Marc 9, 49
Chacun sera salé au feu.
Chacun sera salé au feu.
Ce n'est pas des membres de notre corps que le Sauveur veut parler ici, mais de nos amis intimes, qui nous sont aussi chers et aussi nécessaires que les membres de notre corps; rien de plus nuisible, en effet, qu'une liaison dangereuse.
Le Sauveur cite à l'appui ce témoignage du prophète Isaïe ( Is 66, 24): «Ou le ver qui les ronge ne meurt point, ou le feu ne s'éteint jamais». Ce ver n'est pas un ver extérieur et sensible; c'est la conscience qui déchire l'âme coupable, parce qu'elle n'a point fait le bien. Chacun sera alors son propre accusateur, par le souvenir de ce qu'il aura fait pendant sa vie; c'est en ce sens que le ver ne meurt point.
Ces paroles ont quelque analogie avec celle de saint Paul ( 1Co 3 ): « Le feu éprouvera l'ouvrage de chacun ». Les paroles qui suivent sont tirées du Lévitique ( Lv 2): «Et toute victime sera assaisonnée de sel».
Ou bien ces paroles signifient que toute victime que nous offrons, soit la prière adressée à Dieu, soit l'aumône faite au prochain doit être salée de ce feu divin, dont le Sauveur a dit: « Je suis venu apporter le feu sur la terre » ( Lc 12, 49). Il ajoute: «Le sel est bon», c'est-à-dire le feu de l'amour divin; mais si le sel s'affadit, c'est-à-dire s'il perd la saveur qui lui est propre, et à laquelle il doit d'être bon, comment lui rendrez-vous cette saveur? Il y a en effet des sels qui ont de la saveur, image des âmes qui possèdent la plénitude de la grâce; et il y a des sels fades, qui figurent les âmes où ne règne pas l'amour de la paix.
Ou bien, selon saint Matthieu, ce sont les Apôtres de Jésus-Christ qui sont le sel de la terre, en la préservant de la pourriture qu'y introduit l'idolâtrie et la corruption du péché. On peut encore entendre ces paroles en ce sens que chacun de nous est un sel dans la mesure de grâces qu'il reçoit. Aussi l'Apôtre unit-il la grâce et le sel, quand il dit: « Que vos paroles soit assaisonnées de sel dans la grâce de Dieu » ( Col 4). Enfin, Jésus-Christ est lui même un sel; il a pu préserver la terre entière et produire même un grand nombre d'autres sels; ceux de ces sels qui viendraient à se corrompre (car des sels bons aujourd'hui peuvent changer et devenir eux-mêmes des germes de pourriture), il faut les jeter dehors.
Ou bien il vaut mieux entrer dans la vie éternelle étant mutilé, c'est-à-dire sans ce pouvoir, objet de vos désirs ambitieux, que d'être précipité avec vos deux mains dans le feu éternel. Le pouvoir a deux mains, l'humilité et l'orgueil; retranchez celle de l'orgueil, et ne vous réservez que celle d'une autorité humble et modeste.
La victime du Seigneur, c'est le genre humain tout entier; ici-bas, il est assaisonné du sel de la sagesse, jusqu'à ce que la corruption du sang (qui conserve la pourriture et engendre les vers) soit détruite et qu'il soit purifié dans l'autre monde par les flammes du purgatoire.
Ou bien le sel affadi, c'est l'homme qui aime l'exercice du pouvoir, et qui n'ose réprimander le vice. Aussi le Sauveur dit-il: «Conservez en vous le sel», etc., de manière que l'amour du prochain tempère l'amertume de la correction, et qu'il soit lui-même assaisonné par le sel de la justice.
Ceux qui prétendent que le feu et le ver désignent seulement le châtiment particulier de l'âme et non celui du corps, disent que les réprouvés séparés de Dieu sont brûlés par la douleur à laquelle est en proie une âme qui ressent un repentir tardif et in fructueux; cette douleur intérieure, disent-ils, est parfaitement représentée par le feu, selon les paroles de l'Apôtre ( 2Co 11 )
«Qui est scandalisé sans que je brûle ?» et par le ver, d'après ces paroles des Proverbes ( Pr 25): «Comme la teigne dévore les vêtements et le ver le bois, de même le chagrin déchire le coeur de l'homme». Ceux qui soutiennent qu'il y a dans l'enfer un supplice pour l'âme, et un autre pour le corps, disent que le feu est la peine du corps, et que celle de l'âme est la douleur qui est semblable à un ver qui ronge. Cette interprétation est plus vraisemblable; car il serait absurde de prétendre que dans l'enfer le corps ou l'âme seront exempts de souffrances. Cependant j'aime mieux penser que ces deux peines se rapportent au corps, plutôt que de soutenir qu'on ne peut lui faire application ni de l'une, ni de l'autre. Donc dans ces paroles de l'Évangile, il n'est pas question du supplice de l'âme; on le déduit seulement comme conséquence, le corps ne pouvant souffrir sans que l'âme elle-même soit soumise à la douleur. Que chacun adopte l'interprétation qui lui paraît la plus probable; qu'il dise que le feu est le supplice du corps, et le ver celui de l'âme, en conservant au feu son sens naturel, et prenant le ver dans un sens figuré; ou bien qu'il applique au corps l'un et l'autre supplice. Car la toute-puissance du Créateur peut permettre miraculeusement que les êtres animés vivent dans le feu, qu'ils brûlent sans se consumer, qu'ils y souffrent sans mourir.
Une vérité ressort de ces paroles, c'est que souvent des hommes dévoués au nom chrétien, avant même d'appartenir à la grande famille chrétienne, rendent plus de services que d'autres qui, portant le titre de chrétiens et nourris des sacrements de l'Eglise, donnent cependant de si mauvais conseils qu'ils entraînent avec eux dans la damnation éternelle ceux qui ont le malheur de les écouter. Ce sont ces hommes que Notre-Seigneur compare aux membres du corps, à la main ou à l'oeil qui scandalisent; il veut que ces hommes soient impitoyablement retranchés du corps, c'est-à-dire de l'unité de l'Eglise, de sorte que nous entrions sans eux dans la vie, au lieu d'être précipités avec eux dans la mort éternelle. Les retrancher du corps, c'est refuser son assentiment à leurs mauvais conseil, c'est-à-dire à leurs scandales. Si leur perversion vient à se manifester aux âmes fidèles avec qui ils sont en relation, il faut briser tout lien avec eux et les exclure de la participation aux sacrements. Si au contraire ils ne sont connus que d'un petit nombre, si le plus grand nombre ignore leurs dispositions criminelles, il faut les tolérer avec patience, mais sans participer en rien à leur vie criminelle, et d'un autre côté, sans sacrifier pour eux la communion avec les bons.
Saint Marc rapporte toutes ces paroles de Notre-Seigneur comme ayant été dites sans interruption les unes après les autres; il en rapporte quelques-unes qu'on ne trouve dans aucun des trois autres Évangélistes, d'autres qui sont rapportées soit par saint Matthieu, soit par saint Luc, mais dans des circonstances différentes et dans un tout autre ordre. Je pense donc que Notre-Seigneur renouvelle ici les recommandations qu'il avait faites dans d'autres circonstances, parce qu'elles se rapportaient parfaitement à la défense qu'il venait de faire à ses disciples, de ne point empêcher un homme qui ne marchait pas avec eux à sa suite de faire des miracles en son nom.
Ou bien le divin Maître a ici en vue ces hommes qui, élevés au-dessus de leurs frères par une science plus profonde, se séparent de leur société, et qui s'éloignent d'autant plus de la vertu de charité qu'ils font de plus grands progrès dans la science.
Celui qui vient parler le langage de la science doit veiller soigneusement à ce que ses paroles ne brisent pas l'unité parmi les auditeurs, et à ne pas rompre imprudemment ce lien de l'unité en prétendant à la réputation de savant.
Notre-Seigneur vient de nous recommander de ne point scandaliser ceux qui croient en lui; il nous avertit maintenant de nous tenir en garde contre ceux qui tenteraient de nous scandaliser, c'est-à-dire qui, par leurs paroles ou leurs exemples, nous pousseraient à notre ruine en nous faisant commettre le péché: «Si votre main est pour vous une occasion de péché, dit-il, coupez-la».
Ce que le Sauveur appelle notre main, c'est notre intime ami dont tous les jours nous réclamons les bons offices. Si cet ami veut attenter à la vie de notre âme, brisons tous les liens qui nous attachent à lui, car si durant cette vie nous nous attachons à un méchant, nous périrons éternellement avec lui; c'est la vérité qu'expriment les paroles qui suivent: «Il vaut mieux pour vous entrer dans la vie ayant un membre de moins».
Le ver, c'est la douleur poignante qui accuse au-dedans; le feu, c'est le supplice qui tourmente au dehors. Ou bien on peut voir dans le ver la pourriture de l'enfer, et dans le feu son ardeur dévorante.
Le pied figure un ami, parce qu'il nous sert pour marcher et qu'il n'existe que pour notre utilité. «Et si votre oeil vous scandalise», etc. L'oeil aussi représente un ami utile, vigilant, habile à découvrir les moindre dangers.
Ou bien le sel est bon, c'est-à-dire il est bon d'entendre fréquemment la parole de Dieu et de préserver les secrets de son coeur à l'aide du sel de la sagesse spirituelle.
Notre-Seigneur, qui vient trois fois de suite de parler de ver et de feu, pour nous déterminer à éviter ce terrible supplice, ajoute: «Tout homme sera salé par le feu». Le ver naît de la corruption de la chair et du sang; aussi sale-t-on la chair des animaux qu'on vient de tuer, afin que le sang étant absorbé, elle ne puisse produire de vers. Aussi tout ce qui est salé est à l'abri de la putréfaction. Mais ce qui est salé par le feu, c'est-à-dire couvert de feux assaisonnés de sel, non-seulement éloigne les vers, mais consume la chair elle-même. La chair et le sang produisent donc les vers, en ce sens que la volupté charnelle qui n'est pas repoussée par l'assaisonnement de la chasteté produit pour les impudiques la corruption éternelle. Voulez-vous éviter la puanteur de cette corruption? Assaisonnez les membres de votre corps du sel de la continence, et que le sel de la sagesse préserve votre âme de toute souillure d'erreurs ou de vices; car le sel signifie la douceur de la sagesse, et le feu la grâce du Saint-Esprit. Ces paroles: «Tout homme sera salé par le feu», signifient donc que tout élu doit se préserver par la sagesse spirituelle de la corruption de la concupiscence charnelle. Ou bien il s'agit ici du feu de la tribulation qui aide le juste à perfectionner ses oeuvres par la patience ( Jc 3, 3).
Nous pouvons encore considérer le coeur des élus comme l'autel de Dieu; les hosties et les sacrifices qui doivent être offerts sur cet autel sont les bonnes oeuvres des fidèles. Le sel doit entrer dans tous les sacrifices, c'est-à-dire qu'aucune oeuvre n'est parfaitement bonne, si le sel de la sagesse ne l'a purifiée de la corruption de la vaine gloire ou des autres pensées mauvaises ou inutiles.
La Glose
Cet homme à qui il manque un membre, c'est celui qui est privé du secours d'un ami; il vaut mieux, sans avoir d'ami, jouir de la vie éternelle, que d'être précipité avec cet ami dans les flammes de l'enfer.
Ou bien encore, celui qui s'attache au prochain par le lien de la charité a le sel recommandé par le Sauveur et par conséquent la paix avec son frère.
Comme le sel conserve les chairs et empêche les vers de s'engendrer; ainsi la parole de celui qui enseigne, si elle a la puissance de dessécher les mauvaises humeurs, réprime les convoitises des hommes charnels, et empêche ce ver qui ronge éternellement de s'engendrer au fond de leur coeur. Mais si cette parole est fade, c'est-à-dire si elle n'a pas la puissance de dessécher et de conserver, où est le sel qui donnera l'assaisonnement?
Le sel est bon. Ce sel mystique, dont le Sauveur vient de
signaler l’heureux effet, est excellent sans doute, tout aussi bien que le sel naturel. Mais s’il devient fade,
littéralement, « sans sel », c’est-à-dire fade et sans saveur, sa vertu a disparu tout entière, et on ne saurait
trouver de condiment capable de la lui rendre. Cf. Matth. 5, 13 ; Luc 14, 34, où l’on trouve la même idée
avec une nuance. Donc, ajoute Notre-Seigneur Jésus-Christ s’adressant à ses Apôtres, ayez du sel en vous,
ayez-en toujours une abondante provision dans vos cœurs ; laissez agir sa force en vous, sans lui permettre
de jamais s’affadir. — Puis, le divin Maître, revenant au fait qui avait servi de point de départ à l’entretien,
vv. 32 et 33, conclut par cette exhortation pressante : ayez la paix entre vous (plus énergique dans le texte grec, littéralement « soyez en paix l’un avec l’autre »). Cette parole finale était d’autant plus expressive que,
dans l’Orient ancien et moderne, le sel, sur lequel avait roulé la dernière partie de l’allocution, a toujours été
regardé comme un symbole de paix et d’alliance [425]. Notre Évangéliste termine par ce grave discours le
séjour de Jésus en Galilée. Il passe sous silence plusieurs paraboles et sentences pleines d’intérêt rapportées
par S. Matthieu, Matth. 18, 10-35.