Matthieu 1, 17

Le nombre total des générations est donc : depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations ; depuis David jusqu’à l’exil à Babylone, quatorze générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ, quatorze générations.

Le nombre total des générations est donc : depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations ; depuis David jusqu’à l’exil à Babylone, quatorze générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ, quatorze générations.
Saint Ambroise
Nous ne devons pas omettre de faire remarquer que de David à Jéchonias, saint Matthieu ne compte que quatre générations, alors qu'il y eut certainement dix-sept rois de Juda. Pour faire disparaître cette contradiction apparente il suffit de se rappeler que les successions peuvent être plus nombreuses que les générations ; quelques-uns, en effet, peuvent vivre longtemps et avoir très tard des enfants, ou même mourir sans en laisser. La durée des règnes n'est donc pas toujours la durée des générations.

Remarquons encore que l'Évangéliste donne quatorze générations à la troisième série, bien qu'on n'en compte que douze dans l'énumération qu'il en fait, depuis Jéchonias jusqu'à Joseph. Mais en examinant attentivement, vous trouverez aussi dans celle énumération l'équivalent de quatorze générations. On en compte, en effet, douze jusqu'à Joseph, or le Christ forme la treizième, et l'histoire (4 R, voyez ci-dessus) nous apprend qu'il y a eu deux Joachim, c'est-à-dire deux Jéchonias, le père et le fils. L'Évangile n'a donc pas supprimé l'un des deux, il les a exprimés tous les deux, et c'est en ajoutant ce second Jéchonias qu'on trouve quatorze générations.
Saint Jean Chrysostome
L'Évangéliste, voulant établir les diverses générations qui séparent Abraham du Christ, les divise en trois séries de quatorze générations chacune, parce que la fin de chaque série correspond à un changement dans l'état et le gouvernement des Juifs. En effet, depuis Abraham jusqu'à David, ils furent gouvernés par des juges ; depuis David jusqu'à la transmigration de Babylone, par des rois ; depuis la transmigration de Babylone jusqu'au Christ, par des pontifes. Ce que l'écrivain sacré veut démontrer, c'est que de même qu'après les deux premières séries de quatorze générations, l'état des Juifs fut changé, ainsi, après les quatorze générations que l'on compte depuis la transmigration de Babylone jusqu'au Christ, le divin Sauveur devait nécessairement changer l'état de l'humanité. C'est ce qui arriva, car, à dater de la venue du Christ, toutes les nations lui obéirent comme à leur juge, leur roi et leur pontife. Or, comme les juges, les rois et les pontifes figuraient la dignité du Christ, le premier d'entre eux fut toujours un homme qui en était le symbole évident, comme le premier des juges, Jésus, fils de Nave (Si 46, 1) ; le premier des rois, David ; le premier des pontifes, Jésus, fils de Josedech, personnages que chacun sait avoir été la figure du Christ.

Ou bien peut-être l'Évangéliste a partagé toutes les générations en trois séries pour nous montrer que le changement de gouvernement ne rendit pas les Juifs meilleurs, mais qu'ils ont persévéré dans leurs crimes sous les juges, sous les rois, sous les pontifes et les prêtres. Il fait aussi mention de la captivité de Babylone, pour nous apprendre qu'elle n'a point servi à les ramener au bien. Si leur séjour en Égypte est passé sous silence, c'est que la tyrannie des Égyptiens n'avait pas inspiré aux Israélites le même effroi que la domination des Partîtes et des Assyriens, que d'ailleurs elle était moins récente, et qu'enfin elle n'avait pas été, comme la captivité de Babylone, le châtiment de leurs péchés.

Ou bien il est possible que le même Jéchonias soit compté deux fois, une première fois avant la transmigration de Babylone, et une seconde fois après, car ce Jéchonias quoique étant un seul et même homme, a passé par deux conditions différentes : il a été roi avant la transmigration, et roi par le choix du peuple de Dieu, et après la transmigration il a été réduit à la condition privée. Voilà pourquoi il est placé parmi les rois avant la captivité, et depuis, parmi les simples particuliers.
Saint Augustin
Peut-être encore qu'un des aïeux du Christ, Jéchonias a été compté deux fois, parce qu'il a été l'auteur d'un certain écart vers les nations étrangères, lors de la transmigration de Babylone. Or ce qui s'écarte de la ligne droite pour aller dans une direction opposée fait comme un angle, et ce qui est formé par cet angle compte pour une seconde ligne différente de la première. Et c'est là une figure du Christ, qui devait aller de la circoncision à la gentilité et devenir ainsi la pierre angulaire.

Après avoir divisé les générations en trois séries de quatorze chacune, l'Évangéliste ne les additionne pas en disant : toutes font un total de quarante-deux, car un des ancêtres de Jésus-Christ, Jéchonias, y est compté deux fois. C'est pourquoi nous trouvons non pas quarante-deux générations, total de trois fois quatorze, mais quarante et une générations. Saint Matthieu, qui voulait nous présenter Jésus-Christ comme roi, compte jusqu'à lui, sans le comprendre, quarante générations. Ce nombre est le symbole du temps pendant lequel le Christ doit nous soumettre à une discipline sévère, que figurait ce sceptre de fer dont le Roi-prophète dit : " Vous les gouvernerez avec une verge de fer. " Or, une preuve facile à comprendre que ce nombre quarante signifie la vie de la terre et du temps, c'est que les années s'écoulent par une succession de quatre parties différentes et que le monde lui-même est comme limité par les quatre parties connues sous le nom d'Orient, d'Occident, de Nord et de Midi. Le nombre quarante est formé par le nombre dix répété quatre fois, et le nombre dix lui-même est formé de nombres qui vont en augmentant de un à quatre.
Saint Rémi
L'Évangéliste compte quatorze générations, parce que le nombre dix signifie le Décalogue, et le nombre quatre les quatre Evangélistes, et ainsi se trouve figuré le parfait accord de la loi avec l'Evangile. Le nombre quatorze se trouve multiplié trois fois, pour montrer que la loi, les prophètes et la grâce acquièrent leur perfection dans la foi en la sainte Trinité. Si l'on demande ce que signifie le nombre quarante-deux, (puisqu'il faut compter deux Jéchonias), nous répondrons que ce nombre représente la sainte Église. Car ce nombre quarante-deux est formé du nombre sept et du nombre six, puisque six fois sept font quarante-deux. Or le nombre six est le symbole du travail et le nombre sept la figure du repos.
La Glose
Ou peut dire aussi que les noms de trois d'entre les rois ont été omis pour les raisons indiquées plus haut.

Ou bien la grâce du Saint-Esprit aux sept dons est figurée dans ce nombre quatorze, qui est composé du nombre sept répété deux fois. En doublant ce nombre, l'écrivain sacré a voulu signifier que la grâce est nécessaire tout à la fois pour le salut de l'âme et pour salut du corps. Cette généalogie est donc partagée en trois séries de quatorze générations chacune ; la première série va d'Abraham jusqu'à David inclusivement. la seconde de David exclusivement jusque y compris la transmigration de Babylone ; la troisième depuis la captivité de Babylone jusqu'au Christ, et si nous admettons que Jéchonias y est compté deux fois, la captivité y sera comprise. Or la première série représente les hommes avant la loi, et nous y trouvons de fidèles observateurs de la loi naturelle, c'est-à-dire Abraham, Isaac et Jacob, tous jusqu'à Salomon. La seconde, figure les hommes qui ont vécu sons la loi, car tous ceux qui s'y trouvent compris ont été soumis à la loi. La troisième, représente les hommes de la grâce et se termine au Christ qui a été l'auteur de la grâce. Nous y voyons la délivrance de la captivité de Babylone comme figure de l'affranchissement de l'esclavage du démon, dont Jésus-Christ nous a délivrés.
Saint Anselme
Le nombre dix peut figurer le Décalogue, le nombre quatre la vie présente qui se partage en quatre époques différentes ; ou bien le nombre dix représente l'Ancien Testament et le nombre quatre le Nouveau.
Saint Thomas d'Aquin
92. Après avoir présenté la généalogie du Christ, [Matthieu] conclut ainsi le nombre des générations, et il les divise en trois groupes de quatorze. Le premier groupe de quatorze va d’Abraham à David inclusivement, à savoir que David est compté dans ce premier groupe de quatorze. Ainsi : TOUTES LES GÉNÉRATIONS. Le deuxième groupe de quatorze se déploie à partir de David exclusivement, à savoir que David n’est pas compté, mais qu’on débute par Salomon, et il se termine à la déportation à Babylone. Ainsi : DE DAVID À LA DÉPORTATION DE BABYLONE. Le troisième débute par la déportation de Babylone et se termine au Christ, de sorte que le Christ est le quatorzième.

93. Mais on se demande pourquoi l’évangéliste a réparti avec autant de soin et d’attention la généalogie du Christ en trois groupes de quatorze. Chrysostome en donne une raison : parce que, dans ces trois groupes de quatorze, s’est toujours produit un certain changement dans le peuple d’Israël. En effet, dans le premier groupe de quatorze, il était sous la direction de chefs ; dans le second, sous la direction de rois ; dans le troisième, sous celle de prêtres. Et le Christ lui-même est chef, roi et prêtre, Is 33, 22 : Le Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, le Seigneur est notre roi. À propos de son sacerdoce, il est dit en Ps 109, 4 : Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech.

94. Le même [Chrysostome] donne une autre raison, à savoir que soit montrée la nécessité de la venue du Christ. En effet, dans le premier groupe de quatorze, [le peuple] demanda des rois contre la volonté de Dieu, et il a transgressé la loi. Dans le second, ils ont été emmenés en exil en raison de leurs péchés. Mais, dans le troisième, nous sommes libérés de toute faute, de la misère et de la servitude spirituelle du péché.

95. Jérôme donne une troisième raison, à savoir que par ces [groupes] sont indiquées trois époques que traverse la vie de tous les hommes. En effet, par le premier, est indiqué le temps avant la loi, parce que, dans celui-ci, sont présentés certains pères antérieurs à la loi ; par le deuxième, le temps sous la loi, parce que tous ceux qui y sont présentés vécurent sous la loi ; mais, par le troisième, le temps de la grâce, car il se termine par le Christ, par lequel la grâce et la vérité sont apparues, Jn 1, 17.

96. Cette distinction est aussi conforme au mystère, car le groupe de quatorze est un nombre composé de quatre et de dix. Par dix s’entend donc l’Ancien Testament, qui a été donné dans les dix commandements. Mais par quatre, l’évangile, qui est réparti en quatre livres. Par ailleurs, les trois groupes de quatorze désignent la foi en la Trinité. De sorte que par le fait que Matthieu divise la généalogie en trois groupes de quatorze, est indiqué le fait que l’on parvient au Christ par le Nouveau et l’Ancien Testaments dans la foi en la Trinité.

97. Cependant, au sujet des générations, il existe une double opinion. En effet, selon Jérôme, qui dit que le Jéchonias de la fin du premier groupe de quatorze est différent de celui du début du deuxième groupe, il existe quarante-deux générations : tel est, en effet, la somme de trois groupes de quatorze. Mais, selon Augustin, il n’y a que quarante et une générations, et le Christ compte pour une. Et ceci est conforme au mystère. En effet, le nombre quarante vient de la multiplication de quatre par dix, et inversement. Or, selon les platoniciens, quatre est le nombre des corps, car le corps est composé de quatre éléments. Mais dix est le nombre qui vient de l’addition de nombres en série : en effet, un, deux, trois et quatre donnent dix. Et parce que Matthieu entend manifester comment le Christ est descendu jusqu’à nous par une lignée, le Christ est ainsi venu jusqu’à nous par quarante générations. Mais Luc, qui veut mettre en relief la dignité sacerdotale dans le Christ, à qui revient l’expiation des péchés, plus loin, 18, 22 : Je ne te dis pas sept fois, mais soixante dix-sept fois sept fois, etc., présente soixante-dix-sept générations : en effet, ce nombre provient de la multiplication de sept par onze, car sept fois onze donnent soixante-dix-sept. Par onze, s’entend donc la transgression du décalogue ; par sept, la grâce septiforme, par laquelle se réalise la rémission des péchés. Mais que, selon Jérôme, il y ait quarante-deux générations n’est pas non plus dépourvu de mystère, parce que, par ces deux, s’entendent les deux préceptes de la charité, ou les deux testaments, le Nouveau et l’Ancien.
Louis-Claude Fillion
En tout donc. En terminant son tableau généalogique, S. Matthieu le partage en trois groupes dont chacun, dit-il, contient quatorze générations. Cependant, si nous essayons de vérifier son calcul, nous ne trouvons en tout que quarante-et-une générations au lieu de quarante-deux, et dans le troisième groupe treize seulement au lieu de quatorze. Comment expliquer ce mystère ? On a proposé tantôt de compter Marie parmi les ancêtres du Christ, tantôt d’insérer Joachim après Josias au v. 11, d’après la variante que nous avons indiquée, tantôt d’additionner deux fois le nom de Jéchonias qui terminerait ainsi le second groupe et ouvrirait le troisième. C’est à ce dernier sentiment que nous nous sommes arrêté, parce qu’il nous semble le plus naturel d’après les expressions mêmes employées par l’Évangile dans les vv. 11, 12 et 17. “Depuis David jusqu’à la captivité de Babylone, quatorze générations”, donc Jéchonias est compris dans ce nombre d’après le v. 11 ; “depuis la captivité jusqu’au Christ, quatorze générations”, donc, d’après le v. 12, c’est par Jéchonias que doit commencer la troisième série. Ce prince étant considéré à deux époques différentes, avant et après la déportation des Juifs en Chaldée, doit par là-même entrer à deux reprises dans le calcul de S. Matthieu. Sans doute David aussi est mentionné deux fois au v. 17, et néanmoins il n’appartient qu’à un seul groupe ; mais remarquons bien qu’il n’y a point de parité sous ce rapport entre le Roi-Prophète et Jéchonias. Le premier est simplement nommé pour lui-même, tandis que le second est mis en rapport avec un événement historique de la plus haute gravité, et c’est précisément pour ce motif qu’il est compté deux fois. D’après ce principe, nous obtenons les trois groupes suivants : 1. – 1. Abraham 2. Isaac - 3. Jacob - 4. Juda - 5. Pharès - 6. Esrom - 7. Aram - 8. Aminadab – 9. Naasson – 10. Salmon – 11. Booz – 12. Obed – 13. Jessé – 14. David. 2. - 1. Salomon 2. Roboam – 3. Abia – 4. Asa – 5. Josaphat – 6. Joram – 7. Ozias – 8. Joathan – 9. Achaz – 10. Ezéchias – 11. Manassès – 12. Amon – 13. Jéchonias (à l’époque de l’exil). 3. 1. Jéchonias (après l’exil). 2. Salathiel – 3. Zorobabel – 4. Abiud – 5. Eliacim – 6. Azor – 7. Sadoc – 8. Achim – 9. Eliud – 10. Eléazar – 11. Mathao – 12. Jacob – 13 – Joseph – 14. Jésus-Christ. Ce partage des ancêtres du Christ en trois groupes est très-naturel ; il était tout indiqué par l’histoire juive qui, d’Abraham à Jésus-Christ, se divise d’elle-même en trois périodes principales, la période de la théocratie, entre Abraham et David, la période de la royauté, de David à l’exil, la période de la hiérarchie ou du gouvernement sacerdotal, depuis l’exil jusqu’au Messie. On peut les appeler encore périodes des patriarches, des rois et des simples descendants royaux. Durant la première, la famille choisie par Dieu suit une marche ascendante, elle s’avance glorieusement vers le trône. La seconde ne nous offre que des rois, mais des rois fort inégaux en mérite et en grandeur ; vers la fin c’est même déjà une complète décadence. Pendant la troisième période, la décroissance est de plus en plus rapide, du moins humainement parlant, et le dernier nom de la liste est celui d’un humble charpentier ; mais tout à coup la race d’Abraham et de David se relève jusqu’au ciel avec le Messie. Dans la famille de Jésus, nous retrouvons donc toutes les vicissitudes des autres familles humaines : on y rencontre des hommes de toute sorte, des bergers, des héros, des rois, des poètes, des saints, de grands pécheurs, de pauvres artisans. A la fin, elle était ce qu’avait prédit Isaïe en parlant des humiliations du Christ, 53, 2. Mais l’Esprit-Saint veillait spécialement sur elle et, somme toute, elle représente la plus haute noblesse qui ait jamais existé dans le monde entier. – La division de chaque série en quatorze générations s’explique moins aisément que celle de la généalogie entière en trois groupes. S. Matthieu, ou le généalogiste dont il suivait les documents, ne se serait-il proposé, comme l’ont pensé Michaëlis, Eichhorn, etc., que de venir en aide à la mémoire des lecteurs ? Non, il avait en vue quelque chose de plus important qu’une leçon de mnémotechnie. N’aurait-il pas, à la façon des Cabbalistes, obtenu le nombre quatorze en additionnant les chiffres qui correspondent aux trois lettres du nom hébreu de David ? Pas davantage : un calcul de ce genre pourrait avoir sa raison d’être dans une généalogie dont David serait le terme ; il n’en aurait aucune dans celle du Christ. On a aussi remarqué qu’en multipliant 3 par 14 on obtient 42 ; or, ce chiffre étant celui des stations par lesquelles fut interrompue la marche des Hébreux dans le désert, il y aurait là un rapprochement extraordinaire dont on aurait voulu garder le souvenir : 42 stages de part et d’autre avant la Terre promise. L’idée suivante est encore plus ingénieuse ; elle s’appuie sur le culte du nombre 7 chez les anciens. 14, nous dit-on, égale 7 fois 2 ; trois fois 14 ou 42 = 6 fois 7, c’est-à-dire 6 fois le nombre sacré. 7 est donc à la base de la généalogie du Sauveur. Ce n’est pas tout : d’après la doctrine du Nouveau-Testament, avec le Christ arriva la plénitude des temps ; or dans la liste de S. Matthieu, Jésus-Christ termine précisément le sixième septénaire de générations, et avec Lui commence le septième septénaire, la dernière semaine du monde qui sera suivie du Sabbat éternel. – L’Évangéliste a-t-il eu vraiment ces pensées à l’esprit ? Ce qui est certain, c’est que les Juifs aimaient à diviser leurs généalogies en groupes distincts et artificiels, d’après des nombres mystiques fixés d’avance ; pour ramener ensuite les générations à ce nombre, ils répétaient ou omettaient certains noms, comme nous l’avons vu, sans le moindre scrupule. Par exemple, les générations qui séparent Adam de Moïse sont réparties par Philon entre deux décades auxquelles il ajoute une série de sept membres (10 + 10 + 7) ; mais il a fallu pour cela compter deux fois Abraham. Au contraire, un poète samaritain partage la même série de générations en deux décades seulement, à la condition toutefois de sacrifier six noms choisis parmi les moins importants. – Après avoir étudié dans le détail la généalogie de Jésus selon S. Matthieu, il nous reste à examiner encore deux points généraux que leur gravité ne nous permet pas de passer sous silence. Le premier regarde cette généalogie en elle-même ; le second concerne ses rapports avec l’arbre généalogique de S. Luc, 3, 23-38. 1° La généalogie de Jésus-Christ selon S. Matthieu considérée en elle-même. C’est la généalogie de S. Joseph que le premier évangéliste nous a transmise ; il n’y a pas de doute à ce sujet. D’Abraham à S. Joseph, il signale une suite de générations plus ou moins immédiates, mais toutes réelles, comme le démontre l’emploi du verbe “genuit” (engendrer), auquel nous n’avons aucune raison d’attribuer un sens métaphorique. Cependant, n’est-il pas surprenant que S. Matthieu, voulant composer le “liber generationis Jesu-Christi”, écrive la généalogie non de la sainte Vierge, par laquelle seulement Notre-Seigneur se rattachait à la grande famille humaine, mais de S. Joseph qui n’était que son père putatif ? Pour expliquer ce fait extraordinaire on a eu recours à trois principales raisons. a. Chez les Juifs, comme chez plusieurs autres peuples de l’antiquité, c’était un principe que les femmes ne comptaient pas dans les générations. Écrivant surtout pour des Juifs, S. Matthieu devait se conformer à leurs lois. La généalogie de la mère n’eût rien prouvé pour eux, il était dès lors inutile de la donner. b. Bien qu’à proprement parler Jésus-Christ ne fût pas le fils de S. Joseph, il en était néanmoins le fils adoptif, et par conséquent légal, puisque Joseph était l’époux de sa mère. Cela posé, Jésus héritait nécessairement de tous les droits de son père nourricier ; il recevait de lui, devant la loi juive, le caractère de fils de David. Marie transmettait bien au Sauveur le sang royal mais elle ne lui transmettait pas les droits à la succession parce que, chez les Israélites comme chez nous, la couronne ne tombait pas de lance en quenouille. Il fallait que S. Joseph fût là pour le faire héritier légal du trône de David ; Jésus n’ayant pas de père sur la terre, il n’y avait pas d’autre moyen de prouver sa descendance du grand roi. c. Marie faisait partie comme Joseph de la famille de David ; cela ressort de l’enseignement implicite de S. Luc et de S. Paul et des affirmations très-expresses de la tradition. Pour S. Luc, voir 1. 32. S. Paul a des textes encore plus formels, Rom. 1, 3, et dans l’épître aux Hébr. 7, 14 ; Cf. Gal. 3, 16. Quant aux Pères et aux autres écrivains ecclésiastiques, il n’y a pas là-dessus le moindre doute dans leur esprit. – 2° La généalogie de S. Matthieu dans ses rapports avec celle de S. Luc. Il nous semble plus naturel de renvoyer à l’explication du troisième Évangile l’examen approfondi des faits qui touchent à cette question délicate. Notre dessein est donc simplement d’indiquer ici le nœud de la difficulté et le sommaire des principales solutions qu’elle a reçues. La généalogie de Notre-Seigneur d’après S. Luc diffère et quant à la forme et quant au fond de celle que nous venons de lire dans S. Matthieu. Les divergences de forme sont peu considérables et s’expliquent sans peine ; les divergences matérielles sont beaucoup plus sérieuses, et il y a longtemps qu’elles exercent le génie des commentateurs. Elles se ramènent au fait suivant : entre David et Jésus-Christ, les deux listes n’ont rien de commun, si ce n’est les trois noms de Salathiel, de Zorobabel et de S. Joseph ; tous les autres ancêtres attribués à Notre-Seigneur par S. Luc durant cette longue période, diffèrent de ceux que lui donne S. Matthieu. Tandis que le premier évangéliste rattache Jésus-Christ à David par Salomon, le second le fait descendre du grand roi par Nathan. Pourquoi ces lignes différentes ? Pourquoi, en fin de compte, S. Joseph est-il appelé d’une part fils de Jacob, de l’autre fils d’Héli ? Il existe sur ce point bien des systèmes, mais pas de solution certaine et il n’est guère probable qu’on en trouve jamais. Voici du moins les deux hypothèses les plus communément admises ; elles suffisent pour répondre aux attaques du rationalisme. 1. Les deux généalogies sont celles de S. Joseph. Si elles lui attribuent deux pères distincts, c’est que, d’après la loi juive, Cf. Deut. 25, 5-10, sa mère aurait été soumise à ce qu’on nommait le mariage du Lévirat. Jacob est donc le père naturel, Héli seulement le père légal. Quelque chose d’analogue aurait eu lieu pour Salathiel ; Cf. Matth. 1, 12 ; Luc. 3, 27. – 2. La première généalogie est celle de S. Joseph, la seconde celle de la sainte Vierge. Les saints époux appartenaient l’un et l’autre à la famille royale, avec cette différence que S. Joseph descendait de la branche directe par Salomon, Marie d’une branche collatérale par Nathan. Ce système ingénieux a trouvé de très nombreux partisans dans les temps modernes, même parmi les protestants. – Nous croyons terminer utilement cette étude sur la généalogie de Jésus-Christ selon S. Matthieu en notant les principaux passages de l’Ancien Testament qui peuvent servir de preuve ou de commentaire au texte évangélique. - Jésus fils de David : Ps.131, 11 et 12 ; Is. 11, 1 ; Jérém. 23, 5 ; 2 Reg. 7, 12 ; Act. 13, 23 ; Rom. 1, 3. – Jésus fils d’Abraham : Gen. 12, 3 ; 22, 18 ; Gal. 3, 16. – Isaac : Gen. 21, 2 et 3 ; Rom. 9, 7-9. – Jacob : Gen. 25, 25. – Juda : Gen. 29, 35 : 49, 10 ; Heb. 7, 14. – Phares et Zara : Gen. 38, 16. – Esron : 1 Par. 2, 5. – Aminadab : 1 Par. 2, 10. – Naasson : Ex. 6, 23 ; 1 Par. 2, 10. – Salmon : 1 Par. 2, 11 ; Ruth. 4, 20. – Rahab : Jos. 2, 1 ; 6, 24. 25. – Booz et Obed : Ruth. 4, 21. 22 ; 1 Par. 2, 11. 12. – Isaï et David. ibid. ; 1 Reg. 16, 11 ; 3 Reg. 12, 16 etc. – Salomon : 2 Reg. 12, 24. – Roboam : 3 Reg. 11, 43. – Abias : 3 Reg. 14, 31. – Asa : 3 Reg. 15, 8. – Josaphat : 1 Par. 3, 10. – Joram : 2 Par. 21, 1 ; 4 Reg. 8, 16. – Ozias (ou Azarias) : 4 Reg. 14, 21 ; 2 Par. 26, 1. – Joatham : 4 Reg. 15, 7 ; 2 Par. 26, 23. – Achaz : 4 Reg. 15, 38 ; 2 Par. 27, 9. – Ezéchias : 2 Par. 28, 27 ; 4 Reg. 16, 20. – Manassés : 4 Reg. 20, 21 ; 2 Par. 32, 33. – Amon : 4 Reg. 21, 18. – Josias : 4 Reg. 21, 24. – Jéchonias : 1 Par. 3, 16. – Captivité de Babylone : 4 Reg. 24 et 25, 2 Par. 36. – Salathiel et Zorobabel : 1 Par. 3, 17-19. – Abiud et les autres : la tradition et les écrits juifs.
Fulcran Vigouroux
La captivité de Babylone commença en 606 avant Jésus-Christ, et finit en 536, après avoir duré soixante-dix ans.