Luc 16, 31
Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »
Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »
Ces paroles contiennent encore une autre leçon, c'est que l'âme de Lazare est dégagée de toute sollicitude pour les choses présentes, et n'a pas un regard pour ce qu'elle a quitté. Le riche, au contraire, même après la mort, est encore attaché à la vie charnelle comme avec de la glu, car celui dont l'âme se plonge dans les affections de la chair, reste esclave de ses passions, même lorsque son âme est séparée de son corps.
Ce mauvais riche s'y prend trop tard pour commencer à instruire les autres, alors qu'il n'y a plus de temps ni pour apprendre, ni pour enseigner.
Paroles par lesquelles Dieu montre jusqu'à la dernière évidence, que l'Ancien Testament est le ferme appui de notre foi, réprimant ainsi l'incrédulité des Juifs, et repoussant toutes les interprétations perverses des hérétiques.
On peut encore donner à cette histoire cet autre sens: Lazare est pauvre dans ce monde, mais il est riche aux yeux de Dieu. En effet, toute pauvreté n'est pas sainte, comme toute possession des richesses n'est pas nécessairement criminelle, c'est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, comme c'est la sainteté qui rend la pauvreté honorable. Ou bien encore, Lazare, c'est tout homme apostolique qui est pauvre par la parole et riche par la foi, qui s'attache à la vraie foi et ne recherche pas les vains ornements de la parole. Je comparerai cet homme à celui qui, souvent frappé de verges par les Juifs, offrait pour ainsi dire, à lécher aux chiens les ulcères de son corps ( 2Co 11,24 ; cf. Dt 25,2-3 ). Heureux ces chiens qui ont léché les gouttes de sang qui découlait de ces plaies et qui remplit ainsi la bouche et le coeur de ceux qui doivent garder la maison, veiller sur le troupeau et le défendre contre les loups. Et co mme le pain est la figure de la parole, et que la foi vient de la parole, les miettes de pain représentent certaines vérités de la foi, c'est-à-dire les mystères des Écritures. Les Ariens, qui recherchent avec tant d'empressement l'appui de la puissance royale pour attaquer la vérité de l'Église, ne vous paraissent-ils pas comme revêtus de pourpre et de fin lin? Comme ils prêchent l'erreur et le mensonge en place de la vérité, ils multiplient leurs pompeux discours. C'est ainsi que la riche hérésie a composé je ne sais combien d'évangiles, tandis que la foi pauvre s'en est tenu au seul Évangile qu'elle a reçu de Dieu. La riche philosophie s'est fait plusieurs dieux, et l'Église pauvre n'a reconnu et adoré qu'un seul Dieu. Ces richesses ne vous semblent-elles pas être une véritable indigence, et cette indigence une véritable richesse ?
Voyez la perversité de cet homme, jusqu'au milieu de ses châtiments il ne peut reconnaître la vérité; si Abraham est vraiment ton père, comment dis-tu: «Envoyez-le dans la maison de mon père ?» Tu n'as donc pas oublié ton père, tu ne l'as pas oublié, quoiqu'il ait été la cause de ta perte.
C'est-à-dire, votre sollicitude pour le salut de vos frères, n'est pas plus grande que celle de Dieu, qui les a créés et leur a donné des docteurs pour les instruire et les exciter au bien. Moïse et les prophètes, ce sont les écrits de Moïse et les oracles prophétiques.
Comme il n'avait que du mépris pour les Écritures, et qu'il les regardait comme des fables, il jugeait ses frères d'après ses propres sentiments.
Les Juifs sont une preuve que celui qui n'est point docile aux enseignements de l'Écriture, n'écouterait pas davantage un mort ressuscité à la vie, eux qui ont voulu tuer Lazare après sa résurrection et persécuté les Apôtres, bien qu'ils aient vu plusieurs morts ressuscités à l'heure du crucifiement (cf. Mt 27,52 ). Mais pour vous convaincre encore davantage que l'autorité des Écritures et des prophètes est d'un plus grand poids que le témoignage d'un mort ressuscité, remarquez qu'un mort quel qu'il soit est un serviteur, tandis que tout ce qu'enseignent les Écritures, c'est Dieu, même qui l'enseigne. Ainsi donc qu'un mort ressuscite, qu'un ange descende du ciel, les Écritures sont beaucoup plus dignes de foi, car c'est le Seigneur des anges, le maître des vivants et des morts qui en est l'auteur. D'ailleurs, si Dieu avait jugé que la résurrection des morts pourrait être utile aux vivants, il n'eût pas omis ce moyen de salut, lui qui se propose en tout notre utilité. Mais supposons de fréquentes résurrections de morts, on n'y ferait bientôt plus attention; le démon se servirait de ce moyen pour introduire des doctrines perverses en cherchant à imiter ce miracle par ses suppôts. Il ne pourrait sans doute ressusciter réellement les morts, mais il ferait illusion aux yeux des spectateurs par certains artifices, ou en exciterait quelques-uns à simuler une mort véritable.
Ou bien ce riche avait cinq frères, c'est-à-dire, les cinq sens dont il était l'esclave; aussi ne pouvait-il aimer Lazare, parce que ses frères n'aiment pas la pauvreté. Ce sont ces frères qui t'ont précipité dans ces tourments, ils ne peuvent être sauvés s'ils ne meurent, autrement il est nécessaire que les frères habitent avec leur frère. Mais pourquoi demandes-tu que j'envoie Lazare? Ils ont Moïse et les prophètes. Moïse a été lui-même pauvre comme Lazare, lui qui a estimé que la pauvreté de Jésus-Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de l'Égypte ( He 12 ), Jérémie, jeté dans un lac, y fut nourri du pain de la tribulation ( Jr 38,9-10 ). Tous ces prophètes sont là pour enseigner tes frères, mais ils ne peuvent être sauvés qu'autant que quelqu'un ressuscite des morts, car ces frères, avant la résurrection de Jésus-Christ, me conduisaient à la mort; il est mort, mais ces frères sont ressuscités, et maintenant mes yeux voient Jésus-Christ, mes oreilles l'entendent, mes mains peuvent le toucher. Ce que nous venons de dire est la condamnation des marcionites et des manichéens, qui ne veulent point admettre l'Ancien Testament. Voyez ce que dit Abraham: «S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes», etc., paroles qui signifient: Vous faites bien d'attendre celui qui doit ressusciter des morts, mais c'est Jésus-Christ lui-même qui vous parle par la bouche des prophètes, et si vous les écoutez, c'est lui-même que vous écoutez.
A propos de cette parabole, il convient de nous demander pourquoi le riche voit Lazare dans le sein d'Abraham plutôt qu'en compagnie d'un autre juste. C'est qu'Abraham s'est montré hospitalier. Il apparaît donc à côté de Lazare pour accuser le riche d'avoir été inhospitalier. En effet, le patriarche cherchait à retenir même les simples passants pour les faire entrer sous sa tente. Le riche, au contraire, n'avait eu que dédain pour celui qui logeait dans sa propre maison. Or, il avait les moyens, avec tout l'argent dont il disposait, d'assurer la sécurité du pauvre. Mais il a continué, jour après jour, à l'ignorer et il a négligé de lui donner l'aide dont il avait besoin.
Le patriarche n'a pas agi de cette façon, bien au contraire! Assis à l'entrée de sa tente, il mettait la main sur tous ceux qui passaient, à la manière dont un pêcheur jette son filet dans la mer pour y prendre du poisson, et souvent même de l'or et des pierres précieuses. Ainsi, en ramenant des hommes dans son filet, il est arrivé qu'Abraham prenne des anges et, chose étonnante, sans même le deviner!
Paul lui-même en a été tout émerveillé, ce qui nous a valu cette exhortation: N'oubliez pas l'hospitalité. Elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges (He 13,2). Paul a raison de dire: sans le savoir. Si Abraham avait su que ceux qu'il accueillait avec tant de bienveillance étaient des anges, il n'aurait rien fait d'extraordinaire ni d'admirable. Il reçoit donc cet éloge uniquement parce qu'il ignorait l'identité des passants. En effet, ces voyageurs qu'il invitait si généreusement chez lui, il les prenait pour des hommes ordinaires.
Tu sais bien, toi aussi, te montrer plein d'empressement pour recevoir un personnage célèbre, mais cela ne vaut pas que l'on s'en émerveille. Car il arrive souvent qu'un homme, même inhospitalier, dès qu'il est obligé de recevoir une personne de qualité, y mette toute sa bonne volonté. En revanche, il est très remarquable et vraiment admirable de réserver un accueil plein de bonté aux premiers venus, aux gens inconnus et ordinaires. Ceux qui pratiquent cet accueil, le Christ les reçoit avec ces paroles: Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait (Mt 25,40). Il leur dit aussi: Ainsi, votre Père ne veut pas qu'un seul de ces petits soit perdu (Mt 18,14). Et encore: Celui qui entraînera la chute d'un seul de ces petits, il est préférable pour lui qu'on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes et qu'on l'engloutisse en pleine mer (Mt 18,6). Dans tout son enseignement, d'ailleurs, le Christ fait une grande place aux petits et aux humbles.
Abraham était également animé de la même conviction quand il s'interdisait d'interroger les passants pour connaître leur identité ou leur origine, comme nous le faisons en pareilles circonstances. Il accueillait simplement tous les passants. Car celui qui veut faire du bien à quelqu'un n'a pas à lui demander des comptes sur sa vie, mais à soulager sa pauvreté et à remédier à son indigence. <> C'est ce que le Christ nous a ordonné de faire en disant: Imitez votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes (Mt 5,45).
Le patriarche n'a pas agi de cette façon, bien au contraire! Assis à l'entrée de sa tente, il mettait la main sur tous ceux qui passaient, à la manière dont un pêcheur jette son filet dans la mer pour y prendre du poisson, et souvent même de l'or et des pierres précieuses. Ainsi, en ramenant des hommes dans son filet, il est arrivé qu'Abraham prenne des anges et, chose étonnante, sans même le deviner!
Paul lui-même en a été tout émerveillé, ce qui nous a valu cette exhortation: N'oubliez pas l'hospitalité. Elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges (He 13,2). Paul a raison de dire: sans le savoir. Si Abraham avait su que ceux qu'il accueillait avec tant de bienveillance étaient des anges, il n'aurait rien fait d'extraordinaire ni d'admirable. Il reçoit donc cet éloge uniquement parce qu'il ignorait l'identité des passants. En effet, ces voyageurs qu'il invitait si généreusement chez lui, il les prenait pour des hommes ordinaires.
Tu sais bien, toi aussi, te montrer plein d'empressement pour recevoir un personnage célèbre, mais cela ne vaut pas que l'on s'en émerveille. Car il arrive souvent qu'un homme, même inhospitalier, dès qu'il est obligé de recevoir une personne de qualité, y mette toute sa bonne volonté. En revanche, il est très remarquable et vraiment admirable de réserver un accueil plein de bonté aux premiers venus, aux gens inconnus et ordinaires. Ceux qui pratiquent cet accueil, le Christ les reçoit avec ces paroles: Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait (Mt 25,40). Il leur dit aussi: Ainsi, votre Père ne veut pas qu'un seul de ces petits soit perdu (Mt 18,14). Et encore: Celui qui entraînera la chute d'un seul de ces petits, il est préférable pour lui qu'on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes et qu'on l'engloutisse en pleine mer (Mt 18,6). Dans tout son enseignement, d'ailleurs, le Christ fait une grande place aux petits et aux humbles.
Abraham était également animé de la même conviction quand il s'interdisait d'interroger les passants pour connaître leur identité ou leur origine, comme nous le faisons en pareilles circonstances. Il accueillait simplement tous les passants. Car celui qui veut faire du bien à quelqu'un n'a pas à lui demander des comptes sur sa vie, mais à soulager sa pauvreté et à remédier à son indigence. <> C'est ce que le Christ nous a ordonné de faire en disant: Imitez votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes (Mt 5,45).
Il demande qu'on envoie Lazare, parce qu'il comprend qu'il est indigne de rendre témoignage à la vérité, et comme il n'a pu obtenir le moindre rafraîchissement à ses souffrances, il espère beaucoup moins sortir des enfers pour aller faire connaître la vérité.
On me dira: Si les morts n'ont aucun souci des vivants, comment ce riche a-t-il pu prier Abraham d'envoyer Lazare vers ses cinq frères? Mais cette prière du riche suppose-t-elle nécessairement qu'il connût alors ce que faisaient ces frères ou ce qu'ils pouvaient souffrir? Il portait donc intérêt aux vivants, mais sans savoir aucunement ce qu'ils faisaient; de même que notre sollicitude s'étend aux morts, bien que nous ignorions complètement leur état actuel. On demande encore: Comment Abraham connaissait-il Moïse et les prophètes, c'est-à-dire leurs livres? comment avait-il pu savoir que le riche avait vécu dans les délices et Lazare dans les souffrances? Nous répondons qu'il put le savoir, non pendant leur vie, mais après leur mort, lorsque Lazare le lui eut appris, explication qui ne détruit pas la vérité de ces paroles du prophète: «Abraham ne nous a pas connus». ( Is 63,16 ). Les âmes des morts peuvent encore savoir quelque chose par le moyen des anges qui président aux choses d'ici-bas. L'esprit de Dieu peut enfin leur révéler, soit dans le passé, soit dans l'avenir, ce qu'il leur importe de connaître.
Dans le sens allégorique, on peut voir dans ce riche la figure des Juifs orgueilleux, «qui ne connaissaient point la justice de Dieu, et s'efforçaient d'établir leur propre justice» ( Rm 10,3 ). La pourpre et le lin sont le symbole du royaume: «Le royaume de Dieu vous sera enlevé» ( Mt 21,43 ). Ces festins splendides, c'est l'ostentation de la loi dans laquelle ils se glorifiaient par orgueil et pour se faire valoir plutôt que de la faire servir à leur salut. Ce mendiant, du nom de Lazare qui signifie celui qui est assisté, représente la pauvreté des Gentils ou des publicains, qui obtiennent d'autant plus facilement du secours, qu'ils présument moins de leurs propres ressources.
Les chiens qui venaient lécher les ulcères du pauvre, figurent ces hommes profondément corrompus, dévoués au mal, qui ne cessent de louer à bouche ouverte les oeuvres d'iniquité qui sont l'objet des gémissements et des regrets publics de ceux qui les ont commises.
Les cinq frères que le riche dit avoir dans la maison de son père, figurent les Juifs qui sont au nombre de cinq, parce qu'ils étaient soumis à la loi qui a été donnée par Moïse (cf. Jn 1,17 Jn 7,19 ), et renfermée dans les cinq livres qu'il a écrits.
Ce récit peut encore recevoir une autre interprétation. Lazare serait la figure du Seigneur, étendu à la porte du riche, parce que les humiliations de son incarnation l'ont abaissé jusqu'aux oreilles superbes des Juifs. Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, c'est-à-dire, qu'il demandait aux Juifs les plus petites oeuvres de justice qui ne fussent pas enlevées par leur or gueil à sa table, c'est-à-dire à sa puissance, et qu'ils pussent au moins pratiquer, sinon sous l'influence d'une vie constamment vertueuse, au moins de temps en temps et par hasard, comme les miettes qui tombent de la table. Les ulcères, ce sont les blessures du Seigneur, les chiens qui venaient les lécher, ce sont les Gentils, que les Juifs regardaient comme immondes, et qui, cependant par tout l'univers, goûtent avec une pieuse suavité les plaies du Seigneur dans le sacrement de son corps et de son sang. Le sein d'Abraham, c'est le secret du Père, où Jésus-Christ est monté après sa résurrection; il y a été porté par les anges, parce que ce sont les anges qui ont annoncé à ses disciples ( Mt 28,7 Mc 16,7 Lc 24,9 ) qu'il était remonté dans le sein du Père. L'interprétation que nous avons donnée plus haut peut s'appliquer au reste du récit, car le sein de Dieu peut très-bien s'entendre du lieu où (même avant la résurrection) les âmes des justes vivent dans la société de Dieu.
Lorsque le riche, tourmenté au milieu des flammes, a perdu toute espérance pour lui-même, sa pensée se reporte vers les proches qu'il a laissés sur la terre: «Et il dit: Je vous prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père».
Le supplice des réprouvés leur inspire quelquefois une charité stérile, et fait qu'ils sont portés alors d'un amour tout particulier pour leurs parents, eux qui, dans l'affection qu'ils avaient pour leurs péchés ne s'aimaient pas eux-mêmes, c'est ce qui lui fait dire: «Car j'ai cinq frères, afin qu'il leur atteste qu'ils ne viennent pas aussi eux-mêmes dans ce lieu de tourments».
Remarquons ici quel surcroît de souffrances pour ce riche, que les flammes tourmentent si cruellement. Dieu lui laisse pour son supplice la connaissance et la mémoire. Il reconnaît Lazare, qu'il ne daignait pas regarder pendant s a vie, il se souvient de ses frères qu'il a laissés sur la terre, car pour ajouter aux peines que souffrent les pécheurs, Dieu permet qu'ils voient la gloire de ceux qui ont été l'objet de leur mépris et qu'ils souffrent du châtiment de ceux qu'ils ont aimés d'une amitié stérile. A la demande que fait le riche que Lazare soit envoyé, Abraham répond: «Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent».
Mais ce mauvais riche qui, pendant toute sa vie avait méprisé la parole de Dieu, croyait que ses parents n'en feraient pas plus de cas: «Et il dit: Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils feront pénitence».
Abraham fait au mauvais riche cette réponse pleine de vérité: «S'ils n'écoutent point Moïse et les prophètes, quelqu'un des morts ressusciterait, qu'ils ne croiraient point»; parce qu'en effet, ceux qui méprisent les paroles de la loi, pratiqueront d'autant plus difficilement les préceptes du Rédempteur, qui est ressuscité des morts, qu'ils sont beaucoup plus sublimes.
Lazare, couvert d'ulcères, est la figure du peuple des Gentils, qui se convertit à Dieu et ne rougit pas de confesser ses péchés; sa peau est couverte de blessures, car qu'est-ce que la confession des péchés, qu'une rupture de nos blessures intérieures? Lazare, tout couvert d'ulcères, «désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, et personne ne lui en donnait», parce que ce peuple orgueilleux ne daignait admettre aucun Gentil à la connaissance de la loi, et qu'il laissait tomber les paroles de cette science comme les miettes de sa table.
Mais comme le peuple juif a refusé d'entendre dans le sens spirituel les paroles de Moïse, il n'a pu parvenir à celui que Moïse avait prédit et annoncé.
Quelquefois dans les saintes Écritures, les chiens représentent les prédicateurs, selon ces paroles du Psalmiste: «La langue de tes chiens s'abreuvera du sang de tes ennemis» ( Ps 68,24 ; cf. Is 56,10 ). En effet, la langue des chiens guérit les blessures qu'elle lèche, ainsi les saints docteurs, par les instructions qui suivent la confession de nos péchés, touchent pour ainsi dire avec leur langue les blessures de notre âme. Le riche a été enseveli dans les enfers, Lazare, au contraire, a été porté par les anges dans le sein d'Abraham, c'est-à-dire, dans ce séjour mystérieux de repos, dont la vérité a dit: «Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et aur ont place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures». C'est de loin que le riche lève les yeux pour voir Lazare, parce que c'est du fond de l'abîme où ils souffrent les peines dues à leurs péchés, que les infidèles aperçoivent au-dessus d'eux, jouissant d'un repos ineffable, les fidèles dont après le jugement dernier, ils ne pourront plus contempler le bonheur. C'est de loin qu'ils les aperçoivent, parce qu'ils ne peuvent y atteindre par leurs mérites. C'est surtout dans sa langue que le riche endure de plus vives souffrances, parce que ce peuple infidèle avait toujours à la bouche les paroles de la loi qu'il dédaignait de mettre en pratique. Il sera donc plus cruellement tourmenté dans sa langue qui manifestait à tous qu'il savait parfaitement ce qu'il refusait de pratiquer. Abraham l'appelle son fils, bien qu'il ne le délivre pas de ses tourments, parce que les ancêtres de ce peuple infidèle n'ont aucune compassion pour arracher au supplice ceux qu'ils reconnaissent bien comme étant leurs enfants, mais qui ont en si grand nombre abandonné les exemples de leur foi.
Abraham rejette froidement cette vaine
allégation. La parole inspirée ne leur suffit pas : tant pis ! Qu'ils n'attendent pas de faveur extraordinaire. Du
reste, si la voix des saints Livres ne les touche pas, celle d'une mort ne les laisserait-elle pas insensibles ?
« Nous, les fidèles, nous sommes sauvés par l’audition, non par les apparitions » (Bengel). En tenant ce
langage, Jésus devait penser à ce qui arriva bientôt après. Les Pharisiens crurent-ils donc à sa divinité quand
il eut ressuscité Lazare ? Y crurent-ils quand il eut brisé victorieusement pour lui-même les portes du
tombeau ? - Notez la manière dont Abraham reproduit, mais en les renforçant, les expressions employées par
son interlocuteur. Comme s'il disait : Un miracle beaucoup plus grand que celui que tu implores ne réussirait
pas même à opérer un résultat moins considérable que celui que tu promets si hardiment. Après ces mots, le voile est encore brusquement tiré, ainsi qu'il arrive à la fin de plusieurs paraboles du troisième Évangile.
L'auditoire devait se sentir saisi, impressionné, et porté par là-même à mieux chercher, pour se l'appliquer
ensuite, la signification de ces brûlantes leçons. - Sur les applications allégoriques que les Pères ont faites
quelquefois des principaux traits de la parabole du mauvais riche (« Par le Juif, le peuple judaïque est
désigné...Lazare est une image de tout le peuple gentil », S. Grégoire le Grand ; « Les plaies de Lazare sont
les souffrances du Seigneur provenant de la faiblesse de sa chair », S. Augustin ; de même pour les autres
détails), voyez la chaîne d'or de S. Thomas, h. l. - M. J. Raymond a donné récemment, dans six eaux fortes
frappantes par leurs contrastes lumineux, un beau commentaire artistique de ce drame intéressant.
Mais aujourd'hui, étant donné la dimension mondiale qu'a prise la question sociale, cet amour préférentiel, de même que les décisions qu'il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans espérance d'un avenir meilleur: on ne peut pas ne pas prendre acte de l'existence de ces réalités. Les ignorer reviendrait à s'identifier au «riche bon vivant» qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail (cf. Lc 16, 19-31)
La protestation contre Dieu au nom de la justice ne sert à rien. Un monde sans Dieu est un monde sans espérance (cf. Ep 2, 12). Seul Dieu peut créer la justice. Et la foi nous donne la certitude qu'Il le fait. L'image du Jugement final est en premier lieu non pas une image terrifiante, mais une image d'espérance; pour nous peut-être même l'image décisive de l'espérance. Mais n'est-ce pas aussi une image de crainte? Je dirais: c'est une image qui appelle à la responsabilité. Une image, donc, de cette crainte dont saint Hilaire dit que chacune de nos craintes a sa place dans l'amour. Dieu est justice et crée la justice. C'est cela notre consolation et notre espérance. Mais dans sa justice il y a aussi en même temps la grâce. Nous le savons en tournant notre regard vers le Christ crucifié et ressuscité. Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n'exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. Ce n'est pas une éponge qui efface tout, de sorte que tout ce qui s'est fait sur la terre finisse par avoir toujours la même valeur. Par exemple, dans son roman « Les frères Karamazov », Dostoïevski a protesté avec raison contre une telle typologie du ciel et de la grâce. À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s'était passé. Je voudrais sur ce point citer un texte de Platon qui exprime un pressentiment du juste jugement qui, en grande partie, demeure vrai et salutaire, pour le chrétien aussi. Même avec des images mythologiques, qui cependant rendent la vérité avec une claire évidence, il dit qu'à la fin les âmes seront nues devant le juge. Alors ce qu'elles étaient dans l'histoire ne comptera plus, mais seulement ce qu'elles sont en vérité. « Souvent, mettant la main sur le Grand Roi ou sur quelque autre prince ou dynaste, il constate qu'il n'y a pas une seule partie de saine dans son âme, qu'elle est toute lacérée et ulcérée par les parjures et les injustices [...], que tout est déformé par les mensonges et la vanité, et que rien n'y est droit parce qu'elle a vécu hors de la vérité, que la licence enfin, la mollesse, l'orgueil, l'intempérance de sa conduite l'ont rempli de désordre et de laideur: à cette vue, Rhadamante l'envoie aussitôt déchue de ses droits, dans la prison, pour y subir les peines appropriées [...]; quelquefois, il voit une autre âme, qu'il reconnaît comme ayant vécu saintement dans le commerce de la vérité. [...] Il en admire la beauté et l'envoie aux îles des Bienheureux ». Dans la parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31), Jésus nous a présenté en avertissement l'image d'une telle âme ravagée par l'arrogance et par l'opulence, qui a créé elle-même un fossé infranchissable entre elle et le pauvre; le fossé de l'enfermement dans les plaisirs matériels; le fossé de l'oubli de l'autre, de l'incapacité d’aimer, qui se transforme maintenant en une soif ardente et désormais irrémédiable. Nous devons relever ici que Jésus dans cette parabole ne parle pas du destin définitif après le Jugement universel, mais il reprend une conception qui se trouve, entre autre, dans le judaïsme ancien, à savoir la conception d'une condition intermédiaire entre mort et résurrection, un état dans lequel la sentence dernière manque encore.
C’est à partir de ce principe que doivent aussi être comprises les grandes paraboles de Jésus. Du lieu de sa damnation, l’homme riche (cf. Lc 16, 19-31) implore pour que ses frères soient informés de ce qui arrive à celui qui a, dans sa désinvolture, ignoré le pauvre dans le besoin. Jésus recueille, pour ainsi dire, cet appel à l’aide et s’en fait l’écho pour nous mettre en garde, pour nous remettre dans le droit chemin. La parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10, 25-37) permet surtout de faire deux grandes clarifications. Tandis que le concept de “prochain” se référait jusqu’alors essentiellement aux membres de la même nation et aux étrangers qui s’étaient établis dans la terre d’Israël, et donc à la communauté solidaire d’un pays et d’un peuple, cette limitation est désormais abolie. Celui qui a besoin de moi et que je peux aider, celui-là est mon prochain. Le concept de prochain est universalisé et reste cependant concret. Bien qu’il soit étendu à tous les hommes, il ne se réduit pas à l’expression d’un amour générique et abstrait, qui en lui-même engage peu, mais il requiert mon engagement concret ici et maintenant. Cela demeure une tâche de l’Église d’interpréter toujours de nouveau le lien entre éloignement et proximité pour la vie pratique de ses membres. Enfin, il convient particulièrement de rappeler ici la grande parabole du Jugement dernier (cf. Mt 25, 31-46), dans laquelle l’amour devient le critère pour la décision définitive concernant la valeur ou la non-valeur d’une vie humaine. Jésus s’identifie à ceux qui sont dans le besoin: les affamés, les assoiffés, les étrangers, ceux qui sont nus, les malades, les personnes qui sont en prison. «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). L’amour de Dieu et l’amour du prochain se fondent l’un dans l’autre: dans le plus petit, nous rencontrons Jésus lui-même et en Jésus nous rencontrons Dieu.