Matthieu 10, 30

Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés.

Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés.
Saint Thomas d'Aquin
1262. Mais on objecte : «Dieu ne s’occupe pas des bœufs. Il ne s’occupe donc pas des passereaux.» Il faut dire que Dieu prend soin de toutes les [choses], comme on le lit en Sg 12, 13 : Il n’y a pas d’autre Dieu que toi, qui prends soin de toutes choses. Mais il faut savoir qu’il s’occupe de toutes les choses selon le mode de leur nature. Or, il existe une diversité dans les choses créées, selon laquelle certaines sont libres, et d’autres ne le sont pas. Une créature est dite libre lorsqu’elle a le pouvoir de faire ce qu’elle veut ; n’est pas libre celle qui n’a pas ce [pouvoir]. Ainsi, [Dieu] prend soin des [créatures] raisonnables selon qu’elles sont libres, mais Il prend soin des autres selon qu’elles sont des servantes, de la même manière que le maître de maison prend soin de ses enfants d’une autre manière que de ses serviteurs : il prend soin de ses enfants pour eux-mêmes, mais [il prend soin] de ses serviteurs selon qu’ils sont au service des maîtres, et même selon que chacun est plus apte à rendre service. Ainsi, la miséricorde divine pourvoit aux [créatures] raisonnables pour elles-mêmes, parce que tout est fait en fonction de leur bien ou de leur mal. En conséquence, tout est pour elles récompense ou peine en fonction de leurs mérites. Ce qui arrive aux [créatures] non raisonnables arrive soit pour le salut des hommes, soit pour l’achèvement de l’univers, comme on lit en 3 R [1 R] 13 qu’un prophète fut tué par un lion, et cela en raison de sa faute. La souris est tuée par le chat pour le bien de l’univers. En effet, tel est l’ordre de l’univers qu’un animal vive d’un autre.

1263. Ainsi donc, [le Seigneur] montre que [le Père] prend soin des hommes et des animaux sans raison d’une manière différente, lorsqu’il dit : MAIS LES CHEVEUX DE VOTRE TÊTE SONT TOUS COMPTÉS. Il montre qu’il y a une différence dans la providence par laquelle Dieu prend soin de diverses manières. Il avait dit qu’un seul des passereaux ne tombait au sol sans que le Père [ne le veuille] ; mais ici, il dit que «non seulement vous ne tomberez pas, mais pas même vos cheveux [ne tomberont]». Et ici, il signale que la providence s’occupe des actes les plus infimes, car tout ce qu’il y a en eux est ordonné à eux, et le Seigneur prend soin de ceux-ci. Mais il faut remarquer qu’il dit : SONT COMPTÉS. La raison en est que, d’habitude, ce que quelqu’un veut conserver pour lui, il le compte ; ce qu’il veut distribuer, il le donne aux autres. Ainsi, la différence entre la providence pour les [créatures] raisonnables et pour les autres est que [la créature raisonnable] est ordonnée par Dieu de manière immédiate, parce qu’une telle créature est capable de Dieu, mais que les autres ne le sont pas. De même, ce que nous comptons, nous voulons le conserver pour nous. C’est pourquoi il n’a pas dit plus haut que les passereaux étaient comptés, car ils ne durent pas toujours ; mais les hommes le sont afin de durer éternellement, car l’âme a une durée perpétuelle.

1264. Mais ici se pose une question : si les cheveux sont comptés, tout ce qui a été coupé des cheveux ne sera-t-il pas rétabli lors de la résurrection ? Et si tel est le cas, leur longueur sera indécente. Certains disent que la matière ne périt pas, mais qu’elle sera superflue sous un aspect, et déficiente sous l’autre. Mais étant donné que rien n’aura été éliminé, qu’est-ce que cela sera devenu ? Il faut donc comprendre qu’il y a eu à ce sujet trois opinions. Certains ont dit que ne ressuscitera que ce qui appartient à la vérité de la nature humaine. D’autres, que ne ressuscitera que ce qui s’est ajouté depuis Adam et s’est ainsi multiplié d’une manière aussi considérable. Mais d’autres, [que ressuscitera] non seulement ce qui s’est ajouté depuis Adam, mais aussi ce qui s’est ajouté depuis un proche parent. Ainsi, tout ce qui a été ajouté, et qui appartient à la vérité de la nature humaine, ressuscitera ; mais ce qui relève de la quantité des parties ne ressuscitera pas. Mais à cela semble s’opposer que la chaleur qui agit sur l’élément nutritif humide agit aussi sur ce qui est dans les racines, et ainsi l’homme ne consomme pas l’un sans consommer l’autre, puisqu’ils sont mélangés. C’est pourquoi il semble qu’il faille dire autre chose, à savoir que tout ce qui appartient à la vérité [de la nature humaine] ne demeurera que dans la mesure où cela se rapporte à l’achèvement. Or, j’appelle ce qui appartient à la vérité de la nature humaine la chair selon son espèce ; le reste, la chair selon la matière. La chair selon son espèce ressuscitera, mais non [la chair] selon la matière. Mais qu’est-ce que cela veut dire : la chair selon son espèce ? Il faut dire que les parties de l’homme peuvent être considérées soit selon la forme, soit selon la matière. Selon la forme, elles durent toujours. Mais si nous considérons la matière qui est sous-jacente, [elle] évolue dans un sens et dans l’autre, comme on le voit par le feu. Car si on ajoute du bois au feu, le feu demeure le même selon son espèce ; toutefois, la matière évolue selon que le bois diminue. Ainsi, ressuscitera ce qui est plus parfait. C’est pourquoi [le Seigneur] ne dit pas : «Vos cheveux ont été pesés», mais ONT ÉTÉ COMPTÉS. Ils ne ressusciteront donc pas quant à leurs poids, mais quant à leur forme.
Louis-Claude Fillion
Le texte grec a plus d’énergie : même vos cheveux ! Le pronom est mis en avant d’une manière emphatique. Quand il s’agit des hommes, ce n’est pas seulement leur nombre que Dieu connaît, il a compté jusqu’à leurs cheveux. Si le Créateur s’occupe avec bonté d’un détail si peu important de notre être, s’il veille soigneusement sur ce qu’il y a de plus insignifiant en nous, avec quelle anxiété toute maternelle ne s’occupera-t-il pas des intérêts supérieurs de ceux qui travaillent pour sa gloire ! Il ne leur arrivera pas le plus petit mal à son insu. Cf. 3 Reg. 1, 52. Ces mots contiennent un exemple frappant de la « Providence très spéciale » du Seigneur. « S’il n’ignore donc rien de ce qui arrive, s’il vous aime plus véritablement qu’un père, s’il vous aime au point même d’avoir compté vos cheveux, il n’y a absolument rien à craindre », S. Jean Chrysost. Hom. 34.