Luc 15, 16
Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Ce qui donne à l'aîné plus de constance dans le bien, c'est moins son âge avancé et ses cheveux blancs que sa maturité et la gravité du caractère; et celui qui est ici condamné n'est pas le plus jeune par l'âge, mais celui qui, jeune par sa conduite, suit les inspirations de ses passions.
Saint Luc raconte successivement trois paraboles de Notre-Seigneur, celle de la brebis égarée et ramenée au bercail, celle de la drachme qui était perdue et qui fut retrouvée, et celle du fils qui était mort et qui fut ressuscité, pour que la vue de ces trois remèdes différents nous engage à guérir nos propres blessures. Jésus-Christ, comme un bon pasteur, vous porte sur ses épaules; l'Église vous cherche comme cette femme qui avait perdu sa drachme; Dieu vous reçoit comme un tendre père; dans la première parabole, nous voyons la miséricorde de Dieu; dans la seconde, les suffrages de l'Église; dans la troisième, la réconciliation.
Vous voyez que le patrimoine que nous tenons de Dieu est donné à tous ceux qui le demandent, et ne pensez pas que le père ait commis une imprudence en le donnant au plus jeune de ses fils. Pour le royaume de Dieu, nul âge n'est trop faible, et les années ne sont jamais un poids trop lourd pour la foi. D'ailleurs ce jeune homme s'est jugé capable d'administrer ce patrimoine, puisqu'il en demande le libre usage. Et plût à Dieu qu'il ne se fût pas éloigné de son père, il n'eût pas connu l'impuissance de l'âge: «Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant rassemblé tout ce qu'il avait, partit pour une région lointaine», etc.
C'est par une juste punition qu'il tombe dans l'indigence, lui qui a volontairement abandonné les trésors de la sagesse et de la science de Dieu, et la source inépuisable des richesses célestes: «Il alla donc, et s'attacha à un habitant de ce pays-là».
La silique (ou ce que la Vulgate a traduit par ce mot), est une espèce de légume vide au-dedans et assez tendre à l'extérieur, qui remplit le corps sans le fortifier, et qui, par conséquent, est plus nuisible qu'utile.
Quel éloignement plus grand, en effet, que de s'éloigner de soi-même et d'être séparé, non par la distance des contrées, mais par la différence des moeurs? Celui, en effet, qui se sépare de Jésus-Christ, est un exilé de sa patrie et un habitant du monde. Et il n'est pas surprenant qu'en s'éloignant de l'Église, il ait dissipé son patrimoine.
Il survint dans cette région une grande disette, non d'aliments, mais de bonnes oeuvres et de vertus, privation des plus déplorables. En effet, celui qui s'éloigne de la parole de Dieu, ressent bientôt l'aiguillon de la faim; car l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu ( Mt 4,4 ); et celui qui s'éloigne d'un trésor, tombe dans l'indigence. Il commença donc à se trouver dans l'indigence et à souffrir de la faim, parce que rien ne peut suffire à une volonté prodigue. «Il s'en alla donc, et s'attacha à un habitant do ce pays»; car celui qui s'attache est comme pris au piège; cet habitant paraît être le prince de ce monde. L'infortuné est envoyé dans cette maison des champs achetée par celui qui s'est excusé de venir au festin royal ( Lc 14,18 ).
Il garde les pourceaux dans lesquels le démon a prié qu'on le laissât entrer ( Mt 8,31 Mc 5,12 Lc 8,32 ), et qui vivent dans l'ordure et le fumier.
Il désirait remplir son ventre de ces siliques; parce que ceux qui mènent une vie dissolue n'ont d'autre souci que de satisfaire pleinement leurs instincts grossiers.
Il y a encore entre ces trois paraboles une différence fondée sur les personnes ou les dispositions des pécheurs; ainsi le père accueille son fils repentant, qu'il a laissé user de sa liberté pour lui faire connaître d'où il était tombé, tandis que le pasteur cherche sa brebis égarée et la rapporte sur ses épaules, parce qu'elle était incapable de revenir; cette brebis, animal dépourvu de raison, est donc la figure de l'homme imprudent qui, victime de ruses étrangères, s'est égaré comme une brebis. Or Notre-Seigneur commence ainsi cette parabole: «Un homme avait deux fils». Il en est qui prétendent que le plus âgé de ces deux fils figure les anges, et que le plus jeune représente l'homme qui s'en alla dans une région lointaine, lorsqu'il tomba des cieux et du paradis sur la terre, et ils appliquent la suite de la parabole à la chute d'Adam et à son état après qu'il eut péché. Cette interprétation me paraît pieuse, mais je ne sais si elle est aussi fondée en vérité. En effet, le plus jeune fils revint de lui-même à la pénitence, au souvenir de l'abondance dont il avait joui dans la maison de son père, tandis que le Seigneur est venu appeler lui-même à la pénitence le genre humain, qui ne songeait même pas à retourner au ciel d'où il était tombé. Ajoutez que l'aîné des deux fils s'attriste du retour et du salut de son frère, tandis que Notre-Seigneur nous déclare que la conversion d'un pécheur est un sujet de joie pour tous les anges.
Le plus jeune fils part pour un pays lointain, ce n'est pont par le changement et la distance des lieux qu'il s'éloigne de Dieu, qui remplit tout de son immensité, mais par les affections du coeur, car le pécheur fuit Dieu pour s'en tenir éloigné.
Le père, dit l'Évangile, leur partagea donc également son bien, c'est-à-dire la science du bien et du mal, source de richesses vraies et durables pour l'âme qui sait en faire un bon usage. En effet, la faculté de la raison que l'homme reçoit de Dieu en naissant est donnée également à tous ceux qui viennent au monde; mais dans la suite, chacun se trouve avoir plus ou moins de cette faculté de la raison suivant le genre de vie qu'il adopte: l'un, en effet, regarde et conserve comme appartenant à son père, le patrimoine qu'il en a reçu, l'autre en use comme d'un bien qui lui appartient en propre et le dissipe dans tous les excès. Nous avons du reste dans la conduite de ce père une preuve démonstrative du libre arbitre, il ne retient pas le fils qui veut se séparer de lui pour ne point blesser son libre arbitre, il ne force point non plus l'aîné de quitter la maison paternelle, pour ne point paraître le premier auteur des malheurs qui suivraient cette séparation. Or, ce fils s'en va, non point en changeant de lieu, mais par l'éloignement de son coeur: «Il partit, dit l'Évangile, pour une région étrangère et lointaine».
Celui qui garde les pourceaux est encore celui qui est dépouillé de toute richesse spirituelle (de la prudence et de l'intelligence), et qui nourrit dans son âme des pensées impures et immondes. Il mange aussi les aliments grossiers d'une vie corrompue, aliments doux à celui qui est dans l'indigence de tout bien; car les âmes perverties trouvent une certaine douceur dans les plaisirs voluptueux qui énervent et anéantissent les puissances de l'âme; l'Écriture désigne sous le nom de siliques ces aliments destinés aux pourceaux, et dont la douceur est si pernicieuse (c'est-à-dire les attraits des plaisirs charnels).
Le plus jeune de ces deux fils, dont l'esprit n'était pas encore arrivé à la maturité, s'en va donc et demande à son père la portion de l'héritage qui doit lui revenir, afin de n'être plus dans la nécessité de lui être soumis, car nous sommes des êtres raisonnables doués de la faculté du libre arbitre.
Aussi donne-t-on le nom de prodigue à celui qui dissipe tout son bien, c'est-à-dire, la droiture de son intelligence, les leçons de la chasteté, la connaissance de la vérité, le souvenir de son père, la pensée de son origine.
Celui qui veut se rendre semblable à Dieu en conservant toute sa force en lui ( Ps 58,8 ), ne doit point s'éloigner de Dieu, mais s'attacher étroitement à lui pour conserver l'image et la ressemblance à laquelle il a été fait. Mais s'il veut imiter Dieu d'une manière coupable, et à l'exemple de Dieu, qui ne reconnaît point de maître, vivre indépendant et affranchi de toute autorité, que doit-il arriver? C'est qu'en s'éloignant de la chaleur il tombera dans l'engourdissement, c'est qu'en s'éloignant de la vérité, il se dissipera dans la vanité.
Cet homme qui a deux fils représente donc Dieu, père aussi de deux peuples, qui sont comme les deux souches du genre humain, l'une composée de ceux qui sont restés fidèles au culte d'un seul Dieu, et l'autre de ceux qui ont oublié le vrai Dieu, jusqu'à adorer des idoles. Ainsi, c'est dès l'origine du monde et immédiatement après la création des hommes, que l'aîné des fils embrasse le culte du seul et vrai Dieu, et que le plus jeune demande à son père la portion du bien qui devait lui revenir: «Et le plus jeune des deux dit à son père: Mon père, donnez-moi la portion de bien qui doit me revenir». Ainsi l'âme, séduite par la puissance qu'elle croit avoir, demande à être maîtresse de sa vie, de son intelligence, de sa mémoire, et à dominer par la supériorité de son génie; ce sont là des dons de Dieu, mais elle les a reçus pour en disposer selon sa volonté. Aussi le père accède à ce désir: «Et il leur partagea leurs biens».
C'est peu de jours après, qu'ayant rassemblé tout ce qu'il avait, il part pour une région lointaine, qui est l'oubli de Dieu, c'est-à-dire, que ce fut peu de temps après la création du genre humain que l'âme voulut, à l'aide de son libre arbitre, se rendre maîtresse de sa nature et s'éloigner de son Créateur dans un sentiment exagéré de ses forces, qu'elle perdit d'autant plus vite qu'elle se sépara de celui qui en était la source. Aussi quelle fut la suite: «Et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche». Il appelle une vie d'excès ou de débauche, une vie de prodigalité, qui aime à se répandre, à errer en liberté et qui se dissipe au milieu des pompes extérieures du monde, cette vie qui fait qu'on poursuit toujours de nouvelles choses, tandis qu'on s'éloigne davantage de celui qui est au-dedans de nous-mêmes: «Et après qu'il eut tout consumé, il survint une grande famine dans ce pays». Cette famine, c'est l'indigence de la parole de vérité.
Cet habitant de cette région, c'est quelque puissance de l'air, faisant partie de la milice du démon. ( Ep 6,42 ). Cette maison des champs, c'est une des manières dont il exerce sa puissance, comme nous le voyons par la suite: «Il l'envoya dans sa maison des champs pour garder les pourceaux».Les pourceaux sont les esprits immondes dont le démon est le chef.
Ces siliques, dont les pourceaux se nourrissaient, sont donc les doctrines du siècle, aussi vaines qu'elles sont sonores, dont retentissent les discours et les poèmes consacrés à la louange des idoles et les fables des dieux qu'adorent les nations et qui font la joie des démons. Ainsi ce jeune homme qui voulait se rassasier, cherchait dans cette nourriture un élément solide et réel de bonheur, et cela lui était impossible: «Et personne ne lui en donnait».
Suivant d'autres, le fils aîné représente le peuple d'Israël, selon la chair ( Rm 9,6 ), et celui qui quitte la maison paternelle, la multitude des Gentils.
Les Juifs sont souvent accusés dans la sainte Écriture, de crimes multipliés ( Is 29,13 Jr 2,5 ); comment donc peut-on appliquer à ce peuple ces paroles du fils aîné: «Voici tant d'années que je vous sers, et je n'ai jamais manqué à vos commandements ?» Voici donc le sens de cette parabole. Les pharisiens et les scribes ayant accusé le Sauveur d'accueillir avec bonté les pécheurs, il leur proposa cette parabole, dans laquelle il compare Dieu à un homme qui est le père de ces deux frères (c'est-à-dire des justes et des pécheurs); le premier degré est celui des justes qui ne se sont jamais écartés des sentiers de la justice; le second degré comprend les hommes qui ont été ramenés par la pénitence dans les sentiers de la vertu.
Mener paître les pourceaux, c'est commettre ces actions infâmes qui font la joie des esprits immondes: «Et il désirait se rassasier des caroubes que les pourceaux mangeaient».
Etre envoyé dans une maison des champs, c'est devenir l'esclave des désirs des jouissances de ce monde.
La Glose
Ou bien encore, personne ne lui en donnait, car le démon ne donne jamais satisfaction pleine aux désirs de celui dont il s'est emparé, parce qu'il sait qu'il est mort.
Le bien de l'homme, c'est la raison accompagnée du libre arbitre; tout ce que nous tenons de la main libérale de Dieu, peut aussi être regardé comme notre bien, le ciel, la terre, toutes les créatures, la loi et les prophètes.
Garder les pourceaux, c'est être supérieur aux autres dans le vice, tels sont les corrupteurs, les chefs de brigands, les chefs des publicains, et tous ceux qui tiennent école d'obscénités.
Mais personne ne peut lui donner cette satiété dans le mal; car celui qui a ce désir est éloigné de Dieu, et les démons s'appliquent à ce qu'on ne trouve jamais la satiété dans le vice.
Il désirait remplir son ventre… Expression qui étonne tout d'abord sur
les lèvres délicates de Jésus ; aussi a-t-elle été parfois, quoique maladroitement, corrigée en rassasier. Mais
le Sauveur se proposait de rendre sa narration aussi forte que possible, et certes, le contraste qu'il établit à
dessein entre le mangeaient du vil troupeau et le remplir son ventre du porcher a quelque chose de saisissant.
Il y a là du reste l'énoncé d'un fait très exact au point de vue physiologique. « Ceux qui sont affamés ont
l’habitude de remplir leur ventre avec tout ce qui leur tombe sous la main. Ils ne font aucune distinction entre
les différentes nourritures, pourvu qu’ils assouvissent leur faim de loup. », Maldonat, h.l. Et puis, ce qui est
une nourriture suffisante pour des animaux ne l'est pas toujours pour l'homme, et tel était précisément le cas.
« La nourriture qui ne restaure pas le corps, mais le surcharge », S. Ambroise. Enfin, c'est une vérité morale
souvent relevée à cette occasion par les Pères, que les plaisirs sensuels ne parviennent jamais à rassasier le
cœur humain. « Il ne peut pas se rassasier, car la volupté a toujours faim d’elle-même », S. Jérôme, l.c. Le
poète païen l'a dit aussi : « Courir après les bonnes choses et ne jamais se satisfaire », Lucrèce. - Des
gousses. Les gousses en question sont, selon toute vraisemblance, celles du caroubier, arbre de la famille des
légumineuses, qui croît abondamment dans toute la Syrie, en Égypte, et même en Italie et en Espagne. Leur
longueur habituelle est d'environ un demi pied, leur largeur de 6 à 8 centimètres. Elles contiennent une pulpe
blanchâtre au goût fade, quoique légèrement sucré. Aujourd'hui, comme au temps de Jésus, les Orientaux les
servent en pâture au bétail : les plus pauvres seulement essaient quelquefois de s'en nourrir. Leur nom
sémitique est caroubes. On les a aussi appelées « figues d'Égypte », ou bien « pain de S. Jean », parce qu'on
croyait que le Précurseur s'en était nourri dans le désert. Voyez Winer, Bibl. Realwoerterbuch, s.v.
Johannisbrodbaum ; Fréd. Hamilton, La Botanique de la Bible, p. 14 et 15. - Personne ne lui en donnait
(l'imparfait exprime la continuité : on ne lui en donnait jamais). Quelques auteurs sous-entendent : autre
chose, ou une chose meilleur (Alford, Stier, etc.) ; mais le contexte s'oppose à toute addition de ce genre.
Personne donc n'offrait au prodigue de ces misérables fruits. On a donné différentes explications de ce fait. Voyez Maldonat, Corneille de Lapierre, etc., h. l. La plus naturelle et la plus simple consiste à supposer que
d'autres serviteurs étaient chargés de distribuer les caroubes aux pourceaux, et qu'aucun d'eux ne s'inquiétait
du malheureux gardien. Cela montre à quelle détresse ce dernier était réduit ! Mais avait-il le droit de se
plaindre ? « C’est en toute justice qu’il ne reçoit pas la nourriture des porcs qu’il convoite celui qui a préféré
paître des porcs plutôt que de manger à satiété les mets paternels. », S. Bernard, De Convers. 8.
Il désirait se rassasier des cosses que mangeaient les pourceaux. Il s’agit du fruit du caroubier, commun en Orient, et qu’on donne comme nourriture au bétail.