Marc 1, 13
et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Jésus-Christ, qui dans toutes ses notions comme dans toutes ses épreuves se proposait notre instruction, commence après son baptême par habiter le désert, et il y combat contre le démon, afin que tout chrétien, après son baptême, apprît à supporter patiemment de plus fortes tentations, ne se laissât point troubler comme si elles lui arriva ient contre son attente; mais qu'après en avoir vaillamment soutenu le choc, il en demeurât vainqueur. Dieu permet il est vrai les tentations pour beaucoup d'autres motifs, mais il les permet aussi pour faire connaître que la tentation relève l'homme et l'honore. Le démon, en effet, ne s'attaque qu'à celui qu'il voit environné d'un plus grand éclat. «Et aussitôt, dit l'Évangéliste, l'Esprit le poussa dans le désert». Il nous montre Jésus, non pas allant simplement, mais comme chassé dans le désert, afin de nous faire comprendre qu'il obéissait ici aux secrets de la divine Providence. Par là aussi, l'Évangéliste nous apprend que l'homme ne doit pas s'exposer lui-même à la tentation, mais que si nous y sommes poussés par une cause étrangère, la victoire nous est assurée.
L'Esprit le poussa donc dans le désert: Jésus-Christ se proposait de provoquer les tentations du démon; il lui en fournit donc l'occasion, non-seulement par la faim qu'il endure, mais encore par le lieu qu'il choisit pour demeure, car le démon attaque de préférence ceux qui vivent dans la solitude.
L'Évangéliste nous fait ici le tableau de ce désert: Il n'y avait pas trace d'homme, et il était rempli de bêtes sauvages: «Et les anges le servaient». Car après sa tentation, et sa victoire sur le démon, Jésus opéra le saint des hommes, et comme dit l'Apôtre ( He 1) : «Les anges sont envoyés pour remplir leur ministère en faveur de ceux qui reçoivent l'héritage du salut». Il faut remarqu er ici que les anges viennent se mettre au service de ceux qui sont vainqueurs de la tentation.
Ou bien, les bêtes de la terre sont en paix avec nous comme dans l'arche de Noé, les animaux purs avec les animaux impurs ( Gn 7), lorsque la chair cesse de convoiter contre l'esprit ( Ga 5, 17). Les anges, après cela, sont envoyés pour nous servir et pour apporter aux coeurs vigilants les oracles et les consolations célestes.
Il pouvait s'élever quelque doute sur la nature de cet Esprit qui poussait Jésus dans le désert; saint Luc commence donc par dire très à propos que Jésus revint du Jourdain tout rempli du Saint-Esprit, et il ajoute aussitôt: «Et il était poussé par l'Esprit dans le désert, afin que personne ne pût s'imaginer que l'esprit immonde ait eu quelque puissance sur celui qui, rempli du Saint-Esprit, allait et agissait d'après sa propre volonté.
Il se retira aussi dans le désert pour nous enseigner à fuir les séductions du monde, la société des méchants, et à observer fidèlement tous les divins préceptes. Il est tenté seul par le démon pour nous faire comprendre que a tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffrent persécution». ( 2Tm 3 ). «Et il était dans le désert pendant quarante jours et pendant quarante nuits, et il était tenté par Satan». Or, il est tenté quarante jours et quarante nuits pour nous apprendre que tant que nous serons ici-bas le Seigneur, soit que la prospérité (figurée par les jours) nous sourie, soit que nous soyons exposés aux coups de l'adversité (représentée par la nuit), en tout temps l'ennemi est là et ne cesse d'entraver nos pas par ses tentations. Les quarante jours et les quarante nuits représentent toute la durée des siècles. Le monde au milieu duquel nous servons Dieu peut en effet se diviser en quatre parties: il y a dix préceptes par l'observation desquels nous luttons contre l'ennemi, et dix répété quatre fois font quarante.
Remarquons encore que Jésus-Christ demeure au milieu des bêtes sauvages en tant qu'homme, et qu'il se sert du ministère des anges comme Dieu. Et nous aussi, lorsque dans la solitude d'une vie sainte, notre coeur reste pur, malgré le contact des moeurs corrompus des hommes charnels, nous méritons l'assistance des anges qui, après notre délivrance des liens du corps, nous transporteront au séjour de l'éternelle béatitude.
Il passa dans le désert... S. Marc est
obscur dans ce verset, parce qu’il a voulu trop abréger. Heureusement, nous avons deux autres récits pour
éclaircir et pour compléter le sien. S. Matthieu et S. Luc nous apprennent que Jésus, à peine arrivé dans le
désert, se livra à un jeûne rigoureux qui ne dura pas moins de quarante jours consécutifs, qu’ensuite le
Sauveur fut attaqué à trois reprises par l’esprit tentateur, mais qu’il repoussa victorieusement ce triple assaut
du démon. Au lieu de ces détails intéressants, nous ne trouvons dans le second Évangile qu’une phrase assez
vague : Il était tenté par Satan. Quel est le sens de cet imparfait, ou du participe présent qui lui correspond
dans le texte grec (πειραζόμενος) ? Ne dirait-on pas que, d’après S. Marc, Jésus fut tenté pendant tout le
temps de son séjour au désert ? seulement, que la tentation eut vers la fin des paroxysmes plus violents ?
Divers commentateurs l’ont pensé, entre autres saint Augustin [160], et Luc de Bruges. « Ces mots nous font
comprendre que Jésus n’a pas été tenté par Satan uniquement à la fin de son jeûne, mais qu’il l’a été
fréquemment et diversement pendant toute sa durée » [161]. À première vue, la narration de Luc 4,2 et ss.
(voir le commentaire), paraît favoriser ce sentiment. Néanmoins, la plupart des exégètes ont toujours
enseigné que telle n’est pas la véritable interprétation, mais qu’on doit ramener les récits du second et du
troisième Évangile à celui de S. Matthieu, qui est le plus clair des trois. Or, le premier Évangéliste suppose
formellement que la tentation ne commença qu’après les quarante jours de jeûne et de retraite : « lorsqu’il
eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim... Et le tentateur, s’approchant, lui dit… », Matth. 3,
2-3. Du reste, dans le texte grec de S. Marc, le fait de la tentation n’est pas associé d’une manière aussi
étroite aux quarante jours que cela a lieu dans la Vulgate. Les deux événements, le séjour au désert et la tentation, sont simplement notés l’un à la suite de l’autre : pourquoi vouloir établir entre eux des rapports de
subordination, tandis que le texte peut s’expliquer au besoin par ceux d’une simple succession [162] ? — Il
était avec les bêtes sauvages. Malgré sa brièveté extraordinaire en ce passage, S. Marc a su pourtant nous
apprendre deux choses nouvelles : la première consiste dans le nom de Satan, que nous lisions un peu plus
haut, et qui est plus expressif que le « diable » des autres narrateurs ; nous trouvons la seconde ici même.
Toutefois, ce trait pittoresque et vraiment digne du second Évangile devait être, malgré son apparente
simplicité, une pomme de discorde pour les commentateurs. Combien d’opinion diverses n’a-t-il pas
suscitées ! 1° D’après les uns, il exprimerait les dangers extérieurs que courait le divin Maître : si le démon
tentait son âme, les bêtes féroces étaient là, menaçantes pour son corps. 2° Suivant les autres, ce ne serait pas
une réalité, mais un pur symbole : les animaux du désert, qui sont censés entourer Jésus, figurent les passions
et la concupiscence d’où provient habituellement la tentation. 3° D’autres voient dans ce curieux détail
l’expression d’un type : S. Marc, en le notant, voulait établir un rapprochement entre le second Adam et le
premier ; montrer Jésus, même après la chute, entouré de bêtes sauvages qui ne lui nuisent point, comme
autrefois le père de l’humanité dans le paradis terrestre. 4° On admet plus communément, à la suite de
Théophylacte et d’Euthymius, que c’est là un trait destiné à bien mettre en relief le caractère tout à fait
sauvage du désert où résidait alors Jésus [163]. Voyez aussi la description du désert de la Quarantaine dans
l’Évangile selon S. Matthieu, Matth. 4, 1. Telle est, croyons-nous, la véritable interprétation. Le P. Patrizi
affaiblit cependant la pensée quand il dit : « On n’indique rien d’autre par là que, pendant les quarante jours
de son jeûne, le Christ n’a parlé avec personne » [164]. Ces animaux du désert étaient alors, comme
aujourd’hui, les panthères, les hyènes, les ours et les chacals : plus d’un voyageur les a rencontrés ou a
entendu leurs cris dans ces parages. — Les anges le servaient. Les anges aussi sont aux côtés de Jésus, pour
le servir comme leur Prince vénéré. Quelle étrange réunion autour du divin Maître ! Satan, les bêtes fauves,
les esprits célestes, c’est-à-dire l’enfer, la terre et le ciel ! Il y a là de frappants contrastes, qui sont d’ailleurs
très nettement marqués par S. Marc. Le v. 15 se compose en effet de deux phrases parallèles, ayant chacune
deux membres qui se correspondent exactement, énonçant des idées d’abord connexes, puis opposées : Jésus
était dans le désert et tenté par Satan ; il était avec les bêtes et servi par les anges. — Quoique la pensée
exprimée par le verbe « servir » soit des plus simples, elle a été mal comprise et défigurée par plusieurs
écrivains protestants, qui donnent aux anges la singulière mission de protéger Notre-Seigneur contre les
attaques des animaux sauvages. Lightfoot aussi est tombé dans l’erreur quand il a regardé la présence des
anges comme un second genre de tentation pour le Christ : d’après lui, le démon se serait dissimulé sous la
forme angélique afin de mieux réussir à tromper et à vaincre Jésus [165] ! — Tel est donc le récit de la
tentation du Christ d’après S. Marc : nous y voyons un remarquable exemple de l’indépendance des
Évangélistes en tant qu’écrivains. — Nous avons à noter encore sur le v. 13 que les mots « et quarante nuits »
manquent dans le texte grec ; c’est probablement un emprunt fait à S. Matthieu par quelque copiste.