Matthieu 1, 16

Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ.

Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ.
Eusèbe de Césarée
Mathan et Melchi eurent, chacun à des époques différentes, des enfants de la même femme appelée Jesca. Mathan qui descendait de Salomon l'avait eue le premier pour épouse, et il était mort en lui laissant un fils unique appelé Jacob. Après sa mort, la loi ne défendant pas à sa veuve de prendre un autre époux, Melchi, qui était parent de Mathan, de la même tribu, mais non de la même famille, épousa la femme de Mathan et en eut un fils nommé Héli. C'est ainsi que Jacob et Héli, frères utérins, naquirent de deux pères différents. Jacob, de son côté, en vertu de la prescription expresse de la loi, épousa la femme de son frère Héli, mort sans enfants, et en eut un fils, Joseph ; c'est pour cela que nous lisons : " Jacob engendra Joseph. " Joseph fut donc le fils naturel de Jacob, tandis qu'il était considéré comme le fils légal d'Héli, dont Jacob n'avait épousé la veuve que pour donner des enfants à son frère. C'est ainsi que se trouvent justifiées la vérité et l'intégrité des généalogies de saint Matthieu et de saint Luc. Ce dernier a suffisamment distingué la succession légale qui était une espèce d'adoption à l'égard du défunt, en évitant, dans l'exposé de ces successions, de parler de génération proprement dite.

Ce ne sont pas là des documents arbitraires, trouvés par hasard et dépourvus de toute authenticité, car ce sont les parents du Sauveur qui nous les ont transmis, soit par le désir de faire connaître une naissance si auguste, soit pour rétablir la vérité des faits.
Saint Jean Chrysostome
Après avoir énuméré tous les ancêtres de Jésus-Christ, il finit par Joseph, et il ajoute : " L'époux de Marie, " pour montrer que c'est à cause de Marie qu'il l'a placé dans la généalogie.
Saint Jérôme
Julien Auguste voit ici une preuve de contradiction entre les Évangélistes ; pourquoi, dit-il, Matthieu écrit-il que Joseph est le fils Jacob, tandis que Luc le donne comme le fils d'Héli ? Julien paraît ne pas comprendre le langage de l'Écriture, qui appelle également du nom de père et celui qui l'est par nature et celui qui l'est en vertu de la loi. C'est ce que nous apprend la loi de Moïse, expression de la volonté divine, en ordonnant, lorsqu'un homme meurt sans enfant, que son frère ou un de ses proches parents prenne pour épouse la femme du défunt pour donner des enfants à ce dernier (Deut.)Africanus le chronologiste et Eusèbe de Césarée (dans son traité intitulé ?? ou de la divergence des Évangélistes) ont parfaitement discuté et résolu cette question.

Que ce nom " l'époux de Marie " ne vous rappelle aucune idée de mariage, car les saintes Écritures donnent ordinairement le nom d'époux ou d'épouse aux simples fiancés.

Un lecteur attentif fera peut-être cette question : Puisque Joseph n'est pas le père du Dieu sauveur, quel rapport peut avoir avec Jésus cette généalogie qui descend jusqu'à Joseph ? Nous répondrons d'abord que ce n'est pas l'usage des écrivains sacrés de donner dans les généalogies la descendance des femmes ; en second lieu que Joseph et Marie étaient de la même tribu et que Joseph était obligé de la prendre pour épouse à cause de la parenté qui existait entre eux, ce que prouve leur inscription simultanée à Bethléem comme étant de la même famille.
Saint Augustin
Ces paroles condamnent l'opinion de Valentin, qui soutenait que le Christ n'avait rien reçu de Marie, mais qu'il n'avait fait que passer par elle comme par un ruisseau ou par un canal.

Que le Christ ait voulu prendre dans le sein d'une femme un corps semblable au nôtre, c'est chez lui l'effet d'une haute sagesse, soit qu'il ait voulu ainsi honorer les deux sexes en prenant la forme d'un homme et en recevant l'existence par le moyen d'une femme, soit pour tout autre motif qu'il ne nous appartient pas d'examiner.

Ce que Dieu donnait par l'onction à ceux qui étaient sacrés rois, l'Esprit saint le confère à l'humanité du Christ, en la sanctifiant. C'est pour cela qu'à sa naissance il reçut le nom de Christ, ainsi que l'ajoute l'Évangéliste : " Qui est appelé le Christ. "

Tous les biens du mariage se trouvent réunis dans cette union de Joseph et de Marie : la fidélité, les enfants, le pacte mutuel. Jésus-Christ est leur enfant béni. La fidélité du mariage a été gardée, puisqu'il n'y a pas en d'adultère, il y a eu pacte sacré puisqu'il n'y a pas eu de divorce.

L'expression de fils à l'égard de celui qui ne l'était que par adoption, était plus convenable et plus juste que celle d'engendré, puisqu'il n'était pas né de son sang. Saint Matthieu, au contraire, en commençant sa généalogie par ces mots : " Abraham engendra Isaac, " et en s'exprimant toujours de même jusqu'à la fin, où il dit : " Jacob engendra Joseph, " marque assez par là que ce père l'a engendré selon l'ordre naturel, et que Joseph est, non pas son fils adoptif, mais son véritable fils. Et toutefois, quand même saint Luc aurait employé la même expression à l'égard de Joseph adopté par Héli, nous ne devrions pas en être embarrassé, car on peut sans absurdité dire d'un homme qu'il a engendré, par l'affection et non dans la réalité, l'enfant qu'il a cru devoir adopter.

C'est avec raison que saint Luc, qui place la généalogie du Christ, non pas en tête de son Évangile, mais au baptême du Christ, en le présentant surtout comme le prêtre chargé de l'expiation de nos péchés, a choisi de préférence l'origine d'adoption, car c'est par l'adoption et en croyant au Fils de Dieu que nous devenons nous-mêmes les enfants de Dieu. Dans la génération charnelle, au contraire, que raconte saint Matthieu, le Fils de Dieu se montre surtout à nous comme s'étant fait homme pour nous. D'ailleurs, saint Luc nous apprend assez qu'eut appelant Joseph fils d'Héli, il veut parler de son adoption, puisqu'il donne le nom de fils de Dieu à Adam, que Dieu avait établi comme un fils dans le paradis terrestre en vertu d'une grâce qu'il perdit plus tard.

Cependant il n'est pas permis de conclure qu'il n'y avait pas de mariage entre Marie et Joseph de ce que le Christ n'était pas né de leur union, mais qu'il avait été enfanté par une vierge. C'est un magnifique exemple donné aux fidèles engagés dans les liens du mariage, et qui leur apprend que tout en gardant la continence d'un mutuel accord, le mariage ne laisse pas d'exister, par la seule union des âmes, sans l'union des corps, alors surtout qu'on voit naître ici un fils sans qu'il y ait en d'union charnelle.

Un autre motif pour lequel la généalogie devait descendre jusqu'à Joseph, c'était de conserver dans cette union la prééminence à son sexe, alors surtout que la vérité des faits n'avait pas à en souffrir, puisque Joseph et Marie étaient tous deux de la race de David.

Nous croyons donc que Marie était de la race de David, sur la foi des Écritures qui nous apprennent ces deux choses que le Christ était de la race de David selon la chair, et que Marie était sa mère non en vertu de son mariage, mais en demeurant vierge.

Le Fils de Dieu n'est autre que le Fils de l'homme, mais c'est le même Christ qui est à la fois le Fils de l'homme et le Fils de Dieu. De même que dans un seul et même homme l'esprit et le corps sont deux choses différentes, ainsi dans le médiateur de Dieu et des hommes, le Fils de Dieu et le Fils de l'homme sont deux choses distinctes, mais qui concourent à former un seul et même Seigneur Christ ; car s'il y a ici deux choses distinctes parce qu'il y a deux substances, il n'y a cependant qu'une seule et même personne. Les hérétiques nous font cette objection : Je ne sais pas comment vous enseignez que celui qui, selon vous, est coéternel au Père, ait put naître clans le temps, car naître c'est comme le mouvement que fait avant sa naissance un être qui n'existe pas, et dont le but est de se procurer l'existence par le moyeu de cette naissance. Donc il faut conclure que celui qui existait n'a pu naître, ou que s'il a pu prendre naissance, c'est qu'il n'existait pas. Voici comment saint Augustin répond à cette difficulté : Supposons, comme plusieurs auteurs le prétendent, qu'il y ait dans le monde une âme universelle qui vivifie les germes de tous les êtres par une opération ineffable, en restant toujours distincte de ce qu'elle anime et vivifie. Lorsqu'elle pénétrera dans le sein de la mère pour y donner la forme à la matière passive qu'elle y trouve, elle fera de cette matière, d'une nature toute différente de la sienne, une seule personne avec elle. C'est ainsi que l'opération de l'âme et la passibilité de la matière concourent à former un seul homme de deux substances distinctes, l'âme étant tout à fait différente du corps, et nous disons que l'âme prend naissance dans le sein de la mère, tout en reconnaissant d'ailleurs que c'est en venant elle-même dans le sein maternel qu'elle y donne bu vie au germe qui est conçu.

Nous disons qu'elle est née du sein de la mère, parce qu'elle s'y est unie à un corps dans lequel elle put naître, sans qu'on puisse en conclure qu'elle n'existait pas avant sa naissance. C'est ainsi, ou plutôt c'est d'une manière bien plus incompréhensible et plus élevée, que le Fils de Dieu a pris naissance dans le sein de sa mère en s'y revêtant de la nature humaine tout entière, lui qui, par su toute-puissance unique, donne l'être à tout ce qui est engendré dans l'univers.
Gennadius
Le Fils de Dieu est né de l'homme (c'est-à-dire de Marie), et non par le moyen de l'homme, c'est-à-dire des relations de l'homme avec la femme, comme le prétend Ebion, et c'est avec un dessein marqué que l'Évangéliste ajoute : " Marie, de laquelle est né Jésus. "
Rabanus Maurus
Après la généalogie des ancêtres de Jésus-Christ, l'Évangéliste donne en dernier lieu celle de Joseph, époux de Marie, à laquelle toutes les autres se rapportaient : " Et Jacob engendra Joseph. "
Saint Bernard de Clairvaux
C'était la coutume des Juifs que l'épouse soit confiée à la garde de l'époux depuis le jour de leurs fiançailles jusqu'au jour des noces. C'était à lui de veiller d'autant plus attentivement sur la chasteté de sa fiancée qu'il voulait ainsi trouver en elle une épouse plus fidèle. De même donc que Thomas, en doutant et en touchant de ses mains, devint le témoin le plus sûr de la résurrection du Seigneur, de même Joseph, en se fiançant à Marie et en examinant plus attentivement sa manière de vivre pendant le temps où elle était confiée à sa garde, devint le témoin le plus fidèle de sa chasteté. Quel beau rapport il y a entre ces deux faits: le doute de Thomas et les fiançailles de Marie!

Il fallait donc que Marie soit accordée en mariage à Joseph, car c'était le moyen de cacher aux infidèles ce saint mystère, de faire confirmer sa virginité par son époux, de garanti r la pudeur de la Vierge et de prendre soin de sa réputation. Existait-il un moyen plus sage et qui soit plus digne de la divine Providence? En vertu de cette unique disposition, les secrets célestes ont trouvé un témoin, ils ont échappé à la connaissance de l'Ennemi et l'honneur de la Vierge a été préservé. Sans cette assurance, comment un homme juste aurait-il pu épargner une femme adultère?

Mais il est écrit: Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement; il décida de la répudier en secret (Mt 1,19). Ainsi, c'est parce qu'il était juste qu'il ne voulut pas la dénoncer publiquement. De même qu'il n'eût pas été un homme juste s'il avait approuvé une fiancée qu'il savait coupable, de même il n'eût pas été juste s'il l'avait condamnée tout en la sachant innocente. Comme il était juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, il décida de la répudier.

Quelqu'un pourrait toutefois en juger autrement et faire l'objection suivante: Joseph, en homme qu'il était, a douté de la fidélité de Marie, et, en homme juste, n'a assurément pas voulu habiter avec Marie en raison de ce doute. Mais comme il était bon, il n'a pas voulu la dénoncer comme suspecte, et a donc décidé de la répudier en secret.

Je réponds en deux mots que, même dans cette hypothèse, le doute de Joseph a été opportun, puisqu'il a dû être levé par une parole divine. Car il est écrit: Il avait formé ce projet, à savoir de la répudier en secret, lorsque l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: l'enfant qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint (Mt 1,20).

Telles sont donc les raisons pour lesquelles Marie fut fiancée à Joseph, ou plutôt, comme dit l'évangéliste Luc, à un homme appelé Joseph (Lc 1,27). Il l'a appelé "un homme" non parce qu'il était son mari, mais parce qu'il possédait la vertu qui fait les hommes. Ou plutôt, puisque l'évangéliste Matthieu ne l'a pas désigné comme un homme, mais comme son époux (Mt 1,19), cette dernière appellation signifiait à bon droit comment il fallait qu'on le considère. Il devait donc être appelé son époux puisqu'il fallait qu'il soit tenu pour tel.

De même, il a mérité aussi, non pas d'être le père du Sauveur, mais d'être appelé de ce nom, afin qu'on le tienne pour tel, d'après ce que dit l'évangéliste Luc: Au moment de ce début, Jésus avait environ trente ans; il était considéré comme fils de Joseph (Lc 3,23). Il n'était donc ni l'époux de la mère, ni le père du fils, et cepend ant, par une disposition sûre et nécessaire de la Providence, comme je l'ai déjà dit, il reçut pendant un temps le nom d'époux et de père, et fut tenu pour tel.

Mais pense à l'estime dont il a mérité de jouir auprès de Dieu en recevant le nom, même purement formel, de père de Dieu, et en étant tenu pour tel. Pense en outre à son nom propre, que tu ne peux hésiter à considérer comme un honneur supplémentaire, et tu te feras une idée de l'homme extraordinaire que Joseph a été.

Nul ne peut douter que Joseph ait été un homme bon et fidèle, lui qui a eu pour épouse la mère du Sauveur. Il fut le serviteur fidèle et sage que le Sauveur a placé près de Marie pour être le consolateur de sa mère, le père nourricier de son corps et, en un mot, l'unique coopérateur très fidèle de sa grande oeuvre sur la terre.
Saint Thomas d'Aquin
84. Et maintenant vient Joseph, c’est-à-dire «accroissement», car par la grâce et l’effort du libre arbitre, l’homme en vient à la croissance, Pr 4, 8 : Le sentier des justes se déroule comme une lumière resplendissante et monte jusqu’au plein jour. Ainsi, JACOB ENGENDRA JOSEPH, L’ÉPOUX DE MARIE.

85. Mais ici se pose une double question. Premièrement, on s’interroge en effet sur la divergence qui semble exister entre Luc et Matthieu. Car, Luc dit que Joseph était le fils d’Héli, le fils de Mathat ; mais Matthieu dit qu’il était le fils de Jacob. Il semble donc y avoir une divergence entre eux. Mais, sur ce point, il faut dire que les deux étaient de la même lignée, mais non de la même famille, à savoir, Mathan et Mathat. En effet, ils étaient de la lignée de David, mais l’un descendait de la lignée de David par Salomon, à savoir, Mathan ; l’autre, par Nathan, à savoir, Mathat. Mathan prit donc une épouse qui portait le nom de Hesta, de laquelle il engendra Jacob ; mais après la mort de Mathan, comme la loi n’interdisait pas d’épouser une veuve, elle épousa le frère de celui-ci, Mathat, qui engendra d’elle Héli. Ainsi, Jacob et Héli étaient frères par la même mère, mais non par le même père. Héli prit une épouse et mourut sans enfants, de sorte que Jacob, afin de donner une descendance à son frère, la prit comme épouse et engendra Joseph. Ainsi Joseph était fils de Jacob selon la chair, mais fils d’Héli par adoption. Et c’est pourquoi Matthieu, qui ne présente dans la généalogie du Christ que les pères charnels, dit que Joseph était le fils de Jacob ; mais Luc, qui en présente plusieurs qui n’étaient pas des pères charnels, dit qu’il était le fils d’Héli. La raison de cette différence a été donnée plus haut. Mais il faut remarquer que lorsqu’un frère prenait l’épouse de son frère afin de lui donner une descendance, il ne faut pas comprendre que le fils qui était engendré était nommé du nom du défunt : en effet, Booz, qui a pris Ruth afin de donner une descendance à Élimélech, engendra un fils, qu’il n’appela pas Élimélech, mais Obed. Mais on dit qu’il donne une descendance à son frère dans la mesure où ce fils lui était imputé selon la loi. Et ceci n’est pas inconvenant, car, comme il est dit dans l’histoire ecclésiastique, les apôtres et les évangélistes eux-mêmes ont été instruits de la généalogie du Christ par les proches parents du Christ, qui la conservaient en partie dans leur cœur par la mémoire et en partie par ce qui est écrit dans les livres des Chroniques.

86. La seconde question est [la suivante] : Matthieu voulait écrire la généalogie du Christ. Or, comme le Christ n’était pas le fils de Joseph, mais [celui] de Marie seulement, pourquoi était-il nécessaire d’étendre la généalogie du Christ depuis Abraham jusqu’à Joseph ? Sur ce point, il faut dire que c’était la coutume, chez les Juifs, et ce l’est encore jusqu’à aujourd’hui, de prendre une épouse à l’intérieur de sa tribu ; ainsi, en Nb 36, 6s, il est dit que chacun prenne une épouse de sa tribu et de son clan. Et bien que ceci n’ait pas été nécessairement respecté, cela était respecté de manière coutumière. Ainsi, Joseph prit Marie comme épouse parce qu’elle lui était la plus proche. Et parce qu’ils étaient de la même lignée, afin que soit montré que Joseph descendait de David, il est aussi montré que Marie et le Christ étaient de la descendance de David.

87. Mais d’où peut-on tirer que Joseph et Marie étaient de la même tribu ? Cela s’éclaire par ce qui est dit en Lc 2, 4, car, lorsqu’on dut faire un recensement, Joseph lui-même et Marie montèrent vers la ville de David, qui est Bethléem. Ainsi, par le fait qu’il l’amena avec lui, il est clair qu’ils étaient de la même famille. Mais on se demande pourquoi il ne montre pas que le Christ descend de David à travers Marie. Il faut dire que ce n’est pas la coutume chez les Hébreux, pas davantage que chez les Gentils, de décrire une généalogie par les femmes. De sorte que le Christ, qui venait pour le salut des hommes, voulut imiter ou respecter sur ce point les habitudes des hommes. Et ainsi, sa généalogie n’est pas décrite selon les femmes, surtout que sa généalogie pouvait être connue selon les hommes sans risque pour la vérité.

88. L’ÉPOUX DE MARIE. Jérôme [commente] : «Lorsque tu entends “ époux ”, ne mets pas en doute qu’il s’agisse d’un mariage.» En sens contraire, ne s’agissait-il pas d’un vrai mariage ? Il faut dire qu’il en était bien ainsi, car là se trouvent les trois biens du mariage : la descendance, Dieu lui-même ; la fidélité, car il n’y a pas adultère ; et le sacrement, car existe l’indivisible union des âmes. Que faut-il donc dire ? [La question qui se pose] concerne l’accomplissement du mariage, qui se réalise par l’union charnelle. Ainsi donc, comme le dit Augustin, [Joseph] est appelé «époux» de Marie afin qu’il soit montré que le mariage existe entre deux [personnes] continentes, qui veulent également l’être. Mais comment cela fut-il un mariage ? Car un vœu empêche de contracter mariage et annule celui qui a été contracté. Or, comme la bienheureuse Vierge avait fait vœu de virginité, il ne semble avoir existé aucun mariage. De plus, s’il y eut mariage, elle a consenti à l’union charnelle. Mais il faut dire que la bienheureuse Vierge était préoccupée par deux choses : d’une part, elle était préoccupée par la malédiction de la loi à laquelle était soumise la femme stérile ; d’autre part, elle était préoccupée par son propos de conserver la chasteté. C’est pourquoi elle se proposait de demeurer vierge, à moins que le Seigneur n’en dispose autrement ; elle s’en remit donc à la décision divine. À propos de ce qui est dit, à savoir qu’elle a consenti à l’union charnelle, [il faut dire] que non ; mais [elle a consenti] de manière directe au mariage, et à l’union charnelle de manière implicite, si Dieu le voulait.

89. DE LAQUELLE EST NÉ JÉSUS, QUE L’ON APPELLE CHRIST. Ici, une double erreur est écartée. L’une qui dit que le Christ était le fils de Joseph, et cela est exclu par le fait qu’on dise : DE LAQUELLE. En effet, s’il avait été le fils de Joseph, [Matthieu] aurait dit : duquel, ou tout au moins : desquels. Une autre erreur est exclue, à savoir celle de Valentin, qui dit que le Christ ne tient pas son corps de la bienheureuse Vierge, mais l’a apporté du ciel, et que celui-ci est passé par la bienheureuse Vierge comme par un canal. À cela s’oppose le fait que [Matthieu] dise : DE LAQUELLE. En effet, s’il en était comme [Valentin] le dit, l’évangéliste aurait dit non pas : de laquelle, mais : par l’intermédiaire de laquelle, ou : par l’action de laquelle, ou : à partir de laquelle, ou quelque chose du genre. Car cette préposition «de» [de] indique toujours la consubstantialité, mais non la préposition «à partir de» [ex]. Ainsi, on peut dire : «Le jour vient du matin», et «L’arche vient de l’artisan», mais on ne dit jamais : «[L’arche est faite de] l’artisan.» Ainsi, par le fait que [Matthieu] dise DE [LAQUELLE], il indique que le corps du Christ a été formé à même le corps de la bienheureuse Vierge, Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, placé sous la loi.

90. Ici, il faut éviter l’erreur de Nestorius, qui affirmait qu’il y avait deux personnes dans le Christ ; il ne reconnaissait donc pas que Dieu était né ou avait souffert, et il n’attribuait pas à l’homme [qu’était le Christ] les autres choses qui appartiennent à Dieu, comme d’être éternel ou d’avoir créé les étoiles. Ainsi, dans une de ses lettres, il cite ce texte pour appuyer son erreur : «De laquelle est né Jésus. [L’évangéliste] ne dit pas : Dieu, mais : Jésus, qui est un nom d’homme, et le Christ.» Mais, si l’on suivait cela, il n’y aurait pas d’union dans le Christ, et on ne dirait pas que le Christ est un. Il faut remarquer, donc, que, dans le Christ, parce que se réalise l’union de deux natures en une seule personne, se fait la communication des idiomes, de sorte que ce qui appartient à Dieu est attribué à l’homme, et inversement. Et on peut donner comme un certain exemple deux accidents dans un sujet, comme lorsqu’on dit d’un fruit qu’il est blanc et savoureux : on peut dire que ce qui est savoureux est blanc, en raison de quoi le fruit est blanc, et inversement.

91. QU’ON APPELLE CHRIST. Il faut remarquer qu’on dit simplement «Christ», sans ajout, pour montrer qu’il était oint d’une huile invisible, et non matérielle, comme les rois ou les prophètes sous la loi, Ps 44[45], 8 : Dieu t’a oint, ton Dieu, d’une huile de joie, plus que tous tes parents.
Louis-Claude Fillion
L'époux : l’époux et non le fiancé ne signifiant jamais “sponsus”. Entre Jacob et Joseph le verbe “genuit” est employé pour la dernière fois : l’ordre naturel des naissances cesse en effet avec S. Joseph, l’ordre surnaturel et divin commence. Ce n’est qu’en sa qualité d’époux virginal de Marie que Joseph est entré dans la généalogie du Christ ; de là ce changement remarquable dans la formule “époux de Marie, de laquelle est né...”. Quoiqu’il doive entrer bientôt dans de plus longs détails sur cette génération prodigieuse, S. Matthieu ne veut pas qu’il y ait l’ombre d’un doute à ce sujet ; de là son affirmation anticipée : Joseph n’est que le père putatif de Jésus. - De Marie. Ce nom béni, dont la forme hébraïque était “Miriam”, existait depuis longtemps chez les Juifs, car la sœur de Moïse et d’Aaron s’appelait déjà Marie. Il était fréquemment porté à l’époque de Notre-Seigneur, comme le prouve le nombre relativement considérable des Marie qui apparaissent dans l’Évangile. Son étymologie est douteuse : il dérive suivant les uns d’une racine signifiant “être fort, dominer” ; suivant les autres, d’une racine semblable signifiant “être rebelle”. Les interprétations que les Pères ont donné de ce beau nom sont en général aussi fausses au point de vue philologique, qu’elles sont gracieuses quant à l’idée. - Qui est appelé, sans avoir toute la force de « qui vocatur », Cf. Luc, 1, 32, 35, ce mot fait plus que rappeler un simple souvenir historique ; il indique non seulement un surnom donné à Jésus, mais une fonction remplie légitimement par le Sauveur. – Christ nous vient, comme l’on sait, directement du grec, oindre, est à son tour la traduction littérale de l’hébreu, maschiach, « unctus » : Christ et Messie sont donc des appellations absolument identiques. Approprié d’abord tantôt aux prêtres et aux rois, qui étaient consacrés par de saintes onctions, tantôt aux prophètes, qui recevaient l’onction d’une manière figurée, ce nom fut plus tard exclusivement réservé au Libérateur promis, qui devint ainsi par antonomase le Messie. Christ est donc une dénomination de fonction et d’emploi, une sorte de “cognomen” ; mais pour Jésus comme pour plusieurs hommes illustres, le “cognomen” ne tarda pas à être aussi usité que le “nomen”, et il fut employé à part à la façon d’un vrai nom propre (Cf. Simon Pierre, Jean Marc, Tullius Cicéron, etc.). L’auteur des Actes des Apôtres et S. Paul écrivent déjà simplement “le Christ”.
Fulcran Vigouroux
Saint Matthieu, en donnant ici la généalogie de saint Joseph, se conforme à l’usage des Juifs, qui, dans leurs listes généalogiques, ne faisaient point mention des femmes ; mais il n’en donne pas moins la généalogie de Jésus-Christ, puisque la sainte Vierge, sa mère, descendait aussi bien que saint Joseph de la famille de David. ― Sur la double généalogie de Notre-Seigneur donnée par saint Matthieu et par saint Luc, voir la note 26 à la fin du volume. ― Saint Joseph était, comme nous l’apprend l’Evangile, de la tribu de David et exerçait un métier pour gagner sa vie. C’était, d’après la tradition, le métier de charpentier. Il vivait à Nazareth, et c’est là qu’il épousa la sainte Vierge. Le choix que Dieu fit de lui pour être le gardien de la virginité de Marie et le père adoptif de Notre-Seigneur nous montre quelle était sa vertu et sa sainteté. On ne sait pas à quelle époque il mourut, mais tout porte à croire que ce fut avant la vie publique de Jésus-Christ. ― Marie, en hébreu, Miryam, signifie probablement maîtresse, dame, de sorte que le nom de Notre-Dame, donné à la sainte Vierge, n’est sans doute que la traduction de son nom. Exemptée du péché originel par un privilège spécial, et destinée à être la mère de Dieu, elle devait dépasser en sainteté toutes les créatures. Son père fut saint Joachim, et sa mère sainte Anne. Elle était de la tribu de Juda et de la race de David. La tradition nous apprend qu’elle fut présentée à l’âge de trois ans au temple de Jérusalem et employée au service de Dieu. Elle épousa saint Joseph à Nazareth, où eut lieu le mystère de l’Annonciation. L’Evangile nous fait connaître sa visite à sa cousine Elisabeth, comment elle mit son fils Jésus au monde à Bethléem, s’enfuit avec lui en Egypte, habita avec lui à Nazareth, le perdit dans le temple de Jérusalem quand il avait douze ans, l’accompagna dans une partie de ses courses apostoliques, le suivit au Calvaire. Elle était avec les Apôtres au Cénacle le jour de la Pentecôte. Elle habita ensuite avec saint Jean que Jésus lui avait donné à sa place. Les uns la font mourir à Ephèse, les autres à Jérusalem. Elle rendit son âme à Dieu dans un âge avancé et con corps fut transporté miraculeusement dans le ciel.
Concile œcuménique
Il faut se garder de l'erreur de Nestorius, dont voici le raisonnement : Toutes les fois que l'Écriture parle ou de la naissance temporelle de Jésus-Christ, ou de sa mort, elle ne lui donne jamais le nom de Dieu, mais celui de Christ ou celui de Fils, ou celui de Seigneur, car ces trois noms désignent les deux natures, tantôt la nature divine, tantôt la nature humaine, tantôt l'une et l'autre réunies. En voici un exemple : " Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu'on appelle Christ. " Or le Verbe, qui est Dieu, n'a pu avoir besoin de naître une seconde fois d'une femme.