Matthieu 11, 17
“Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine.”
“Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine.”
Jésus-Christ vient de juger saint Jean-Baptiste ; il juge maintenant, mais dans un autre sens, les Juifs dont un
grand nombre n’ont reçu ni le Précurseur, ni le Messie, abusant d’une manière indigne des grâces qui leur
avaient été prodiguées. Ce passage contient donc un blâme sévère contre l’incrédulité des contemporains du
Sauveur. Leur conduite coupable est d’abord décrite en termes figurés, v. 16 et 17, puis au propre,
relativement à S. Jean, v. 18, et à Jésus, v. 19. - À qui comparerai-je... Autre formule commune à
Notre-Seigneur et aux Rabbins, et qui semble avoir été fréquemment employée à cette époque pour
introduire une parole ou un discours figuré. Cf. Marc. 4, 30 ; Luc. 13, 18. - Cette génération, c’est-à-dire,
comme s’exprime S. Luc, 7, 31, « les hommes de cette génération ». D’après le même S. Luc, v. 30, Jésus
désignait par cette locution générale ses ennemis et ceux du Précurseur, en particulier les Pharisiens et les
Docteurs de la Loi, qui avaient refusé d’ouvrir les yeux à la lumière et de se convertir. - Elle est semblable à
des enfants... Comparaison pleine de fraîcheur empruntée aux mœurs des enfants qui, dans leurs jeux, aiment
à imiter les événements tristes ou joyeux de la vie réelle, tels qu’ils les voient arriver chaque jour autour
d’eux. - Assis sur la place publique. Celui qui dira « Laissez venir à moi les petits enfants », montre, dans
cette description minutieuse et pittoresque, avec quelle attention il les suivait parmi les plus petits détails de
leur existence. Chaque mot porte et fournit un trait intéressant. La scène se passe sur la place publique, ce
théâtre ancien et toujours nouveau des récréations de l’enfance. Les principaux joueurs, ceux qui
représentent la génération présente, sont assis, et ils crient (peut-il y avoir des jeux d’enfants sans cris
bruyants ?) - Criant à leurs compagnons, ou bien, d’après une variante très accréditée du texte grec « aux
autres ». Ils crient donc à quelques-uns de leurs compagnons pour se plaindre de leur manière de faire. -
Nous avons chanté... Nous lisons dans le texte grec, nous vous avons joué de la flûte. La flûte était chez les
Juifs l’accompagnement non moins indispensable des noces que des funérailles, et, comme les enfants
ajoutent et vous n'avez pas dansé, il est évidemment question dans ce premier hémistiche de joyeuses
mélodies, semblables à celles qui retentissaient au milieu des réjouissances nuptiales. - Nous avons poussé
des lamentations... Ils ont essayé des airs lugubres, mais sans réussir davantage, disent-ils ; ceux à qui ils
s’adressent ayant encore refusé de se mettre à l’unisson. - Vous n'avez pas pleuré ; ils n’ont pas poussé de
longs gémissements, comme faisaient les pleureuses d’office aux enterrements ; ou, d’après le texte grec, ils
ne se sont pas frappé la poitrine en signe de deuil, ainsi qu’on le pratiquait dans les grandes tristesses. Cf.
Ezech. 20, 44 ; Matth. 24, 30, etc. - Rien n’est plus simple que cette parabole, et cependant les exégètes ne
s’entendent pas au sujet de l’application qu’il faut faire à Jésus et à S. Jean d’une part, de l’autre à leurs
compatriotes. Quels personnages Notre-Seigneur a-t-il voulu désigner par les « enfants assis », et par leurs
« compagnons » qui refusent de s’associer à leurs jeux, ou plutôt de se plier à leurs fantaisies ? Beaucoup
d’auteurs anciens ont vu dans les premiers le portrait de Jésus-Christ et de S. Jean, dans les seconds l’image
des Juifs demeurés incrédules. Jésus et son Précurseur, disaient-ils, s’étaient présentés avec une manière de
faire presque opposée, celui-là invitant en quelque sorte à des jeux joyeux par sa douceur et sa bonté, celui-ci
invitant au contraire aux jeux tristes par sa vie et sa prédication sévères ; mais aucun d’eux n’avait réussi.
Les Pharisiens et les Scribes, semblables à des enfants capricieux et maussades dont on ne peut satisfaire les
goûts, étaient restés sourds à leurs appels variés et réitérés. Cette opinion est en contradiction directe avec le
texte sacré, ainsi qu’il est aisé de s’en convaincre. La génération actuelle est semblable à des enfants assis sur
la place publique, qui crient à leurs camarades : « Voici que nous chantons... etc. ». Les mots « leurs disent »
retombent évidemment sur « enfants assis » et ces enfants assis ne peuvent représenter autre chose que les
contemporains du Sauveur, « cette génération » : S. Jean et Jésus-Christ sont donc, dans la parabole, les
« compagnons » auxquels les autres enfants, c’est-à-dire la génération présente, adressent des reproches.
L’histoire évangélique justifie pleinement cette interprétation qui est aujourd’hui presque universellement
admise. Tous ceux d’entre les Juifs qui s’étaient endurcis contre la prédication du Christ et de son Précurseur
formaient pour ainsi dire une race fantasque et revêche, et ils auraient voulu imposer leurs caprices aux
hommes providentiels venus à eux pour les sauver. Les Pharisiens souhaitaient que Jésus imitât leurs mœurs
sévères, mais hypocrites ; les Sadducéens étaient au contraire choqués de la vie mortifiée de Jean-Baptiste.
On avait justement repoussé les avances de ces joueurs à humeur changeante ; de là leur mécontentement et leurs plaintes. Wetstein et Grotius citent un apophtegme semblable de Rabbi Papa : « J’ai pleuré, mais tu ne
t’en es pas rendu compte ; j’ai ri, et tu ne t’en es pas soucié. Malheur à toi qui ne connais pas la différence
entre le bien et le mal ».