Matthieu 1, 23
Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous »
Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous »
140. Mais pour connaître le contenu de cette prophétie, il faut savoir que l’ange annonce trois choses. En effet, il a d’abord dit : EN ELLE EST NÉ, etc. ; deuxièmement : ELLE ENFANTERA ; troisièmement : IL PORTERA LE NOM DE JÉSUS. Ces trois choses sont présentes selon l’ordre dans la prophétie.
Et [l’ange] prouve en premier lieu ce qu’il dit : VOICI QU’UNE VIERGE ; deuxièmement : ELLE ENFANTERA ; troisièmement : IL SERA APPELÉ.
141. Ainsi, ce qu’elle a conçu dans la virginité venait du Saint-Esprit. C’est cela qui est dit dans la prophétie [Is 7, 14] : Voici qu’une vierge enfantera ; Is 35, 2 : Elle se couvre de fleurs, elle exulte de joie et pousse des cris, etc. De plus, une vierge enfantera un fils, car en enfantant, sa virginité n’a en rien été atteinte, Is 11, 1 : Un rejeton sortira de la souche de Jessé, et une fleur poussera de son tronc, etc. En effet, le Christ est une fleur. La virginité [de Marie] n’a en rien été affectée.
142. Vient ensuite : IL SERA APPELÉ EMMANUEL. Mais on se demande pourquoi cela ne concorde pas avec les paroles de l’ange : ET IL SERA APPELÉ JÉSUS ? Il faut dire que cette promesse a été faite aux Juifs, qui allaient obtenir le salut par la venue du Christ. Et Jésus veut dire «sauveur», ce qui est la même chose que Emmanuel, «Dieu avec nous». En effet, Dieu est avec nous de quatre façons : en prenant [notre] nature, Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair ; en se conformant à [notre] nature, car il [nous] est semblable en toutes choses, Ph 2, 7 : Devenu semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme ; par le comportement corporel, Ba 3, 38 : Après cela, il est apparu sur terre et il se mêlait aux hommes ; par le comportement spirituel, plus loin, 28, 20 : Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du siècle.
143. Mais, à propos de la lettre, on se demande pourquoi l’évangéliste n’emploie pas les mêmes mots que le prophète, mais emploie le nom de Jésus. Il faut dire qu’il parlait par le même Esprit. Toutefois, Jérôme dit que l’évangéliste a dit : IL AURA, car il parlait d’un fait qui avait déjà eu lieu. De même, il faut se demander pourquoi il est dit dans Isaïe : Et il sera appelé, alors qu’ici il est dit : ET ON L’APPELLERA. Mais Jérôme dit qu’ici on dit : ON L’APPELLERA, parce que ce que les anges l’ont d’abord nommé en l’annonçant, Lc 2, 21, les apôtres l’ont par la suite nommé en prêchant et en glorifiant : Afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse, PH 2, 10.
144. CE QUI SIGNIFIE : «DIEU AVEC NOUS.» Mais on se demande qui a donné cette interprétation de la prophétie, «DIEU AVEC NOUS» : le prophète ou l’évangéliste ? Il semble que ce ne soit pas l’évangéliste, car il n’en avait pas besoin puisqu’il écrivait en hébreu. Mais il faut dire que, d’une certaine façon, [c’est l’évangéliste], car Emmanuel est un nom composé, et donc l’évangéliste l’a interprété même en hébreu. Ou bien il faut dire que c’est celui qui le premier l’a traduit de l’hébreu qui l’a interprété.
145. Il faut remarquer que, dans la Glose, on dit qu’il existe un triple genre de prophétie, à savoir, de prédestination, de prescience et de menace, et qu’elles diffèrent entre elles. En effet, est appelée prophétie l’annonce de ce qui est en avant, c’est-à-dire, des choses à venir. Mais, parmi les choses à venir, il y en a certaines que seul Dieu fait. Par contre, il y en a certaines qui, même si Dieu les fait, sont faites par nous et aussi par d’autres créatures. Il y en a enfin certaines qui ne sont d’aucune façon faites par Dieu, comme les choses qui sont mauvaises. L’annonce des choses que seul Dieu fait est appelée prophétie de prédestination, comme la conception par une vierge, d’où Is 7, 14 : Voici qu’une vierge concevra, est une prophétie de prédestination. Mais les choses qui sont faites par les causes secondes peuvent être envisagées de deux manières. En premier lieu, selon qu’elles existent dans la prescience de Dieu : c’est le cas, par exemple, de Lazare. En effet, si quelqu’un considère les causes secondes, il dira que jamais il ne ressuscitera ; et il dirait vrai, alors qu’il devrait cependant être ressuscité selon l’ordre de la prescience divine. Ainsi, lorsqu’une prophétie est l’annonce de ce qui existe dans la prescience divine, elle s’accomplit toujours ; lorsqu’une [prophétie est l’annonce] selon l’ordre des causes inférieures, elle ne s’accomplit pas toujours, comme il apparaît en Is 38, 1, lorsque Isaïe dit à Ézéchiel : Mets ta maison en ordre, car tu vas mourir et tu ne vivras pas, etc. Mais est-ce que la prophétie impose une nécessité à la prescience ? Il faut dire que non, car la prophétie est un signe de la prescience divine, qui n’impose pas de nécessité aux choses connues par anticipation, puisqu’elle considère les choses à venir dans son propre état présent. En effet, tout ce qui est fait est présent à Dieu, car son regard s’étend à la totalité du temps : ainsi, si je vois quelque chose de présent, mon regard n’impose pas de nécessité, comme lorsque je vois quelqu’un s’asseoir. Et nous avons compris de cette manière les prophéties qui sont présentées dans ce livre.
146. En effet, il faut considérer que trois erreurs ont existé. L’une est celle des manichéens, qui disent que, dans tout l’Ancien Testament, on ne trouve aucune prophétie au sujet du Christ, et que tout ce qui est emprunté à l’Ancien Testament dans le Nouveau vient en totalité d’une corruption. S’oppose à cela Rm 1, 1 : Paul, serviteur du Christ, appelé apôtre, mis à part pour l’évangile de Dieu, afin que ce qu’il avait auparavant promis par les prophètes, etc. Et qu’il parle des prophètes des Juifs, cela est clair plus loin, 9, 5 : Dont les pères, de qui vient le Christ selon la chair, etc.
147. Une autre [erreur] fut celle de Théodoret, qui dit que rien de ce qui est tiré de l’Ancien Testament ne s’applique au Christ selon la lettre, mais est adapté, comme ce qui est parfois tiré de Virgile : En se rappelant ces choses, il était en suspens et demeurait immobile, est en effet adapté au Christ. Et ainsi, AFIN QUE S’ACCOMPLISSE doit être expliqué comme si l’évangéliste disait : «Et ceci peut être adapté.» À cela s’oppose Lc 24, 44 : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Il faut savoir que, dans l’Ancien Testament, certaines choses se rapportent au Christ et ne sont dites que de lui, comme : Voici qu’une vierge concevra, et elle enfantera un fils, Is 7, 14, et Ps 21[22], 2 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, etc. ? Et si quelqu’un donnait un autre sens littéral, il serait hérétique, et l’hérésie a été condamnée. Mais parce que, non seulement les paroles de l’Ancien Testament, mais les faits [de l’Ancien Testament] parlent du Christ, parfois certaines [choses] sont dites d’autres personnes selon la lettre, mais se rapportent au Christ pour autant qu’elles sont une figure du Christ, comme il est dit de Salomon : Et il régnera de la mer à la mer, etc. [Ps 71[72], 8]. En effet, cela ne se réalisa pas en lui.
148. La troisième erreur fut celle des Juifs. Car il faut savoir que les Juifs s’opposent d’une manière particulière à ce texte, parce que, en hébreu, il n’est pas question de «vierge», mais de «jeune fille», ce qui est la même chose que «adolescente». Ainsi, selon la lettre, [ces paroles] n’ont pas été dites du Christ, mais de l’Emmanuel, ou du fils d’Isaïe, selon d’autres. Mais Jérôme leur objecte que cela n’a pas pu être dit du fils d’Isaïe, parce que celui-ci était déjà né lorsque cela fut dit. De plus, on ne trouve aucun personnage célèbre de cette époque qui se serait appelé Emmanuel. De même, le fait qu’une jeune fille enfante n’est pas un signe. Jérôme dit donc que «jeune fille» est équivoque et désigne parfois l’âge, parfois «cachée», et alors signifie une vierge préservée avec soin. Et tel est le sens ici. De plus, les Juifs objectent que cela a été donné comme signe, Is 7, 3 : Deux rois s’élèveront contre Achaz, etc., et que cela promettait qu’ils seraient libérés par eux en donnant ce signe à Achaz. Mais il faut dire qu’il donna ce signe non seulement à Achaz, mais aussi à la maison de David, car il dit : Écoute, maison de David, comme si le prophète disait : «Le Seigneur te viendra en aide contre ce roi, car Il fera Lui-même de bien plus grandes choses ; il libérera non seulement lui, mais le monde entier.»
149. Mais revenons à la lettre : OR, TOUT CELA S’ACCOMPLIT. À ceci s’oppose que l’ange avait indiqué plusieurs choses, à savoir, QU’ÉTAIT NÉ EN ELLE, etc., QU’ELLE CONCEVRAIT, etc., et aussi QU’IL SERAIT APPELÉ, etc. Or, tout cela ne s’était pas accompli. Mais, d’une première façon, il faut dire, selon Raban, que TOUT CELA S’ACCOMPLIT se rapporte à des faits passés : que l’ange était apparu à une vierge, qu’il avait dit ces paroles. ET TOUT CELA S’ACCOMPLIT, pour préserver cette vierge, de sorte que l’expression soit interprétée de manière causale. Ou bien cela se rapporte à ce qu’il avait annoncé, et on peut dire que tout cela s’accomplit en raison d’une prédestination. Ou bien il faut dire que l’évangéliste écrivait alors que tout s’était accompli, et que c’est à cela qu’il se réfère. La formule est ainsi interprétée de manière consécutive, parce que Dieu n’a pas voulu s’incarner pour que s’accomplît la prophétie, comme si l’Ancien Testament était plus digne que le Nouveau, mais le fait que le Christ s’est incarné a suivi la prophétie.
Et [l’ange] prouve en premier lieu ce qu’il dit : VOICI QU’UNE VIERGE ; deuxièmement : ELLE ENFANTERA ; troisièmement : IL SERA APPELÉ.
141. Ainsi, ce qu’elle a conçu dans la virginité venait du Saint-Esprit. C’est cela qui est dit dans la prophétie [Is 7, 14] : Voici qu’une vierge enfantera ; Is 35, 2 : Elle se couvre de fleurs, elle exulte de joie et pousse des cris, etc. De plus, une vierge enfantera un fils, car en enfantant, sa virginité n’a en rien été atteinte, Is 11, 1 : Un rejeton sortira de la souche de Jessé, et une fleur poussera de son tronc, etc. En effet, le Christ est une fleur. La virginité [de Marie] n’a en rien été affectée.
142. Vient ensuite : IL SERA APPELÉ EMMANUEL. Mais on se demande pourquoi cela ne concorde pas avec les paroles de l’ange : ET IL SERA APPELÉ JÉSUS ? Il faut dire que cette promesse a été faite aux Juifs, qui allaient obtenir le salut par la venue du Christ. Et Jésus veut dire «sauveur», ce qui est la même chose que Emmanuel, «Dieu avec nous». En effet, Dieu est avec nous de quatre façons : en prenant [notre] nature, Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair ; en se conformant à [notre] nature, car il [nous] est semblable en toutes choses, Ph 2, 7 : Devenu semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme ; par le comportement corporel, Ba 3, 38 : Après cela, il est apparu sur terre et il se mêlait aux hommes ; par le comportement spirituel, plus loin, 28, 20 : Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du siècle.
143. Mais, à propos de la lettre, on se demande pourquoi l’évangéliste n’emploie pas les mêmes mots que le prophète, mais emploie le nom de Jésus. Il faut dire qu’il parlait par le même Esprit. Toutefois, Jérôme dit que l’évangéliste a dit : IL AURA, car il parlait d’un fait qui avait déjà eu lieu. De même, il faut se demander pourquoi il est dit dans Isaïe : Et il sera appelé, alors qu’ici il est dit : ET ON L’APPELLERA. Mais Jérôme dit qu’ici on dit : ON L’APPELLERA, parce que ce que les anges l’ont d’abord nommé en l’annonçant, Lc 2, 21, les apôtres l’ont par la suite nommé en prêchant et en glorifiant : Afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse, PH 2, 10.
144. CE QUI SIGNIFIE : «DIEU AVEC NOUS.» Mais on se demande qui a donné cette interprétation de la prophétie, «DIEU AVEC NOUS» : le prophète ou l’évangéliste ? Il semble que ce ne soit pas l’évangéliste, car il n’en avait pas besoin puisqu’il écrivait en hébreu. Mais il faut dire que, d’une certaine façon, [c’est l’évangéliste], car Emmanuel est un nom composé, et donc l’évangéliste l’a interprété même en hébreu. Ou bien il faut dire que c’est celui qui le premier l’a traduit de l’hébreu qui l’a interprété.
145. Il faut remarquer que, dans la Glose, on dit qu’il existe un triple genre de prophétie, à savoir, de prédestination, de prescience et de menace, et qu’elles diffèrent entre elles. En effet, est appelée prophétie l’annonce de ce qui est en avant, c’est-à-dire, des choses à venir. Mais, parmi les choses à venir, il y en a certaines que seul Dieu fait. Par contre, il y en a certaines qui, même si Dieu les fait, sont faites par nous et aussi par d’autres créatures. Il y en a enfin certaines qui ne sont d’aucune façon faites par Dieu, comme les choses qui sont mauvaises. L’annonce des choses que seul Dieu fait est appelée prophétie de prédestination, comme la conception par une vierge, d’où Is 7, 14 : Voici qu’une vierge concevra, est une prophétie de prédestination. Mais les choses qui sont faites par les causes secondes peuvent être envisagées de deux manières. En premier lieu, selon qu’elles existent dans la prescience de Dieu : c’est le cas, par exemple, de Lazare. En effet, si quelqu’un considère les causes secondes, il dira que jamais il ne ressuscitera ; et il dirait vrai, alors qu’il devrait cependant être ressuscité selon l’ordre de la prescience divine. Ainsi, lorsqu’une prophétie est l’annonce de ce qui existe dans la prescience divine, elle s’accomplit toujours ; lorsqu’une [prophétie est l’annonce] selon l’ordre des causes inférieures, elle ne s’accomplit pas toujours, comme il apparaît en Is 38, 1, lorsque Isaïe dit à Ézéchiel : Mets ta maison en ordre, car tu vas mourir et tu ne vivras pas, etc. Mais est-ce que la prophétie impose une nécessité à la prescience ? Il faut dire que non, car la prophétie est un signe de la prescience divine, qui n’impose pas de nécessité aux choses connues par anticipation, puisqu’elle considère les choses à venir dans son propre état présent. En effet, tout ce qui est fait est présent à Dieu, car son regard s’étend à la totalité du temps : ainsi, si je vois quelque chose de présent, mon regard n’impose pas de nécessité, comme lorsque je vois quelqu’un s’asseoir. Et nous avons compris de cette manière les prophéties qui sont présentées dans ce livre.
146. En effet, il faut considérer que trois erreurs ont existé. L’une est celle des manichéens, qui disent que, dans tout l’Ancien Testament, on ne trouve aucune prophétie au sujet du Christ, et que tout ce qui est emprunté à l’Ancien Testament dans le Nouveau vient en totalité d’une corruption. S’oppose à cela Rm 1, 1 : Paul, serviteur du Christ, appelé apôtre, mis à part pour l’évangile de Dieu, afin que ce qu’il avait auparavant promis par les prophètes, etc. Et qu’il parle des prophètes des Juifs, cela est clair plus loin, 9, 5 : Dont les pères, de qui vient le Christ selon la chair, etc.
147. Une autre [erreur] fut celle de Théodoret, qui dit que rien de ce qui est tiré de l’Ancien Testament ne s’applique au Christ selon la lettre, mais est adapté, comme ce qui est parfois tiré de Virgile : En se rappelant ces choses, il était en suspens et demeurait immobile, est en effet adapté au Christ. Et ainsi, AFIN QUE S’ACCOMPLISSE doit être expliqué comme si l’évangéliste disait : «Et ceci peut être adapté.» À cela s’oppose Lc 24, 44 : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Il faut savoir que, dans l’Ancien Testament, certaines choses se rapportent au Christ et ne sont dites que de lui, comme : Voici qu’une vierge concevra, et elle enfantera un fils, Is 7, 14, et Ps 21[22], 2 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, etc. ? Et si quelqu’un donnait un autre sens littéral, il serait hérétique, et l’hérésie a été condamnée. Mais parce que, non seulement les paroles de l’Ancien Testament, mais les faits [de l’Ancien Testament] parlent du Christ, parfois certaines [choses] sont dites d’autres personnes selon la lettre, mais se rapportent au Christ pour autant qu’elles sont une figure du Christ, comme il est dit de Salomon : Et il régnera de la mer à la mer, etc. [Ps 71[72], 8]. En effet, cela ne se réalisa pas en lui.
148. La troisième erreur fut celle des Juifs. Car il faut savoir que les Juifs s’opposent d’une manière particulière à ce texte, parce que, en hébreu, il n’est pas question de «vierge», mais de «jeune fille», ce qui est la même chose que «adolescente». Ainsi, selon la lettre, [ces paroles] n’ont pas été dites du Christ, mais de l’Emmanuel, ou du fils d’Isaïe, selon d’autres. Mais Jérôme leur objecte que cela n’a pas pu être dit du fils d’Isaïe, parce que celui-ci était déjà né lorsque cela fut dit. De plus, on ne trouve aucun personnage célèbre de cette époque qui se serait appelé Emmanuel. De même, le fait qu’une jeune fille enfante n’est pas un signe. Jérôme dit donc que «jeune fille» est équivoque et désigne parfois l’âge, parfois «cachée», et alors signifie une vierge préservée avec soin. Et tel est le sens ici. De plus, les Juifs objectent que cela a été donné comme signe, Is 7, 3 : Deux rois s’élèveront contre Achaz, etc., et que cela promettait qu’ils seraient libérés par eux en donnant ce signe à Achaz. Mais il faut dire qu’il donna ce signe non seulement à Achaz, mais aussi à la maison de David, car il dit : Écoute, maison de David, comme si le prophète disait : «Le Seigneur te viendra en aide contre ce roi, car Il fera Lui-même de bien plus grandes choses ; il libérera non seulement lui, mais le monde entier.»
149. Mais revenons à la lettre : OR, TOUT CELA S’ACCOMPLIT. À ceci s’oppose que l’ange avait indiqué plusieurs choses, à savoir, QU’ÉTAIT NÉ EN ELLE, etc., QU’ELLE CONCEVRAIT, etc., et aussi QU’IL SERAIT APPELÉ, etc. Or, tout cela ne s’était pas accompli. Mais, d’une première façon, il faut dire, selon Raban, que TOUT CELA S’ACCOMPLIT se rapporte à des faits passés : que l’ange était apparu à une vierge, qu’il avait dit ces paroles. ET TOUT CELA S’ACCOMPLIT, pour préserver cette vierge, de sorte que l’expression soit interprétée de manière causale. Ou bien cela se rapporte à ce qu’il avait annoncé, et on peut dire que tout cela s’accomplit en raison d’une prédestination. Ou bien il faut dire que l’évangéliste écrivait alors que tout s’était accompli, et que c’est à cela qu’il se réfère. La formule est ainsi interprétée de manière consécutive, parce que Dieu n’a pas voulu s’incarner pour que s’accomplît la prophétie, comme si l’Ancien Testament était plus digne que le Nouveau, mais le fait que le Christ s’est incarné a suivi la prophétie.
Le message de l’Ange est achevé ; ce que
nous allons entendre dans ces deux versets n’est plus qu’une réflexion de l’évangéliste, ainsi qu’on l’admet
communément. Nous verrons plus d’une fois S. Matthieu interrompre le récit d’un événement ou d’un
discours pour insérer une pensée personnelle, surtout pour montrer le rapport qui existe entre le fait qu’il
relate et les prophéties de l’Ancien Testament ; c’est sa manière d’écrire la philosophie de l’histoire de Jésus.
Mais cette philosophie est extrêmement simple, malgré sa profondeur réelle ; elle consiste habituellement
dans la phrase suivante : telle chose est arrivée parce qu’elle avait été prédite. Nous retrouverons si souvent
ces mots dans le premier Évangile, leur sens a été si complètement dénaturé, leur importance dogmatique est
si grande, qu’on nous permettra de leur consacrer ici quelques lignes. D’abord, on a affecté de confondre la
conjonction “ut”, afin que, en grec, avec “ita ut”, de telle sorte que ; puis, étendant de la même manière la
signification du verbe “adimpleri” (accomplir), on n’a voulu voir dans la formule entière que l’annonce
d’une simple accommodation, qu’un pur rapprochement de deux événements analogues, dont la liaison
n’existerait pas en dehors de l’esprit de l’Évangéliste. L’historien sacré se donnerait donc le plaisir de citer
les prophètes, de même que nous citons nos poètes favoris, quand notre mémoire nous rappelle à propos
quelques-uns de leurs vers. Mais rien n’est plus faux que cette affirmation. La conjonction “ut” doit se
traduire ici par “afin que” ; elle établit un vrai “nexus finalis” (cause finale) entre l’événement raconté par
l’évangéliste et l’oracle de l’Ancien Testament qu’il en rapproche. De même, le verbe “adimpleri” doit être
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pris dans sa signification stricte et primitive ; il s’agit d’un accomplissement réel, d’une réalisation
proprement dite et non d’une rencontre de hasard : le résultat indiqué avait été prévu, voulu antérieurement
par Dieu. Ainsi ramenée à sa véritable interprétation, la formule “ut adimpleretur” rappelle un fait aussi
important en lui-même que riche en conséquences dogmatiques. Dans l’Ancienne Alliance, tout tendait au
Messie et à son œuvre, comme le disent des textes fameux, Hebr. 10, 8 ; S. Aug. ; tout s’élançait vers l’avenir
et le figurait, le présageait. Cela doit particulièrement s’affirmer des paroles prophétiques, dont chacune
devait avoir un jour son accomplissement infaillible. Il faut ajouter cependant, pour être exact sur ces
matières délicates, que les prophéties verbales n’étaient pas toujours directement, immédiatement
messianiques. Parfois, assez souvent même, elles avaient un premier sens qui devait se réaliser avant
l’époque du Messie ; mais alors, sous ce premier sens, il s’en cachait un autre plus relevé, relatif à la vie ou
aux opérations du Christ, et qui ne devait pas s’accomplir moins fidèlement. Dans ce cas, le premier était le
type du second. Il y a donc les prophéties directement messianiques et les prophéties indirectement
messianiques ou typiques. Nous allons avoir dans un instant l’occasion d’appliquer cette distinction à un
texte des prophètes. – Ce que le Seigneur avait dit par le prophète. Dieu est la cause, la source première des
prédictions surnaturelles ; les prophètes ne sont que ses instruments, ses organes. Les citations de l’Ancien
Testament ont lieu dans le Nouveau, tantôt d’après l’hébreu, tantôt d’après la traduction des 70 ; mais elles
sont rarement littérales, et il leur arrive même de s’écarter tout à la fois et du texte original et du texte grec.
Tel est le cas pour la célèbre prophétie d’Isaïe, 7, 14, que S. Matthieu met en parallèle avec la révélation de
l’Ange à S. Joseph. La voici d’après l’hébreu : “Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle
appellera Emmanuel”. Nous renvoyons le lecteur aux commentaires du prophète pour l’explication détaillée
de ce passage ; voir aussi Patritii, de Evangel. t. 2, p. 135-152. Nous nous bornerons à indiquer ici les deux
opinions adoptées par les exégètes croyants, relativement à sa signification primitive. Est-il directement
messianique ? Ne l’est-il que médiatement ? Dans le premier cas, Dieu en révélant cette grande parole à
Isaïe, et Isaïe en la prononçant, n’auraient eu en vue que la Vierge par excellence qui, sans perdre sa
virginité, devait enfanter le véritable Emmanuel, le Messie. Dans le second, la prophétie aurait eu pour objet
immédiat une jeune femme du palais, ou l’épouse même du prophète, à laquelle on annonçait dans un
prochain avenir la naissance d’un fils nommé Emmanuel. Cette jeune femme serait le type de la sainte
Vierge, en ce sens qu’on lui prophétisait, ainsi qu’il arriva plus tard pour Marie, sa maternité avant son
mariage, ou du moins avant sa grossesse ; Emmanuel serait le type du Christ, soit par son nom dont le
Sauveur devait réaliser le sens, soit parce qu’il fut donné comme un signe de salut dans un temps de grandes
souffrances et de graves dangers. Les partisans de cette interprétation typique allèguent en faveur de leur
opinion les deux raisons suivantes. 1° Il n’est pas prouvé que le substantif Alma, “Virgo” de la Vulgate,
désigne forcément, uniquement une Vierge proprement dite ; ce nom peut s’appliquer aussi à une jeune
femme, même mariée. 2° Le sens directement messianique n’est point naturel dans la circonstance où la
prophétie fut prononcée. De quoi est-il immédiatement question ? De promettre du secours, et un prompt
secours, aux Juifs en danger, à Jérusalem menacée par deux rois puissants ; et le prophète, en guise de
consolation, annoncerait que le Messie naîtra d’une Vierge au bout de sept cents ans ! Le sens typique est
très-naturel au contraire : “dans peu de mois, telle personne aura un fils, et, avant que cet enfant soit parvenu
à l’âge de raison, les ennemis que vous redoutez auront été anéantis”. La réponse divine cadre parfaitement
avec la situation extérieure. Le Seigneur, il est vrai, voyait beaucoup plus loin ; dans sa pensée, une
réalisation bien supérieure était réservée à sa parole et c’est cette réalisation, comprise ou révélée dans la
suite des temps, qui est notée présentement par S. Matthieu. Les défenseurs de la première opinion disent de
leur côté que le premier évangéliste a clairement déterminé le sens du mot “Virgo” par la manière dont il l’a
employé dans son récit ; il est bien certain qu’il a voulu parler d’une Vierge proprement dite et qu’il a vu, par
conséquent, dans la conception toute divine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’accomplissement direct,
immédiat de la prédiction d’Isaïe. Il n’est pas facile de faire son choix entre ces deux sentiments : la
signification typique semble réellement plus naturelle quand on lit le chapitre 7 d’Isaïe, mais d’autre part on
donne la préférence à l’interprétation directement messianique lorsqu’on vient de lire le récit de S. Matthieu.
Au point de vue doctrinal, les deux opinions sont parfaitement licites ; cependant il est plus conforme à
l’interprétation des SS. Pères et des exégètes catholiques de regarder ce texte comme strictement
messianique. Voir Vercellone, Taurini, 1836. Quoi qu’il en soit, on a fait observer avec beaucoup de justesse
que cette prophétie est la clef d’or qui ouvre toutes les autres, elle a en effet des liens universels avec tout ce
qui concerne le Messie ; sans son secours, les autres prédictions relatives à la personne du Christ seraient très
souvent incompréhensibles, car elles lui attribuent des qualités tout à fait inconciliables avec la nature
humaine ; or Isaïe nous apprend précisément ici qu’il est Emmanuel, Immanou-El, Dieu avec nous. –
Emmanuel. Et pourtant Jésus n’a jamais porté ce beau nom ! Mais il a fait plus que cela ; il en a vérifié la
signification, ce qui suffit largement pour réaliser la prophétie. – Ce qui signifie. Cette note a été ajoutée sans
doute par le traducteur grec du premier Évangile ; les destinataires, qui étaient des Juifs d’origine, n’avaient
pas besoin qu’on leur interprétât un nom hébreu.
Les Saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament et la Tradition vénérable mettent dans une lumière de plus en plus grande le rôle de la Mère du sauveur dans l’économie du salut et le proposent pour ainsi dire à notre contemplation. Les livres de l’Ancien Testament, en effet, décrivent l’histoire du salut et la lente préparation de la venue du Christ au monde. Ces documents primitifs, tels qu’ils sont lus dans l’Église et compris à la lumière de la révélation postérieure et complète, font apparaître progressivement dans une plus parfaite clarté la figure de la femme, Mère du Rédempteur. Dans cette clarté, celle-ci se trouve prophétiquement esquissée dans la promesse (faite à nos premiers parents après la chute) d’une victoire sur le serpent (cf. Gn 3, 15). De même, c’est elle, la Vierge, qui concevra et enfantera un fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel (cf. Is 7, 14 ; cf. Mi 5, 2-3 ; Mt 1, 22-23). Elle occupe la première place parmi ces humbles et ces pauvres du Seigneur qui espèrent et reçoivent le salut de lui avec confiance. Enfin, avec elle, la fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s’accomplissent les temps et s’instaure l’économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu, par elle, prit la nature humaine pour libérer l’homme du péché par les mystères de sa chair.
Dans la plénitude du temps, l’Esprit Saint accomplit en Marie toutes les préparations à la venue du Christ dans le Peuple de Dieu. Par l’action de l’Esprit Saint en elle, le Père donne au monde l’Emmanuel, " Dieu-avec-nous " (Mt 1, 23).