Marc 4, 29
Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »
Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »
Le Sauveur vient d'exposer la parabole de la semence, dont trois parties ont été perdues de diverses manières, et une seule a été conservée; et il nous a montré dans cette dernière partie trois classes de fidèles, distinguées par des degrés divers de foi et de vie chrétienne. Cette nouvelle parabole n'a pour objet que ceux qui sont sauvés: «Et il disait: Il en est du royaume de Dieu comme d'un homme qui a semé», etc.
Ou bien le royaume de Dieu, c'est la foi en Jésus-Christ et le mystère de son incarnation. Il en est de ce royaume comme d'un homme qui jette en terre de la semence, car le Sauveur, Dieu et Fils de Dieu par sa nature, devenu homme sans altération de su substance divine, a jeté pour nous sa semence sur la terre, c'est-à-dire qu'il a éclairé le monde entier par la parole qui lui a donné la connaissance de Dieu.
Ou bien, ce semeur qui se lève, c'est Jésus-Christ qui d'abord restait assis, attendant avec une miséricordieuse bienveillance que les âmes qui avaient reçu la semence produisent du fruit. Il se lève ensuite lorsque, par la douce influence de sa parole, il aide notre fécondité par les armes de justice qu'il nous met dans la main droite, et dont le jour est le symbole, et dans la main gauche, qui est représentée par la nuit des persécutions; voilà ce qui lait germer la semence et l'empêche de se dessécher.
Ou bien cette expression: «Sans qu'il le sache» nous apprend la liberté laissée à ceux qui reçoivent la parole. Il confie à notre volonté l'oeuvre de notre salut; il ne produit pas seul tout le bien dans notre âme, afin qu'elle ne paraisse pas l'accomplir involontairement; aussi ajoute-t-il: «La terre produit d'elle-même», c'est-à-dire notre âme n'est pas contrainte à produire des fruits, et sa volonté concourt à sa fécondité: «Elle produit d'abord de l'herbe».
Ou bien l'herbe qui pousse d'abord, c'est le fruit de la loi de nature qui ne se développe que lentement; plus tard se montrent les épis qui seront réunis en gerbes et offerts à l'autel du Seigneur sous la loi de Moïse; enfin sous l'influence de l'Évangile, le fruit parvient à sa maturité. On peut dire encore que nous devons non seulem ent nous couvrir des feuilles de l'obéissance, mais par la pratique de la prudence nous tenir droits et fermes comme la tige de l'épi, sans aucun souci des vents qui nous agitent. Enfin, nous devons nous appliquer, aidés du secours de la mémoire, à faire produire à notre aine des fruits comme l'épi chargé de grains, c'est-à-dire le développement complet de la vertu.
Le royaume de Dieu, c'est son Eglise qu'il dirige lui-même, et qui à son tour dirige les hommes et foule aux pieds les vices et les puissances qui s'opposent à son action.
La semence, c'est la parole de vie; la terre qui reçoit la semence, c'est le coeur de l'homme, et le semeur qui se livre au sommeil, c'est la mort du Sauveur. La semence germe et pousse le jour et la nuit; ainsi le nombre des fidèles, après le sommeil de Jésus-Christ, ne cessa de germer par la foi et de se développer par les oeuvres à travers les vicissitudes des événements tour à tour heureux ou malheureux.
Ces paroles: «Sans qu'il sache comment», sont une expression figurée, c'est-à-dire que Jésus-Christ nous laisse ignorer qui de nous portera du fruit jusqu'à la fin.
Cette herbe, c'est la crainte de Dieu qui est le commencement de la sagesse ( Ps 110): «Puis un épi», c'est-à-dire la pénitence avec ses larmes; et enfin le blé qui remplit l'épi, c'est-à-dire la charité, car la charité est le parfait accomplissement de la loi ( Rm 13) .
La faux, c'est la mort ou le jugement qui tranche tout; la moisson, c'est la fin et la consommation des siècles.
Ou bien, l'homme qui répand la semence sur la terre, c'est le chrétien qui sème dans son âme une intention sainte; il semble dormir quand il se repose dans la douce espérance que produit une bonne vie; et il se lève le jour et la nuit lorsqu'il avance dans la vertu, tant au milieu des épreuves qu'au sein de la prospérité. Le grain germe sans qu'il le sache, car lorsqu'il est incapable d'en mesurer les progrès, la vertu dont il a conçu le désir arrive à son complet développement. Lors donc que nous concevons de bons désirs, nous répandons la semence dans la terre; lorsque nous commençons à faire le bien, nous produisons de l'herbe; lorsque nous faisons des progrès dans la pratique des bonnes oeuvres, nous devenons un épi ferme et vigoureux; et si enfin nous parvenons à la perfection de la vertu, nous présentons au regard de Dieu un épi rempli de grains parvenus à la maturité.
Ou bien encore, le Christ dort, c'est-à-dire qu'il monte au ciel, ou quoiqu'il paraisse dormir, il se lève, soit la nuit, en nous envoyant des épreuves qui nous rappellent son souvenir, soit le jour, lorsque, exauçant nos prières, il multiplie pour nous les moyens de salut.
La semence produit d'abord de l'herbe, c'est le commencement du bien; puis un épi, c'est la résistance aux tentations; puis le blé qui remplit l'épi, c'est l'oeuvre arrivée à sa perfection.
Et lorsque le fruit est mûr. La Peschito syriaque traduit : « Quand les fruits
donneront grassement du retour », et la version de Philoxène : « Lorsque le fruit sera parfait ». Le récit
suppose donc que le blé est parfaitement mûr et qu’il est temps de le moissonner. — Aussitôt on y met la
faucille, latinisme de S. Marc, ou plutôt hébraïsme de Jésus lui-même. Cf. Jl 3.13 ; שלחו מגל. La faucille est
mentionnée encore dans un autre passage du Nouveau Testament, que nous citons en entier parce qu’il peut
nous aider à mieux comprendre celui-ci ; « Et je vis : et voilà une nuée blanche et, assis sur la nuée,
quelqu’un de semblable au Fils de l’homme, ayant sur sa tête une couronne d’or, et en sa main une faux
tranchante. Et un… ange sortit du temple, criant d’une voix forte à celui qui était assis sur la nuée ; Lance ta
faux et moissonne, car l’heure de moissonner est venue, parce que la moisson de la terre est sèche. Et celui
qui était assis sur la nuée jeta sa faux sur la terre, et la terre fut moissonnée ». Ap 14, 14-16. Dans notre
parabole, comme dans ces lignes de l’Apocalypse, la moisson représente donc l’époque de la fin du monde.
Voici maintenant la signification générale de cette gracieuse histoire de la semence qui croît secrètement. On
peut sans doute l’appliquer à chaque âme individuelle et à l’influence qu’y exerce la parole divine prêchée
par les ministres de l’Évangile. Alors la morale serait : « Moi (Paul), j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est
Dieu qui donnait la croissance », 1Co 3, 6. Le prédicateur sème le bon grain, mais ce n’est pas lui qui le fait
germer. Qu’il n’ait donc pas de préoccupation humaine au sujet de son développement : qu’il évite de
s’inquiéter outre mesure, de s’impatienter, si la croissance n’est pas aussi rapide qu’il le souhaiterait, car « la
semence se développe à son insu ». Ce premier sens est évidemment contenu dans la parabole, et il est à
coup sûr très consolant pour nous, puisqu’il nous montre l’énergie secrète, énergie pourtant très réelle, de la
parole divine, qui lui fait produire des effets merveilleux quoique invisibles. Toutefois, on doit admettre aussi
un autre sens plus universel, qui répond directement aux intentions premières de Jésus. En effet, puisque
cette parabole est rangée parmi celles qui traitent du royaume des cieux, il est manifeste par là -même qu’elle
doit s’appliquer avant tout à l’Église, à l’empire messianique considéré dans son ensemble. À ce point de
vue, ainsi qu’il a été dit dans la note du v. 26, c’est par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même que la semence
a été jetée : c’est par lui que la moisson sera faite à la fin des temps. Entre ces deux époques, le grain qui
représenta l’Évangile se développe lentement, d’une manière indépendante de l’action humaine ; mais il se
développe sûrement, il a ses évolutions successives, ses progrès magnifiques, qui font que l’Église du Christ,
d’abord semblable à l’humble gazon qui sort timidement du sol, devient ensuite peu à peu un riche épi, qui se courbe sous le poids du blé qu’il contient. Ainsi comprise, cette parabole ajoute réellement une idée neuve
aux sept autres (Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, Matth. 13-52), et c’est pour cela que l’Esprit Saint nous
l’a conservée par l’intermédiaire de S. Marc.
Le mystère de l’Église sainte se manifeste en sa fondation. En effet, le Seigneur Jésus posa le commencement de son Église en prêchant l’heureuse nouvelle, l’avènement du règne de Dieu promis dans les Écritures depuis les siècles : « que les temps sont accomplis et que le Royaume de Dieu est là » (Mc 1, 15 ; Mt 4, 17). Ce Royaume, il brille aux yeux des hommes dans la parole, les œuvres et la présence du Christ. La parole du Seigneur est en effet comparée à une semence qu’on sème dans un champ (Mc 4, 14) : ceux qui l’écoutent avec foi et sont agrégés au petit troupeau du Christ (Lc 12, 32) ont accueilli le Royaume lui-même ; puis, par sa propre vertu, la semence germe et croît jusqu’au temps de la moisson (cf. Mc 4, 26-29). Les miracles de Jésus confirment également que le Royaume est déjà venu sur la terre : « si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé parmi vous » (Lc 11, 20 ; Mt 12, 28). Avant tout cependant, le Royaume se manifeste dans la personne même du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme, « venu pour servir et donner sa vie en rançon d’une multitude » (Mc 10, 45).
Dans ce grand effort pour une nouvelle culture de la vie, nous sommes soutenus et animés par l'assurance de savoir que l'Evangile de la vie, comme le Royaume de Dieu, grandit et donne des fruits en abondance (cf. Mc 4, 26-29). Certes, la disproportion est énorme entre les moyens considérables et puissants dont sont dotées les forces qui travaillent pour la « culture de la mort » et les moyens dont disposent les promoteurs d'une « culture de la vie et de l'amour ». Mais nous savons pouvoir compter sur l'aide de Dieu, à qui rien n'est impossible (cf. Mt 19, 26).