pour cela qu’il dit expressément : C’EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU’IL A ENVOYE. Ce n’est pas en effet la même chose de dire croire à Dieu — ainsi en effet je désigne l’objet —, croire Dieu parce qu’ainsi je désigne le témoin, et croire en Dieu parce qu’ainsi je désigne la fin de sorte que Dieu se rapporte à la foi comme son objet, son témoin et sa fin, mais autrement ici ou là, parce que l’objet de la foi peut être une créature comme créée — je crois en effet que le ciel a été créé — et qu’une créature peut aussi être témoin de la foi — je crois en effet Paul ou n’importe lequel des saints — mais la fin de la foi ne peut être que Dieu : de fait, c’est vers Dieu seul que notre esprit peut être tourné comme vers sa fin. Or la fin, qui comme telle est bonne, est l’objet de l’amour : voilà pourquoi croire en Dieu comme à une fin est propre à la foi formée par la charité. Cette foi ainsi formée est principe de toutes les bonnes œuvres et, dans cette mesure, le fait même de croire est appelé ŒUVRE DE DIEU.
902. Mais si la foi est L’ŒUVRE DE DIEU, comment les hommes accomplissent-ils les œuvres de Dieu?
Cette difficulté est dénouée par Isaïe lorsqu’il dit : Toutes nos œuvres, c'est toi qui les fais pour nous, Seigneur En effet, le fait même que nous croyions et tout ce que nous accomplissons de bien nous vient de Dieu : Dieu lui-même est celui qui opère en vous le vouloir et son accomplissement Et s’il dit explicitement que croire est l’œuvre de Dieu, c’est pour manifester que la foi est un don de Dieu, comme il est dit dans l’épître aux Ephésiens .
903. Ce passage traite de l’origine de cette nourriture, que Jésus révèle en réponse à une question des Juifs qui réclament un signe et qui précisent lequel en mettant en avant le témoignage de l’Ecriture .
904. Ils demandent un signe en posant une question : ILS LUI DIRENT : "QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR QUE NOUS VOYIONS ET CROYIONS EN TOI?"
Cette question est éclaircie par Chrysostome , et d’une autre manière par Augustin. Chrysostome dit en effet que le Seigneur les avait invités à la foi . Or, parmi ce qui nous conduit à embrasser la foi, il y a les miracles : Des signes sont donnés pour ceux qui n'ont pas la foi; et pour cette raison, ils demandent encore un signe grâce auquel ils puissent croire; c’est en effet une habitude chez les Juifs que de demander des signes : Les Juifs réclament des signes C’est pour cette raison qu’ils disent : QUEL SIGNE FAIS-TU DONC?
Mais il est ridicule, de la part des Juifs, de réclamer un miracle pour croire, quel que soit ce miracle, puisque le Christ venait d’en accomplir en multipliant les pains et en marchant sur le mer et que ces miracles, grâce auxquels ils auraient pu croire, s’étaient produits sous leurs yeux. Mais s’ils disent cela, c’est pour provoquer le Seigneur et l’amener à leur procurer toujours la nourriture. Cela est évident, puisqu’ils ne font mention d’aucun autre signe que celui accompli par Moïse pour leurs pères pendant quarante années, comme si par là ils lui demandaient de toujours les nourrir : NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, et non pas : Dieu a nourri nos pères de la manne, pour ne pas laisser croire qu’ils voulaient en faire l’égal de Dieu. Ils ne disent pas non plus que Moïse les a nourris, pour ne pas laisser penser qu’ils préféraient Moïse au Christ : ne voulaient-ils pas l’amadouer, pour que sans cesse il les nourrisse? De cette nourriture il est dit : Voici que moi je vais faire pleuvoir pour vous un pain du ciel et dans les Psaumes : L’homme a mangé le pain des anges
905. Augustin lui, dit que le Seigneur a affirmé qu’il allait leur donner LA NOURRITURE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE comme pour faire apparaître sa prééminence sur Moïse. Les Juifs, eux, estimaient Moïse plus grand que le Christ. Pour cette raison ils affirmaient :
Dieu a parlé à Moïse, mais celui-ci, nous ne savons d’où il est Et c’est pour cela qu’ils réclamaient du Christ qu’il accomplisse des actions plus grandes que celles de Moïse. Et à cause de cela, ils évoquent ce que fit Moïse en disant : NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, comme s’ils voulaient dire : l’action que tu t’attribues est plus grande que ce que Moïse a accompli, parce que toi tu promets la nourriture qui ne périt pas, tandis que la manne donnée par Moïse, si elle était gardée pour le lendemain, grouillait de vers. Si donc tu veux que nous croyions en toi, accomplis quelque chose de plus grand que Moïse; ce que tu as accompli, en effet, n’est pas plus grand, parce que tu as rassasié cinq mille hommes, mais avec des pains d’orge et une seule fois, alors que lui, c’est tout le peuple qu’il a rassasié avec la manne, et pendant quarante années, et cela dans le désert, ainsi qu’il est écrit dans le psaume : Il leur a donné à manger un pain du ciel
LA RÉPONSE DE JÉSUS
906. Après avoir relevé l’interrogation des Juifs, on donne la réponse du Christ où est d’abord montrée , puis prouvée , l’origine de la nourriture spirituelle.
907. Au sujet de l’origine de la nourriture spirituelle, sachons que les Juifs, face au Christ, avaient souligné deux aspects de l’origine de la nourriture corporelle dont leurs pères avaient usé : que Moïse en fut le donateur, et le ciel le lieu d’où elle leur vint. A cause de cela, le Seigneur, considérant l’origine de la nourriture spirituelle, écarte ces deux données et affirme que le donateur et le lieu de cette nourriture sont autres que ceux de la nourriture corporelle. Niant ce que les Juifs disaient, il déclare : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CE N’EST PAS MOISE QUI VOUS A DONNE LE PAIN DU CIEL; mais il est autre, celui qui donne, non le pain du corps mais le vrai pain du ciel, parce que c’est mon Père.
908. Objection : n’était-ce pas vraiment du pain que les pères eurent dans le désert?
Réponse : si l’on comprend "vrai" par opposition à "faux", alors ce pain était véritable. Ce n’était pas en effet un faux miracle que celui de la manne. Mais si l’on comprend "vrai" au sens où la vérité s’oppose à la figure, alors il ne s’agissait pas du pain véritable, mais de la figure du pain spirituel, c’est-à-dire du Seigneur Jésus-Christ que la manne signifiait, comme le dit l’Apôtre : Tous ont mangé la même nourriture spirituelle
909. Une autre objection apparaît dans ce que nous dit le psaume : Il leur a donné à manger un pain du ciel
Réponse : "ciel" peut se prendre en trois sens. Il désigne soit les airs — Les oiseaux du ciel l’ont mangé ou encore : Du ciel, Dieu tonna soit le ciel des astres — Au Seigneur appartient le ciel des cieux et les étoiles tomberont du ciel soit les biens spirituels — Réjouissez-vous et exultez, car au ciel grande est votre récompense La manne était donc bien venue du ciel, mais non pas du ciel des étoiles ou du ciel spirituel : elle est venue des airs. Ou bien on dit DU CIEL en tant qu’elle était la figure du véritable pain céleste, le Seigneur Jésus-Christ
910. Le Christ prouve ici que l’origine du vrai pain estcéleste, et cela par son effet. Le vrai ciel est en effet une nature spirituelle qui par elle-même implique la vie et qui, pour cette raison, est source de vie : C’est l’esprit qui vivifie . Or Dieu lui-même est l’auteur de la vie. A ceci donc — à son effet propre — on reconnaît que le pain spirituel est d’origine céleste : s’il donne la vie. En effet, le pain du corps ne donnait pas la vie puisque tous ceux qui avaient mangé la manne sont morts; mais celui-ci donne la vie et c’est ainsi qu’il dit : LE VRAI PAIN — et non pas sa préfiguration — EST CELUI QUI DESCEND DU CIEL, ce qui se vérifie puisqu’il DONNE LA VIE AU MONDE. En effet, le Christ qui est le vrai pain fait vivre qui il veut Moi je suis venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles l’aient plus abondamment ; de plus, lui-même est descendu du ciel : Personne n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel
Ainsi donc, le Christ, vrai pain, donne la vie au monde en raison de sa divinité; et il est descendu du ciel en raison de sa nature humaine. En effet, comme nous l’avons vu précédemment être descendu du ciel traduit le fait d’assumer la nature humaine — Il s’est anéanti lui-même, prenant forme d’esclave
911. L'Evangéliste regarde ensuite comment se procurer la nourriture spirituelle; il note d’abord la demande de cette nourriture , puis la réponse où Jésus montre comment se la procurer .
912. Sachons, à propos de la demande des Juifs, qu’ils avaient des paroles du Seigneur une intelligence charnelle; et c’est parce que leurs désirs étaient ceux de la chair qu’ils demandent au Christ une nourriture pour la chair. Ainsi, ils lui disent : SEIGNEUR, DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN qui restaure de cette manière et ne fasse pas défaut. La Samaritaine elle aussi, ayant du discours sur l’eau spirituelle une intelligence charnelle — elle voulait être affranchie d’un besoin — disait : Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour puiser Mais, même si les Juifs ramènent à un sens charnel les paroles du Seigneur sur la nourriture et qu’ils la demandent dans cette perspective, nous pouvons cependant faire nôtre leur demande, comprise spirituellement : Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien parce que, sans ce pain spirituel, nous ne pouvons pas vivre.
913. Lorsqu’ensuite l’Évangéliste dit : JÉSUS LEUR DIT : C’EST MOI..., il expose la manière de se procurer la nourriture spirituelle en montrant d’abord ce qu’est ce pain et ensuite comment on peut l’acquérir .
Qu’est ce pain? L’Evangéliste en relate d’abord la révélationpuis il donne la raison de la révélation et en montre enfin la nécessité .
914. En effet, comme nous l’avons dit toute pensée (verbum) de sagesse est la nourriture propre de l’esprit parce que c’est elle qui le soutient : La Sagesse l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence .
Et l’on dit que le pain de la Sagesse est un pain de vie à la différence du pain corporel, qui est un pain de mort puis qu’il ne sert qu’à réparer les défaillances de notre condition mortelle et, pour cette raison, n’est nécessaire qu’en cette seule vie mortelle. Mais le pain de la Sagesse divine est source de vie et n’a pas la mort pour contraire. En outre, le pain corporel ne donne pas la vie : il ne fait que soutenir pour un temps une vie déjà existante. Mais le pain spirituel vivifie de telle manière qu’il donne lui-même la vie : l’âme ne commence à vivre qu’en adhérant au Verbe de Dieu : Auprès de toi est la source de vie Donc, puisque toute pensée (verbum) de sagesse dérive du Verbe, l’unique engendré de Dieu — La source de la sagesse, c’est l’unique engendré de Dieu qui demeure dans les cieux c’est le Verbe de Dieu qui est principalement dit pain de vie; c’est pour cela que le Christ dit : C’EST MOI QUI SUIS LE PAINDE VIE. Et puisque la chair du Christ a été unie au Verbe de Dieu lui-même, il lui appartient aussi de vivifier; et pour cette raison le corps, consommé sacramentellement, donne la vie : en effet, par les mystères qu’il a accomplis dans sa chair, le Christ donne la vie au monde. Et ainsi la chair du Christ, à cause de la parole du Seigneur, est le pain, non pas pour cette vie, mais pour celle à laquelle la mort ne vient pas mettre de terme. C’est en ce sens-là que la chair du Christ est dite pain : Aser, son pain est riche . Elle est aussi signifiée par la manne. Ce mot en effet veut dire : Qu’est-ce? parce que les Juifs, en la voyant, furent saisis d’étonnement, se disant entre eux : Qu’est-ce? Mais rien n’est plus admirable que le Fils de Dieu fait homme, de telle sorte que tout homme en vient à demander : Qu’est-ce? C’est-à-dire, comment le Fils de Dieu est-il Fils de l’homme, comment deux natures ne font-elles qu’une seule personne? — Il sera nommé Admirable Elle est aussi admirable, la manière dont le Christ est sous les espèces sacramentelles
915. Jésus rend ici raison de l’affirmation C’EST MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE en partant de l’effet propre de ce pain. Le pain corporel en effet, une fois consommé, ne supprime pas la faim pour toujours puisqu’il se corrompt et vient alors à manquer. Pour cette raison, on est obligé d’en reprendre. Le pain spirituel, au contraire, donnant la vie par lui-même, ne se corrompt jamais. Et pour cette raison, l’homme qui le consomme une seule fois n’a plus jamais faim. C’est pour cela qu’il dit : QUI VIENTA MOI N’AURA PAS FAIM, ET QUI CROIT EN MOI N'AURA JAMAIS SOIF.
Ici, venir et croire ne diffèrent pas plus, selon Augustin , qu’avoir faim et avoir soif. Il revient au même de venir au Christ et de croire en lui, car nous allons vers Dieu non par les pas du corps mais par ceux de l’esprit, dont le premier est la foi. Il revient aussi au même de manger et de boire car on désigne par l’un et l’autre le rassasiement éternel où il n’y a aucune indigence : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés . Ainsi, la nourriture qui soutient et la boisson qui rafraîchit ne font qu’un.
Quant à savoir pourquoi les réalités temporelles ne suppriment pas la soif pour toujours, une première cause en est qu’elles ne sont pas prises en une seule fois, mais peu à peu et comme dans un mouvement, et qu’ainsi il en reste toujours à prendre. A cause de cela, de même que la délectation et le rassasiement naissent de ce qui a été déjà pris, de même le désir demeure pour ce qui reste à prendre. L’autre cause est qu’elles se corrompent. C’est pour cela que, la mémoire de ce qui s’est corrompu demeurant, le désir renaît à son égard. Les réalités spirituelles, au contraire, d’une part sont reçues tout entières en une fois, d’autre part ne se corrompent pas et ne viennent pas à manquer. Et pour cette raison, le rassasiement dont elles sont cause demeure pour toujours : ils n’auront plus ni faim ni soif — Tu me combleras de joie par ton visage; dans ta droite, c’est-à-dire dans les biens spirituels, délices pour toujours
916. Jésus montre ici la nécessité de se révéler comme pain. On pourrait en effet dire : Nous, nous avons demandé le pain; or tu ne nous réponds pas : "Je vous le donnerai" ou "Je ne vous le donnerai pas", mais tu dis plutôt : C’EST MOI JE QUI SUIS LE PAIN DE VIE; cette réponse n’est donc pas bonne. Mais qu’elle le soit, le Seigneur le montre en disant : JE VOUS L'AI DIT, VOUS M’AVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS. Ils sont dans la situation de celui qui ignore qu’il a du pain devant lui et auquel on dit : vois, le pain est devant toi; et c’est ainsi qu’il dit JE VOUS L’AI DIT (que MOI JE SUIS LE PAIN), VOUS M’AVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS, c’est-à-dire, vous désirez le pain, et vous l’avez devant vous, et cependant vous n’en prenez pas parce que vous ne croyez pas h leur reproche ici leur incrédulité — Ils ont vu et ils ont haï et moi et mon Père
917. Ici, le Seigneur montre comment on peut obtenir le pain de vie. Il traite d’abord de la manière de l’obtenir , puis de la fin pour laquelle il est possédé et de la raison pour laquelle il peut l’être .
918. Au sujet de la manière d’obtenir ce pain, sachons que le fait même de croire est en nous par un don de Dieu : C'est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu — Il vous a été donné, à l’égard du Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui. Or il est dit parfois que Dieu le Père donne au Fils les hommes qui croient en lui, comme ici : TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI; parfois que le Fils les donne au Père : Lorsqu'il aura remis la royauté à Dieu le Père A partir de là nous comprenons que le Père, en don nant, ne se dépossède pas de la royauté, pas plus que le Fils Mais le Père donne au Fils en tant qu’il donne aux hommes d’adhérer à la parole de jésus; c’est par le Père, en effet, que vous avez été appelés à la communion de son Fils Le Fils, en retour, donne au Père en tant que le Verbe est manifestation du Père : Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes Ainsi donc, Jésus dit TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI, c’est-à-dire ceux qui croient en moi, aux quels le Père donne de s’attacher à moi.
919. Mais on pourrait dire qu’on n’use pas nécessairement du don de Dieu. Nombreux en effet sont ceux qui le reçoivent sans en user. Comment donc peut-il dire : TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI?
Il faut dire que par ce don, on n’entend pas seulement l’habitus qu’est la foi et ce qui est du même ordre, mais encore l’appel intérieur à croire. Quoi que l’homme fasse en vue du salut, cela relève totalement d’un don de Dieu.
920. Mais une question demeure : si tout homme que le Père donne au Christ va vers lui, ainsi qu’il le dit lui-même, ceux-là seuls vont vers Dieu que le Père lui donne. On ne doit donc pas accuser ceux qui ne vont pas vers lui, puis qu’ils ne lui sont pas donnés.
Il faut répondre que si, sans le secours de Dieu, ils ne peuvent parvenir à la foi, cela ne leur est pas compté. Mais ce qui est compté à celui qui n’y parvient pas, c’est l’obstacle qu’il met pour ne pas y parvenir, en se détournant du salut dont la voie, en elle-même, est ouverte à tous
921. Ici, le Christ montre la fin pour laquelle le pain est possédé. En effet, quelqu’un pourrait dire : nous viendrons à toi, mais tu ne nous recevras pas. Et pour exclure cette objection, il dit : GEL UI QUI VIENT A MOI par le cheminement de la foi et par les bonnes œuvres NE LE JETTERAI PAS DEHORS, où il laisse entendre qu’il est à l’intérieur. C’est en effet de l’intérieur qu’on sort au dehors.
Portons donc notre attention sur ce qu’est cet intérieur et sur la manière dont on en est rejeté.
Puisque nous disons que toutes les réalités visibles sont en quelque sorte extérieures aux réalités spirituelles, plus une réalité est spirituelle, plus elle est intérieure. Il y a donc pour l’âme deux degrés d’intériorité. L’un est le plus profond, et c’est la joie de la vie éternelle qui, selon Augustin est le grand sanctuaire et la douce retraite d’où sont absents la tiédeur, l’amertume des mauvaises pensées et les obstacles des tentations et des douleurs. Joie dont il est dit en Matthieu : Entre dans la joie de ton maître et dans le psaume : Tu les cacheras dans le secret de ton visage c’est-à-dire dans la pleine vision de ton essence. Et de cet intérieur, nul ne sera rejeté : Le vainqueur, j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il ne sortira plus au dehors parce que, ainsi que le rapporte Matthieu, les justes s'en iront à la vie éternelle .
L’autre degré d’intériorité est la rectitude de la conscience, qui est la joie spirituelle Il en est dit : Entrant dans ma maison, je me reposerai près d’elle; et : Le roi m’a introduite dans ses appartements Et de cette intériorité, certains sont rejetés.
D’après cela, la parole du Seigneur JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS peut être comprise de deux manières. Soit dans le sens où l’on dit que viennent à lui ceux qui lui ont été donnés par le Père selon une prédestination éternelle, et de ceux-ci il dit CELUI QUI VIENT A MOI, prédestiné par le Père, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS — Dieu n’a pas rejeté son peuple que d’avance il a connu . Soit dans le sens où ceux qui sortent ne sortent pas comme s’ils étaient rejetés par le Christ; mais la cause du rejet leur revient en tant que, par l’infidélité et les péchés, ils s’éloignent de cette intériorité que donne la conscience droite. Ainsi, il est dit : en ce qui me concerne, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, mais eux-mêmes se rejettent — Vous m’êtes un fardeau, et je vous rejette rai, dit le Seigneur C’est de cette manière qu’a été jeté dehors celui qui était entré dans la salle des noces sans avoir l’habit nuptial, comme il est dit en Matthieu .
922. Le Seigneur donne ensuite la raison pour laquelle le pain spirituel peut être possédé : son dessein d’accomplir la volonté du Père . Puis il montre quelle est cette volonté et quel en est l’accomplissement final .
923. Quant au dessein d’accomplir la volonté du Père, sachons que la lettre ici donne lieu à deux interprétations : celle d’Augustin et celle de Chrysostome.
Voici celle d’Augustin CELUI QUI VIENT A MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, et cela parce que vient à moi celui qui imite mon humilité. En effet, après avoir dit : Venez à moi, vous tous qui peinez, le Seigneur a ajouté : Mettez vous à mon école parce que je suis doux et humble de cœur Or voici la véritable douceur du Fils de Dieu : il a soumis sa volonté à celle du Père. Et voilà pourquoi il dit : JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ. C’est parce qu’elle était orgueilleuse que l’âme est sortie de Dieu, et c’est pourquoi il est nécessaire qu’elle revienne par l’humilité, en venant au Christ par l’imitation de son humilité, qui consiste en ceci : faire non pas sa volonté propre, mais celle de Dieu.
Précisons qu’il y a dans le Christ deux volontés. L’une relève de la nature humaine; elle lui appartient par nature et par la volonté du Père. L’autre relève de la nature divine et cette volonté est la même que celle du Père. Sa volonté, donc — je veux dire sa volonté humaine —, il l’a soumise à la volonté divine parce que, sous la motion de la volonté qui est la même que celle du Père, il s’est montré lui-même obéissant en voulant accomplir pleinement la volonté du Père : Accomplir ta volonté, ô mon Dieu, voilà ce que j’ai voulu Que cette volonté se fasse en nous, nous le demandons lorsque nous disons : que ta volonté soit faite Ils ne sont donc pas rejetés au dehors, ceux qui ne font pas leur volonté mais celle de Dieu. Le diable, en effet, voulant faire sa volonté, qui est celle de l’orgueil, a été rejeté du ciel et le premier homme, du paradis.
Chrysostome interprète de la manière suivante : la rai son pour laquelle je ne rejette pas au dehors celui qui vient à moi, c’est que je suis venu pour ceci : accomplir la volonté du Père en ce qui concerne le salut des hommes. Si donc je me suis incarné à cause du salut des hommes, comment devrais-je les rejeter? Et c’est ce qu’il dit : je ne rejette pas, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE, c’est-à-dire ma volonté humaine en vue de mon propre bien, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE — la volonté du Père —, qui veut que tous les hommes soient sauvés Et c’est pour cela que, quant à moi, je ne rejette personne — Si, en effet, étant ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte rai son, une fois réconciliés, serons-nous sauvés dans sa propre vie
924. Le Christ considère ensuite quelle est la volonté du Père. Il l’expose d’abord ; puis il en donne la rai son .
925. Jésus a donc dit : JE NE JETTERAI PAS DEHORS ceux qui viennent à moi, parce que j’ai pris chair pour faire la volonté du Père. OR LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A EN VOYE — LE PERE — C’EST QUE, précisément, celui qui vient à moi, je ne le jette pas dehors; et c’est pour cela que j’agis effectivement ainsi — Telle est la volonté de Dieu : votre sanctification . Et pour cette raison il dit : QUE DE TOUT CE QU’IL M’A DONNE, JE NE PERDE RIEN, autrement dit : Père, que je n’en perde aucun jusqu’à ce qu’il parvienne à la résurrection à venir; dans cette résurrection, certains seront perdus, non pas de ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle, mais les impies : le chemin des impies se perdra Quant à ceux qui seront gardés jusque-là, ils ne seront pas perdus.
Cette expression, QUE JE NE PERDE, ne doit pas nous laisser penser qu’il ait besoin de la sollicitude de ses proches ou que la perte de quiconque soit pour lui un dommage. Mais il dit cela à cause de son désir de leur salut et de leur bien, qu’il considère comme sien
926. Mais cela est contredit plus loin : Pas un d’eux, c’est-à-dire de ceux que tu m’as donnés, n’a péri, hors le fils de perdition . Donc, certains de ceux qui lui ont été donnés sont perdus. Ce qu’il dit ici : QUE JE NE PERDE RIEN ne semble donc pas juste. Mais il faut dire que parmi ceux qui lui ont été donnés selon la justice présente, certains sont perdus, mais pas parmi ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle.
927. Il donne ici la raison de cette volonté divine. Pour quoi le Père veut-il que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné? C’est que la volonté du Père est de communiquer la vie spirituelle aux hommes, parce qu’il est lui-même source de vie Et quant à lui, puisqu’il est éternel, sa volonté est que quiconque vient à lui ait la vie éternelle. Et c’est ce qu’il dit : C’EST LA VOLONTE DE MON PERE QUI M’A ENVOYE, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE ÉTERNELLE.
Mais il faut noter qu’il avait dit plus haut : Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé tandis qu’ici il dit : QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI, de manière à nous faire comprendre que la divinité du Père et du Fils est la même, elle dont la vision par essence est notre fin ultime et l’objet de la foi. Cette parole VOIT ne signifie pas la vision par essence, que la foi précède, mais la vision corporelle du Christ qui conduit à la foi. Et c’est pour cela qu’il dit explicitement QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROITENLUI; et plus haut : Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé (...) est passé de la mort à la vie et plus bas : Ceux-ci (les signes opérés par Jésus) ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous ayez la vie en son nom
928. L’accomplissement plénier de cette volonté du Père viendra au terme, et c’est pour cela qu’il ajoute : ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR, parce que le Père veut qu’il ait la vie éternelle non seulement en son âme mais aussi en son corps : ils se réveilleront de la même manière que le Christ est ressuscité : Le Christ, ressuscitant d’entre les morts, désormais ne meurt plus
Avant de parler de la puissance de cette nourriture, le Seigneur en révèle l’existence. Après cela, il manifeste ce qu’elle est . A propos de son existence, il dénonce la cupidité perverse des Juifs, puis il les exhorte à se soumettre à la vérité .
893. Le Seigneur dit donc : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, bien que vous vous comportiez comme si vous m’étiez dévoués, cependant VOUS ME CHERCHEZ NON PARCE QUE VOUS AVEZ VU DES SIGNES, MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS, comme pour dire : c’est à cause de la chair et non de l’esprit que vous me cherchez; en effet, c’est pour être à nouveau rassasiés.
Et comme le dit Augustin , ils se trouvent dans cette même situation, ceux qui cherchent Jésus non pas pour lui-même mais pour en obtenir certains avantages profanes : ainsi ceux qui, engagés dans les choses du monde, s’adressent aux dignitaires de l’Eglise et aux clercs, non pas à cause du Christ, mais pour que, par leur intercession, ils soient introduits auprès des grands. Tels sont aussi ceux qui se réfugient auprès des Eglises non pas à cause de Jésus mais parce qu’ils sont opprimés par de plus forts qu’eux, comme d’ailleurs ceux qui, s’approchant du Seigneur par les ordres sacrés, y recherchent non pas le mérite de la vertu mais des ressources pour la vie présente, les richesses et les honneurs, comme le dit Grégoire . Et cela est vérifié ici : en effet, accomplir des signes revient à la puissance divine, mais manger le pain multiplié n’est que temporel. Ceux qui ne viennent pas au Christ à cause de la puissance qu’ils voient en lui, mais parce qu’ils se nourrissent de pain, ne servent donc pas le Christ mais leur ventre, comme il est dit dans l’épître aux Philippiens — Il te reconnaîtra lorsque tu lui auras fait du bien
894. Il les ramène à la vérité en leur donnant connaissance d’une nourriture spirituelle; il parle d’abord de sa puissance, puis de son auteur .
895. La puissance de cette nourriture ressort du fait qu’elle ne périt pas. Sachons à ce propos que les réalités corporelles ont une certaine ressemblance avec les réalités spi rituelles dans la mesure où celles-ci en sont cause et source; et c’est pourquoi elles imitent en quelque manière les réalités spirituelles. Or le corps est soutenu par la nourriture; cela donc qui soutient l’esprit, quoi que ce soit, en est appelé la nourriture. Et ce qui soutient le corps, puisqu’il passe dans la nature de ce corps, est corruptible; mais la nourriture qui soutient l’esprit est incorruptible parce qu’elle n’est pas changée en l’esprit lui-même, mais c’est au contraire l’esprit qui est changé en la nourriture. Voilà pourquoi Augustin dit : "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais c’est toi qui seras changé en moi
C’est pour cela que le Seigneur dit : TRAVAILLEZ, c’est-à-dire, recherchez en travaillant — autrement dit, méritez par vos travaux — non pas LA NOURRITURE QUI PERIT, celle qui est corporelle — Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments, et Dieu abolira l’un comme l'autre les autres parce qu’on ne fera pas toujours usage des aliments, mais TRAVAILLEZ en vue de cette nourriture, celle de l’esprit, QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE. Cette nourriture est Dieu lui-même en tant qu’il est la vérité à contempler et la bonté à aimer qui nourrissent l’esprit — Mangez mon pain — Elle l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence Cette nourriture est aussi l’obéissance aux commandements divins — Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et encore le Christ lui-même — C’est moi qui suis le pain de vie Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson cela en tant que sa chair est conjointe au Verbe de Dieu qui est la nourriture dont vivent les anges. Plus haut, à propos de la boisson corporelle et de la boisson spirituelle, il avait mis en lumière une différence semblable à celle qu’il établit ici entre la nourriture corporelle et la nourriture spirituelle : Quiconque boit de cette eau aura encore soif mais celui qui boit de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif La raison en est que les réalités corporelles sont corruptibles, tandis que les réalités spirituel les, et Dieu plus que tout, demeurent éternellement.
896. Mais il faut savoir, selon Augustin (dans son livre sur Le travail des moines ), que sur cette parole TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, certains moines trouvèrent le moyen d’errer en disant que les hommes spirituels ne devaient pas travailler de leurs mains, à quelque œuvre que ce soit. Mais cette interprétation est fausse, puisque Paul, qui fut éminemment spirituel, a travaillé de ses propres mains, comme lui-même le rapporte dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens : Nous n'avons pas mangé gratuitement le pain de qui conque, mais dans le labeur et la fatigue, œuvrant jour et nuit, afin de n’être un poids pour personne La véritable intelligence du passage est donc que nous orientions notre œuvre, c’est-à-dire notre principal effort et notre intention, vers la recherche de la nourriture qui conduit à la vie éternelle, c’est-à-dire vers les biens spirituels. Sur les choses temporel les, nous ne devons pas porter en premier lieu notre attention, mais seulement d’une manière relative : nous les procurer uniquement en raison de notre corps corruptible qu’il faut soutenir aussi longtemps que nous vivons ici-bas. Pour cette raison, et à l’encontre de ces moines, l’Apôtre dit explicitement : Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus comme s’il disait : ceux qui disent qu’il ne faut travailler à aucune œuvre corporelle — et manger en est bien une —, ceux-là doivent aussi ne pas manger.
897. L’Évangéliste considère ici l’auteur du don de la nourriture spirituelle. Il mentionne d’abord de qui il s’agit, puis montre d’où lui vient l’autorité de la donner .
L’auteur et le donateur de la nourriture spirituelle est le Christ. Et c’est pourquoi il dit CELLE, c’est-à-dire la nourriture qui ne périt pas, QUE LE FILS DE L’HOMME VOUS DONNERA. S’il avait dit "le Fils de Dieu", on n’y aurait rien vu d’étonnant. Mais que ce soit le Fils de l’homme qui la donne est plus propre à éveiller l’attention. La raison pour laquelle il revient proprement au Fils de l’homme de don ner est que la nature humaine blessée par le péché se dégoûtait de la nourriture spirituelle, et n’était pas capable de la prendre dans ce qu’elle a de spirituel : pour cette rai son, il a été nécessaire que le Fils de Dieu prît chair et que, par sa chair, il nous redonnât vigueur — Tu as préparé devant moi une table .
898. D’où lui vient l’autorité de donner? L’Évangéliste le dit : DIEU LE PERE L’A MARQUE comme s’il disait : si le Fils donne, cela ne lui revient qu’à cause du caractère uni que et éminent de sa plénitude de grâce, par laquelle il sur passe tous les fils des hommes. Il l’a MARQUE, c’est-à-dire choisi explicitement parmi les autres : Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tous tes compagnons .
Ou, selon Hilaire , il l’a MARQUÉ, c’est-à-dire marqué de son sceau. Quand on a imprimé un sceau dans de la cire, celle-ci conserve toute la figure du sceau. De même, le Fils reçoit toute la forme du Père. Et c’est de deux manières que le Fils reçoit du Père : l’une est éternelle et ce qui est dit ici ne la signifie pas, parce que dans l’apposition d’un sceau, autre est la nature de ce qui reçoit, autre celle de ce qui imprime. Mais il faut le comprendre du mystère de l’Incarnation, parce que Dieu le Père a imprimé dans la nature humaine le Verbe qui, par son Incarnation, est le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance .
Ou, selon Chrysostome , il l’a MARQUE, c’est-à-dire Dieu le Père l’a établi spécialement pour donner la vie éternelle au monde : Moi, je suis venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles l’aient plus abondamment Ainsi en effet, quand quelqu’un est choisi pour assumer une fonction importante, on dit qu’il est détaché en vue d’exercer cette fonction : Après cela, le Seigneur détacha encore soixante-douze autres disciples . Ou encore, il l'a MARQUE, c'est-à-dire l'a manifesté par la voix lors du baptême, et par les œuvres, comme on l’a dit plus haut.
899. Ensuite, en disant : ILS LUI DIRENT DONC : "QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX ŒUVRES DE DIEU?", l’Evangéliste manifeste ce qu’est la nourriture spirituelle; il note d’abord la question des Juifs, puis la réponse de Jésus-Christ.
900. Sur cette question, sachons que les Juifs, instruits par la Loi, croyaient que rien n’est éternel, si ce n’est Dieu. Ainsi, lorsque le Seigneur eut dit que la nourriture spirituelle DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, ils comprirent que cette nourriture est quelque chose de divin. Et voilà pourquoi, en interrogeant, ils mentionnent non pas la nourriture mais l’œuvre de Dieu : QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX ŒUVRES DE DIEU? En cela, ils n’étaient pas loin de la vérité puisque la nourriture spirituelle n’est rien d’autre que de travailler aux œuvres de Dieu — Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle?
901. Dans cette réponse du Seigneur, il faut avoir pré sent à l’esprit que l’Apôtre distingue la foi des œuvres , en disant qu’Abraham n’a pas été justifié par les œuvres mais par la foi. Qu’est-ce donc que le Seigneur affirme là, que la foi elle-même, c’est-à-dire croire, est l’œuvre de Dieu?
A cela il y a deux réponses. L’une consiste à dire que l’Apôtre ne distingue pas la foi des œuvres prises au sens absolu, mais des œuvres extérieures. Certaines œuvres en effet sont extérieures, celles que produisent les membres du corps, et parce qu’elles sont plus manifestes, elles sont communément appelées œuvres. D’autres au contraire sont intérieures, celles qui s’exercent dans l’âme elle-même, qui ne sont connues que des sages et de ceux qui se recueillent en leur cœur En un autre sens, on dit que croire peut être compté parmi les œuvres extérieures, non que la foi soit les œuvres elles-mêmes, mais au sens où elle en est le principe. C’est pour cela qu’il dit expressément : C’EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU’IL A ENVOYE. Ce n’est pas en effet la même chose de dire croire à Dieu — ainsi en effet je désigne l’objet —, croire Dieu parce qu’ainsi je désigne le témoin, et croire en Dieu parce qu’ainsi je désigne la fin de sorte que Dieu se rapporte à la foi comme son objet, son témoin et sa fin, mais autrement ici ou là, parce que l’objet de la foi peut être une créature comme créée — je crois en effet que le ciel a été créé — et qu’une créature peut aussi être témoin de la foi — je crois en effet Paul ou n’importe lequel des saints — mais la fin de la foi ne peut être que Dieu : de fait, c’est vers Dieu seul que notre esprit peut être tourné comme vers sa fin. Or la fin, qui comme telle est bonne, est l’objet de l’amour : voilà pourquoi croire en Dieu comme à une fin est propre à la foi formée par la charité. Cette foi ainsi formée est principe de toutes les bonnes œuvres et, dans cette mesure, le fait même de croire est appelé ŒUVRE DE DIEU.
902. Mais si la foi est L’ŒUVRE DE DIEU, comment les hommes accomplissent-ils les œuvres de Dieu?
Cette difficulté est dénouée par Isaïe lorsqu’il dit : Toutes nos œuvres, c'est toi qui les fais pour nous, Seigneur En effet, le fait même que nous croyions et tout ce que nous accomplissons de bien nous vient de Dieu : Dieu lui-même est celui qui opère en vous le vouloir et son accomplissement Et s’il dit explicitement que croire est l’œuvre de Dieu, c’est pour manifester que la foi est un don de Dieu, comme il est dit dans l’épître aux Ephésiens .
903. Ce passage traite de l’origine de cette nourriture, que Jésus révèle en réponse à une question des Juifs qui réclament un signe et qui précisent lequel en mettant en avant le témoignage de l’Ecriture .
904. Ils demandent un signe en posant une question : ILS LUI DIRENT : "QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR QUE NOUS VOYIONS ET CROYIONS EN TOI?"
Cette question est éclaircie par Chrysostome , et d’une autre manière par Augustin. Chrysostome dit en effet que le Seigneur les avait invités à la foi . Or, parmi ce qui nous conduit à embrasser la foi, il y a les miracles : Des signes sont donnés pour ceux qui n'ont pas la foi; et pour cette raison, ils demandent encore un signe grâce auquel ils puissent croire; c’est en effet une habitude chez les Juifs que de demander des signes : Les Juifs réclament des signes C’est pour cette raison qu’ils disent : QUEL SIGNE FAIS-TU DONC?
Mais il est ridicule, de la part des Juifs, de réclamer un miracle pour croire, quel que soit ce miracle, puisque le Christ venait d’en accomplir en multipliant les pains et en marchant sur le mer et que ces miracles, grâce auxquels ils auraient pu croire, s’étaient produits sous leurs yeux. Mais s’ils disent cela, c’est pour provoquer le Seigneur et l’amener à leur procurer toujours la nourriture. Cela est évident, puisqu’ils ne font mention d’aucun autre signe que celui accompli par Moïse pour leurs pères pendant quarante années, comme si par là ils lui demandaient de toujours les nourrir : NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, et non pas : Dieu a nourri nos pères de la manne, pour ne pas laisser croire qu’ils voulaient en faire l’égal de Dieu. Ils ne disent pas non plus que Moïse les a nourris, pour ne pas laisser penser qu’ils préféraient Moïse au Christ : ne voulaient-ils pas l’amadouer, pour que sans cesse il les nourrisse? De cette nourriture il est dit : Voici que moi je vais faire pleuvoir pour vous un pain du ciel et dans les Psaumes : L’homme a mangé le pain des anges
905. Augustin lui, dit que le Seigneur a affirmé qu’il allait leur donner LA NOURRITURE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE comme pour faire apparaître sa prééminence sur Moïse. Les Juifs, eux, estimaient Moïse plus grand que le Christ. Pour cette raison ils affirmaient :
Dieu a parlé à Moïse, mais celui-ci, nous ne savons d’où il est Et c’est pour cela qu’ils réclamaient du Christ qu’il accomplisse des actions plus grandes que celles de Moïse. Et à cause de cela, ils évoquent ce que fit Moïse en disant : NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, comme s’ils voulaient dire : l’action que tu t’attribues est plus grande que ce que Moïse a accompli, parce que toi tu promets la nourriture qui ne périt pas, tandis que la manne donnée par Moïse, si elle était gardée pour le lendemain, grouillait de vers. Si donc tu veux que nous croyions en toi, accomplis quelque chose de plus grand que Moïse; ce que tu as accompli, en effet, n’est pas plus grand, parce que tu as rassasié cinq mille hommes, mais avec des pains d’orge et une seule fois, alors que lui, c’est tout le peuple qu’il a rassasié avec la manne, et pendant quarante années, et cela dans le désert, ainsi qu’il est écrit dans le psaume : Il leur a donné à manger un pain du ciel
LA RÉPONSE DE JÉSUS
906. Après avoir relevé l’interrogation des Juifs, on donne la réponse du Christ où est d’abord montrée , puis prouvée , l’origine de la nourriture spirituelle.
907. Au sujet de l’origine de la nourriture spirituelle, sachons que les Juifs, face au Christ, avaient souligné deux aspects de l’origine de la nourriture corporelle dont leurs pères avaient usé : que Moïse en fut le donateur, et le ciel le lieu d’où elle leur vint. A cause de cela, le Seigneur, considérant l’origine de la nourriture spirituelle, écarte ces deux données et affirme que le donateur et le lieu de cette nourriture sont autres que ceux de la nourriture corporelle. Niant ce que les Juifs disaient, il déclare : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CE N’EST PAS MOISE QUI VOUS A DONNE LE PAIN DU CIEL; mais il est autre, celui qui donne, non le pain du corps mais le vrai pain du ciel, parce que c’est mon Père.
908. Objection : n’était-ce pas vraiment du pain que les pères eurent dans le désert?
Réponse : si l’on comprend "vrai" par opposition à "faux", alors ce pain était véritable. Ce n’était pas en effet un faux miracle que celui de la manne. Mais si l’on comprend "vrai" au sens où la vérité s’oppose à la figure, alors il ne s’agissait pas du pain véritable, mais de la figure du pain spirituel, c’est-à-dire du Seigneur Jésus-Christ que la manne signifiait, comme le dit l’Apôtre : Tous ont mangé la même nourriture spirituelle
909. Une autre objection apparaît dans ce que nous dit le psaume : Il leur a donné à manger un pain du ciel
Réponse : "ciel" peut se prendre en trois sens. Il désigne soit les airs — Les oiseaux du ciel l’ont mangé ou encore : Du ciel, Dieu tonna soit le ciel des astres — Au Seigneur appartient le ciel des cieux et les étoiles tomberont du ciel soit les biens spirituels — Réjouissez-vous et exultez, car au ciel grande est votre récompense La manne était donc bien venue du ciel, mais non pas du ciel des étoiles ou du ciel spirituel : elle est venue des airs. Ou bien on dit DU CIEL en tant qu’elle était la figure du véritable pain céleste, le Seigneur Jésus-Christ
910. Le Christ prouve ici que l’origine du vrai pain estcéleste, et cela par son effet. Le vrai ciel est en effet une nature spirituelle qui par elle-même implique la vie et qui, pour cette raison, est source de vie : C’est l’esprit qui vivifie . Or Dieu lui-même est l’auteur de la vie. A ceci donc — à son effet propre — on reconnaît que le pain spirituel est d’origine céleste : s’il donne la vie. En effet, le pain du corps ne donnait pas la vie puisque tous ceux qui avaient mangé la manne sont morts; mais celui-ci donne la vie et c’est ainsi qu’il dit : LE VRAI PAIN — et non pas sa préfiguration — EST CELUI QUI DESCEND DU CIEL, ce qui se vérifie puisqu’il DONNE LA VIE AU MONDE. En effet, le Christ qui est le vrai pain fait vivre qui il veut Moi je suis venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles l’aient plus abondamment ; de plus, lui-même est descendu du ciel : Personne n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel
Ainsi donc, le Christ, vrai pain, donne la vie au monde en raison de sa divinité; et il est descendu du ciel en raison de sa nature humaine. En effet, comme nous l’avons vu précédemment être descendu du ciel traduit le fait d’assumer la nature humaine — Il s’est anéanti lui-même, prenant forme d’esclave
911. L'Evangéliste regarde ensuite comment se procurer la nourriture spirituelle; il note d’abord la demande de cette nourriture , puis la réponse où Jésus montre comment se la procurer .
912. Sachons, à propos de la demande des Juifs, qu’ils avaient des paroles du Seigneur une intelligence charnelle; et c’est parce que leurs désirs étaient ceux de la chair qu’ils demandent au Christ une nourriture pour la chair. Ainsi, ils lui disent : SEIGNEUR, DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN qui restaure de cette manière et ne fasse pas défaut. La Samaritaine elle aussi, ayant du discours sur l’eau spirituelle une intelligence charnelle — elle voulait être affranchie d’un besoin — disait : Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour puiser Mais, même si les Juifs ramènent à un sens charnel les paroles du Seigneur sur la nourriture et qu’ils la demandent dans cette perspective, nous pouvons cependant faire nôtre leur demande, comprise spirituellement : Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien parce que, sans ce pain spirituel, nous ne pouvons pas vivre.
913. Lorsqu’ensuite l’Évangéliste dit : JÉSUS LEUR DIT : C’EST MOI..., il expose la manière de se procurer la nourriture spirituelle en montrant d’abord ce qu’est ce pain et ensuite comment on peut l’acquérir .
Qu’est ce pain? L’Evangéliste en relate d’abord la révélationpuis il donne la raison de la révélation et en montre enfin la nécessité .
914. En effet, comme nous l’avons dit toute pensée (verbum) de sagesse est la nourriture propre de l’esprit parce que c’est elle qui le soutient : La Sagesse l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence .
Et l’on dit que le pain de la Sagesse est un pain de vie à la différence du pain corporel, qui est un pain de mort puis qu’il ne sert qu’à réparer les défaillances de notre condition mortelle et, pour cette raison, n’est nécessaire qu’en cette seule vie mortelle. Mais le pain de la Sagesse divine est source de vie et n’a pas la mort pour contraire. En outre, le pain corporel ne donne pas la vie : il ne fait que soutenir pour un temps une vie déjà existante. Mais le pain spirituel vivifie de telle manière qu’il donne lui-même la vie : l’âme ne commence à vivre qu’en adhérant au Verbe de Dieu : Auprès de toi est la source de vie Donc, puisque toute pensée (verbum) de sagesse dérive du Verbe, l’unique engendré de Dieu — La source de la sagesse, c’est l’unique engendré de Dieu qui demeure dans les cieux c’est le Verbe de Dieu qui est principalement dit pain de vie; c’est pour cela que le Christ dit : C’EST MOI QUI SUIS LE PAINDE VIE. Et puisque la chair du Christ a été unie au Verbe de Dieu lui-même, il lui appartient aussi de vivifier; et pour cette raison le corps, consommé sacramentellement, donne la vie : en effet, par les mystères qu’il a accomplis dans sa chair, le Christ donne la vie au monde. Et ainsi la chair du Christ, à cause de la parole du Seigneur, est le pain, non pas pour cette vie, mais pour celle à laquelle la mort ne vient pas mettre de terme. C’est en ce sens-là que la chair du Christ est dite pain : Aser, son pain est riche . Elle est aussi signifiée par la manne. Ce mot en effet veut dire : Qu’est-ce? parce que les Juifs, en la voyant, furent saisis d’étonnement, se disant entre eux : Qu’est-ce? Mais rien n’est plus admirable que le Fils de Dieu fait homme, de telle sorte que tout homme en vient à demander : Qu’est-ce? C’est-à-dire, comment le Fils de Dieu est-il Fils de l’homme, comment deux natures ne font-elles qu’une seule personne? — Il sera nommé Admirable Elle est aussi admirable, la manière dont le Christ est sous les espèces sacramentelles
915. Jésus rend ici raison de l’affirmation C’EST MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE en partant de l’effet propre de ce pain. Le pain corporel en effet, une fois consommé, ne supprime pas la faim pour toujours puisqu’il se corrompt et vient alors à manquer. Pour cette raison, on est obligé d’en reprendre. Le pain spirituel, au contraire, donnant la vie par lui-même, ne se corrompt jamais. Et pour cette raison, l’homme qui le consomme une seule fois n’a plus jamais faim. C’est pour cela qu’il dit : QUI VIENTA MOI N’AURA PAS FAIM, ET QUI CROIT EN MOI N'AURA JAMAIS SOIF.
Ici, venir et croire ne diffèrent pas plus, selon Augustin , qu’avoir faim et avoir soif. Il revient au même de venir au Christ et de croire en lui, car nous allons vers Dieu non par les pas du corps mais par ceux de l’esprit, dont le premier est la foi. Il revient aussi au même de manger et de boire car on désigne par l’un et l’autre le rassasiement éternel où il n’y a aucune indigence : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés . Ainsi, la nourriture qui soutient et la boisson qui rafraîchit ne font qu’un.
Quant à savoir pourquoi les réalités temporelles ne suppriment pas la soif pour toujours, une première cause en est qu’elles ne sont pas prises en une seule fois, mais peu à peu et comme dans un mouvement, et qu’ainsi il en reste toujours à prendre. A cause de cela, de même que la délectation et le rassasiement naissent de ce qui a été déjà pris, de même le désir demeure pour ce qui reste à prendre. L’autre cause est qu’elles se corrompent. C’est pour cela que, la mémoire de ce qui s’est corrompu demeurant, le désir renaît à son égard. Les réalités spirituelles, au contraire, d’une part sont reçues tout entières en une fois, d’autre part ne se corrompent pas et ne viennent pas à manquer. Et pour cette raison, le rassasiement dont elles sont cause demeure pour toujours : ils n’auront plus ni faim ni soif — Tu me combleras de joie par ton visage; dans ta droite, c’est-à-dire dans les biens spirituels, délices pour toujours
916. Jésus montre ici la nécessité de se révéler comme pain. On pourrait en effet dire : Nous, nous avons demandé le pain; or tu ne nous réponds pas : "Je vous le donnerai" ou "Je ne vous le donnerai pas", mais tu dis plutôt : C’EST MOI JE QUI SUIS LE PAIN DE VIE; cette réponse n’est donc pas bonne. Mais qu’elle le soit, le Seigneur le montre en disant : JE VOUS L'AI DIT, VOUS M’AVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS. Ils sont dans la situation de celui qui ignore qu’il a du pain devant lui et auquel on dit : vois, le pain est devant toi; et c’est ainsi qu’il dit JE VOUS L’AI DIT (que MOI JE SUIS LE PAIN), VOUS M’AVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS, c’est-à-dire, vous désirez le pain, et vous l’avez devant vous, et cependant vous n’en prenez pas parce que vous ne croyez pas h leur reproche ici leur incrédulité — Ils ont vu et ils ont haï et moi et mon Père
917. Ici, le Seigneur montre comment on peut obtenir le pain de vie. Il traite d’abord de la manière de l’obtenir , puis de la fin pour laquelle il est possédé et de la raison pour laquelle il peut l’être .
918. Au sujet de la manière d’obtenir ce pain, sachons que le fait même de croire est en nous par un don de Dieu : C'est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu — Il vous a été donné, à l’égard du Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui. Or il est dit parfois que Dieu le Père donne au Fils les hommes qui croient en lui, comme ici : TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI; parfois que le Fils les donne au Père : Lorsqu'il aura remis la royauté à Dieu le Père A partir de là nous comprenons que le Père, en don nant, ne se dépossède pas de la royauté, pas plus que le Fils Mais le Père donne au Fils en tant qu’il donne aux hommes d’adhérer à la parole de jésus; c’est par le Père, en effet, que vous avez été appelés à la communion de son Fils Le Fils, en retour, donne au Père en tant que le Verbe est manifestation du Père : Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes Ainsi donc, Jésus dit TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI, c’est-à-dire ceux qui croient en moi, aux quels le Père donne de s’attacher à moi.
919. Mais on pourrait dire qu’on n’use pas nécessairement du don de Dieu. Nombreux en effet sont ceux qui le reçoivent sans en user. Comment donc peut-il dire : TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI?
Il faut dire que par ce don, on n’entend pas seulement l’habitus qu’est la foi et ce qui est du même ordre, mais encore l’appel intérieur à croire. Quoi que l’homme fasse en vue du salut, cela relève totalement d’un don de Dieu.
920. Mais une question demeure : si tout homme que le Père donne au Christ va vers lui, ainsi qu’il le dit lui-même, ceux-là seuls vont vers Dieu que le Père lui donne. On ne doit donc pas accuser ceux qui ne vont pas vers lui, puis qu’ils ne lui sont pas donnés.
Il faut répondre que si, sans le secours de Dieu, ils ne peuvent parvenir à la foi, cela ne leur est pas compté. Mais ce qui est compté à celui qui n’y parvient pas, c’est l’obstacle qu’il met pour ne pas y parvenir, en se détournant du salut dont la voie, en elle-même, est ouverte à tous
921. Ici, le Christ montre la fin pour laquelle le pain est possédé. En effet, quelqu’un pourrait dire : nous viendrons à toi, mais tu ne nous recevras pas. Et pour exclure cette objection, il dit : GEL UI QUI VIENT A MOI par le cheminement de la foi et par les bonnes œuvres NE LE JETTERAI PAS DEHORS, où il laisse entendre qu’il est à l’intérieur. C’est en effet de l’intérieur qu’on sort au dehors.
Portons donc notre attention sur ce qu’est cet intérieur et sur la manière dont on en est rejeté.
Puisque nous disons que toutes les réalités visibles sont en quelque sorte extérieures aux réalités spirituelles, plus une réalité est spirituelle, plus elle est intérieure. Il y a donc pour l’âme deux degrés d’intériorité. L’un est le plus profond, et c’est la joie de la vie éternelle qui, selon Augustin est le grand sanctuaire et la douce retraite d’où sont absents la tiédeur, l’amertume des mauvaises pensées et les obstacles des tentations et des douleurs. Joie dont il est dit en Matthieu : Entre dans la joie de ton maître et dans le psaume : Tu les cacheras dans le secret de ton visage c’est-à-dire dans la pleine vision de ton essence. Et de cet intérieur, nul ne sera rejeté : Le vainqueur, j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il ne sortira plus au dehors parce que, ainsi que le rapporte Matthieu, les justes s'en iront à la vie éternelle .
L’autre degré d’intériorité est la rectitude de la conscience, qui est la joie spirituelle Il en est dit : Entrant dans ma maison, je me reposerai près d’elle; et : Le roi m’a introduite dans ses appartements Et de cette intériorité, certains sont rejetés.
D’après cela, la parole du Seigneur JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS peut être comprise de deux manières. Soit dans le sens où l’on dit que viennent à lui ceux qui lui ont été donnés par le Père selon une prédestination éternelle, et de ceux-ci il dit CELUI QUI VIENT A MOI, prédestiné par le Père, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS — Dieu n’a pas rejeté son peuple que d’avance il a connu . Soit dans le sens où ceux qui sortent ne sortent pas comme s’ils étaient rejetés par le Christ; mais la cause du rejet leur revient en tant que, par l’infidélité et les péchés, ils s’éloignent de cette intériorité que donne la conscience droite. Ainsi, il est dit : en ce qui me concerne, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, mais eux-mêmes se rejettent — Vous m’êtes un fardeau, et je vous rejette rai, dit le Seigneur C’est de cette manière qu’a été jeté dehors celui qui était entré dans la salle des noces sans avoir l’habit nuptial, comme il est dit en Matthieu .
922. Le Seigneur donne ensuite la raison pour laquelle le pain spirituel peut être possédé : son dessein d’accomplir la volonté du Père . Puis il montre quelle est cette volonté et quel en est l’accomplissement final .
923. Quant au dessein d’accomplir la volonté du Père, sachons que la lettre ici donne lieu à deux interprétations : celle d’Augustin et celle de Chrysostome.
Voici celle d’Augustin CELUI QUI VIENT A MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, et cela parce que vient à moi celui qui imite mon humilité. En effet, après avoir dit : Venez à moi, vous tous qui peinez, le Seigneur a ajouté : Mettez vous à mon école parce que je suis doux et humble de cœur Or voici la véritable douceur du Fils de Dieu : il a soumis sa volonté à celle du Père. Et voilà pourquoi il dit : JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ. C’est parce qu’elle était orgueilleuse que l’âme est sortie de Dieu, et c’est pourquoi il est nécessaire qu’elle revienne par l’humilité, en venant au Christ par l’imitation de son humilité, qui consiste en ceci : faire non pas sa volonté propre, mais celle de Dieu.
Précisons qu’il y a dans le Christ deux volontés. L’une relève de la nature humaine; elle lui appartient par nature et par la volonté du Père. L’autre relève de la nature divine et cette volonté est la même que celle du Père. Sa volonté, donc — je veux dire sa volonté humaine —, il l’a soumise à la volonté divine parce que, sous la motion de la volonté qui est la même que celle du Père, il s’est montré lui-même obéissant en voulant accomplir pleinement la volonté du Père : Accomplir ta volonté, ô mon Dieu, voilà ce que j’ai voulu Que cette volonté se fasse en nous, nous le demandons lorsque nous disons : que ta volonté soit faite Ils ne sont donc pas rejetés au dehors, ceux qui ne font pas leur volonté mais celle de Dieu. Le diable, en effet, voulant faire sa volonté, qui est celle de l’orgueil, a été rejeté du ciel et le premier homme, du paradis.
Chrysostome interprète de la manière suivante : la rai son pour laquelle je ne rejette pas au dehors celui qui vient à moi, c’est que je suis venu pour ceci : accomplir la volonté du Père en ce qui concerne le salut des hommes. Si donc je me suis incarné à cause du salut des hommes, comment devrais-je les rejeter? Et c’est ce qu’il dit : je ne rejette pas, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE, c’est-à-dire ma volonté humaine en vue de mon propre bien, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE — la volonté du Père —, qui veut que tous les hommes soient sauvés Et c’est pour cela que, quant à moi, je ne rejette personne — Si, en effet, étant ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte rai son, une fois réconciliés, serons-nous sauvés dans sa propre vie
924. Le Christ considère ensuite quelle est la volonté du Père. Il l’expose d’abord ; puis il en donne la rai son .
925. Jésus a donc dit : JE NE JETTERAI PAS DEHORS ceux qui viennent à moi, parce que j’ai pris chair pour faire la volonté du Père. OR LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A EN VOYE — LE PERE — C’EST QUE, précisément, celui qui vient à moi, je ne le jette pas dehors; et c’est pour cela que j’agis effectivement ainsi — Telle est la volonté de Dieu : votre sanctification . Et pour cette raison il dit : QUE DE TOUT CE QU’IL M’A DONNE, JE NE PERDE RIEN, autrement dit : Père, que je n’en perde aucun jusqu’à ce qu’il parvienne à la résurrection à venir; dans cette résurrection, certains seront perdus, non pas de ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle, mais les impies : le chemin des impies se perdra Quant à ceux qui seront gardés jusque-là, ils ne seront pas perdus.
Cette expression, QUE JE NE PERDE, ne doit pas nous laisser penser qu’il ait besoin de la sollicitude de ses proches ou que la perte de quiconque soit pour lui un dommage. Mais il dit cela à cause de son désir de leur salut et de leur bien, qu’il considère comme sien
926. Mais cela est contredit plus loin : Pas un d’eux, c’est-à-dire de ceux que tu m’as donnés, n’a péri, hors le fils de perdition . Donc, certains de ceux qui lui ont été donnés sont perdus. Ce qu’il dit ici : QUE JE NE PERDE RIEN ne semble donc pas juste. Mais il faut dire que parmi ceux qui lui ont été donnés selon la justice présente, certains sont perdus, mais pas parmi ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle.
927. Il donne ici la raison de cette volonté divine. Pour quoi le Père veut-il que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné? C’est que la volonté du Père est de communiquer la vie spirituelle aux hommes, parce qu’il est lui-même source de vie Et quant à lui, puisqu’il est éternel, sa volonté est que quiconque vient à lui ait la vie éternelle. Et c’est ce qu’il dit : C’EST LA VOLONTE DE MON PERE QUI M’A ENVOYE, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE ÉTERNELLE.
Mais il faut noter qu’il avait dit plus haut : Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé tandis qu’ici il dit : QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI, de manière à nous faire comprendre que la divinité du Père et du Fils est la même, elle dont la vision par essence est notre fin ultime et l’objet de la foi. Cette parole VOIT ne signifie pas la vision par essence, que la foi précède, mais la vision corporelle du Christ qui conduit à la foi. Et c’est pour cela qu’il dit explicitement QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROITENLUI; et plus haut : Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé (...) est passé de la mort à la vie et plus bas : Ceux-ci (les signes opérés par Jésus) ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous ayez la vie en son nom
928. L’accomplissement plénier de cette volonté du Père viendra au terme, et c’est pour cela qu’il ajoute : ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR, parce que le Père veut qu’il ait la vie éternelle non seulement en son âme mais aussi en son corps : ils se réveilleront de la même manière que le Christ est ressuscité : Le Christ, ressuscitant d’entre les morts, désormais ne meurt plus
La volonté… Le
Sauveur continue de commenter les paroles du verset 38. - Que quiconque… Sur l’emploi du masculin après
celui du neutre, voyez l’explication du verset 37. Le Père a « tout » donné à son Fils, mais il faut que
« chacun » se présente individuellement et de lui-même pour être admis dans le royaume messianique. - Qui
voit… et croit (au participe présent en grec. Cf. verset 35). Ici, l’idée de voir remplace celle de venir ; elle
suppose donc qu’on est arrivé heureusement jusqu’au Christ. De plus, il ne s’agit pas d’une vue quelconque,
mais d’une contemplation attentive et profonde, selon le sens complet du verbe grec θεωρῶ, si aimé de S.
Jean. - Et moi-même je le ressusciterai. Nous n’avions pas au verset 39 ce « moi-même » énergique. C’est
moi qui le ressusciterai !
En d'autres occasions, Jésus parle de vie éternelle, en utilisant un adjectif qui ne renvoie pas seulement à une perspective supratemporelle. « Eternelle » est la vie promise et donnée par Jésus, parce qu'elle est plénitude de participation à la vie de l'« Eternel ». Quiconque croit en Jésus et entre en communion avec lui a la vie éternelle (cf. Jn 3, 15; 6, 40), car c'est de lui qu'il entend les seules paroles capables de révéler et de communiquer une plénitude de vie pour son existence; ce sont les « paroles de la vie éternelle » que Pierre reconnaît dans sa profession de foi: « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle; nous croyons et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 68-69). La vie éternelle est définie par Jésus lui-même lorsqu'il s'adresse au Père dans la grande prière sacerdotale: « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3). Connaître Dieu et son Fils, c'est accueillir le mystère de la communion d'amour du Père, du Fils et de l'Esprit Saint dans notre vie qui s'ouvre dès maintenant à la vie éternelle dans la participation à la vie divine.