Jean 6, 60
Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? »
Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? »
Il ne reste donc aucun moyen de douter de la vérité de la chair et du sang de Jésus-Christ, la déclaration du Sauveur aussi bien que notre foi, concourent à établir que c'est véritablement sa chair et véritablement son sang ; et le principe de notre vie, c'est que nous possédons dans notre nature Jésus-Christ, qui demeure en nous par le moyen de sa chair, et qui nous donne la vie aux mêmes conditions qu'il vit lui-même par son Père. Si donc nous avons la vie par lui en vertu de sa chair, c'est-à-dire, en participant à la nature de sa chair, comment n'aurait-il pas naturellement en lui son Père selon l'esprit, puisqu'il ne vit que par son Père ? Or, il vit par son Père, parce que sa naissance ne lui a pas donné une nature différente de celle de son Père.
Il se donne ici le nom de pain, et il déclare que ce pain est sa chair, pour prévenir la pensée que la puissance et la nature du Verbe aient éprouvé quelque amoindrissement par leur union avec la chair, car par-là même que ce pain descend du ciel, il prouve clairement que son corps n'est point le produit d'une conception ordinaire, mais qu'il a une origine divine. Et comme il nous déclare que ce pain c'est lui-même, il prouve par-là que le Verbe s'est uni à un corps véritable.
Nôtre-Seigneur tient ce langage pour fortifier la foi aux enseignements qui précèdent, et bien persuader ceux qui l'écoutent, que ce n'est point ici une parabole et une figure, mais qu'il faut absolument manger le corps du Christ; ou bien son intention est de nous apprendre que la nourriture véritable est celle qui donne le salut à notre âme.
On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède : Nôtre-Seigneur avait promis la vie éternelle à ceux qui mangeraient ce pain, il confirme cette promesse par ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. »
Comme je suis vivant, il est évident que celui qui mangera mon corps et boira mon sang, entrera en participation de cette vie, c'est ce que le Sauveur établit en ajoutant : « Comme mon Père qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi. »
Dieu a bien pu sans moisson, sans provision de blé et sans le secours d'autres aliments, leur conserver la vie pendant quarante ans, combien plus facilement pourrait-il le faire' à l'aide de cette nourriture spirituelle dont la manne était la figure ? Le Sauveur fait souvent des promesses de vie, parce que rien n'est plus agréable aux hommes ; dans l'Ancien Testament, Dieu promettait une longue vie, maintenant Jésus-Christ nous promet une vie qui ne doit point avoir de fin. Il nous fait voir en même temps qu'il a révoqué la sentence qui nous livrait à la mort en punition de nos péchés, et qu'il l'a remplacée par la promesse de la vie éternelle : Jésus dit ces choses dans la synagogue, lorsqu'il enseignait à Capharnaüm, où il avait opéré un grand nombre de miracles. Il enseignait dans la synagogue et dans le temple pour attirer le peuple à lui et lui prouver qu'il n'était pas en opposition avec Dieu le Père.
Il faut pour cela ne point participer seulement au sacrement extérieur, mais manger véritablement le corps et boire le sang de Jésus-Christ.
Or, ce pain est descendu ciel afin que nous puissions recevoir la vie en le mangeant, nous qui de nous-mêmes ne pouvions prétendre à la vie éternelle : « C'est ici, dit Nôtre-Seigneur, le pain qui est descendu du ciel. »
Cette mort doit être entendue de la mort éternelle, car ceux mêmes qui mangent le corps du Christ, ne sont pas exempts de la mort du corps, mais ils reçoivent en échange la vie éternelle, parce que Jésus-Christ est la vie éternelle.
Ou bien encore, ce que les hommes cherchent dans la nourriture et la boisson, c'est d'apaiser leur faim et leur soif, or cet effet ne peut être complètement atteint qu'au moyen de cette nourriture et de ce breuvage, qui communiquent à ceux qui les prennent, l'immortalité et l'incorruptibilité, et les fait entrer dans la société des saints dans laquelle ils jouiront d'une paix absolue et de l'unité la plus parfaite. C'est pour cela que Nôtre-Seigneur nous a donné son corps et son sang sous des symboles qui nous offrent une parfaite image de cette unité. C'est ainsi que le pain résulte de l'assemblage d'un grand nombre de grains de blé, et que le vin est le produit d'un grand nombre de grains de raisin. Le Sauveur explique ensuite ce que c'est que manger sa chair et boire son sang, en ajoutant : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Manger cette nourriture et boire ce breuvage, c'est donc demeurer en Jésus-Christ, et avoir Jésus-Christ demeurant en soi ; par conséquent, celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne demeure pas, ne mange pas sa chair et ne boit point son sang ; mais au contraire il ne mange et ne boit cet auguste mystère que pour son jugement et sa condamnation.
Il en est un grand nombre qui mangent la chair du Sauveur et boivent son sang avec un cœur hypocrite, ou qui après s'en être nourris deviennent des apostats ; peut-on dire d'eux qu'ils demeurent en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ demeure en eux ? Il y a donc une manière particulière de manger cette chair et de boire ce sang pour que nous demeurions en Jésus-Christ et que Jésus-Christ demeure en nous.
C'est-à-dire, je vis comme mon Père ; il ajoute, par mon Père, pour établir sa génération et prouver indirectement que le Père était le principe de son existence. La vie qu'il promet par ces paroles : « Celui qui me mange vivra par moi, » n'est point cette vie ordinaire et commune même aux infidèles qui ne se nourrissent pas de la chair du Sauveur, mais cette vie spirituelle qui a seule quelque prix aux yeux de Dieu. La résurrection dont il parle n'est pas non plus la résurrection commune à tous les hommes, mais la résurrection glorieuse qui sera suivie des récompenses éternelles.
Nôtre-Seigneur ne dit point : Comme je me nourris de mon Père et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi, parce qu'en effet, l'union étroite qui existe entre le Père et le Fils ne donne pas au Fils un degré supérieur de bonté, comme la participation que nous avons au Fils par l'union étroite avec son corps et avec son sang, nous rend évidemment meilleurs. Si donc Nôtre-Seigneur s'exprime de la sorte : « Je vis par mon Père, » parce qu'il vient du Père, son égalité avec le Père n'en souffre en aucune manière. Et cependant en ajoutant : « Et celui qui me mange vivra par moi, » il ne veut pas établir une parfaite égalité avec lui, mais simplement exprimer la grâce, bienfait du médiateur. Or si nous entendons ces paroles : « Je vis par mon Père ; » dans le sens de ces autres paroles : « Mon Père est plus grand que moi ; » ces autres paroles : « Comme mon Père m'a envoyé, » etc., reviennent à celles-ci : L'anéantissement qui a été la suite de mon incarnation, a eu pour fin de me faire vivre à cause de mon Père, c'est-à-dire, de lui rapporter toute ma vie comme à celui qui était plus grand que moi, et la participation à la nourriture que je donne fait que chacun vit à cause de moi.
Pour montrer la distance qui sépare l'ombre de la lumière, la figure de la vérité, il ajoute : « Ce n'est pas comme vos pères, qui ont mangé la manne et qui sont morts. »
Dans le sens mystique, Capharnaüm dont le nom signifie très-belle campagne représente le monde, comme la synagogue est la figure du peuple juif, et le Sauveur nous apprend ici qu'en apparaissant au monde dans le mystère de son incarnation il a enseigné au peuple juif un grand nombre de vérités que ce peuple a comprises.
Le Sauveur venait de dire précédemment : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; » il montre maintenant quelle distance sépare la nourriture et le breuvage matériel du mystère spirituel de son corps et de son sang : « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. »
Ce n'est pas Dieu seul que nous mangeons dans ce sacrement, puisqu'il est impalpable et incorporel ; ce n'est pas non plus la chair d'un simple mortel qui ne nous servirait de rien. Mais comme Dieu s'est uni notre chair, sa chair est un principe de vie ; ce n'est pas qu'elle ait été transformée et qu'elle soit devenue la nature de Dieu, mais de même que le fer embrasé conserve sa nature du fer, et possède en même temps la propriété du feu, ainsi la chair du Seigneur est devenue une. chair vivifiante comme étant la chair du Verbe de Dieu.
929. Après avoir exposé son enseignement, le Christ exclut ici les objections qui lui sont faites : d’une part celles des foules qui murmurent, d’autre part celles des disciples qui doutent .
En premier lieu, il fait cesser le murmure des foules à propos de l’origine de la nourriture spirituelle; en second lieu, il apaise leur dispute sur la manducation de la nourriture spirituelle .
LE MURMURE DES FOULES
L’Évangéliste rapporte d’abord le murmure des foules, puis l’intervention du Christ qui y met fin . Pour cela, il expose d’abord l’occasion du murmure , puis les paroles mêmes de ceux qui murmurent .
930. L’Évangéliste ajoute ici que quelques-uns murmuraient au sujet de certaines paroles du Christ, notamment celles-ci : Le vrai pain de Dieu est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde , et plus loin : C’est moi qui suis le pain de vie ce pain spirituel qu’ils ne prenaient pas ni ne désiraient. Et s’ils murmuraient, c’est parce qu’ils étaient dans un état d’esprit étranger aux choses spirituelles, et cela depuis bien longtemps : Ils murmuraient sous leurs tentes — Ne murmurez pas comme certains d’entre eux murmurèrent
Si jusque-là, ainsi que le dit Chrysostome ils ne murmuraient pas, c’est parce qu’ils espéraient encore obtenir une nourriture terrestre : cet espoir évanoui, ils commencent aussitôt à murmurer, même s’ils allèguent une autre cause. En effet, ils ne le contredisent pas ouvertement, à cause de la déférence qu’ils avaient encore à son égard, au souvenir du miracle précédent.
931. Ainsi murmuraient les Juifs. Parce qu’ils étaient soumis à la chair, ils ne considéraient que la génération charnelle du Christ, ce qui les empêchait de connaître sa génération spirituelle et éternelle; c’est pourquoi ils ne par lent que de celle de la chair, d’après ce précédent passage : Celui qui est issu de la terre (...) parle de la terre et la génération spirituelle leur échappe. C’est pour cela qu’ils ajoutent : COMMENT DONC DIT-IL :’JE SUIS DESCENDU DU CIEL'? Et ils l’appellent fils de Joseph à cause de l’opinion établie : Joseph était en effet son père nourricier, d’après ce passage de Luc : II était, à ce qu’on croyait, fils de Joseph .
LA RÉPONSE DU CHRIST
932. La réponse NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS, met un terme au murmure. Le Seigneur en effet y coupe court, mais lève ensuite l’incertitude qui l’avait suscité .
Après avoir mis un terme au murmure , le Christ en dévoile la cause .
933. Jésus, connaissant leur murmure, leur répond en y mettant fin : NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS. C’est là, assurément, un avertissement salutaire : en effet, celui qui murmure révèle que son esprit n’était pas établi en Dieu, et pour cette raison il est dit dans le livre de la Sagesse : Gardez vous donc du murmure, car il ne sert à rien .
934. C’est parce qu’ils n’ont pas la foi que les Juifs murmurent, et le Seigneur le dévoile par ces mots : NUL NE PEUT VENIR A MOI... Le Christ montre d’abord que l’attraction du Père est nécessaire pour venir à lui, puis comment elle s’accomplit . Si l’attraction du Père est nécessaire, c’est parce que l’homme n’a pas, par lui-même, le pouvoir de venir au Christ par la foi; il a besoin d’un secours divin, qui est efficace ; quant à l’accomplissement ultime, ou au fruit de cette attraction, il est excellent .
935. Jésus, donc, dit d’abord : il n’est pas étonnant que vous murmuriez, parce que vous n’avez pas encore été attirés à moi par le Père. En effet, NUL NE PEUT VENIR A MOI, en croyant en moi, SILE PERE QUI M’A EN VOYE NE L'ATTIRE.
Mais ici trois questions se posent. La première d’entre elles concerne cette parole du Christ SI LE PERE NE L’ATTIRE. En effet, nous venons au Christ par la foi, puisque, ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est une même chose de venir à lui et de croire en lui Or on ne peut croire qu’en le voulant. Mais le terme "attraction" exprime une certaine violence; celui qui vient au Christ en étant attiré vient donc à lui contraint et forcé.
Je réponds en disant que ce qui est affirmé ici de l’attraction du Père n’implique pas de contrainte, car tout ce qui attire ne fait pas nécessairement violence. Ainsi donc, le Père a de multiples manières d’attirer au Fils sans exercer de violence sur les hommes. En effet, on peut attirer quelqu’un en le persuadant par une démarche de l’intelligence. Et de cette manière, le Père attire les hommes au Fils en leur démontrant qu’il est son Fils, soit par une révélation intérieure — Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, à savoir que le Christ est le Fils du Dieu vivant, mais mon Père qui est dans les cieux —, soit par des miracles accomplis par la puissance qu’il tient du Père : Les œuvres que le Père m’a données pour que je les accomplisse (...) rendent témoignage de moi .
D’autre part, certains attirent par leur charme : Par la douceur de ses lèvres, elle l’a entraîné Ainsi, ceux qui s’approchent du Christ à cause de l’autorité de la majesté du Père sont-ils attirés par le Père. Quiconque en effet met sa foi dans le Christ parce qu’il le croit Fils de Dieu, celui-là, le Père l’attire au Fils par sa majesté. Arius n’a pas subi cette attraction, lui qui ne croyait pas que le Christ est le vrai Fils de Dieu ni qu’il est engendré de la substance du Père; Photin non plus, lorsqu’il a affirmé comme étant de foi que le Christ n’est qu’un homme. Ainsi, ils sont attirés par le Père, ceux qui sont saisis par sa majesté; mais le Fils aussi les attire par l’amour de la vérité et le fait d’y trouver une joie prodigieuse; car la vérité est finalement le Fils de Dieu lui-même. Si en effet, ainsi que le dit Augustin , chacun est entraîné par ce qui lui donne de la joie, combien plus l’homme doit-il être entraîné vers le Christ s’il trouve sa joie dans la vérité, la béatitude, la justice, la vie éternelle, et si le Christ est tout cela? Si donc c’est par lui que nous devons être entraînés, laissons-nous entraîner par la joie que procure la vérité : Mets ta joie dans le Seigneur, et il te donnera ce que demande ton cœur ; c’est pourquoi l’épouse disait : Entraîne-moi à ta suite, nous courrons à l’odeur de tes parfums
Mais puisque la révélation extérieure et l’objet n’ont pas seuls la puissance d’attirer, puisque l’instinct intérieur qui pousse et meut à croire la possède aussi, le Père en attire beaucoup au Fils par cet instinct, effet de l’opération divine qui meut intérieurement le cœur de l’homme à croire : Dieu lui-même est celui qui opère en nous le vouloir et son accomplissement . — Avec des liens humains, je les attirerai dans les liens de la charité — Le cœur du roi est dans la main du Seigneur : il l’incline partout où il veut .
936. La deuxième question est la suivante : puisqu’il est dit que le Fils attire au Père — Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le révéler et plus bas j’ai man ton nom aux hommes que tu m’as donnés —, comment affirme-t-on ici que le Père attire au Fils?
Disons qu’on peut répondre à cela de deux manières. En effet, nous pouvons parler du Christ soit selon qu’il est homme, soit selon qu’il est Dieu. En tant qu’homme, le Christ est la voie : Moi, je suis la voie Ainsi considéré, le Christ conduit au Père comme la voie conduit au terme ou au but. Le Père nous attire au Christ-homme en tant qu’il nous donne par sa puissance de croire dans le Christ : C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu En tant que le Christ est Verbe de Dieu et manifestation du Père, ainsi le Fils attire au Père. Le Père, lui, attire au Fils en tant qu’il le manifeste.
937. La troisième question concerne l’affirmation d’après laquelle personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père; parce qu’alors, si quelqu’un ne vient pas au Christ, ce n’est pas à lui qu’il faut l’imputer, mais à celui qui ne l’a pas attiré.
Je réponds en disant que, en vérité, personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père. En effet, de même que ce qui est pesant par nature ne peut par lui-même se porter vers le haut s’il n’y est pas attiré par un autre, de même le cœur de l’homme, se portant de lui-même vers les réalités inférieures, ne peut s’élever s’il n’est pas attiré vers le haut. Mais s’il n’est pas élevé, la défection n’est pas du côté de celui qui attire, parce que, quant à lui, il ne fait défaut à personne; c’est parce qu’il y a un obstacle en celui qui n’est pas attiré.
Mais à ce sujet, il faut distinguer l’homme qui est dans l’état de nature intègre de celui qui est dans l’état de nature corrompue. En effet, dans la nature intègre, il n’y avait aucun empêchement capable de nous soustraire à cette attraction, et dans cet état, tous les hommes auraient pu avoir part à cette attraction. Mais dans la nature corrompue, tous y sont également soustraits par l’obstacle du péché et, pour cette raison, ont besoin d’être entraînés.
Quant à Dieu, il tend la main à chacun pour l’attirer et, qui plus est, non seulement il attire celui qui la saisit, mais il fait revenir aussi ceux qui se sont détournés de lui : Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons et dans le psaume 84, selon la version des Septante : Reviens, toi ô Dieu, et tu nous donneras la vie Du fait que Dieu est prêt à donner sa grâce à tous et à attirer à lui, si quelqu’un ne le reçoit pas, ce n’est pas imputable à Dieu, mais à celui qui ne le reçoit pas.
938. Mais pourquoi, de tous ceux qui se sont détournés, n’en attire-t-il que certains, bien que tous se soient également détournés? On peut, d’une manière générale, donner pour raison qu’en ceux qui ne sont pas attirés apparaît et resplendit l’ordre de la justice divine, et en ceux qui le sont l’immensité de la miséricorde divine. Mais pourquoi attire-t-il précisément celui-ci et pas celui-là? Il n’y a à cela aucune autre raison que le bon plaisir de la volonté divine. C’est pourquoi Augustin dit : "Quel est celui qu’il tire et celui qu’il ne tire pas, pourquoi il tire celui-ci et ne tire pas celui-là, questions dont tu ne dois pas te faire juge si tu ne veux pas te tromper. Saisis-le bien une fois pour toutes et comprends-le : tu n’es pas encore tiré. Prie pour être tiré"
On peut montrer cela par un exemple : pourquoi l’artisan place-t-il certaines pierres en bas, d’autres en haut, et d’autres sur les côtés? La raison en est le bon arrangement de la maison dont la perfection exige cet ordre. Mais pour quoi place-t-il ces pierres à cet endroit, celles-là à cet autre endroit? Cela dépend de son seul vouloir. De là vient que la raison première de l’arrangement se rapporte au vouloir de l’artisan. Ainsi donc, pour la perfection de l’univers, Dieu en attire certains pour qu’en eux apparaisse sa miséricorde, mais il en est d’autres qu’il n’attire pas, pour qu’en eux sa justice soit manifestée. Mais qu’il attire ceux-ci et non pas ceux-là, cela relève du bon plaisir de sa volonté De même aussi, pourquoi dans l’Église fait-il de certains des apôtres, d’autres des confesseurs, d’autres des martyrs? La raison en est la beauté de l’Eglise et sa perfection. Mais pourquoi a t-il fait de Pierre un Apôtre, d’Etienne un martyr et de Nicolas un confesseur? Il n’y a pas à cela d’autre raison que sa volonté.
Ainsi donc sont manifestes la déficience de la capacité humaine et l’assistance que lui porte le secours divin.
939. Il s’agit ici de l’accomplissement et du fruit du secours divin : la résurrection opérée aussi par le Christ en tant qu’il est homme. En effet, à cause de ce qu’il a accompli dans sa chair, nous obtenons le fruit de la résurrection : Ainsi donc, comme par la faute d'un seul ce fut pour tous les hommes la condamnation, de même, par l’œuvre de justice d’un seul, c'est pour tous les hommes la justification qui donne la vie MOI donc, en tant qu’homme, JE LE RESSUSCITERAI non seulement pour une vie conforme à notre nature, mais pour une vie de gloire, et cela AU DERNIER JOUR.
La foi catholique, en effet, affirme que le monde existera d’une manière nouvelle : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle Et parmi ce qui concourt au renouvellement du monde, nous croyons à l’arrêt du mouvement céleste et par conséquent du temps : Et l’ange que j’avais vu debout sur la mer et sur la terre leva sa main droite vers le ciel et jura (...) qu’il n'aurait plus de temps Parce que, le temps ayant cessé à la résurrection, le jour et la nuit cesseront à leur tour, d’après ce passage de Zacharie : Ce sera un jour unique — il est connu de Yahvé — il n'y aura ni jour ni nuit il dit : JE LE RESSUSRAI AU DERNIER JOUR.
940. Mais pourquoi le mouvement du ciel durera-t-il jusqu’à ce moment, ainsi que le temps, au lieu de cesser avant ou de se prolonger au delà? Il faut savoir que ce qui est à cause d’un autre est disposé de différentes façons, suivant la manière dont est disposé ce à cause de quoi il est. Or toutes les réalités corporelles ont été faites pour l’homme et, pour cette raison, selon que diffère la disposition de l’homme ces réalités doivent être disposées différemment. Donc, puisqu’au moment de leur résurrection commencera pour les hommes un état d’incorruptibilité — Lors donc que cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l’immortalité... alors la corruption cessera même dans les réalités du monde, et donc le mouvement du ciel cessera, lui qui est cause de génération et de corruption pour les réalités corporelles : La création, elle aussi, sera libérée de l’esclavage de la corruption en vue de la liberté de la gloire des enfants de Dieu Il s’avère donc ainsi que l’attraction du Père nous est nécessaire pour croire.
941. Par ces paroles, le Seigneur détermine d’une part le mode selon lequel l’attraction s’exerce, d’autre part son efficacité . Et il exclut qu’elle puisse s’exercer par la vision, ce que l’on aurait pu concevoir .
942. Par ces mots l’Évangéliste exprime le mode selon lequel l’attraction s’exerce. Ce mode concorde avec ce qui a été révélé précédemment de l’attraction, puisque le Père attire en révélant et en enseignant.. D’après Bède cela a été écrit dans Joël, mais cela ne semble pas y être dit expressément, bien qu’on y trouve quelque chose d’avoisinant : Et vous, fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, car il vous a donné un maître de justice Et pour cette rai son, selon Bède, le Christ dit DANS LES PROPHETES pour faire comprendre que ce sens peut être conclu de diverses paroles des Prophètes. Mais nous le remarquons de la manière la plus frappante dans Isaïe : Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur Il est dit aussi dans Jérémie : Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur, qui vous feront paître avec science et intelligence
943. Le mot TOUS peut se comprendre de trois manières : il peut désigner soit tous les hommes du monde, soit tous ceux qui sont dans l’Eglise du Christ, soit tous ceux qui seront dans le Royaume des cieux.
Si TOUS est pris dans le premier sens, il apparaît clairement que l’affirmation n’est pas vraie. En effet, le Christ ajoute aussitôt : QUICONQUE S’EST MIS A L’ECOUTE DU PERE ET A SON ECOLE VIENT A MOI – Si donc tous les hommes du monde étaient enseignés par Dieu, tous viendraient au Christ. Mais cela est faux, car tous n’ont pas la foi.
A cela il y a trois réponses. En effet, selon Chrysostome il faut dire que cela concerne la plupart des hommes. Ils seront, dit-il, TOUS, c’est-à-dire le plus grand nombre... C’est en ce sens qu’il est dit en Matthieu : Beau coup viendront de l’Orient et de l’Occident .
La deuxième réponse est que TOUS, pour autant que cela dépend de Dieu, SERONT ENSEIGNES. Mais si certains ne le sont pas, et c’est un fait, cela dépend d’eux. Le soleil en effet, quant à lui, illumine tout, mais il se peut que certains ne le voient pas s’ils ferment les yeux ou s’ils sont aveugles. C’est en ce sens que l’Apôtre dit : Dieu (...) veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité .
La troisième réponse est d’Augustin il s’agit ici d’un universel restreint par son contexte, de telle sorte qu’on dit : TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU, c’est-à-dire tous ceux qui sont enseignés sont enseignés par Dieu. Ainsi, parlant de quelqu’un qui enseigne les lettres, nous disons, s’il enseigne dans la cité : lui seul enseigne tous les enfants de la cité, parce qu’aucun n’y est enseigné si ce n’est par lui. En ce sens, il est dit plus haut : Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde
944. Si maintenant sont visés ceux qui sont dans l’Eglise, il est dit proprement qu’ILS SERONT TOUS, c’est-à-dire ceux qui sont dans l’Eglise, ENSEIGNES PAR DIEU En effet, il est dit dans Isaïe : Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur ce qui montre la transcendance de la foi chrétienne qui n’est pas liée à un enseignement humain, mais à celui de Dieu .
En effet, l’enseignement de l’Ancien Testament avait été donné par les Prophètes, mais celui du Nouveau Testament a été donné par le Fils de Dieu lui-même : Après avoir à bien des reprises et de bien des manières, c’est-à-dire dans l’Ancien Testament, parlé jadis à nos pères par les Prophètes, Dieu, en cette fin des jours, nous a parlé par le Fils; et dans la même épître : Le salut annoncé d’abord par Notre Seigneur nous a été confirmé par ceux qui l’ont entendu Ainsi donc, tous ceux qui sont dans l’Eglise sont enseignés non pas par les Apôtres ou les Prophètes, mais par Dieu lui-même. Et selon Augustin cela même qui est enseigné par l’intermédiaire d’un homme l’est par Dieu qui enseigne de l’intérieur : Vous n’avez qu’un seul maître : le Christ En effet l’intelligence, qui nous est tout particulièrement nécessaire pour recevoir l’enseignement, nous vient de Dieu.
945. Si enfin l’on considère ceux qui sont dans le Royaume des cieux, alors TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU parce qu’ils verront immédiatement son essence : Nous le verrons tel qu'il est
946. Ces mots nous révèlent que l’attraction du Père est souverainement efficace. L’Evangéliste la considère de deux manières : en tant qu’elle relève du don de Dieu lors qu’il dit : QUICONQUE S’EST MIS A L’ECOUTE, à savoir de Dieu qui révèle; en tant qu’elle relève du libre arbitre lors qu’il dit : ETA SON ECOLE, par l’adhésion de l’intelligence. Et écouter celui qui enseigne, puis saisir ce qu’on a écouté, est bien nécessaire à tout enseignement! Cela l’est donc aussi à l’enseignement de la foi.
QUICONQUE S’EST MIS À L'ECOUTE DU PÈRE qui enseigne et manifeste, ET A SON ECOLE en donnant son adhésion, VIENT A MOI – Il VIENT, dis-je, de trois manières : par la connaissance de la vérité, par l’élan de l’amour et par l’imitation de l’œuvre. Et en chacune de ces manières, il lui faut écouter et apprendre.
En effet, celui qui vient par la connaissance de la vérité doit écouter, puisque Dieu l’inspire — J’écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu et apprendre en donnant son adhésion, comme on l’a dit. Celui qui vient au Christ par l’amour et le désir — selon qu’il est dit plus loin : Si quelqu'un a soif, c’est-à-dire désire, qu'il vienne à moi et qu'il boive — doit aussi écouter la parole du Père et la faire sienne, afin d’en pénétrer le sens et pour qu’elle enflamme en lui le désir. Celui-là, en effet, apprend une parole, qui la saisit selon le sens qu’elle a pour celui qui la dit; or la Parole, le Verbe de Dieu le Père, est celui qui spire l’Amour; donc, celui qui le reçoit avec la ferveur de l’Amour apprend : La Sagesse (...) se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes Enfin, on va au Christ par l’imitation de son œuvre : Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos Et c’est encore de cette manière que quiconque apprend vient au Christ : en effet, la conclusion est au savoir ce que l’action est à l’agir. Or, dans les sciences, celui qui apprend parfaitement parvient à la conclusion; et donc, dans l’agir, celui qui apprend parfaitement les paroles en vient à l’action droite : Le Seigneur m’a ouvert l’oreille, et moi je ne me suis pas rebellé .
947. Mais parce que certains pourraient penser que les hommes entendraient sensiblement la voix du Père et apprendraient ainsi de lui, le Seigneur ajoute, afin d’exclure cette opinion : NON QUE PERSONNE AIT VU LE PERE, c’est-à-dire aucun homme en cette vie n’a vu le Père dans son essence — L'homme ne peut me voir et vivre SI CE N’EST CELUI, c’est le Fils, QUI EST DE DIEU; CELUI-LA A VU LE PERE, son Père, dans son essence. Ou bien : PERSONNE n’a vu le Père de la vision de compréhension vision que ni l’homme ni l’ange n’ont jamais eue, ni ne peuvent avoir, SI CE N’EST CELUI QUI EST DE DIEU, c’est-à-dire le Fils : Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils .
En voici la raison : puisque toute vision et connaissance se font par une certaine similitude, la connaissance que les créatures ont de Dieu découle du mode de similitude qu’el les ont par rapport à Dieu. A cause de cela, les philosophes disent que les intelligences connaissent la cause première dans la mesure où elles en ont la similitude. Et toute créature a en participation une certaine similitude de Dieu, mais infiniment distante de la similitude de sa nature; et, à cause de cela, aucune créature ne peut connaître Dieu lui-même parfaitement et totalement, selon ce qu’il est dans sa nature. Le Fils, lui, parce qu’il a reçu parfaitement toute la nature du Père par la génération éternelle, le voit totalement et le comprend.
948. Notons bien la pertinence de l’ordre du discours. En effet, lorsqu’il parlait plus haut de la connaissance des autres, le Christ a parlé en terme d’audition; mais ici, lors qu’il parle de la connaissance du Fils, il parle de vision. En effet, la connaissance par la vue est immédiate et évidente, alors que, par l’ouïe, nous connaissons par l’intermédiaire de celui qui voit Ainsi, la connaissance que nous avons du Père, nous l’avons reçue du Fils qui voit; de telle sorte que nul ne connaît le Père si ce n’est par le Christ qui le manifeste, et nul ne vient au Fils s’il n’a entendu le Père qui le manifeste.
949. Le murmure des Juifs réprimé le Seigneur prend en compte la difficulté née dans le cœur des Juifs au sujet de la parole qu’il avait dite : Moi, je suis le pain (...) qui suis descendu du ciel ; il a l’intention de prouver que c’est à son sujet qu’elle est vraie, et il argumente ainsi : Ce pain descend du ciel qui donne la vie au monde; mais MOI JE SUIS LE PAIN qui donne la vie au monde; je suis donc LE PAIN QUI SUIS DESCENDU DU CIEL.
Il répond en trois temps : En posant d’abord ce qui est comme la mineure de son raisonnement , puis la majeure, c’est-à-dire que le pain descendu du ciel doit donner la vie ; enfin il conclut . Dans le premier temps, il manifeste son propos, puis il infère ce qu’il voulait montrer comme étant prouvé.
950. Son propos est de montrer qu’il est le pain de vie. Or, pour que le pain vivifie, il faut en prendre; et il est évident que celui qui croit en le Christ le prend au-dedans de lui-même : Que le Christ habite en vos cœurs par la foi Si donc celui qui croit en le Christ a la vie, il est manifeste que c’est en mangeant ce pain qu’il est vivifié : Ce pain est donc le pain de vie. Et c’est ce qu’il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI, à savoir d’une foi formée qui rend parfaite non seulement l’intelligence, mais aussi la volonté aimante (en effet, on ne tend vers la réalité en laquelle on croit que si on l’aime), A LA VIE ETERNELLE.
Or le Christ est en nous de deux manières : dans l’intelligence par la foi, dans la mesure où il y a foi, et dans la volonté par la charité qui informe la foi : Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui Qui donc croit dans le Christ de telle sorte qu’il tende vers lui, le possède dans la volonté et l’intelligence. Et si nous ajoutons que le Christ est la vie éternelle , ainsi qu’il est dit : (...) afin que nous soyons dans le véritable, dans son Fils Jésus-Christ; celui-ci est le Dieu véritable et la vie éternelle; et plus haut : En lui était la vie nous pouvons inférer que quiconque croit en le Christ a la vie éternelle. Il l’a, dis-je, dès ici-bas, dans sa cause et en espérance; et un jour il l’aura dans sa réalité plénière.
951. Une fois son propos manifesté, il infère ce qu’il veut montrer en disant : MOI JE SUIS LE PAIN DE VIE, c’est-à-dire qui donne la vie, ainsi qu’il découle clairement des prémisses. De ce pain, il est dit : Aser, son pain est riche; il donnera leurs délices, c’est-à-dire celles de la vie éternelle, aux rois
952. En disant ces paroles, le Christ pose la majeure, c’est-à-dire que donner la vie est l’effet du pain qui descend du ciel. Il met d’abord son propos en lumière avant de l’exposer .
953. Il met son propos en lumière par son contraire. On a dit en effet plus haut que Moïse n’a pas donné aux Juifs le pain du ciel, sauf si par ciel on entend les airs or tout pain qui n’est pas du ciel véritable ne peut donner une vie suffisante : il est donc propre au pain du ciel de donner la vie. Et c’est pourquoi le pain de Moïse dont vous vous enorgueillissez ne donne pas la vie. Il le prouve en disant : VOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT ET ILS SONT MORTS.
Ici, il leur reproche d’abord leur vice en disant : VOS PERES. En effet, vous en êtes les fils non seulement selon l’origine de la chair, mais aussi par l’imitation des œuvres, puisque vous êtes de la race de ceux qui murmurent, comme eux-mêmes murmurèrent sous leurs tentes et c’est pourquoi il leur disait : Vous mettez un comble à la mesure de vos pères Aussi saint Augustin dit-il qu’en aucune chose le peuple n’a plus offensé Dieu qu’en murmurant contre lui .
En second lieu, il laisse entendre que le laps de temps fut bref, lorsqu’il dit DANS LE DESERT En effet il ne dura pas, le temps pendant lequel la manne leur fut donnée : pro diguée au désert, elle ne leur fut plus donnée après leur entrée en terre promise, comme le dit le livre de Josué Ce pain-là, par contre, maintient en vie et restaure pour l’éternité ceux qui le mangent .
Il manifeste enfin les limites de cette nourriture : elle ne maintient pas la vie indéfiniment. C’est pour cela qu’il dit : ET ILS SONT MORTS. De fait, selon le livre de Josué, tous ceux qui, à l’exception de Josué et de Caleb, avaient murmuré moururent au désert. Telle fut la cause de la seconde circoncision : tout le peuple qui était sorti d’Egypte était mort au désert, comme le dit le livre de Josué
954. Mais on peut se demander de quelle mort Dieu parle ici. En effet, s’il parle de la mort corporelle, il n’y aura aucune différence entre le pain du désert et notre pain qui descend du ciel, parce que même les chrétiens qui prennent ce pain connaissent la mort physique. Mais s’il parle de la mort spirituelle, il est clair que dans les deux cas, certains meurent spirituellement, d’autres pas. En effet, Moïse et la foule de ceux qui plurent au Seigneur échappèrent à la mort, alors que d’autres la connurent. De même, ceux qui prennent ce pain indignement meurent spirituellement : Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement (...), c’est sa propre condamnation qu’il mange et boit .
A cela il faut répondre que la nourriture prodiguée au désert possède un point commun avec notre nourriture spirituelle, en tant que les deux signifient la même réalité : en effet l’une et l’autre signifient le Christ. C’est pour cela qu’on dit qu’elles sont la même nourriture : Tous ont mangé la même nourriture spirituelle et tous ont bu la même boisson spirituelle — ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ Il dit la même parce que l’une et l’autre sont la figure de la nourriture spirituelle. Mais elles diffèrent parce que la manne la figurait seulement, tandis que ce pain con tient ce qu’il figure, c’est-à-dire le Christ lui-même .
Il faut donc dire que dans l’un et l’autre cas, on peut se nourrir de deux manières. Ou bien on prend la nourriture en regardant matériellement le signe, c’est-à-dire qu’on en use comme d’une simple nourriture terrestre sans en saisir la signification, et prise ainsi elle ne supprime ni la mort spi rituelle, ni la mort physique. Ou bien on la prend sous ses deux aspects de signe et de signifié, c’est-à-dire que l’on prend la nourriture visible de telle sorte que l’on saisisse la nourriture spirituelle, qu’on la goûte spirituellement pour être spirituellement rassasié. Ainsi ceux qui ont mangé la manne spirituellement ne sont pas morts spirituellement. Mais ceux qui mangent l’Eucharistie spirituellement, c’est-à-dire sans péché, vivent spirituellement maintenant, et vivront avec leurs corps pour l’éternité. Notre nourriture a donc ceci de plus que la leur : elle contient en elle ce qu’elle figure.
955. Son propos étant manifesté, le Christ infère ici ce qu’il veut montrer. Et selon la Glose, il dit TEL en se désignant lui-même . Mais ce n’est pas là la pensée du Seigneur, car en ajoutant aussitôt : MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL, il ne ferait que se répéter.
Il faut donc dire que l’intention du Seigneur est la suivante : descend du ciel le pain qui peut donner la vie; or moi, je suis tel; donc, je suis LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL. Et si LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL donne la vie sans fin, c’est parce que tout aliment nourrit selon la propriété de sa nature. Or les réalités célestes sont incorruptibles; donc cette nourriture, étant céleste, ne se corrompt pas, et par conséquent vivifie aussi longtemps qu’elle demeure. Celui donc qui en aura mangé ne mourra pas. De même que si une nourriture corporelle ne se corrompait jamais, en nourrissant elle ne cesserait de vivifier. Voilà pourquoi ce pain a été signifié par l’arbre de vie qui, au milieu du paradis, donnait d’une certaine manière la vie pour toujours : Et maintenant, il ne faudrait pas qu’Adam avance la main et qu’il prenne aussi de l’arbre de vie, qu'il en mange et vive à jamais Si l’effet de ce pain est que celui qui en mange ne meure pas, moi aussi je suis tel, et donc…
956. A propos du verset suivant, il développe deux aspects. Il parle d’abord de lui-même d’une manière générale puis de manière précise à propos de son corps . A son sujet, il souligne deux aspects : il conclut d’abord quant à sa propre origine puis il dévoile sa puissance .
957. Il dit donc, MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT, et c’est pourquoi je peux donner la vie. Le pain corporel en effet ne vivifie pas pour l’éternité, parce qu’il n’a pas la vie en lui-même. Mais s’il vivifie, c’est en étant altéré et transformé en nourriture par la puissance du vivant.
QUI SUIS DESCENDU DU CIEL : on a exposé plus hautcomment il en était descendu Par là sont exclues les hérésies de ceux qui disent que le Christ n’est qu’un homme, parce que s’il en était ainsi, il ne serait pas descendu du ciel.
958. Sa puissance est de donner la vie éternelle, et c’est pourquoi il dit : SI QUELQU’UN MANGE DE CE PAIN, c’est-à-dire spirituellement, IL VIVRA non seulement dans le présent par la foi et la justice, mais ETERNELLEMENT : Quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour l’éternité .
959. Ensuite, il parle d’une manière particulière de son corps lorsqu’il dit : ET LE PAIN QUE MOI JE DONNERAI, C’EST MA CHAIR. Il avait dit en effet qu’il était LE PAIN VIVANT, et pour qu’on ne comprenne pas que cela lui appartient seulement en tant que Verbe, ou en raison de son âme, il montre que sa chair elle-même est vivifiante; elle est en effet l’organe de sa divinité. C’est pourquoi, puisque l’instrument agit par la vertu de l’agent, de même que la divinité du Christ est vivifiante, ainsi, comme le dit Damascène sa chair aussi vivifie par la puissance du Verbe auquel elle est liée. De là vient que le Christ, par son toucher, guérissait les infirmes. Ainsi donc, ce qu’il a dit plus haut, MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT, relève de la puissance du Verbe, mais ce qu’il ajoute ici relève de la communion à son corps, c’est-à-dire au sacrement de l’Eucharistie.
960. Nous pouvons ici, à propos de ce sacrement, prendre quatre points en considération : l’espèce, l’autorité de celui qui l’institue, la vérité du sacrement et son utilité.
L’espèce de ce sacrement est le pain : Venez et mangez mon pain La raison en est que c’est le sacrement du corps du Christ. Et le corps du Christ est l’Eglise qui, à partir de la multitude des fidèles, s’érige dans l’unité d’un corps. C’est donc le sacrement de l’unité de l’Eglise : Nous sommes un seul corps dans le Christ Ainsi, parce que le pain est fait de grains multiples et divers, il est l’espèce convenant à ce sacrement : ET LE PAIN QUE MOI JE DONNERAI, C’EST MA CHAIR
961. L’auteur de ce sacrement est le Christ. De fait, bien que le prêtre consacre, c’est le Christ lui-même qui confère au sacrement sa vertu parce que le prêtre consacre en la personne du Christ (in persona Christi). Aussi, dans les autres sacrements, le prêtre fait usage de ses propres paroles — c’est-à-dire celles de l'Eglise —, mais dans celui-ci, il reprend les paroles du Christ, parce que, de même que le Christ a livré son corps à la mort de sa propre volonté, de même c’est par sa puissance qu’il se donne en nourriture : Prenant le pain, il le bénit et le rompit, le donna à ses disciples et dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps Et c’est pour cela qu’il dit QUE MOI JE DONNERAI; et il dit DONNERAI parce que ce sacrement n’avait pas encore été institué.
962. Quant à la vérité de ce sacrement, il la laisse entendre en disant C’EST MA CHAIR. Il ne dit pas "signifie ma chair" mais EST MA CHAIR, parce que selon la vérité de la réalité, la nourriture prise est vraiment le corps du Christ : Les hommes de sa maison n'ont-ils pas dit : Qui a donné de sa chair pour que nous soyons rassasiés? Mais puisque dans ce sacrement est contenu le Christ tout entier, pourquoi a-t-il dit seulement : C’EST MA CHAIR? Sur ce point, il faut savoir que dans ce sacrement d’amour le Christ tout entier est vraiment contenu, mais alors que le corps y est contenu en vertu de la conversion desespèces , la divinité et l’âme, elles, y sont par concomitance naturelle. En effet, si par impossible la divinité était séparée du corps du Christ, elle ne serait plus dans le sacrement. De même si, au cours des trois jours de sa mort, quelqu’un avait consacré, l’âme du Christ n’aurait pas été présente, mais son corps, tel qu’il était en croix ou au sépulcre. Et il dit CHAIR aussi pour une autre raison : puisque ce sacrement est le mémorial de la Passion du Seigneur — Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur et que la Passion du Seigneur fut possible grâce à la faiblesse du corps — Il a été crucifié à cause de sa faiblesse pour signifier cette faiblesse à cause de laquelle il est mort, il préfère dire CHAIR; ce nom, en effet, signifie la faiblesse.
963. Enfin, l’utilité de ce sacrement est grande et universelle. Elle est grande parce qu’elle produit en nous dès maintenant la vie spirituelle, et finalement la vie éternelle, ainsi qu’on l’a dit En effet, comme l’a fait apparaître l’ex posé, puisque ce sacrement est celui de la Passion du Seigneur, il contient en lui le Christ souffrant; donc, tout ce qui est effet de la Passion du Seigneur l’est aussi en plénitude de ce sacrement. Ce sacrement n’est en effet rien d’autre que la Passion du Seigneur qui nous est communiquée. En effet, il ne convenait pas que le Christ soit toujours avec nous selon le mode de sa présence physique.Pour cette raison, il a voulu y suppléer par le moyen de ce sacrement. Il est ainsi évident que la destruction de la mort que le Christ a opérée en mourant et le renouvellement de la vie qu’il a réalisé en ressuscitant sont l’effet de ce sacrement.
964. Son utilité est aussi universelle, parce que la vie qu’il confère n’est pas seulement la vie pour un homme, mais, quant au sacrement, pour le monde entier, vie à laquelle la mort du Christ suffit : Il est lui-même expiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier
Il faut remarquer qu’autre est la manière dont le Christ est dans ce sacrement, autre celle dont il est dans les autres. En effet, les autres sacrements ont des effets sur un individu; dans le baptême par exemple, seul le baptisé reçoit la grâce. Mais dans l’immolation de ce sacrement, l’effet est universel, puisque non seulement le prêtre en bénéficie, mais aussi ceux pour lesquels il prie et toute l’Eglise, tant celle des vivants que celle des morts, et cela parce qu’en lui est contenue la cause universelle de tous les sacrements, c’est-à-dire le Christ Cependant, si un laïc consomme ce sacrement , celui-ci n’est pas utile aux autres s’il est considéré dans sa puissance propre de sacrement en tant qu’il est consommé; mais en vertu de l’intention du célébrant et du communiant, il peut être communiqué à tous ceux vers qui ils dirigent leur intention. Il ressort de là que les laïcs qui consomment l’Eucharistie pour le salut de ceux qui sont dans le purgatoire sont dans l’erreur.
L’APAISEMENT DU LITIGE SURGI À PROPOS DE LA CONSOMMATION DE CETTE NOURRITURE.
965. Plus haut, le Seigneur a réprimé le murmure des Juifs né au sujet de l’origine de la nourriture spirituelle. Ici, il met fin au litige qui les opposait sur la consommation de cette nourriture. L’Evangéliste expose d’abord le litige que le Seigneur fait cesser , puis il indique le lieu où cela se passa .
966. L’Évangéliste introduit le litige par mode de conclusion en disant : LES JUIFS DONC DISPUTAIENT ENTRE EUX; et c’est à juste titre. En effet, d’après Augustin le Seigneur leur avait parlé de la nourriture de l’unité par laquelle ceux qui sont restaurés sont rassemblés en un même esprit : Les justes festoieront et ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront d’une grande joie ce qui continue ainsi, d’après une autre version : Lui qui fait habiter ceux qui sont d'un même esprit dans sa maison . Les Juifs, puisqu’ils n’avaient pas con sommé la nourriture qui unit les cœurs, étaient donc en conflit : Voici, vous ne vivez que pour vos querelles et vos rivalités . Du fait qu’ils étaient en conflit, ils montraient qu’ils se comportaient selon la chair : Puisque l’envie et la rivalité sont entre vous, n'êtes-vous pas de la chair . Et pour cette raison, ils comprenaient ces paroles du Seigneur selon la chair, c’est-à-dire qu’on mangerait la chair du Christ comme une nourriture terrestre. Ainsi, ils disent : COMMENT CELUI-CI PEUT-IL NOUS DONNER SA CHAIR A MANGER? comme s’ils disaient : c’est impossible; c’est ainsi que leurs pères aussi avaient parlé contre le Seigneur : Notre âme est dégoûtée de cette nourriture sans consistance .
967. Mais le Seigneur met fin à ce litige. Il expose d’abord quelle vertu est liée à la consommation de cette nourriture avant d’en donner l’évidence . Il met fin au litige en montrant la nécessité de manger sa chair , l’utilité de cet acte et la vérité de cet aliment .
968. Jésus leur dit ces mots comme pour exprimer ceci : vous tenez pour impossible et inconvenant de manger ma chair; or non seulement ce n’est pas impossible, mais c’est même tout à fait nécessaire dans la mesure où, SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L’HOMME ET NE BUVEZ SON SANG, VOUS N’AUREZ PAS, c’est-à-dire que vous ne pourrez pas avoir EN VOUS LA VIE, sous-entendu spirituelle. En effet, de même que la nourriture corporelle est si nécessaire à la vie corporelle que, sans elle, la vie corporelle ne peut pas être — Ils donnent leurs objets précieux pour de la nourriture qui leur rendrait la vie et dans le psaume : Le pain fort le cœur de l’homme ainsi la nourriture spirituelle est nécessaire à la vie spirituelle à tel point que, sans elle, la vie spirituelle ne peut être maintenue : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu .
969. Notons aussi que cette affirmation peut se rapporter soit à la manducation spirituelle soit à la manducation sacramentelle. Si elle se rapporte à la manducation spirituelle, elle n’offre aucune difficulté. En effet, mange spirituellement la chair du Christ et boit son sang celui qui est fait participant de l’unité de l’Eglise réalisée par la charité : Parce qu’il n a qu’un pain, plusieurs nous ne sommes qu’un corps, car tous, nous participons à ce pain unique . Donc celui qui ne mange pas ainsi est hors de l’Église et par conséquent hors de la charité; c’est pourquoi il n’a pas la vie en lui : Celui qui n’aime pas demeure dans la mort .
Mais si elle se rapporte à la manducation sacramentelle, ce qui est dit pose un problème. De fait, il est dit plus haut : Personne, à moins de renaître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume des cieux . Et on retrouve ici une formulation semblable : SI VOUS NE MANGEZ PAS LA CHAIR DU FILS DE L’HOMME... Donc, puisque le baptême est un sacrement nécessaire, il apparaît que l’Eucharistie l’est aussi. Cela, les Grecs le reconnaissent ; de là vient qu’ils donnent l’Eucharistie aux enfants immédiatement après leur baptême, et là ils ont pour eux le rite de Denys qui dit que la réception de n’importe quel sacrement doit s’achever dans la communion à l’Eucharistie, qui est la consommation de tous les sacrements. Mais cela est vrai pour les adultes, non pour les enfants, puisque de celui qui reçoit l’Eucharistie est exigée en acte une attitude de crainte respectueuse et une soumission aimante; ceux qui n’ont pas l’usage de leur libre arbitre, comme les enfants ou ceux qui ont perdu la raison, ne peuvent avoir cette disposition et c’est pour quoi en aucune manière il ne faut leur donner l’Eucharistie.
Il faut donc dire que le baptême, dans sa forme sacramentelle, est nécessaire à tous pour que la grâce sacramentelle soit réellement reçue : sans lui, nul n’est régénéré à la vie. C’est pour cela qu’il faut qu’on l’ait sensiblement, ou par le désir pour ceux qui s’y disposent. En effet, si quelqu’un rejette par mépris le baptême de l’eau, ni celui du feu, ni celui du sang ne lui serviraient pour la vie éternelle. Le sacrement de l’Eucharistie, lui, est nécessaire pour les adultes seulement, qu’il soit reçu sensiblement ou par le désir selon les normes fixées par l’Eglise.
970. Mais sur ce point, une autre difficulté s’élève, parce que, d’après ces paroles du Seigneur, non seulement manger son corps, mais aussi boire son sang est nécessaire au salut, étant donné que la nourriture ne restaure pas parfaitement sans la boisson. Or la coutume de certaines Eglises est que le prêtre seul communie au sang et que les autres communient seulement au corps : ce fait paraît s’opposer à cette affirmation du Christ.
Je réponds en disant que, selon une antique coutume de l’Eglise, tous communiaient au sang comme au corps, ce qui, maintenant encore, est conservé dans certaines Eglises où toujours ceux qui servent à l’autel communient aussi au corps et au sang. Mais à cause du risque de le renverser, dans certaines Eglises on a retenu que le prêtre seul communiait au sang, les autres au corps. Cependant, ce n’est pas con traire à la sentence du Seigneur : celui qui communie au corps communie aussi au sang puisque, sous chacune des deux espèces, est contenu tout le Christ avec son corps et son sang. Mais sous les espèces du pain, le corps du Christ est contenu en vertu de la conversion, le sang à cause de la concomitance naturelle; et sous les espèces du vin, le sang du Christ est contenu en vertu de la conversion, le corps à cause de la concomitance naturelle.
On voit ainsi la nécessité de prendre cette nourriture spirituelle.
971. Les paroles qui suivent montrent l’utilité de ce sacrement d’abord quant à l’esprit ou l’âme ensuite quant au corps .
972. L’utilité de cette manducation est donc grande puisqu’elle donne la vie éternelle, ce qui fonde l’affirmation du Seigneur. Cette nourriture spirituelle, en effet, est semblable en quelque sorte à la nourriture corporelle en ce sens que, sans elle, il ne peut y avoir de vie spirituelle, pas plus qu’il ne peut y avoir de vie corporelle sans nourriture corporelle, comme on l’a dit. Mais en outre, il lui appartient de causer une vie sans fin en celui qui la prend, ce que la nourriture corporelle ne réalise pas. En effet, ce n’est pas pour l’avoir prise qu’on vivra, car, comme le dit Augustin, "il peut se faire que, par la vieillesse, la maladie ou quelque autre cause, ceux qui l’ont prise meurent" Au contraire, celui qui prend cette nourriture et cette boisson, c’est-à-dire celle du corps et du sang du Seigneur, A LA VIE ETERNELLE. C’est pour cela qu’elle est comparée à l’arbre de vie : C’est un arbre de vie pour celui qui l’aura saisie , et de là vient qu’elle est appelée pain de vie : La Sagesse l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence Il dit donc LA VIE ETERNELLE, parce que celui qui mange ce pain a en lui le Christ qui est le Dieu véridique et la vie éternelle Mais celui-ci a la vie éternelle qui mange et boit comme il le faut : non seulement sacramentellement, mais aussi spirituellement. En effet, celui-ci mange et boit sacramentellement qui se limite à consommer ce sacrement; mais il mange et boit spirituellement, celui qui atteint la réalité du sacrement dans ses deux dimensions : l’une signifiée et contenue, qui est le Christ dans son intégrité, caché sous les espèces du pain et du vin; l’autre signifiée mais non pas contenue : le corps mystique du Christ, qui est dans les prédestinés, les appelés, les justifiés
Ainsi donc, il mange la chair et boit le sang spirituellement en référence au Christ contenu et signifié, celui qui lui est uni par la foi et la charité, de telle sorte qu’il est transformé en lui et en devient membre. En effet, cette nourriture ne se change pas en celui qui la prend; elle le change en elle, d’après ce passage d’Augustin : "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais c’est toi qui seras changé en moi" Et c’est pourquoi elle est la nourriture qui a le pouvoir de diviniser l’homme et de l’enivrer de la divinité.
Il en va de même en référence au corps mystique seulement signifié si celui qui communie devient participant de l’unité de l’Eglise. Donc, celui qui mange ainsi A LA VIE ETERNELLE. En référence au Christ, on l’a suffisamment montré. De même en référence au corps mystique, il aura nécessairement la vie éternelle s’il persévère. En effet, l’unité de l’Eglise est réalisée par l’Esprit Saint— Il n a qu’un corps et un Esprit —, qui d’après le début de l’épître est le gage de notre héritage Elle est donc grande, l’utilité de cette nourriture, puisqu’elle donne la vie éternelle à l’âme. Mais elle est grande encore parce qu’elle donne la vie éternelle au corps.
973. En effet, ainsi qu’on l’a dit, celui qui mange et boit spirituellement devient participant de l’Esprit Saint par qui nous sommes unis au Christ dans l’union de la foi et de la charité, et par qui nous sommes faits membres de l’Eglise. Et la résurrection, l’Esprit Saint nous donne de la mériter : Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité d’entre les morts le Christ Jésus fera vivre aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous Et c’est pourquoi le Seigneur dit que celui qui mange et boit ressuscitera pour la gloire — et non pour la condamnation, parce qu’il ne vaut pas la peine de ressusciter ainsi.
Et c’est assez justement que l’on attribue un tel effet au sacrement de l’Eucharistie parce que, comme le dit Augustin — on l’a d’ailleurs mentionné plus haut le Verbe ressuscite les âmes, mais le Verbe fait chair vivifie les corps. Or, dans ce sacrement, le Verbe n’est pas seulement selon sa divinité, mais aussi selon la vérité de sa chair, et c’est pour quoi il n’est pas seulement cause de la résurrection spirituelle, mais aussi de la résurrection des corps : Par un homme vient la mort, par un homme aussi la résurrection des morts L’utilité de cette manducation est donc manifeste.
974. Le Seigneur montre par là la vérité de la manducation. On pourrait en effet croire que tout ce qui a été dit de sa chair et de son sang est allégorie et parabole Et c’est pourquoi, excluant cette interprétation, il dit : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE, comme s’il disait : Ne pensez pas que je parle en figure, mais c’est en vérité que MA CHAIR est contenue dans la nourriture des croyants ET MON SANG dans le sacrement de l’autel : Ceci est mon corps (...) et ceci est mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance .
Cette vérité peut être comprise différemment, d’après Chrysostome. La nourriture et la boisson sont prises pour restaurer l’homme. Or il y a dans l’homme deux parties : l’une principale qui est l’âme, l’autre secondaire qui est le corps. Et l’homme est ce qu’il est par son âme et non par son corps. Est donc vraiment la nourriture de l’homme ce qui est la nourriture de l'âme . Et c’est ce que dit le Seigneur : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE parce qu’elle n’est pas seulement la nourriture du corps mais aussi de l’âme. De même pour le sang : Vers les eaux du repos il me mène, il convertit mon âme comme s’il disait : cette réfection est spécialement ordonnée à l’âme.
Ou encore, d’après Augustin on dit en vérité que quelque chose est telle réalité si cela en produit l’effet; or l’effet de la nourriture est de rassasier. Donc ce qui rassasie vraiment est vraiment une nourriture et une boisson. C’est bien ce que réalisent le corps et le sang du Christ, parce qu’ils conduisent à l’état de gloire où il n’y a ni faim ni soif ils n’auront plus ni faim ni soif; et c’est pour cela qu’il dit : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE ET MON SANG EST VRAIMENT UNE BOISSON.
975. Le Seigneur prouve ensuite la vertu de la nourriture spirituelle mentionnée plus haut, à savoir qu’elle donne la vie éternelle, et il argumente ainsi : QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG m’est uni; mais qui m’est uni A LA VIE ETERNELLE; donc QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE. Il pose donc d’abord la majeure , puis la mineure, qu’il prouve ; enfin, il infère la conclusion .
976. Il faut savoir, quant au premier point, que si ce que le Seigneur dit se rapporte à la chair et au sang mystiquement parlant, il n’y a aucune difficulté dans cette parole. En effet, comme on l’a dit, il mange spirituellement en référence seulement à la réalité signifiée, celui qui est incorporé au corps mystique par l’union de foi et de charité : la charité fait que Dieu est dans l’homme et réciproquement — Qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui ; et cela, l’Esprit Saint aussi le réalise : En cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : à ce qu’il nous adonné de son Esprit .
Mais si l’on réfère cette affirmation à la consommation sacramentelle, alors, de ceux qui mangent la chair et boivent le sang, tous ne demeurent pas en Dieu. Parce que, comme le dit Augustin il y aune manière de manger cette chair et de boire ce sang telle que celui qui mange et boit demeure dans le Christ et le Christ en lui, s’il mange son corps et boit son sang non pas simplement sacramentellement, mais aussi selon la vérité de la réalité contenue dans le sacrement. Et il est une autre manière de manger telle qu’on ne demeure pas dans le Christ ni le Christ en soi. C’est le cas de ceux qui s’approchent de ce sacrement avec un cœur mensonger; car dans un tel cœur, le sacrement n’a aucun effet. Il y a mensonge, en effet, quand ce qui est signifié à l’extérieur n’a pas de correspondance intérieure. Mais dans le sacrement de l’Eucharistie, il est signifié extérieurement que le Christ est incorporé à celui qui le reçoit, et lui au Christ. Donc, celui qui n’a pas dans son cœur le désir de cette union et qui ne s’efforce pas d’écarter tout ce qui y fait obstacle, est mensonger. C’est pourquoi le Christ ne demeure pas en lui, ni lui dans le Christ .
977. Le Christ pose ici la mineure, à savoir que celui qui lui est uni a la vie; et il l’induit en révélant la similitude sui vante : le Fils, à cause de son unité avec le Père, reçoit la vie du Père; donc, celui qui est uni au Christ reçoit la vie du Christ : COMME LE PERE QUI EST VIVANT M’A ENVOYE, ET QUE MOI JE VIS A CAUSE DUPERE... Ces paroles peu vent être explicitées de deux manières au sujet du Christ : selon sa nature humaine ou selon sa nature divine. Si elles se rapportent au Christ Fils de Dieu, alors le COMME implique une similitude du Christ avec la créature sur un point (mais non pas sur tous) : le fait d’être d’un autre. Il est en effet commun au Christ Fils de Dieu et à la créature d’être d’un autre. Mais d’un autre point de vue, il y a dissimilitude, parce que le Fils a ceci de propre qu’il est du Père de telle sorte qu’il reçoit cependant toute la plénitude de la nature divine en tant que tout ce qui par nature est au Père est aussi par nature au Fils (alors que la créature, elle, reçoit une certaine perfection et une nature particulière) : Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même . Il le montre en ne disant pas : "Comme je mange le Père et que moi je vis à cause du Père", puisqu’il parle ici de sa procession, alors qu’à notre sujet il dit : CELUI QUI ME MANGE VIVRA A CAUSE DE MOI, puisqu’il parle de la participation à son corps et à son sang, qui nous rend meilleurs (la manducation exprime, de fait, une certaine participation). Mais le Christ affirme qu’il vit A CAUSE DU PERE non pas en le mangeant, mais en étant engendré par lui sans que cela supprime l’égalité.
Mais si ces paroles s’entendent du Christ-homme, COMME implique alors, sur un point, une similitude entre le Christ-homme et nous, en ceci que, comme le Christ-homme reçoit la vie spirituelle par l’union à Dieu, de même nous aussi recevons la vie spirituelle par la communion au sacrement. Mais il y a dissimilitude du fait que le Christ-homme reçoit la vie par union au Verbe avec lequel il est une unique personne, alors que nous sommes unis au Christ par le sacrement de la foi. Et c’est pourquoi il affirme à la fois : M’A ENVOYE, et PERE. Si donc on réfère le pas sage au Fils de Dieu, alors il affirme : MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce que le Père est vivant. Mais si on le réfère au Fils de l’homme, alors il affirme : MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce qu’il M’A ENVOYE, c’est-à-dire, il a fait que je m’incarne. En effet, la mission du Fils de Dieu est son Incarnation : Dieu a envoyé son Fils, engendré d’une femme, engendré sous la Loi
978. Par ces paroles, selon Hilaire , est exclue l’erreur d’Arius. Si en effet nous vivons à cause du Christ, parce que nous possédons quelque chose de sa nature, comme il le dit lui-même : QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE, le Christ vit donc aussi à cause du Père parce qu’il possède en lui la nature du Père, non pas une partie de celle-ci — elle est simple et indivisible — mais toute la nature du Père. Ainsi le Fils vit à cause du Père, la naissance ne lui apportant pas une nature autre, ni numériquement ni spécifiquement.
979. Le Seigneur tire ici deux conclusions. En effet, les Juifs controversaient sur deux points : l’origine de la nourriture spirituelle et sa vertu. La première conclusion porte sur l’origine ; et la seconde, qu’il a principalement en vue, sur la vertu .
980. Au sujet de l’origine, rappelons que les Juifs avaient été troublés par ce qu’il avait dit : Moi je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel et c’est pourquoi, contre eux, il le conclut à nouveau du fait de son affirmation : JE VIS A CAUSE DE MON PERE lorsqu’il dit : TEL EST LE PAIN. En effet, descendre du ciel, c’est tenir son origine du ciel; or le Fils tire son origine du ciel parce qu’il vit par le Père. Donc le Christ est celui qui descend du ciel. Et c’est pourquoi il dit : TEL EST LE PAIN QUI EST DESCENDU, quant à la divinité, DU CIEL, c’est-à-dire de la vie paternelle; ou bien EST DESCENDU aussi quant à son corps, en tant que la puissance qui l’a formé, l’Esprit Saint, puisqu’elle vint du ciel, est une puissance céleste. Voilà pourquoi ceux qui mangent ce pain ne meurent pas à la manière dont sont morts nos pères qui ont mangé la manne, et cela parce que la manne ne descendit pas du ciel véritable et n’était pas le pain vivant, comme on l’a dit plus haut Quant à la manière dont sont morts ceux qui ont mangé la manne, elle est manifeste en raison de ce qui a été dit.
981. Il tire la seconde conclusion, au sujet de la vertu du pain, en disant : CELUI QUI MANGE CE PAIN VIVRA ETERNELLEMENT, conclusion qui découle de ceci : QUI MANGE MA CHAIREn effet, celui qui mange ce pain demeure en moi et moi en lui; or moi je suis la vie éternelle, donc CELUI QUI MANGE CE PAIN comme il le faut VIVRA ETERNELLEMENT. IL DIT CES CHOSES DANS LA SYNAGOGUE, AU COURS DE SON ENSEIGNEMENT À CAPHARNAÜM.
982. Le Christ enseignait à Capharnaüm. On précise ici le lieu dans lequel Jésus tint ces propos. Voulant en effet attirer la multitude, il enseignait dans le Temple et à la synagogue cela pour que, parmi la multitude, au moins quelques-uns en profitent — J’ai annoncé ta justice dans la grande assemblée
En premier lieu, il fait cesser le murmure des foules à propos de l’origine de la nourriture spirituelle; en second lieu, il apaise leur dispute sur la manducation de la nourriture spirituelle .
LE MURMURE DES FOULES
L’Évangéliste rapporte d’abord le murmure des foules, puis l’intervention du Christ qui y met fin . Pour cela, il expose d’abord l’occasion du murmure , puis les paroles mêmes de ceux qui murmurent .
930. L’Évangéliste ajoute ici que quelques-uns murmuraient au sujet de certaines paroles du Christ, notamment celles-ci : Le vrai pain de Dieu est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde , et plus loin : C’est moi qui suis le pain de vie ce pain spirituel qu’ils ne prenaient pas ni ne désiraient. Et s’ils murmuraient, c’est parce qu’ils étaient dans un état d’esprit étranger aux choses spirituelles, et cela depuis bien longtemps : Ils murmuraient sous leurs tentes — Ne murmurez pas comme certains d’entre eux murmurèrent
Si jusque-là, ainsi que le dit Chrysostome ils ne murmuraient pas, c’est parce qu’ils espéraient encore obtenir une nourriture terrestre : cet espoir évanoui, ils commencent aussitôt à murmurer, même s’ils allèguent une autre cause. En effet, ils ne le contredisent pas ouvertement, à cause de la déférence qu’ils avaient encore à son égard, au souvenir du miracle précédent.
931. Ainsi murmuraient les Juifs. Parce qu’ils étaient soumis à la chair, ils ne considéraient que la génération charnelle du Christ, ce qui les empêchait de connaître sa génération spirituelle et éternelle; c’est pourquoi ils ne par lent que de celle de la chair, d’après ce précédent passage : Celui qui est issu de la terre (...) parle de la terre et la génération spirituelle leur échappe. C’est pour cela qu’ils ajoutent : COMMENT DONC DIT-IL :’JE SUIS DESCENDU DU CIEL'? Et ils l’appellent fils de Joseph à cause de l’opinion établie : Joseph était en effet son père nourricier, d’après ce passage de Luc : II était, à ce qu’on croyait, fils de Joseph .
LA RÉPONSE DU CHRIST
932. La réponse NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS, met un terme au murmure. Le Seigneur en effet y coupe court, mais lève ensuite l’incertitude qui l’avait suscité .
Après avoir mis un terme au murmure , le Christ en dévoile la cause .
933. Jésus, connaissant leur murmure, leur répond en y mettant fin : NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS. C’est là, assurément, un avertissement salutaire : en effet, celui qui murmure révèle que son esprit n’était pas établi en Dieu, et pour cette raison il est dit dans le livre de la Sagesse : Gardez vous donc du murmure, car il ne sert à rien .
934. C’est parce qu’ils n’ont pas la foi que les Juifs murmurent, et le Seigneur le dévoile par ces mots : NUL NE PEUT VENIR A MOI... Le Christ montre d’abord que l’attraction du Père est nécessaire pour venir à lui, puis comment elle s’accomplit . Si l’attraction du Père est nécessaire, c’est parce que l’homme n’a pas, par lui-même, le pouvoir de venir au Christ par la foi; il a besoin d’un secours divin, qui est efficace ; quant à l’accomplissement ultime, ou au fruit de cette attraction, il est excellent .
935. Jésus, donc, dit d’abord : il n’est pas étonnant que vous murmuriez, parce que vous n’avez pas encore été attirés à moi par le Père. En effet, NUL NE PEUT VENIR A MOI, en croyant en moi, SILE PERE QUI M’A EN VOYE NE L'ATTIRE.
Mais ici trois questions se posent. La première d’entre elles concerne cette parole du Christ SI LE PERE NE L’ATTIRE. En effet, nous venons au Christ par la foi, puisque, ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est une même chose de venir à lui et de croire en lui Or on ne peut croire qu’en le voulant. Mais le terme "attraction" exprime une certaine violence; celui qui vient au Christ en étant attiré vient donc à lui contraint et forcé.
Je réponds en disant que ce qui est affirmé ici de l’attraction du Père n’implique pas de contrainte, car tout ce qui attire ne fait pas nécessairement violence. Ainsi donc, le Père a de multiples manières d’attirer au Fils sans exercer de violence sur les hommes. En effet, on peut attirer quelqu’un en le persuadant par une démarche de l’intelligence. Et de cette manière, le Père attire les hommes au Fils en leur démontrant qu’il est son Fils, soit par une révélation intérieure — Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, à savoir que le Christ est le Fils du Dieu vivant, mais mon Père qui est dans les cieux —, soit par des miracles accomplis par la puissance qu’il tient du Père : Les œuvres que le Père m’a données pour que je les accomplisse (...) rendent témoignage de moi .
D’autre part, certains attirent par leur charme : Par la douceur de ses lèvres, elle l’a entraîné Ainsi, ceux qui s’approchent du Christ à cause de l’autorité de la majesté du Père sont-ils attirés par le Père. Quiconque en effet met sa foi dans le Christ parce qu’il le croit Fils de Dieu, celui-là, le Père l’attire au Fils par sa majesté. Arius n’a pas subi cette attraction, lui qui ne croyait pas que le Christ est le vrai Fils de Dieu ni qu’il est engendré de la substance du Père; Photin non plus, lorsqu’il a affirmé comme étant de foi que le Christ n’est qu’un homme. Ainsi, ils sont attirés par le Père, ceux qui sont saisis par sa majesté; mais le Fils aussi les attire par l’amour de la vérité et le fait d’y trouver une joie prodigieuse; car la vérité est finalement le Fils de Dieu lui-même. Si en effet, ainsi que le dit Augustin , chacun est entraîné par ce qui lui donne de la joie, combien plus l’homme doit-il être entraîné vers le Christ s’il trouve sa joie dans la vérité, la béatitude, la justice, la vie éternelle, et si le Christ est tout cela? Si donc c’est par lui que nous devons être entraînés, laissons-nous entraîner par la joie que procure la vérité : Mets ta joie dans le Seigneur, et il te donnera ce que demande ton cœur ; c’est pourquoi l’épouse disait : Entraîne-moi à ta suite, nous courrons à l’odeur de tes parfums
Mais puisque la révélation extérieure et l’objet n’ont pas seuls la puissance d’attirer, puisque l’instinct intérieur qui pousse et meut à croire la possède aussi, le Père en attire beaucoup au Fils par cet instinct, effet de l’opération divine qui meut intérieurement le cœur de l’homme à croire : Dieu lui-même est celui qui opère en nous le vouloir et son accomplissement . — Avec des liens humains, je les attirerai dans les liens de la charité — Le cœur du roi est dans la main du Seigneur : il l’incline partout où il veut .
936. La deuxième question est la suivante : puisqu’il est dit que le Fils attire au Père — Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le révéler et plus bas j’ai man ton nom aux hommes que tu m’as donnés —, comment affirme-t-on ici que le Père attire au Fils?
Disons qu’on peut répondre à cela de deux manières. En effet, nous pouvons parler du Christ soit selon qu’il est homme, soit selon qu’il est Dieu. En tant qu’homme, le Christ est la voie : Moi, je suis la voie Ainsi considéré, le Christ conduit au Père comme la voie conduit au terme ou au but. Le Père nous attire au Christ-homme en tant qu’il nous donne par sa puissance de croire dans le Christ : C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu En tant que le Christ est Verbe de Dieu et manifestation du Père, ainsi le Fils attire au Père. Le Père, lui, attire au Fils en tant qu’il le manifeste.
937. La troisième question concerne l’affirmation d’après laquelle personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père; parce qu’alors, si quelqu’un ne vient pas au Christ, ce n’est pas à lui qu’il faut l’imputer, mais à celui qui ne l’a pas attiré.
Je réponds en disant que, en vérité, personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père. En effet, de même que ce qui est pesant par nature ne peut par lui-même se porter vers le haut s’il n’y est pas attiré par un autre, de même le cœur de l’homme, se portant de lui-même vers les réalités inférieures, ne peut s’élever s’il n’est pas attiré vers le haut. Mais s’il n’est pas élevé, la défection n’est pas du côté de celui qui attire, parce que, quant à lui, il ne fait défaut à personne; c’est parce qu’il y a un obstacle en celui qui n’est pas attiré.
Mais à ce sujet, il faut distinguer l’homme qui est dans l’état de nature intègre de celui qui est dans l’état de nature corrompue. En effet, dans la nature intègre, il n’y avait aucun empêchement capable de nous soustraire à cette attraction, et dans cet état, tous les hommes auraient pu avoir part à cette attraction. Mais dans la nature corrompue, tous y sont également soustraits par l’obstacle du péché et, pour cette raison, ont besoin d’être entraînés.
Quant à Dieu, il tend la main à chacun pour l’attirer et, qui plus est, non seulement il attire celui qui la saisit, mais il fait revenir aussi ceux qui se sont détournés de lui : Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons et dans le psaume 84, selon la version des Septante : Reviens, toi ô Dieu, et tu nous donneras la vie Du fait que Dieu est prêt à donner sa grâce à tous et à attirer à lui, si quelqu’un ne le reçoit pas, ce n’est pas imputable à Dieu, mais à celui qui ne le reçoit pas.
938. Mais pourquoi, de tous ceux qui se sont détournés, n’en attire-t-il que certains, bien que tous se soient également détournés? On peut, d’une manière générale, donner pour raison qu’en ceux qui ne sont pas attirés apparaît et resplendit l’ordre de la justice divine, et en ceux qui le sont l’immensité de la miséricorde divine. Mais pourquoi attire-t-il précisément celui-ci et pas celui-là? Il n’y a à cela aucune autre raison que le bon plaisir de la volonté divine. C’est pourquoi Augustin dit : "Quel est celui qu’il tire et celui qu’il ne tire pas, pourquoi il tire celui-ci et ne tire pas celui-là, questions dont tu ne dois pas te faire juge si tu ne veux pas te tromper. Saisis-le bien une fois pour toutes et comprends-le : tu n’es pas encore tiré. Prie pour être tiré"
On peut montrer cela par un exemple : pourquoi l’artisan place-t-il certaines pierres en bas, d’autres en haut, et d’autres sur les côtés? La raison en est le bon arrangement de la maison dont la perfection exige cet ordre. Mais pour quoi place-t-il ces pierres à cet endroit, celles-là à cet autre endroit? Cela dépend de son seul vouloir. De là vient que la raison première de l’arrangement se rapporte au vouloir de l’artisan. Ainsi donc, pour la perfection de l’univers, Dieu en attire certains pour qu’en eux apparaisse sa miséricorde, mais il en est d’autres qu’il n’attire pas, pour qu’en eux sa justice soit manifestée. Mais qu’il attire ceux-ci et non pas ceux-là, cela relève du bon plaisir de sa volonté De même aussi, pourquoi dans l’Église fait-il de certains des apôtres, d’autres des confesseurs, d’autres des martyrs? La raison en est la beauté de l’Eglise et sa perfection. Mais pourquoi a t-il fait de Pierre un Apôtre, d’Etienne un martyr et de Nicolas un confesseur? Il n’y a pas à cela d’autre raison que sa volonté.
Ainsi donc sont manifestes la déficience de la capacité humaine et l’assistance que lui porte le secours divin.
939. Il s’agit ici de l’accomplissement et du fruit du secours divin : la résurrection opérée aussi par le Christ en tant qu’il est homme. En effet, à cause de ce qu’il a accompli dans sa chair, nous obtenons le fruit de la résurrection : Ainsi donc, comme par la faute d'un seul ce fut pour tous les hommes la condamnation, de même, par l’œuvre de justice d’un seul, c'est pour tous les hommes la justification qui donne la vie MOI donc, en tant qu’homme, JE LE RESSUSCITERAI non seulement pour une vie conforme à notre nature, mais pour une vie de gloire, et cela AU DERNIER JOUR.
La foi catholique, en effet, affirme que le monde existera d’une manière nouvelle : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle Et parmi ce qui concourt au renouvellement du monde, nous croyons à l’arrêt du mouvement céleste et par conséquent du temps : Et l’ange que j’avais vu debout sur la mer et sur la terre leva sa main droite vers le ciel et jura (...) qu’il n'aurait plus de temps Parce que, le temps ayant cessé à la résurrection, le jour et la nuit cesseront à leur tour, d’après ce passage de Zacharie : Ce sera un jour unique — il est connu de Yahvé — il n'y aura ni jour ni nuit il dit : JE LE RESSUSRAI AU DERNIER JOUR.
940. Mais pourquoi le mouvement du ciel durera-t-il jusqu’à ce moment, ainsi que le temps, au lieu de cesser avant ou de se prolonger au delà? Il faut savoir que ce qui est à cause d’un autre est disposé de différentes façons, suivant la manière dont est disposé ce à cause de quoi il est. Or toutes les réalités corporelles ont été faites pour l’homme et, pour cette raison, selon que diffère la disposition de l’homme ces réalités doivent être disposées différemment. Donc, puisqu’au moment de leur résurrection commencera pour les hommes un état d’incorruptibilité — Lors donc que cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l’immortalité... alors la corruption cessera même dans les réalités du monde, et donc le mouvement du ciel cessera, lui qui est cause de génération et de corruption pour les réalités corporelles : La création, elle aussi, sera libérée de l’esclavage de la corruption en vue de la liberté de la gloire des enfants de Dieu Il s’avère donc ainsi que l’attraction du Père nous est nécessaire pour croire.
941. Par ces paroles, le Seigneur détermine d’une part le mode selon lequel l’attraction s’exerce, d’autre part son efficacité . Et il exclut qu’elle puisse s’exercer par la vision, ce que l’on aurait pu concevoir .
942. Par ces mots l’Évangéliste exprime le mode selon lequel l’attraction s’exerce. Ce mode concorde avec ce qui a été révélé précédemment de l’attraction, puisque le Père attire en révélant et en enseignant.. D’après Bède cela a été écrit dans Joël, mais cela ne semble pas y être dit expressément, bien qu’on y trouve quelque chose d’avoisinant : Et vous, fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, car il vous a donné un maître de justice Et pour cette rai son, selon Bède, le Christ dit DANS LES PROPHETES pour faire comprendre que ce sens peut être conclu de diverses paroles des Prophètes. Mais nous le remarquons de la manière la plus frappante dans Isaïe : Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur Il est dit aussi dans Jérémie : Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur, qui vous feront paître avec science et intelligence
943. Le mot TOUS peut se comprendre de trois manières : il peut désigner soit tous les hommes du monde, soit tous ceux qui sont dans l’Eglise du Christ, soit tous ceux qui seront dans le Royaume des cieux.
Si TOUS est pris dans le premier sens, il apparaît clairement que l’affirmation n’est pas vraie. En effet, le Christ ajoute aussitôt : QUICONQUE S’EST MIS A L’ECOUTE DU PERE ET A SON ECOLE VIENT A MOI – Si donc tous les hommes du monde étaient enseignés par Dieu, tous viendraient au Christ. Mais cela est faux, car tous n’ont pas la foi.
A cela il y a trois réponses. En effet, selon Chrysostome il faut dire que cela concerne la plupart des hommes. Ils seront, dit-il, TOUS, c’est-à-dire le plus grand nombre... C’est en ce sens qu’il est dit en Matthieu : Beau coup viendront de l’Orient et de l’Occident .
La deuxième réponse est que TOUS, pour autant que cela dépend de Dieu, SERONT ENSEIGNES. Mais si certains ne le sont pas, et c’est un fait, cela dépend d’eux. Le soleil en effet, quant à lui, illumine tout, mais il se peut que certains ne le voient pas s’ils ferment les yeux ou s’ils sont aveugles. C’est en ce sens que l’Apôtre dit : Dieu (...) veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité .
La troisième réponse est d’Augustin il s’agit ici d’un universel restreint par son contexte, de telle sorte qu’on dit : TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU, c’est-à-dire tous ceux qui sont enseignés sont enseignés par Dieu. Ainsi, parlant de quelqu’un qui enseigne les lettres, nous disons, s’il enseigne dans la cité : lui seul enseigne tous les enfants de la cité, parce qu’aucun n’y est enseigné si ce n’est par lui. En ce sens, il est dit plus haut : Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde
944. Si maintenant sont visés ceux qui sont dans l’Eglise, il est dit proprement qu’ILS SERONT TOUS, c’est-à-dire ceux qui sont dans l’Eglise, ENSEIGNES PAR DIEU En effet, il est dit dans Isaïe : Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur ce qui montre la transcendance de la foi chrétienne qui n’est pas liée à un enseignement humain, mais à celui de Dieu .
En effet, l’enseignement de l’Ancien Testament avait été donné par les Prophètes, mais celui du Nouveau Testament a été donné par le Fils de Dieu lui-même : Après avoir à bien des reprises et de bien des manières, c’est-à-dire dans l’Ancien Testament, parlé jadis à nos pères par les Prophètes, Dieu, en cette fin des jours, nous a parlé par le Fils; et dans la même épître : Le salut annoncé d’abord par Notre Seigneur nous a été confirmé par ceux qui l’ont entendu Ainsi donc, tous ceux qui sont dans l’Eglise sont enseignés non pas par les Apôtres ou les Prophètes, mais par Dieu lui-même. Et selon Augustin cela même qui est enseigné par l’intermédiaire d’un homme l’est par Dieu qui enseigne de l’intérieur : Vous n’avez qu’un seul maître : le Christ En effet l’intelligence, qui nous est tout particulièrement nécessaire pour recevoir l’enseignement, nous vient de Dieu.
945. Si enfin l’on considère ceux qui sont dans le Royaume des cieux, alors TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU parce qu’ils verront immédiatement son essence : Nous le verrons tel qu'il est
946. Ces mots nous révèlent que l’attraction du Père est souverainement efficace. L’Evangéliste la considère de deux manières : en tant qu’elle relève du don de Dieu lors qu’il dit : QUICONQUE S’EST MIS A L’ECOUTE, à savoir de Dieu qui révèle; en tant qu’elle relève du libre arbitre lors qu’il dit : ETA SON ECOLE, par l’adhésion de l’intelligence. Et écouter celui qui enseigne, puis saisir ce qu’on a écouté, est bien nécessaire à tout enseignement! Cela l’est donc aussi à l’enseignement de la foi.
QUICONQUE S’EST MIS À L'ECOUTE DU PÈRE qui enseigne et manifeste, ET A SON ECOLE en donnant son adhésion, VIENT A MOI – Il VIENT, dis-je, de trois manières : par la connaissance de la vérité, par l’élan de l’amour et par l’imitation de l’œuvre. Et en chacune de ces manières, il lui faut écouter et apprendre.
En effet, celui qui vient par la connaissance de la vérité doit écouter, puisque Dieu l’inspire — J’écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu et apprendre en donnant son adhésion, comme on l’a dit. Celui qui vient au Christ par l’amour et le désir — selon qu’il est dit plus loin : Si quelqu'un a soif, c’est-à-dire désire, qu'il vienne à moi et qu'il boive — doit aussi écouter la parole du Père et la faire sienne, afin d’en pénétrer le sens et pour qu’elle enflamme en lui le désir. Celui-là, en effet, apprend une parole, qui la saisit selon le sens qu’elle a pour celui qui la dit; or la Parole, le Verbe de Dieu le Père, est celui qui spire l’Amour; donc, celui qui le reçoit avec la ferveur de l’Amour apprend : La Sagesse (...) se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes Enfin, on va au Christ par l’imitation de son œuvre : Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos Et c’est encore de cette manière que quiconque apprend vient au Christ : en effet, la conclusion est au savoir ce que l’action est à l’agir. Or, dans les sciences, celui qui apprend parfaitement parvient à la conclusion; et donc, dans l’agir, celui qui apprend parfaitement les paroles en vient à l’action droite : Le Seigneur m’a ouvert l’oreille, et moi je ne me suis pas rebellé .
947. Mais parce que certains pourraient penser que les hommes entendraient sensiblement la voix du Père et apprendraient ainsi de lui, le Seigneur ajoute, afin d’exclure cette opinion : NON QUE PERSONNE AIT VU LE PERE, c’est-à-dire aucun homme en cette vie n’a vu le Père dans son essence — L'homme ne peut me voir et vivre SI CE N’EST CELUI, c’est le Fils, QUI EST DE DIEU; CELUI-LA A VU LE PERE, son Père, dans son essence. Ou bien : PERSONNE n’a vu le Père de la vision de compréhension vision que ni l’homme ni l’ange n’ont jamais eue, ni ne peuvent avoir, SI CE N’EST CELUI QUI EST DE DIEU, c’est-à-dire le Fils : Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils .
En voici la raison : puisque toute vision et connaissance se font par une certaine similitude, la connaissance que les créatures ont de Dieu découle du mode de similitude qu’el les ont par rapport à Dieu. A cause de cela, les philosophes disent que les intelligences connaissent la cause première dans la mesure où elles en ont la similitude. Et toute créature a en participation une certaine similitude de Dieu, mais infiniment distante de la similitude de sa nature; et, à cause de cela, aucune créature ne peut connaître Dieu lui-même parfaitement et totalement, selon ce qu’il est dans sa nature. Le Fils, lui, parce qu’il a reçu parfaitement toute la nature du Père par la génération éternelle, le voit totalement et le comprend.
948. Notons bien la pertinence de l’ordre du discours. En effet, lorsqu’il parlait plus haut de la connaissance des autres, le Christ a parlé en terme d’audition; mais ici, lors qu’il parle de la connaissance du Fils, il parle de vision. En effet, la connaissance par la vue est immédiate et évidente, alors que, par l’ouïe, nous connaissons par l’intermédiaire de celui qui voit Ainsi, la connaissance que nous avons du Père, nous l’avons reçue du Fils qui voit; de telle sorte que nul ne connaît le Père si ce n’est par le Christ qui le manifeste, et nul ne vient au Fils s’il n’a entendu le Père qui le manifeste.
949. Le murmure des Juifs réprimé le Seigneur prend en compte la difficulté née dans le cœur des Juifs au sujet de la parole qu’il avait dite : Moi, je suis le pain (...) qui suis descendu du ciel ; il a l’intention de prouver que c’est à son sujet qu’elle est vraie, et il argumente ainsi : Ce pain descend du ciel qui donne la vie au monde; mais MOI JE SUIS LE PAIN qui donne la vie au monde; je suis donc LE PAIN QUI SUIS DESCENDU DU CIEL.
Il répond en trois temps : En posant d’abord ce qui est comme la mineure de son raisonnement , puis la majeure, c’est-à-dire que le pain descendu du ciel doit donner la vie ; enfin il conclut . Dans le premier temps, il manifeste son propos, puis il infère ce qu’il voulait montrer comme étant prouvé.
950. Son propos est de montrer qu’il est le pain de vie. Or, pour que le pain vivifie, il faut en prendre; et il est évident que celui qui croit en le Christ le prend au-dedans de lui-même : Que le Christ habite en vos cœurs par la foi Si donc celui qui croit en le Christ a la vie, il est manifeste que c’est en mangeant ce pain qu’il est vivifié : Ce pain est donc le pain de vie. Et c’est ce qu’il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI, à savoir d’une foi formée qui rend parfaite non seulement l’intelligence, mais aussi la volonté aimante (en effet, on ne tend vers la réalité en laquelle on croit que si on l’aime), A LA VIE ETERNELLE.
Or le Christ est en nous de deux manières : dans l’intelligence par la foi, dans la mesure où il y a foi, et dans la volonté par la charité qui informe la foi : Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui Qui donc croit dans le Christ de telle sorte qu’il tende vers lui, le possède dans la volonté et l’intelligence. Et si nous ajoutons que le Christ est la vie éternelle , ainsi qu’il est dit : (...) afin que nous soyons dans le véritable, dans son Fils Jésus-Christ; celui-ci est le Dieu véritable et la vie éternelle; et plus haut : En lui était la vie nous pouvons inférer que quiconque croit en le Christ a la vie éternelle. Il l’a, dis-je, dès ici-bas, dans sa cause et en espérance; et un jour il l’aura dans sa réalité plénière.
951. Une fois son propos manifesté, il infère ce qu’il veut montrer en disant : MOI JE SUIS LE PAIN DE VIE, c’est-à-dire qui donne la vie, ainsi qu’il découle clairement des prémisses. De ce pain, il est dit : Aser, son pain est riche; il donnera leurs délices, c’est-à-dire celles de la vie éternelle, aux rois
952. En disant ces paroles, le Christ pose la majeure, c’est-à-dire que donner la vie est l’effet du pain qui descend du ciel. Il met d’abord son propos en lumière avant de l’exposer .
953. Il met son propos en lumière par son contraire. On a dit en effet plus haut que Moïse n’a pas donné aux Juifs le pain du ciel, sauf si par ciel on entend les airs or tout pain qui n’est pas du ciel véritable ne peut donner une vie suffisante : il est donc propre au pain du ciel de donner la vie. Et c’est pourquoi le pain de Moïse dont vous vous enorgueillissez ne donne pas la vie. Il le prouve en disant : VOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT ET ILS SONT MORTS.
Ici, il leur reproche d’abord leur vice en disant : VOS PERES. En effet, vous en êtes les fils non seulement selon l’origine de la chair, mais aussi par l’imitation des œuvres, puisque vous êtes de la race de ceux qui murmurent, comme eux-mêmes murmurèrent sous leurs tentes et c’est pourquoi il leur disait : Vous mettez un comble à la mesure de vos pères Aussi saint Augustin dit-il qu’en aucune chose le peuple n’a plus offensé Dieu qu’en murmurant contre lui .
En second lieu, il laisse entendre que le laps de temps fut bref, lorsqu’il dit DANS LE DESERT En effet il ne dura pas, le temps pendant lequel la manne leur fut donnée : pro diguée au désert, elle ne leur fut plus donnée après leur entrée en terre promise, comme le dit le livre de Josué Ce pain-là, par contre, maintient en vie et restaure pour l’éternité ceux qui le mangent .
Il manifeste enfin les limites de cette nourriture : elle ne maintient pas la vie indéfiniment. C’est pour cela qu’il dit : ET ILS SONT MORTS. De fait, selon le livre de Josué, tous ceux qui, à l’exception de Josué et de Caleb, avaient murmuré moururent au désert. Telle fut la cause de la seconde circoncision : tout le peuple qui était sorti d’Egypte était mort au désert, comme le dit le livre de Josué
954. Mais on peut se demander de quelle mort Dieu parle ici. En effet, s’il parle de la mort corporelle, il n’y aura aucune différence entre le pain du désert et notre pain qui descend du ciel, parce que même les chrétiens qui prennent ce pain connaissent la mort physique. Mais s’il parle de la mort spirituelle, il est clair que dans les deux cas, certains meurent spirituellement, d’autres pas. En effet, Moïse et la foule de ceux qui plurent au Seigneur échappèrent à la mort, alors que d’autres la connurent. De même, ceux qui prennent ce pain indignement meurent spirituellement : Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement (...), c’est sa propre condamnation qu’il mange et boit .
A cela il faut répondre que la nourriture prodiguée au désert possède un point commun avec notre nourriture spirituelle, en tant que les deux signifient la même réalité : en effet l’une et l’autre signifient le Christ. C’est pour cela qu’on dit qu’elles sont la même nourriture : Tous ont mangé la même nourriture spirituelle et tous ont bu la même boisson spirituelle — ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ Il dit la même parce que l’une et l’autre sont la figure de la nourriture spirituelle. Mais elles diffèrent parce que la manne la figurait seulement, tandis que ce pain con tient ce qu’il figure, c’est-à-dire le Christ lui-même .
Il faut donc dire que dans l’un et l’autre cas, on peut se nourrir de deux manières. Ou bien on prend la nourriture en regardant matériellement le signe, c’est-à-dire qu’on en use comme d’une simple nourriture terrestre sans en saisir la signification, et prise ainsi elle ne supprime ni la mort spi rituelle, ni la mort physique. Ou bien on la prend sous ses deux aspects de signe et de signifié, c’est-à-dire que l’on prend la nourriture visible de telle sorte que l’on saisisse la nourriture spirituelle, qu’on la goûte spirituellement pour être spirituellement rassasié. Ainsi ceux qui ont mangé la manne spirituellement ne sont pas morts spirituellement. Mais ceux qui mangent l’Eucharistie spirituellement, c’est-à-dire sans péché, vivent spirituellement maintenant, et vivront avec leurs corps pour l’éternité. Notre nourriture a donc ceci de plus que la leur : elle contient en elle ce qu’elle figure.
955. Son propos étant manifesté, le Christ infère ici ce qu’il veut montrer. Et selon la Glose, il dit TEL en se désignant lui-même . Mais ce n’est pas là la pensée du Seigneur, car en ajoutant aussitôt : MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL, il ne ferait que se répéter.
Il faut donc dire que l’intention du Seigneur est la suivante : descend du ciel le pain qui peut donner la vie; or moi, je suis tel; donc, je suis LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL. Et si LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL donne la vie sans fin, c’est parce que tout aliment nourrit selon la propriété de sa nature. Or les réalités célestes sont incorruptibles; donc cette nourriture, étant céleste, ne se corrompt pas, et par conséquent vivifie aussi longtemps qu’elle demeure. Celui donc qui en aura mangé ne mourra pas. De même que si une nourriture corporelle ne se corrompait jamais, en nourrissant elle ne cesserait de vivifier. Voilà pourquoi ce pain a été signifié par l’arbre de vie qui, au milieu du paradis, donnait d’une certaine manière la vie pour toujours : Et maintenant, il ne faudrait pas qu’Adam avance la main et qu’il prenne aussi de l’arbre de vie, qu'il en mange et vive à jamais Si l’effet de ce pain est que celui qui en mange ne meure pas, moi aussi je suis tel, et donc…
956. A propos du verset suivant, il développe deux aspects. Il parle d’abord de lui-même d’une manière générale puis de manière précise à propos de son corps . A son sujet, il souligne deux aspects : il conclut d’abord quant à sa propre origine puis il dévoile sa puissance .
957. Il dit donc, MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT, et c’est pourquoi je peux donner la vie. Le pain corporel en effet ne vivifie pas pour l’éternité, parce qu’il n’a pas la vie en lui-même. Mais s’il vivifie, c’est en étant altéré et transformé en nourriture par la puissance du vivant.
QUI SUIS DESCENDU DU CIEL : on a exposé plus hautcomment il en était descendu Par là sont exclues les hérésies de ceux qui disent que le Christ n’est qu’un homme, parce que s’il en était ainsi, il ne serait pas descendu du ciel.
958. Sa puissance est de donner la vie éternelle, et c’est pourquoi il dit : SI QUELQU’UN MANGE DE CE PAIN, c’est-à-dire spirituellement, IL VIVRA non seulement dans le présent par la foi et la justice, mais ETERNELLEMENT : Quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour l’éternité .
959. Ensuite, il parle d’une manière particulière de son corps lorsqu’il dit : ET LE PAIN QUE MOI JE DONNERAI, C’EST MA CHAIR. Il avait dit en effet qu’il était LE PAIN VIVANT, et pour qu’on ne comprenne pas que cela lui appartient seulement en tant que Verbe, ou en raison de son âme, il montre que sa chair elle-même est vivifiante; elle est en effet l’organe de sa divinité. C’est pourquoi, puisque l’instrument agit par la vertu de l’agent, de même que la divinité du Christ est vivifiante, ainsi, comme le dit Damascène sa chair aussi vivifie par la puissance du Verbe auquel elle est liée. De là vient que le Christ, par son toucher, guérissait les infirmes. Ainsi donc, ce qu’il a dit plus haut, MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT, relève de la puissance du Verbe, mais ce qu’il ajoute ici relève de la communion à son corps, c’est-à-dire au sacrement de l’Eucharistie.
960. Nous pouvons ici, à propos de ce sacrement, prendre quatre points en considération : l’espèce, l’autorité de celui qui l’institue, la vérité du sacrement et son utilité.
L’espèce de ce sacrement est le pain : Venez et mangez mon pain La raison en est que c’est le sacrement du corps du Christ. Et le corps du Christ est l’Eglise qui, à partir de la multitude des fidèles, s’érige dans l’unité d’un corps. C’est donc le sacrement de l’unité de l’Eglise : Nous sommes un seul corps dans le Christ Ainsi, parce que le pain est fait de grains multiples et divers, il est l’espèce convenant à ce sacrement : ET LE PAIN QUE MOI JE DONNERAI, C’EST MA CHAIR
961. L’auteur de ce sacrement est le Christ. De fait, bien que le prêtre consacre, c’est le Christ lui-même qui confère au sacrement sa vertu parce que le prêtre consacre en la personne du Christ (in persona Christi). Aussi, dans les autres sacrements, le prêtre fait usage de ses propres paroles — c’est-à-dire celles de l'Eglise —, mais dans celui-ci, il reprend les paroles du Christ, parce que, de même que le Christ a livré son corps à la mort de sa propre volonté, de même c’est par sa puissance qu’il se donne en nourriture : Prenant le pain, il le bénit et le rompit, le donna à ses disciples et dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps Et c’est pour cela qu’il dit QUE MOI JE DONNERAI; et il dit DONNERAI parce que ce sacrement n’avait pas encore été institué.
962. Quant à la vérité de ce sacrement, il la laisse entendre en disant C’EST MA CHAIR. Il ne dit pas "signifie ma chair" mais EST MA CHAIR, parce que selon la vérité de la réalité, la nourriture prise est vraiment le corps du Christ : Les hommes de sa maison n'ont-ils pas dit : Qui a donné de sa chair pour que nous soyons rassasiés? Mais puisque dans ce sacrement est contenu le Christ tout entier, pourquoi a-t-il dit seulement : C’EST MA CHAIR? Sur ce point, il faut savoir que dans ce sacrement d’amour le Christ tout entier est vraiment contenu, mais alors que le corps y est contenu en vertu de la conversion desespèces , la divinité et l’âme, elles, y sont par concomitance naturelle. En effet, si par impossible la divinité était séparée du corps du Christ, elle ne serait plus dans le sacrement. De même si, au cours des trois jours de sa mort, quelqu’un avait consacré, l’âme du Christ n’aurait pas été présente, mais son corps, tel qu’il était en croix ou au sépulcre. Et il dit CHAIR aussi pour une autre raison : puisque ce sacrement est le mémorial de la Passion du Seigneur — Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur et que la Passion du Seigneur fut possible grâce à la faiblesse du corps — Il a été crucifié à cause de sa faiblesse pour signifier cette faiblesse à cause de laquelle il est mort, il préfère dire CHAIR; ce nom, en effet, signifie la faiblesse.
963. Enfin, l’utilité de ce sacrement est grande et universelle. Elle est grande parce qu’elle produit en nous dès maintenant la vie spirituelle, et finalement la vie éternelle, ainsi qu’on l’a dit En effet, comme l’a fait apparaître l’ex posé, puisque ce sacrement est celui de la Passion du Seigneur, il contient en lui le Christ souffrant; donc, tout ce qui est effet de la Passion du Seigneur l’est aussi en plénitude de ce sacrement. Ce sacrement n’est en effet rien d’autre que la Passion du Seigneur qui nous est communiquée. En effet, il ne convenait pas que le Christ soit toujours avec nous selon le mode de sa présence physique.Pour cette raison, il a voulu y suppléer par le moyen de ce sacrement. Il est ainsi évident que la destruction de la mort que le Christ a opérée en mourant et le renouvellement de la vie qu’il a réalisé en ressuscitant sont l’effet de ce sacrement.
964. Son utilité est aussi universelle, parce que la vie qu’il confère n’est pas seulement la vie pour un homme, mais, quant au sacrement, pour le monde entier, vie à laquelle la mort du Christ suffit : Il est lui-même expiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier
Il faut remarquer qu’autre est la manière dont le Christ est dans ce sacrement, autre celle dont il est dans les autres. En effet, les autres sacrements ont des effets sur un individu; dans le baptême par exemple, seul le baptisé reçoit la grâce. Mais dans l’immolation de ce sacrement, l’effet est universel, puisque non seulement le prêtre en bénéficie, mais aussi ceux pour lesquels il prie et toute l’Eglise, tant celle des vivants que celle des morts, et cela parce qu’en lui est contenue la cause universelle de tous les sacrements, c’est-à-dire le Christ Cependant, si un laïc consomme ce sacrement , celui-ci n’est pas utile aux autres s’il est considéré dans sa puissance propre de sacrement en tant qu’il est consommé; mais en vertu de l’intention du célébrant et du communiant, il peut être communiqué à tous ceux vers qui ils dirigent leur intention. Il ressort de là que les laïcs qui consomment l’Eucharistie pour le salut de ceux qui sont dans le purgatoire sont dans l’erreur.
L’APAISEMENT DU LITIGE SURGI À PROPOS DE LA CONSOMMATION DE CETTE NOURRITURE.
965. Plus haut, le Seigneur a réprimé le murmure des Juifs né au sujet de l’origine de la nourriture spirituelle. Ici, il met fin au litige qui les opposait sur la consommation de cette nourriture. L’Evangéliste expose d’abord le litige que le Seigneur fait cesser , puis il indique le lieu où cela se passa .
966. L’Évangéliste introduit le litige par mode de conclusion en disant : LES JUIFS DONC DISPUTAIENT ENTRE EUX; et c’est à juste titre. En effet, d’après Augustin le Seigneur leur avait parlé de la nourriture de l’unité par laquelle ceux qui sont restaurés sont rassemblés en un même esprit : Les justes festoieront et ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront d’une grande joie ce qui continue ainsi, d’après une autre version : Lui qui fait habiter ceux qui sont d'un même esprit dans sa maison . Les Juifs, puisqu’ils n’avaient pas con sommé la nourriture qui unit les cœurs, étaient donc en conflit : Voici, vous ne vivez que pour vos querelles et vos rivalités . Du fait qu’ils étaient en conflit, ils montraient qu’ils se comportaient selon la chair : Puisque l’envie et la rivalité sont entre vous, n'êtes-vous pas de la chair . Et pour cette raison, ils comprenaient ces paroles du Seigneur selon la chair, c’est-à-dire qu’on mangerait la chair du Christ comme une nourriture terrestre. Ainsi, ils disent : COMMENT CELUI-CI PEUT-IL NOUS DONNER SA CHAIR A MANGER? comme s’ils disaient : c’est impossible; c’est ainsi que leurs pères aussi avaient parlé contre le Seigneur : Notre âme est dégoûtée de cette nourriture sans consistance .
967. Mais le Seigneur met fin à ce litige. Il expose d’abord quelle vertu est liée à la consommation de cette nourriture avant d’en donner l’évidence . Il met fin au litige en montrant la nécessité de manger sa chair , l’utilité de cet acte et la vérité de cet aliment .
968. Jésus leur dit ces mots comme pour exprimer ceci : vous tenez pour impossible et inconvenant de manger ma chair; or non seulement ce n’est pas impossible, mais c’est même tout à fait nécessaire dans la mesure où, SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L’HOMME ET NE BUVEZ SON SANG, VOUS N’AUREZ PAS, c’est-à-dire que vous ne pourrez pas avoir EN VOUS LA VIE, sous-entendu spirituelle. En effet, de même que la nourriture corporelle est si nécessaire à la vie corporelle que, sans elle, la vie corporelle ne peut pas être — Ils donnent leurs objets précieux pour de la nourriture qui leur rendrait la vie et dans le psaume : Le pain fort le cœur de l’homme ainsi la nourriture spirituelle est nécessaire à la vie spirituelle à tel point que, sans elle, la vie spirituelle ne peut être maintenue : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu .
969. Notons aussi que cette affirmation peut se rapporter soit à la manducation spirituelle soit à la manducation sacramentelle. Si elle se rapporte à la manducation spirituelle, elle n’offre aucune difficulté. En effet, mange spirituellement la chair du Christ et boit son sang celui qui est fait participant de l’unité de l’Eglise réalisée par la charité : Parce qu’il n a qu’un pain, plusieurs nous ne sommes qu’un corps, car tous, nous participons à ce pain unique . Donc celui qui ne mange pas ainsi est hors de l’Église et par conséquent hors de la charité; c’est pourquoi il n’a pas la vie en lui : Celui qui n’aime pas demeure dans la mort .
Mais si elle se rapporte à la manducation sacramentelle, ce qui est dit pose un problème. De fait, il est dit plus haut : Personne, à moins de renaître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume des cieux . Et on retrouve ici une formulation semblable : SI VOUS NE MANGEZ PAS LA CHAIR DU FILS DE L’HOMME... Donc, puisque le baptême est un sacrement nécessaire, il apparaît que l’Eucharistie l’est aussi. Cela, les Grecs le reconnaissent ; de là vient qu’ils donnent l’Eucharistie aux enfants immédiatement après leur baptême, et là ils ont pour eux le rite de Denys qui dit que la réception de n’importe quel sacrement doit s’achever dans la communion à l’Eucharistie, qui est la consommation de tous les sacrements. Mais cela est vrai pour les adultes, non pour les enfants, puisque de celui qui reçoit l’Eucharistie est exigée en acte une attitude de crainte respectueuse et une soumission aimante; ceux qui n’ont pas l’usage de leur libre arbitre, comme les enfants ou ceux qui ont perdu la raison, ne peuvent avoir cette disposition et c’est pour quoi en aucune manière il ne faut leur donner l’Eucharistie.
Il faut donc dire que le baptême, dans sa forme sacramentelle, est nécessaire à tous pour que la grâce sacramentelle soit réellement reçue : sans lui, nul n’est régénéré à la vie. C’est pour cela qu’il faut qu’on l’ait sensiblement, ou par le désir pour ceux qui s’y disposent. En effet, si quelqu’un rejette par mépris le baptême de l’eau, ni celui du feu, ni celui du sang ne lui serviraient pour la vie éternelle. Le sacrement de l’Eucharistie, lui, est nécessaire pour les adultes seulement, qu’il soit reçu sensiblement ou par le désir selon les normes fixées par l’Eglise.
970. Mais sur ce point, une autre difficulté s’élève, parce que, d’après ces paroles du Seigneur, non seulement manger son corps, mais aussi boire son sang est nécessaire au salut, étant donné que la nourriture ne restaure pas parfaitement sans la boisson. Or la coutume de certaines Eglises est que le prêtre seul communie au sang et que les autres communient seulement au corps : ce fait paraît s’opposer à cette affirmation du Christ.
Je réponds en disant que, selon une antique coutume de l’Eglise, tous communiaient au sang comme au corps, ce qui, maintenant encore, est conservé dans certaines Eglises où toujours ceux qui servent à l’autel communient aussi au corps et au sang. Mais à cause du risque de le renverser, dans certaines Eglises on a retenu que le prêtre seul communiait au sang, les autres au corps. Cependant, ce n’est pas con traire à la sentence du Seigneur : celui qui communie au corps communie aussi au sang puisque, sous chacune des deux espèces, est contenu tout le Christ avec son corps et son sang. Mais sous les espèces du pain, le corps du Christ est contenu en vertu de la conversion, le sang à cause de la concomitance naturelle; et sous les espèces du vin, le sang du Christ est contenu en vertu de la conversion, le corps à cause de la concomitance naturelle.
On voit ainsi la nécessité de prendre cette nourriture spirituelle.
971. Les paroles qui suivent montrent l’utilité de ce sacrement d’abord quant à l’esprit ou l’âme ensuite quant au corps .
972. L’utilité de cette manducation est donc grande puisqu’elle donne la vie éternelle, ce qui fonde l’affirmation du Seigneur. Cette nourriture spirituelle, en effet, est semblable en quelque sorte à la nourriture corporelle en ce sens que, sans elle, il ne peut y avoir de vie spirituelle, pas plus qu’il ne peut y avoir de vie corporelle sans nourriture corporelle, comme on l’a dit. Mais en outre, il lui appartient de causer une vie sans fin en celui qui la prend, ce que la nourriture corporelle ne réalise pas. En effet, ce n’est pas pour l’avoir prise qu’on vivra, car, comme le dit Augustin, "il peut se faire que, par la vieillesse, la maladie ou quelque autre cause, ceux qui l’ont prise meurent" Au contraire, celui qui prend cette nourriture et cette boisson, c’est-à-dire celle du corps et du sang du Seigneur, A LA VIE ETERNELLE. C’est pour cela qu’elle est comparée à l’arbre de vie : C’est un arbre de vie pour celui qui l’aura saisie , et de là vient qu’elle est appelée pain de vie : La Sagesse l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence Il dit donc LA VIE ETERNELLE, parce que celui qui mange ce pain a en lui le Christ qui est le Dieu véridique et la vie éternelle Mais celui-ci a la vie éternelle qui mange et boit comme il le faut : non seulement sacramentellement, mais aussi spirituellement. En effet, celui-ci mange et boit sacramentellement qui se limite à consommer ce sacrement; mais il mange et boit spirituellement, celui qui atteint la réalité du sacrement dans ses deux dimensions : l’une signifiée et contenue, qui est le Christ dans son intégrité, caché sous les espèces du pain et du vin; l’autre signifiée mais non pas contenue : le corps mystique du Christ, qui est dans les prédestinés, les appelés, les justifiés
Ainsi donc, il mange la chair et boit le sang spirituellement en référence au Christ contenu et signifié, celui qui lui est uni par la foi et la charité, de telle sorte qu’il est transformé en lui et en devient membre. En effet, cette nourriture ne se change pas en celui qui la prend; elle le change en elle, d’après ce passage d’Augustin : "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais c’est toi qui seras changé en moi" Et c’est pourquoi elle est la nourriture qui a le pouvoir de diviniser l’homme et de l’enivrer de la divinité.
Il en va de même en référence au corps mystique seulement signifié si celui qui communie devient participant de l’unité de l’Eglise. Donc, celui qui mange ainsi A LA VIE ETERNELLE. En référence au Christ, on l’a suffisamment montré. De même en référence au corps mystique, il aura nécessairement la vie éternelle s’il persévère. En effet, l’unité de l’Eglise est réalisée par l’Esprit Saint— Il n a qu’un corps et un Esprit —, qui d’après le début de l’épître est le gage de notre héritage Elle est donc grande, l’utilité de cette nourriture, puisqu’elle donne la vie éternelle à l’âme. Mais elle est grande encore parce qu’elle donne la vie éternelle au corps.
973. En effet, ainsi qu’on l’a dit, celui qui mange et boit spirituellement devient participant de l’Esprit Saint par qui nous sommes unis au Christ dans l’union de la foi et de la charité, et par qui nous sommes faits membres de l’Eglise. Et la résurrection, l’Esprit Saint nous donne de la mériter : Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité d’entre les morts le Christ Jésus fera vivre aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous Et c’est pourquoi le Seigneur dit que celui qui mange et boit ressuscitera pour la gloire — et non pour la condamnation, parce qu’il ne vaut pas la peine de ressusciter ainsi.
Et c’est assez justement que l’on attribue un tel effet au sacrement de l’Eucharistie parce que, comme le dit Augustin — on l’a d’ailleurs mentionné plus haut le Verbe ressuscite les âmes, mais le Verbe fait chair vivifie les corps. Or, dans ce sacrement, le Verbe n’est pas seulement selon sa divinité, mais aussi selon la vérité de sa chair, et c’est pour quoi il n’est pas seulement cause de la résurrection spirituelle, mais aussi de la résurrection des corps : Par un homme vient la mort, par un homme aussi la résurrection des morts L’utilité de cette manducation est donc manifeste.
974. Le Seigneur montre par là la vérité de la manducation. On pourrait en effet croire que tout ce qui a été dit de sa chair et de son sang est allégorie et parabole Et c’est pourquoi, excluant cette interprétation, il dit : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE, comme s’il disait : Ne pensez pas que je parle en figure, mais c’est en vérité que MA CHAIR est contenue dans la nourriture des croyants ET MON SANG dans le sacrement de l’autel : Ceci est mon corps (...) et ceci est mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance .
Cette vérité peut être comprise différemment, d’après Chrysostome. La nourriture et la boisson sont prises pour restaurer l’homme. Or il y a dans l’homme deux parties : l’une principale qui est l’âme, l’autre secondaire qui est le corps. Et l’homme est ce qu’il est par son âme et non par son corps. Est donc vraiment la nourriture de l’homme ce qui est la nourriture de l'âme . Et c’est ce que dit le Seigneur : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE parce qu’elle n’est pas seulement la nourriture du corps mais aussi de l’âme. De même pour le sang : Vers les eaux du repos il me mène, il convertit mon âme comme s’il disait : cette réfection est spécialement ordonnée à l’âme.
Ou encore, d’après Augustin on dit en vérité que quelque chose est telle réalité si cela en produit l’effet; or l’effet de la nourriture est de rassasier. Donc ce qui rassasie vraiment est vraiment une nourriture et une boisson. C’est bien ce que réalisent le corps et le sang du Christ, parce qu’ils conduisent à l’état de gloire où il n’y a ni faim ni soif ils n’auront plus ni faim ni soif; et c’est pour cela qu’il dit : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE ET MON SANG EST VRAIMENT UNE BOISSON.
975. Le Seigneur prouve ensuite la vertu de la nourriture spirituelle mentionnée plus haut, à savoir qu’elle donne la vie éternelle, et il argumente ainsi : QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG m’est uni; mais qui m’est uni A LA VIE ETERNELLE; donc QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE. Il pose donc d’abord la majeure , puis la mineure, qu’il prouve ; enfin, il infère la conclusion .
976. Il faut savoir, quant au premier point, que si ce que le Seigneur dit se rapporte à la chair et au sang mystiquement parlant, il n’y a aucune difficulté dans cette parole. En effet, comme on l’a dit, il mange spirituellement en référence seulement à la réalité signifiée, celui qui est incorporé au corps mystique par l’union de foi et de charité : la charité fait que Dieu est dans l’homme et réciproquement — Qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui ; et cela, l’Esprit Saint aussi le réalise : En cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : à ce qu’il nous adonné de son Esprit .
Mais si l’on réfère cette affirmation à la consommation sacramentelle, alors, de ceux qui mangent la chair et boivent le sang, tous ne demeurent pas en Dieu. Parce que, comme le dit Augustin il y aune manière de manger cette chair et de boire ce sang telle que celui qui mange et boit demeure dans le Christ et le Christ en lui, s’il mange son corps et boit son sang non pas simplement sacramentellement, mais aussi selon la vérité de la réalité contenue dans le sacrement. Et il est une autre manière de manger telle qu’on ne demeure pas dans le Christ ni le Christ en soi. C’est le cas de ceux qui s’approchent de ce sacrement avec un cœur mensonger; car dans un tel cœur, le sacrement n’a aucun effet. Il y a mensonge, en effet, quand ce qui est signifié à l’extérieur n’a pas de correspondance intérieure. Mais dans le sacrement de l’Eucharistie, il est signifié extérieurement que le Christ est incorporé à celui qui le reçoit, et lui au Christ. Donc, celui qui n’a pas dans son cœur le désir de cette union et qui ne s’efforce pas d’écarter tout ce qui y fait obstacle, est mensonger. C’est pourquoi le Christ ne demeure pas en lui, ni lui dans le Christ .
977. Le Christ pose ici la mineure, à savoir que celui qui lui est uni a la vie; et il l’induit en révélant la similitude sui vante : le Fils, à cause de son unité avec le Père, reçoit la vie du Père; donc, celui qui est uni au Christ reçoit la vie du Christ : COMME LE PERE QUI EST VIVANT M’A ENVOYE, ET QUE MOI JE VIS A CAUSE DUPERE... Ces paroles peu vent être explicitées de deux manières au sujet du Christ : selon sa nature humaine ou selon sa nature divine. Si elles se rapportent au Christ Fils de Dieu, alors le COMME implique une similitude du Christ avec la créature sur un point (mais non pas sur tous) : le fait d’être d’un autre. Il est en effet commun au Christ Fils de Dieu et à la créature d’être d’un autre. Mais d’un autre point de vue, il y a dissimilitude, parce que le Fils a ceci de propre qu’il est du Père de telle sorte qu’il reçoit cependant toute la plénitude de la nature divine en tant que tout ce qui par nature est au Père est aussi par nature au Fils (alors que la créature, elle, reçoit une certaine perfection et une nature particulière) : Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même . Il le montre en ne disant pas : "Comme je mange le Père et que moi je vis à cause du Père", puisqu’il parle ici de sa procession, alors qu’à notre sujet il dit : CELUI QUI ME MANGE VIVRA A CAUSE DE MOI, puisqu’il parle de la participation à son corps et à son sang, qui nous rend meilleurs (la manducation exprime, de fait, une certaine participation). Mais le Christ affirme qu’il vit A CAUSE DU PERE non pas en le mangeant, mais en étant engendré par lui sans que cela supprime l’égalité.
Mais si ces paroles s’entendent du Christ-homme, COMME implique alors, sur un point, une similitude entre le Christ-homme et nous, en ceci que, comme le Christ-homme reçoit la vie spirituelle par l’union à Dieu, de même nous aussi recevons la vie spirituelle par la communion au sacrement. Mais il y a dissimilitude du fait que le Christ-homme reçoit la vie par union au Verbe avec lequel il est une unique personne, alors que nous sommes unis au Christ par le sacrement de la foi. Et c’est pourquoi il affirme à la fois : M’A ENVOYE, et PERE. Si donc on réfère le pas sage au Fils de Dieu, alors il affirme : MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce que le Père est vivant. Mais si on le réfère au Fils de l’homme, alors il affirme : MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce qu’il M’A ENVOYE, c’est-à-dire, il a fait que je m’incarne. En effet, la mission du Fils de Dieu est son Incarnation : Dieu a envoyé son Fils, engendré d’une femme, engendré sous la Loi
978. Par ces paroles, selon Hilaire , est exclue l’erreur d’Arius. Si en effet nous vivons à cause du Christ, parce que nous possédons quelque chose de sa nature, comme il le dit lui-même : QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE, le Christ vit donc aussi à cause du Père parce qu’il possède en lui la nature du Père, non pas une partie de celle-ci — elle est simple et indivisible — mais toute la nature du Père. Ainsi le Fils vit à cause du Père, la naissance ne lui apportant pas une nature autre, ni numériquement ni spécifiquement.
979. Le Seigneur tire ici deux conclusions. En effet, les Juifs controversaient sur deux points : l’origine de la nourriture spirituelle et sa vertu. La première conclusion porte sur l’origine ; et la seconde, qu’il a principalement en vue, sur la vertu .
980. Au sujet de l’origine, rappelons que les Juifs avaient été troublés par ce qu’il avait dit : Moi je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel et c’est pourquoi, contre eux, il le conclut à nouveau du fait de son affirmation : JE VIS A CAUSE DE MON PERE lorsqu’il dit : TEL EST LE PAIN. En effet, descendre du ciel, c’est tenir son origine du ciel; or le Fils tire son origine du ciel parce qu’il vit par le Père. Donc le Christ est celui qui descend du ciel. Et c’est pourquoi il dit : TEL EST LE PAIN QUI EST DESCENDU, quant à la divinité, DU CIEL, c’est-à-dire de la vie paternelle; ou bien EST DESCENDU aussi quant à son corps, en tant que la puissance qui l’a formé, l’Esprit Saint, puisqu’elle vint du ciel, est une puissance céleste. Voilà pourquoi ceux qui mangent ce pain ne meurent pas à la manière dont sont morts nos pères qui ont mangé la manne, et cela parce que la manne ne descendit pas du ciel véritable et n’était pas le pain vivant, comme on l’a dit plus haut Quant à la manière dont sont morts ceux qui ont mangé la manne, elle est manifeste en raison de ce qui a été dit.
981. Il tire la seconde conclusion, au sujet de la vertu du pain, en disant : CELUI QUI MANGE CE PAIN VIVRA ETERNELLEMENT, conclusion qui découle de ceci : QUI MANGE MA CHAIREn effet, celui qui mange ce pain demeure en moi et moi en lui; or moi je suis la vie éternelle, donc CELUI QUI MANGE CE PAIN comme il le faut VIVRA ETERNELLEMENT. IL DIT CES CHOSES DANS LA SYNAGOGUE, AU COURS DE SON ENSEIGNEMENT À CAPHARNAÜM.
982. Le Christ enseignait à Capharnaüm. On précise ici le lieu dans lequel Jésus tint ces propos. Voulant en effet attirer la multitude, il enseignait dans le Temple et à la synagogue cela pour que, parmi la multitude, au moins quelques-uns en profitent — J’ai annoncé ta justice dans la grande assemblée
La scène qui suit se passa vraisemblablement en dehors de la synagogue.
L’évangéliste ne dit plus rien au sujet de la foule des « Juifs », qui se dispersa sans doute peu à peu, en
voyant ses espérances messianiques désappointées ; mais il expose en quelques lignes profondément senties
la crise qui éclata alors parmi les disciples de Jésus. - Beaucoup... l’entendant. Mieux : qui l’entendaient,
d’après le grec. - De ses disciples. Par conséquent, la multitude est exclue ; mais les versets 68 et ss.
démontrent qu’il s’agit des disciples dans le sens large, qui étaient alors fort nombreux en Galilée, comme
nous l’ont appris les synoptiques. - Cette parole est dure. Les paroles de Jésus qu’ils se permettaient de
caractériser d’une manière si irrespectueuse étaient celles de la fin, l’ordre de manger sa chair et de boire son
sang (c’est à bon droit l’opinion commune des interprètes ). Ils osent leur appliquer l’épithète grec qui
signifie proprement : sec, dur ; au figuré : désagréable, pénible à accepter, choquant, « intolérable », dit
Tertullien (« obscur » ne serait pas une bonne traduction, car l’auditoire avait fort bien compris et n’avait
demandé aucun commentaire à l’orateur). Cf. Gen. 21, 11 dans les Septante ; 43, 7 ; Prov. 15, 1 ; Matth. 25,
24 ; Jud. Verset 15. - Et qui peut l’écouter ? Comment entendre un discours si révoltant sans en être
scandalisé ? Qui est de force à l’écouter de sang-froid ?
La première annonce de l’Eucharistie a divisé les disciples, tout comme l’annonce de la Passion les a scandalisés : " Ce langage-là est trop fort ! Qui peut l’écouter ? " (Jn 6, 60). L’Eucharistie et la croix sont des pierres d’achoppement. C’est le même mystère, et il ne cesse d’être occasion de division. " Voulez-vous partir, vous aussi ? " (Jn 6, 67) : Cette question du Seigneur retentit à travers les âges, invitation de son amour à découvrir que c’est Lui seul qui a " les paroles de la vie éternelle " (Jn 6, 68) et qu’accueillir dans la foi le don de son Eucharistie, c’est l’accueillir Lui-même.