Matthieu 10, 4

Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra.

Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra.
Saint Jean Chrysostome
Ce n'est pas seulement en leur représentant leur ministère comme une moisson prête à recueillir que le Sauveur inspire à ses Apôtres une vive confiance, mais encore en leur donnant d'exercer ce ministère avec puissance.

Vous voyez que ce n'est point par rang de dignité qu'il les place, car Jean ne l'emporte pas seulement sur les autres, mais sur son frère.
Saint Jérôme
Car le Seigneur est plein de bonté et de clémence ; c'est un Maître qui n'est pas jaloux de la puissance de ses serviteurs et de ses disciples ; aussi leur donne-t-il libéralement le même pouvoir qu'il avait exercé de guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. Mais il y a une grande différence entre posséder et accorder aux autres ce qu'on possède soi-même, entre donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, c'est avec un pouvoir souverain, tandis que les Apôtres, dans toutes leurs oeuvres, sont forcés de confesser leur propre faiblesse et la puissance du Seigneur, comme lorsqu'ils disent : " Au nom de Jésus, levez-vous et marchez (Ac 3, 6 ; 20, 34.) L'Évangéliste nous donne ici le nombre des Apôtres pour en exclure comme faux apôtres ceux qui n'y sont pas compris ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Or, voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon qui s'appelle Pierre, et André son frère. " Il n'appartenait qu'à celui qui pénètre le secret des coeurs d'assigner à chacun des Apôtres la place qu'il méritait. Le premier nommé, c'est Simon, et Jésus lui donne le surnom de Pierre pour le distinguer d'un autre Simon, le Chananéen, du bourg de Cana, ou Jésus changea l'eau en vin.

L'Évangéliste nous présente les Apôtres associés deux par deux. Il joint ensemble Pierre et André, beaucoup moins unis par les liens du sang que par ceux de l'esprit ; Jacques et Jean qui abandonnèrent leur père selon la nature pour suivre leur véritable Père qui est au ciel. " Jacques, est-il dit, fils de Zébédée, et Jean son frère. " Jacques est ainsi désigné à cause d'un autre Jacques qui est fils d'Alphée.

Les autres Évangélistes en réunissant les deux noms mettent d'abord celui de Matthieu, ensuite celui de Thomas, et ils suppriment cette épithète de publicain pour éviter l'apparence même de l'outrage à l'égard de saint Matthieu en rappelant son ancienne profession. Mais lui-même se place après saint Thomas, et se dit hautement publicain, pour montrer que la grâce a surabondé là où le péché avait abondé.(Rm 5).

Simon le Chananéen est celui qui est appelé Zélotés par un autre Évangéliste, parce que Chana signifie zèle. Judas Iscariote est ainsi nommé ou du bourg où il a pris naissance, ou de la tribu d'Issachar, et il semble que ce soit par une espèce de prophétie qu'il soit né pour sa condamnation ; car Issachar signifie récompense, et ce nom semble indiquer le prix de sa trahison.
Saint Augustin
Quelques manuscrits lui donnent le mon de Lebbée ; mais qui empêche que le même homme porte simultanément deux ou trois noms différents ?

Jésus les choisit donc pour disciples et donna le nom d'apôtres à ces hommes de naissance obscure, sans distinction, sans instruction, afin que lui seul fût reconnu pour l'unique auteur de ce qui paraîtrait de grand dans leur personne comme dans leurs actions. Parmi ces douze apôtres il s'en trouva un mauvais ; mais Jésus fit servir sa méchanceté même au bien, en accomplissant par elle le mystère de sa passion, et enseignant à son Église à supporter comme lui les méchants dans son sein.
Saint Rémi
L'Évangéliste venait de raconter que Notre-Seigneur avait engagé ses disciples à prier le Maître de la moisson d'envoyer les ouvriers dans sa moisson, et il accomplit lui-même ce qu'il les a engagés à demander. Le nombre douze en effet, est un nombre parfait ; puisqu'il vient du nombre six qui est parfait lui-même, parce qu'il se compose de ses fractions qui sont un, deux trois. Or, ce nombre six étant doublé, forme le nombre douze.

Nous avons ici une preuve évidente que l'accablement de cette multitude ne venait pas d'une seule cause, mais que leurs infirmités étaient nombreuses et variées, et c'est en donnant à ses disciples le pouvoir de les traiter et de les guérir que Jésus prend pitié d'elles.

Quelques-uns ont voulu trouver dans ce nom, qui en grec comme en latin veut dire pierre, la signification d'un mot hébreu qui selon eux signifie dissolvant,ou déchaussant, ou connaissant. Mais cette interprétation a contre elles deux raisons, qui la rendent impossible, la première, c'est que dans la langue hébraïque la lettre P n'existe pas, et qu'elle est remplacée par la lettre F : ainsi on dit Philate ou Filate pour Pilate ; la seconde, c'est l'interprétation de l'Évangéliste qui raconte que le Seigneur dit à Pierre : Tu t'appelleras Cephas, et ajoute de lui-même : " c'est-à-dire Pierre. " (Jn 1) Or Simon signifie obéissant, car il obéit à la voix d'André, et vint avec lui trouver le Christ. (Jn 1) Peut-être aussi est-ce parce qu'il se montra plein d'obéissance pour la volonté divine, et que sur une seule parole du Sauveur il se mit à sa suite. (Mt 4) Ce nom, selon quelques autres interprètes, peut encore signifier celui qui dépose son chagrin, et qui entend une chose triste. En effet, à la résurrection du Sauveur, Pierre bannit la tristesse que lui avaient causé la passion du Sauveur et son propre reniement, et il entendit avec tristesse le Sauveur lui dire : " Un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas. "

André signifie viril, car de même que le mot virilis, en latin, vient du mot vir, ainsi en grec le nom d'André vient d'????. C'est à juste titre qu'on lui donne le nom de viril, parce qu'il a tout quitté pour suivre le Christ, et qu'il a persévéré avec courage dans la voie de ses commandements.

Judas signifie celui qui a confessé, parce qu'il a confessé la divinité du Fils de Dieu.

" Et André son frère. " C'est un grand honneur pour André que cette dénomination. Pierre est désigné par sa vertu, et André par la noblesse qui lui vient d'être le frère de Pierre. Saint Marc, au contraire, ne nomme André qu'après Pierre et Jean, les deux sommités du collège des Apôtres ; et en cela différant de saint Matthieu, il les classe suivant leur dignité.

Jacques veut dire supplantateur, ou celui qui supplante ; en effet non-seulement il supplanta les vices de la chair, mais encore il méprisa cette même chair jusqu'à la livrer au glaive d'Hérode (Ac 12). Jean signifie la grâce de Dieu, parce qu'il mérita d'être aimé de Dieu plus que tous les autres, et c'est ce privilège d'amour particulier qui lui valut de reposer pendant la Cène sur la poitrine du Sauveur (Jn 13). Viennent ensuite Philippe et Barthélemy : Philippe signifie l'ouverture de la lampe ou des lampes, parce qu'il s'empressa de répandre sur son frère, par le ministère de la parole, cette lumière dont le Sauveur l'avait éclairé lui-même. Barthélemi est un nom plutôt syriaque qu'hébreu ; il veut dire le fils de celui qui suspend le cours des eaux, c'est-à-dire le fils de Jésus-Christ, qui élève le coeur de ses prédicateurs au-dessus des choses de la terre et les suspend pour ainsi dire aux choses célestes, afin que plus ils pénètrent les secrets du ciel, plus aussi la rosée de leur prédication sainte puisse enivrer et pénétrer les coeurs de ceux qui les entendent.

 Le nom de Thomas signifie abîme ou gémeau ; en grec il revient à celui de Didyme. Thomas mérite à la fois le nom d'abîme et de Didyme, car plus ses doutes se prolongèrent, plus aussi furent profondes et sa foi dans les effets de la passion du Seigneur et la connaissance qu'il eut de sa divinité, ce qu'il prouva en s'écriant : " Mon Seigneur et mon Dieu ! " Matthieu signifie donné, car c'est par la grâce de Dieu que de publicain il devint évangéliste.

Ce n'est pas sans raison qu'il est appelé fils d'Alphée, c'est-à-dire de celui qui est juste ou savant, car non-seulement il triompha des vices de la chair, mais encore il méprisa tous les soins qu'elle réclame ; et il eut pour témoins de sa vertu les apôtres qui l'ordonnèrent évêque de l'Église de Jérusalem. L'histoire ecclésiastique raconte de lui, entre autres choses que jamais il ne mangea de viande, et qu'il ne but jamais ni vin ni bière. Il ne faisait point usage de bains, ne portait pas d'habits de lin ; nuit et jour il priait, les genoux en terre. Ses vertus étaient si éclatantes que tous unanimement l'appelaient le Juste. Thaddée est celui que saint Luc appelle Judas de Jacques, c'est-à-dire frère de Jacques. Dans son Épître que l'Église reçoit comme canonique, il s'appelle lui-même frère de Jacques.

Le nom d'Iscariote signifiesouvenir du Seigneur, parce qu'il se mit à la suite du Sauveur ; ou bien mémorial de la mort, signification qui se rapporte au dessein prémédité de la mort du Seigneur ; ou bien suffocation, parce qu'il s'étrangla de ses propres mains. Il est à remarquer que ce nom de Judas fut porté par deux des disciples de Jésus, qui sont la figure de tous les chrétiens : Judas frère de Jacques représente tous ceux qui persévèrent dans la foi ; Judas Iscariote, ceux qui abandonnent la foi pour retourner en arrière.
Rabanus Maurus
Le nombre douze, composé du nombre trois multiplié par quatre, signifie que les Apôtres prêcheront la foi en la sainte Trinité dans les quatre parties du monde. Ce nombre se trouve aussi figuré par avance de plusieurs manières dans l'Ancien Testament ; dans les douze enfants de Jacob (Gn 35) ; dans les douze chefs des enfants d'Israël (Nb 1) ; dans les douze sources d'eau vive d'Hélim (Ex 15) ; dans les douze pierres précieuses qui brillaient sur le rational d'Aaron (Ex 39) ; dans les douze pains de proposition (Lv 24) ; dans les douze hommes envoyés par Moïse pour examiner la terre promise (Nb 13) ; dans les douze pierres qui servirent à élever un autel (3 R 18) ; dans les douze autres pierres qui furent retirées du Jourdain (Jos 4) ; dans les douze boeufs qui supportaient la mer d'airain (3 R 7) ; et pour le Nouveau Testament, dans les douze étoiles qui forment la couronne de l'épouse (Ap 12) ; dans les douze pierres fondamentales ; dans les douze portes de la Jérusalem céleste qui fut révélée à saint Jean (Ap 21).

Le nom grec ??????, en latin Petrus, correspond au nom syriaque Cephas, dans chacune de ces trois langues, ce nom est dérivé du mot pierre. Or, il est hors de doute que cette pierre est celle dont saint Paul a dit : " La pierre était le Christ. "

Thaddée ou Lebbée signifie sensé, ou celui qui s'applique à la culture du coeur.

Jacques, fils d'Alphée, est celui qui dans l'Évangile et dans l'Épître aux Galates est appelé le frère du Seigneur (Mt 13, 55 ; Mc 5, 3 ; Gal 1, 19), parce que Marie épouse d'Alphée était la soeur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l'appelle Marie, épouse de Cléophas, ou peut-être parce qu'Alphée portait aussi le nom de Cléophas, ou bien parce qu'après la naissance de Jacques, Marie ayant perdu Alphée, épousa Cléophas en secondes noces.

Le choix de Judas pour apôtre n'est point le résultat d'une imprudence ; le Seigneur nous apprend par là combien grande est la vérité qui ne peut être affaiblie par la trahison même d'un de ses ministres. Il a voulu encore être trahi par un de ses disciples, pour vous apprendre lorsque vous serez trahi vous-même par un de vos amis, à supporter avec patience les suites de votre erreur et la perte de vos bienfaits. 
La Glose
Les Apôtres sont nommés deux par deux, comme témoignage d'approbation de la société conjugale prise dans le sens figuré.

Depuis la guérison de la belle-mère de Pierre jusqu'à cet endroit, les miracles opérés par Jésus-Christ sont racontés sans interruption, et ils ont tous eu lieu avant le sermon sur la montagne, ainsi que le prouve jusqu'à l'évidence la vocation de saint Matthieu qui s'y trouve comprise, car saint Matthieu a été un des douze que Jésus a élus sur la montagne pour l'apostolat. Ici l'Évangéliste reprend son récit en suivant l'ordre dans lequel les faits se sont passés, après la guérison du serviteur du centurion.

Cette multiplication par deux peut signifier ou les deux préceptes de la charité ou les deux Testaments. 
Saint Thomas d'Aquin
1185. SIMON LE CANANÉEN, du village de Cana. Et JUDAS L’ISCARIOTE, pour le distinguer de l’autre Judas [Jude], et son nom vient soit d’un village, soit d’une famille de la tribu d’Issachar, et il signifie «mort». CELUI QUI L’A LIVRÉ. Et pourquoi [Matthieu] précise-t-il ? Afin d’enseigner que l’état conféré par une dignité ne sanctifie pas un homme. Il y a aussi une autre raison : afin de signaler qu’il ne se trouve guère de groupe sans méchant. Cette précision est donnée pour montrer que parfois il n’y a pas de bons sans méchants. Ct 2, 2 : Comme le lis parmi les épines, telle est mon amie parmi les filles. Et Augustin [écrit] : «Ma maison n’est pas meilleure que celle du Seigneur.»
Louis-Claude Fillion
Douze apôtres. Pourquoi ce chiffre de douze ? Il est à coup sûr symbolique, ainsi que l’ont admis tous les anciens commentateurs et la plupart des modernes ; il suppose par conséquent quelque intention mystérieuse dans l’âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ. S’il n’avait pas un caractère mystique, S. Pierre n’aurait pas affirmé, après la Pentecôte, qu’il était nécessaire (« il faut », Act. 1, 21) de combler le vide créé dans le collège apostolique par la mort du traître Judas. Toutefois si l’existence du symbole ne souffre aucun doute, il n’en est pas de même des recherches plus ou moins compliquées et subtiles auxquelles on s’est livré pour en trouver la clef. Le nombre douze, a-t-on dit, est formé par une combinaison des chiffres trois et quatre. Trois est le signe de Dieu et du divin, quatre le signe de la créature. Si l’on additionne simplement ces deux chiffres, on en obtient un troisième, sept, qui est l’emblème de la religion, c’est-à-dire de l’union de la créature avec Dieu. Douze est le produit de trois multiplié par quatre, ce qui signifie une union encore plus intime de Dieu et de l’homme ; voilà pourquoi douze est le nombre de l’Alliance du Seigneur avec Israël, puis avec l’Église. Cf. Baehr, Symbolik, 1, 201 et ss.; Arnoldi, Comment. in h. l.; Bisping, ibid. Nous avouons en toute simplicité que nous comprenons peu de chose à ces savantes combinaisons ; aussi préférons-nous revenir aux explications plus simples et, ce nous semble, plus fondées des anciens auteurs, que Maldonat résume dans les termes suivants : « Jésus a voulu qu’il y ait douze apôtres pour accomplir la figure des douze patriarches. Et comme des douze patriarches tout le peuple juif s’est propagé, de la même façon, tout le peuple chrétien se propagera à partir des douze apôtres ». Il y eut donc douze Apôtres en souvenir des douze patriarches et des douze tribus, Dieu voulant établir une certaine ressemblance d’origine entre les deux Testaments. On peut encore admette, si l'on veut, un second motif, suggéré dans les termes suivants par Rhaban Maure : « Provenant du ternaire et du quaternaire, le chiffre douze signifie qu’ils prêcheront la foi dans la trinité dans les quatre parties du monde ». La « Glossa ordin. » parle dans le même sens : « Ils sont les ouvriers qui devaient être envoyés aux quatre parties du monde pour les appeler à la foi dans la Trinité ». - Ce que S. Grégoire-le-Grand disait du nom des Anges, « nom d'office, et non de nature », on peut l’appliquer aussi à la dénomination d’Apôtre, qui est essentiellement un nom d’office et de fonction. Dérivé du grec, le substantif dont les Latins ont fait « apostolus » et nous « Apôtre » en passant par « Apostre » (la lettre L ayant été changée en R), signifie Légat, Envoyé, Ambassadeur ; il avait son équivalent dans le mot hébreu correspondant à « envoyer ». Jésus-Christ, à qui l’Épître aux Hébreux, 3, 1, confère justement ce titre, l’avait choisi lui-même pour le donner à ses douze disciples de prédilection, Cf. Luc. 6, 13, auxquels il est plus spécialement réservé dans le langage chrétien. C’est à bon droit que S. Matthieu en a retardé la mention jusqu’au moment où ceux qui l’avaient reçu allaient être « envoyés » pour la première fois par leur Maître, afin de prêcher l’Évangile à leurs concitoyens. S. Pierre nous fait connaître au livre des Actes, 1, 21-22, les conditions particulières qu’il fallait remplir pour avoir le droit de porter le nom d’Apôtre dans le sens strict. - Voici le nom. Les noms de ces douze privilégiés, de ces grands dignitaires du royaume messianique, méritaient assurément d’être conservés dans l’Évangile et transmis à tout jamais à la chrétienté ; ce dernier motif n’était pas illusoire comme le prouve l’histoire des premiers siècles de l’Église. S. Marc signale également les Douze dans sa rédaction, 3, 16-19, et S. Luc, non content de les citer dans l’Évangile qui porte son nom, 6, 13-16, les a même consignés au livre des Actes, 1, 13 ; de sorte qu’il existe, dans les écrits inspirés du Nouveau Testament, quatre listes des membres du collège apostolique qui, rapprochées les unes des autres, fournissent plusieurs résultats intéressants.

Dans toutes les listes, S. Pierre obtient le premier rang, tandis que Judas est nommé régulièrement le dernier. Chaque liste partage les Apôtres en trois groupes de quatre, et ce sont toujours les mêmes noms qui apparaissent dans le même groupe, bien qu’ils n’y occupent pas constamment une place identique. Le premier groupe renferme saint Pierre, S. André, S. Jacques le Majeur et S. Jean : S. André, qui est le second dans les listes du premier et du troisième Évangile, n’a que le quatrième rang dans les deux autres catalogues, les deux fils de Zébédée passant avant lui. Dans le second groupe, nous trouvons les noms de S. Philippe, de S. Barthélemy, de S. Thomas et de S. Matthieu. S. Philippe est toujours le premier ; S. Barthélemy occupe tantôt le second, tantôt le troisième rang ; S. Thomas est successivement placé au second, au troisième ou au quatrième ; S. Matthieu deux fois au troisième et deux fois au quatrième. Le dernier groupe comprend S. Jacques-le-Mineur, nommé en tête dans les quatre listes, S. Simon et S. Thaddée qui alternent à la seconde et à la troisième place, enfin Judas Iscariote qui termine partout la série. Ce placement est à coup sûr trop régulier pour qu’on puisse l’envisager comme l’œuvre d’un pur hasard. Nous avons déjà noté les rangs spécialement attribués à S. Pierre et à Judas ; il est remarquable aussi que, parmi les dix autres Apôtres, les plus célèbres, ceux dont la personnalité est mise davantage en relief soit dans l’Évangile, soit dans l’histoire, sont mentionnés en première ligne, tandis que les autres ne viennent qu’après. S. Matthieu et S. Luc nommant les Apôtres deux à deux et S. Marc affirmant d’autre part, 6, 7, que Jésus « commença à les envoyer deux par deux » quand il les envoya prêcher pour la première fois, il est possible que les quatre listes nous donnent, au moins dans l’ensemble, l’ordre que le Sauveur lui-même avait établi entre ses douze disciples. - Le premier, Simon, en hébreu « action d'exaucer » ; ce nom, fréquemment porté chez les Juifs, était celui que le prince des Apôtres avait reçu à la circoncision. Mais, dès sa première entrevue avec Jésus, il s’était vu imposer par le divin Maître lui-même une appellation nouvelle, au sens profondément mystique, qui a fait oublier presque totalement la première : appelé Pierre, Cf. Joan. 1, 43. S. Matthieu se borne à la mentionner ici afin de distinguer Simon-Pierre de Simon le Zélote ; plus tard, 15, 18, il en racontera la confirmation solennelle. L’épithète de « premier », qui ouvre d’une manière si frappante la liste des Apôtres, a toujours gêné considérablement les Protestants. Pendant longtemps, ils ont essayé de s’en débarrasser, en affectant de la regarder comme un numéro d’ordre, ou bien en soutenant qu’elle désigne simplement Céphas soit comme le premier appelé d’entre les Apôtres, soit comme le disciple le plus cher à Jésus. Vaines tentatives ! Il est notoire en effet que le favori du Sauveur était S. Jean ; notoire que Simon-Pierre ne fut pas le premier des Apôtres au point de vue de la vocation, son frère André et un autre encore que nous déterminerons plus tard s’étaient attachés avant lui à Notre-Seigneur, Cf. Joan. 1, 35-39 ; notoire enfin qu’un numéro d’ordre suppose d’autres numéros de même nature et que, lorsqu’on a commencé une nomenclature de ce genre, on ne s’arrête pas brusquement après le n°1. Nous devrions donc avoir : « en second André, en troisième Jacques » et ainsi de suite jusqu’à « en douzième Judas ». Rendus plus raisonnables par des réflexions plus sérieuses, sinon par la décroissance de leurs préjugés, les disciples de Luther et de Calvin consentent aujourd’hui en assez grand nombre à voir dans l’adjectif « premier », selon la pensée de S. Jean Chrysostôme, l’indice d’une vraie priorité de S. Pierre sur les autres Apôtres. Citons en particulier Meyer, J. P. Lange, Olshausen, Alford, et de Wette. Ce dernier ne craint pas d’avouer franchement que ce « premier » favorise beaucoup la doctrine de la primauté de S. Pierre. Déjà, du reste, le sage Grotius avait reconnu la même chose : « Prince du collège, sans doute, désigné par le Christ pour maintenir l’unité dans le corps ». Aussi avons-nous été surpris de rencontrer dans Fritzsche, ordinairement plus juste et plus clame, l'aménité suivante à l'adresse des Catholiques : « Ils sont absurdes ces catholiques qui, par le mot primat de Pierre, ou, pour employer le mot de Théodore de Bèze, la tyrannie de l’antichrist, pensent pouvoir être confirmés ». Pourquoi ne pas les accuser, comme l'ont fait des auteurs plus anciens, d’avoir eux-mêmes frauduleusement introduit dans le texte sacré l’adjectif qui soulève de si grandes colères ? Mais son authenticité est trop bien constatée. Nous affirmons hautement que sa signification ne l’est pas moins. Quiconque, sans idées préconçues, rapproche de ces simples mots « en premier Simon », les textes du Nouveau Testament et de la tradition qui les expliquent, n’aura pas de peine à reconnaître qu’ils attribuent à Simon-Pierre non pas une priorité vulgaire sur les autres Apôtres, mais une véritable primauté d’honneur et de juridiction. Ce n’est pas seulement en cet endroit qu’il occupe le premier rang dans le collège apostolique ; l’histoire évangélique lui fait jouer à chaque page un rôle proéminent. Ici il parle au nom de tous les autres disciples, Matth. 19, 27 ; Luc. 12, 41 ; là il répond quand les Apôtres sont interpellés en commun, Matth. 16, 16 et parall. ; quelquefois Jésus s’adresse à lui comme à un personnage principal même parmi les trois disciples privilégiés, Matth. 26, 40 ; Luc. 22, 31. Après l’Ascension, il nous apparaît comme l’organe du collège apostolique, Act. 1, 15 ; 2, 14 ; 4, 8 ; 5, 29. Et nous omettons à dessein plusieurs des textes les plus saillants, auxquels nous saurons rendre justice quand l’ordre des faits nous les présentera. Ces divers traits, soit qu’on les prenne à part, soit surtout qu’on les réunisse tous ensemble, forment une base inébranlable à la doctrine de l’Église touchant la primauté de S. Pierre et de ses successeurs. - Et André, son frère. Dans la liste de S. Matthieu, aussitôt après Simon, nous trouvons son frère André, dont le nom est évidemment grec (viril), malgré les efforts d’Olshausen pour le faire dériver de l’hébreu, Nadar, « promis par un voeu ». Ni durant sa vie apostolique, ni à l’heure de sa mort, André ne démentira cette glorieuse appellation. Si sa figure pâlit nécessairement à côté de celle de son frère, il n’en conserve pas moins l’honneur d’être accouru le premier de tous auprès de Jésus, Cf. Joan, 1, 35 et ss. - Le premier évangéliste nous a fait connaître plus haut, 4, 18 et ss., le moment précis auquel le Sauveur attacha définitivement à sa personne les deux fils de Jonas. Jésus appela en même temps les fils de Zébédée ou, comme il les surnomma lui-même les fils du tonnerre (« Boanerges », Marc. 3, 17), Jacques de Zébédée et Jean son frère. L’aîné, S. Jacques, aura la gloire de devenir le premier martyr apostolique, Cf. Act. 12, 2 ; le second, S. Jean celle d’être le disciple bien-aimé du Sauveur et de composer le quatrième Évangile. Le génitif « de Zébédée » qui accompagne le nom du premier, a pour but d’établir une distinction entre lui et son homonyme le fils d’Alphée, ou, selon le langage usité depuis longtemps dans l’Église, entre S. Jacques le Majeur et S. Jacques le Mineur. Ce génitif dépend de « fils », sous-entendu d’après la mode hébraïque. - Philippe ; autre nom grec très usité en Palestine, Cf. Joseph. Bell. Jud. 3, 7, 12. Les Rabbins, qui le mentionnent souvent, l’écrivent, de deux manières différentes. S. Philippe fut, lui aussi, un disciple de la première heure, ainsi que nous le racontera S. Jean, 1, 43 ; il était de Bethsaïda, compatriote par conséquent, de S. Pierre et S. André. - Bartholomée, en hébreu « fils de Tholmaï ». La tradition est unanime pour ne faire qu’un seul et même personnage de S. Barthélemy et de Nathanaël, ce « véritable Israélite » présenté à Jésus par S. Philippe sur les bords du Jourdain, Cf. Joan. 1, 45 et ss. Cette identification est parfaitement conforme à l’esprit de l’histoire évangélique, car 1° S. Jean, vers la fin de son premier chapitre, a manifestement l’intention de raconter au lecteur la manière dont furent nouées les relations les plus anciennes entre Jésus et ses futurs disciples : pourquoi, sur les cinq personnes qu’il nous présente, une seule, Nathanaël, n’aurait-elle pas été appelée à l’apostolat ? 2° Jésus annonce formellement à Nathanaël, Joan, 1, 50, qu’il lui réserve un rôle supérieur : ce rôle ne pouvait être que celui d’Apôtre. 3° S. Barthélemy est associé à S. Philippe dans les listes qui contiennent les noms des Douze, de même que Nathanaël l’était au début du quatrième Évangile. 4° S. Jean, 21, 2, signale la présence de Nathanaël parmi plusieurs Apôtres, de manière à donner clairement à entendre qu’il faisait partie, lui aussi, du collège apostolique. Barthélemy semble avoir été une de ces dénominations patronymiques qui ont toujours été en usage dans tout l’Orient ; Nathanaël, Dieu a donné, était le nom personnel reçu à la circoncision. - Thomas, en hébreu, Theóm, en chaldéen, Thoma, c’est-à-dire « jumeau », ou « Didyme », comme traduit S. Jean, 11, 16, 20 ; 21, 2. Cet Apôtre, au point de vue du caractère, n’est pas sans analogie avec S. Pierre : dans tous les deux nous trouvons une affection généreuse pour Jésus-Christ, un courage parfois héroïque, mais aussi de grandes et promptes défaillances. - Matthieu le publicain. Au chapitre qui précède, 9, 9 et ss., il nous a lui-même raconté sa vocation extraordinaire. Avec quelle admirable humilité n’accole-t-il pas ici à son nom l’épithète peu flatteuse de « publicain » ! - Jacques fils d'Alphée, ou S. Jacques le Mineur, comme l’appelle déjà S. Marc, 15, 40, sans doute en raison de son âge moins avancé, comparativement à celui de Jacques, fils de Zébédée. Selon toute vraisemblance, Alphée, son père, ne diffère pas de Cléophas ayant épousé Marie, sœur ou du moins proche parente de la Sainte Vierge, Joan. l. c., S. Jacques le Mineur eut ainsi la gloire incomparable de faire partie de la famille de Jésus. C’est donc de lui que parle S. Paul dans sa lettre aux Galates, 1, 19, lorsqu’il dit n’avoir trouvé à Jérusalem, à l’époque de son premier voyage, que deux Apôtres, Pierre et Jacques « le frère du Seigneur » ; c’est donc lui qui est mentionné, Matth. 13, 55 et parall., parmi les cousins du divin Maître. Nous savons qu’il fut pendant de longues années l’évêque de la capitale juive et qu’il composa la première des épîtres catholiques. - Et Thaddée. Les manuscrits grecs présentent à propos de cet Apôtre une grande bigarrure de variantes. Mais, ce qui est encore plus surprenant que cette confusion, c’est de ne trouver ni le nom de Thaddée, ni le nom de Lebbée dans les deux listes de S. Luc (Evang. et Act. Cf. Joan. 14, 22), qui en cite un autre tout différent, celui de « Judas Jacobi ». Comment expliquer cette divergence ? On a compris qu’à moins de vouloir bouleverser et remanier complètement le corps apostolique dans sa composition, il fallait s’en tenir de la façon la plus stricte au chiffre carré de Douze. Les évangélistes qui accentuent ce nombre avec tant de force toutes les fois que l’occasion s’en présente, ne peuvent certainement pas avoir été les premiers à s’en écarter. Si donc il leur arrive de signaler plus de douze noms, il faut que plusieurs de ces noms aient servi à désigner un seul et même apôtre. Tel est précisément le cas. Thaddée ne diffère pas de Lebbée, qui ne diffère pas non plus de Jude, de sorte que nous avons ici une personnalité unique représentée par trois dénominations distinctes. Aussi les anciens, sur le témoignage desquels repose cette solution de la difficulté, aimaient -ils à appeler l’apôtre, Thaddée. Quels étaient les rapports de ces trois noms entre eux ? On admet plus communément que Judas, ou Jude, comme nous disons pour établir une différence entre ce disciple et le traître, était l’appellation primitive. Thaddée et Lebbée seraient deux surnoms à la signification à peu près identique, puisque le premier, dérivé de l’araméen , « mamma, pectus », pourrait se traduire par « aimé », tandis que le second, cœur, exprimerait une tendre caresse, « mon cœur ! ». Lighfoot et Schieusner attribuent une fausse étymologie à ce dernier nom, quand ils le font venir l’un de Lebba, ville maritime de la Galilée mentionnée par Pline, Hist. Nat. 5, 17, et patrie supposée de S. Jude, l’autre de lionceau. Nous expliquerons dans notre commentaire sur S. Luc, 6, 16, le sens des mots « Judam Jacobi » : qu’il suffise de dire ici qu’un grand nombre d’auteurs, s’appuyant sur une tradition très sérieuse, sous-entendent cette fois non pas « fils », mais « frère », de manière à faire de S. Jude ou de Thaddée un frère de S. Jacques le Mineur, et, par suite, un parent de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Parmi les « frères de Jesus » cités au ch. 12, v. 55, nous trouverons en effet Judas ou Jude à côté de Jacques.

Simon le Cananéen. Cet autre Simon aurait été, lui aussi, d’après quelques exégètes, un cousin du Sauveur, Cf. Matth. loc. cit. : « fratres ejus Jacobus... et Simon, et Judas », et en même temps frère de S. Jacques et de S. Jude : mais la tradition est moins formelle pour lui que pour les deux autres apôtres, en sorte que ce point demeure très douteux. L’épithète de « Cananéen » ajoutée à son nom apparaît dans le texte grec sous deux formes. Elle signifierait, d’après S. Jérôme et d’autres anciens commentateurs, « originaire de Cana ». Mais on objecte avec beaucoup de justesse que si cet adjectif était réellement tiré du nom de la ville de Cana, sa forme nécessaire serait en latin « canæus » et non « cananæus ». D’ailleurs, sans parler des autres autorités qui font pencher la balance en faveur de la leçon, n’avons-nous pas comme garant de son authenticité S. Luc lui-même qui, à deux reprises, dans son Évangile, 6, 15, et dans les Actes des Apôtres, 1, 13, appelle S. Simon « le Zélote » ; ce qui montre de la manière la plus évidente que le vrai surnom était Cananite, et qu’il dérivait du verbe araméen « qui aime, qui est zélé ». Dans quelle circonstance Simon avait-il reçu le titre de Zélote ? C’est ce qu’on ne saurait indiquer avec certitude. Les Zélotes devinrent plus tard un parti célèbre, qui occasionna par ses excès la ruine Jérusalem, Cf. Joseph. Bell. Jud. 4, 1, 9 ; 7, 8, 1 ; à l’origine, ils formaient une sorte de police religieuse qui veillait à l’observation rigoureuse de la Loi et qui s’attribuait le droit de châtier les délinquants. Peut-être existaient-ils en germe à l’époque du Sauveur ; dans ce cas S. Simon aurait été l’un des plus ardents, et le titre lui en serait resté. - Judas Iscariote. Nom sinistre, rejeté à la fin de la liste. Le Livre de Josué mentionne déjà, 15, 25, la ville de Carioth, située dans la tribu de Juda : c’est d’elle sans doute que le traître était originaire, et voilà pourquoi on avait ajouté à son appellation personnelle l’épithète d’Iscariote, afin de le distinguer de S. Jude, appelé comme lui en hébreu. « Iscariote » serait donc une expression calquée sur l’hébreu, Isch-Kerioth, l’homme, c’est-à-dire l’habitant de Carioth, et elle équivaudrait à « Cariothensis », comme on lit dans le quatrième Évangile, 6, 71, d’après plusieurs manuscrits. On rencontre dans l’historien Josèphe, Antiq. 7, 6, 1, un fait analogue qui confirme ce que nous venons de dire. L’écrivain juif voulait dire qu’un individu dont il avait à parler était natif de la bourgade de Tob. En hébreu, il aurait exprimé cette idée par Isch-Tob ; copiant cette formule, il se contente de lui donner une terminaison grecque. Quelques commentateurs rejettent cependant cette étymologie et font venir Iscariote les uns de Schéker, mensonge, « pour que Judas soit déclaré un homme menteur », les autres de Sakar, salaire, « pour signifier l’homme qui a souffert d’être corrompu par l’argent » ; d’autres encore des expressions talmudiques Iscara, « strangulation », ou Iscoreti, « ceinture de peau » et par extension « bourse, petit sac », qui feraient également allusion soit à la fin honteuse, soit à l’avarice du traître. Mais, outre que ces racines sont trop recherchées, elles ont de plus l’inconvénient de supposer que le surnom d’Iscariote ne fut donné à Judas qu’après sa mort, ce qui est contraire à l’ensemble des récits évangéliques, d’après lesquels le traître était déjà ainsi appelé de son vivant. - Qui le trahit. Note infamante ajoutée dans les trois premières listes et en d’autres passages au nom de l’Apôtre infidèle : sa noire trahison méritait bien d’être ainsi relevée, stigmatisée dans tous les siècles. « Qui » est, dans le texte latin, un hellénisme que l’on traduirait plus exactement par « le même qui ». La conjonction, employée de cette manière, a pour but de mieux faire ressortir toute l’étendue de la malice de Judas. - Mais pourquoi trouvons-nous cette odieuse figure dans le cercle le plus intime des amis de Jésus ? Il y a là un problème intéressant que les exégètes se sont fréquemment posé. Hélas ! Judas est parmi les Apôtres au même titre que le serpent dans le paradis terrestre, Caïn au sein de la première famille humaine, Cham dans l’arche, le mal toujours et partout avec le bien. Il fait encore partie du collège apostolique pour servir d’instrument à l’exécution des décrets providentiels relatif au Messie. Hâtons-nous d’ajouter que cet instrument agira dans toute la plénitude de sa liberté ; bien plus, qu’il sera constamment comblé de grâces de choix, à l’aide desquelles il pourra se soustraire à son rôle ignominieux. Nous verrons le divin Maître faire à différentes reprises des efforts pour convertir Judas ; nous le verrons frapper à la porte de ce cœur endurci. Mais en vain, le traître abusera de tout : à lui la faute ! S’en suit-il, ainsi qu’ont osé l’affirmer les rationalistes, que Jésus-Christ, dont l’esprit lisait tous les secrets de l’avenir, aurait dû ne pas fournir à Judas l’occasion de son crime, en l’écartant du nombre de ses Apôtres ? Une telle pensée serait blasphématoire. Dieu était-il donc tenu de ne pas créer les mauvais anges dont il prévoyait la révolte prochaine et l’éternelle damnation ? Est-il injuste, parce qu’il ne laisse pas dans le néant les hommes qu’il sait devoir se perdre à tout jamais ? La vocation de Judas se rattache donc à la grande question de la prédestination qui, malgré ses mystères, proclame si complètement la justice des décrets divins. « Tu es juste Seigneur, et ton jugement est juste ». - A cet aperçu rapide qui a fait passer devant nous chacun des Douze isolément, il sera bon d’ajouter quelques vues d’ensemble qui nous permettront de les mieux apprécier comme corps apostolique. Les conditions que devaient présenter à Jésus les disciples dont il voulait faire des Apôtres étaient tout à la fois négatives et positives. Sous le rapport négatif, il était bon que ces hommes fussent simples, peu instruits et laïques, parce que, dans le cas contraire, les préjugés du monde, du pharisaïsme ou du sacerdoce lévitique eussent déjà gâté plus ou moins leurs esprits et leurs cœurs. « Jésus ne choisit pas ses Apôtres dans les hauts rangs de la hiérarchie, ou parmi les représentants de la science religieuse de son temps, il les prit du commun du peuple, rudes, ignorants, plus habitués à travailler de leurs mains qu’à exercer leur intelligence ; mais aussi, ils avaient gardé la droiture et la fraîcheur enfantine des âmes simples... Leur être moral n’avait pas été faussé et déprimé par une culture artificielle ; leur conscience n’était pas étouffée sous la pesante armure de la tradition pharisaïque ; ces âmes candides pouvaient recevoir facilement l’empreinte de l’enseignement et de la personnalité de Jésus. Voulant poser les assises du grand édifice destiné à abriter tant de générations, il a cherché en quelque sorte au sein des masses populaires un marbre vierge afin de le façonner à son gré », de Pressensé, Jésus-Christ sa vie, son temps, etc. p. 432 et ss. Mais tout ne devait pas être négatif dans les Apôtres ; ils devaient aussi présenter à leur Maître des qualités positives et réelles. A ce point de vue, il fallait qu’ils appartinssent à la race d’Israël, qu’ils fussent imbus d’une solide piété, attachés déjà d’une manière étroite au Sauveur, capables enfin de formation intellectuelle et spirituelle. Il est inutile d’insister sur la nécessité de ces quatre conditions qui s’expliquent d’elles-mêmes ; il est notoire aussi que les dons les plus remarquables avaient été départis aux Apôtres, et que ces hommes convenaient admirablement pour le rôle auquel la Providence les destinait. Les traits épars de leur caractère individuel que nous pouvons recueillir çà et là dans l’Évangile, nous montrent en eux des natures très variées qui se complètent l’une l’autre et qui, par leur réunion, forment une unité vraiment admirable. Représentants de l’Israël mystique, futurs fondements d’une Église qui ouvre ses portes à tous les hommes, déjà ils forment à eux seuls un petit monde complet. Cependant il ne faut pas se faire illusion sur leur état moral au moment où ils furent choisis par le Christ. Ils étaient encore bien faibles, bien ignorants, bien incapables de s’élever aux sublimes pensées de leur divin instructeur. Mais les enseignements de Jésus pénétreront peu à peu dans leurs cœurs ; sous sa douce influence, leurs idées terrestres disparaîtront, la grâce de l’Esprit Saint achèvera ensuite de les former, de les tremper vigoureusement et alors ils nous apparaîtront comme l’or pur, dégagé de toutes ses scories. - Il n’est pas sans intérêt de noter la part que Jésus a faite aux liens du sang et de l’amitié dans le choix de ses Apôtres. Quoique leur nombre soit si restreint, nous trouvons parmi eux trois couples de frères : Pierre et André, Jacques le Majeur et Jean, Jacques le Mineur et Thaddée, ces deux derniers pris dans la propre parenté du Sauveur. Philippe et Bathélemy (Nathanaël), André et Jean étaient d’intimes amis. - Nous avons vu aussi que la plupart des Apôtres portaient deux noms : Simon-Pierre, Jacques et Jean « Boanerges » ; Nathanaël-Bathélemy, Thomas-Didyme ; Lévi-Matthieu, Simon-le-Cananéen ou le Zélote, Judas-Iscariote ; et Jude en avait jusqu’à trois. - Plusieurs d’entre eux étaient homonymes : c’est ainsi qu’il y avait dans leurs rangs deux Simon, deux Jacques, deux Judas. - Pour ce qui concerne la représentation artistique des Apôtres et les attributs divers que l’histoire ou le symbolisme ont ajoutés à leurs portraits, nous renvoyons au savant Dictionnaire d’Archéologie de M. Viollet-le-Duc, t. 1, p. 25 et ss.
Fulcran Vigouroux
Judas Iscariote, c’est-à-dire de Carioth, ville de la tribu de Juda