Matthieu 11, 21

« Malheureuse es-tu, Corazine ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, ces villes, autrefois, se seraient converties sous le sac et la cendre.

« Malheureuse es-tu, Corazine ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, ces villes, autrefois, se seraient converties sous le sac et la cendre.
Saint Thomas d'Aquin
1340. MALHEUR À TOI, CHORAZEÏN, etc.! Ici, les paroles du Seigneur sont présentées. Premièrement, il parle des villes environnantes [11, 21-22] ; deuxièmement, de la métropole, en cet endroit : ET TOI, CAPHARNAÜM, etc. [11, 23-24].

1341. En premier lieu, il compare une faute à l’autre ; en second lieu, une peine à l’autre, en cet endroit : AUSSI BIEN, JE VOUS LE DIS, etc. [11, 23].

1342. [Le Seigneur] dit donc : MALHEUR À TOI, CHORAZEÏN, etc.! Or, il s’agit de villes ou de villages de Galilée, où le Seigneur avait fait beaucoup de signes, et qui ne s’étaient pourtant pas convertis. C’est pourquoi il dit : MALHEUR À TOI, etc. Mais qu’est-ce que fait le Seigneur ? Car il est écrit en Rm 12, 14 : Ne maudissez pas, etc. Il faut dire qu’il y a maudire de manière formelle et [maudire] de manière matérielle. Personne ne doit maudire de manière formelle, mais il le peut de manière matérielle. Ainsi, il faut remarquer que certaines choses sont associées par les sens, qui peuvent cependant être séparées par l’intellect, comme, dans le fruit, il y a l’odeur et la saveur, qui ne peuvent être séparées par les sens, bien qu’elles puissent l’être par l’intellect. De la même façon, vouloir que quelqu’un ne soit pas puni et vouloir l’ordre de la justice ne peuvent exister simultanément, si ce n’est par l’intelligence. De sorte que si je maudis quelqu’un parce que je prends plaisir au mal qui l’affecte, cela est mal. Mais [si je le maudis], non pas à cause du mal qui l’affecte, mais en raison de l’ordre de la justice, c’est alors bien. Ainsi, la parole du Seigneur n’était pas la parole de celui qui prend plaisir, mais de celui qui annonce l’accomplissement de la justice.

1343. MALHEUR À TOI, CHORAZEÏN ! CHORAZEÏN veut dire «service qui lui est rendu». Bethsaïde [veut dire] «maison des fruits». De qui a plus bénéficié, on exige davantage. Et pourquoi [le Seigneur] lui a-t-il manifesté davantage [sa bienveillance] ? Parce qu’il y a accompli son ministère. C’est pourquoi la colère de Dieu se manifestera depuis le ciel sur toute impiété et injustice des hommes qui retiennent la vérité de Dieu dans la justice, Rm 1, 18. Bethsaïde [veut dire] «maison des fruits». Si le Seigneur y a donc produit beaucoup de fruits et s’ils ne font pas pénitence, qu’en sera-t-il d’eux ? Is 5, 4 : Je m’attendais à ce qu’elle porte des raisins, et elle a produit du verjus.

1344. MALHEUR À TOI…, CAR SI LES PRODIGES QUI ONT LIEU CHEZ VOUS AVAIENT ÉTÉ FAITS À TYR ET À SIDON, IL Y A LONGTEMPS QU’ELLES SE SERAIENT REPENTIES SOUS LE SAC ET LA CENDRE. IL Y A LONGTEMPS, c’est-à-dire, depuis longtemps. Et remarquez la forme de la pénitence, car [elles se seraient repenties] SOUS LE SAC ET LA CENDRE, parce que les deux incitent à la pénitence. L’un, par le souvenir des fautes : cela est signifié par le sac, qui est fait de poil de chameau, car cet animal était immolé pour un péché. L’autre, par la considération de la mort et de la fragilité de la condition humaine ; ainsi, il est dit en Gn 3, 19 : Tu es poussière et tu retourneras en poussière. Et Jb 42, 6 : Aussi je me rétracte et je me repens dans la poussière et la cendre.
Louis-Claude Fillion
Malheur à toi. Plus haut, v. 6, Jésus avait proclamé bienheureux ceux qui croyaient simplement et franchement en Lui ; maintenant il maudit au contraire les cités incrédules. Ces « malheur » expriment une sentence juridique, en même temps qu’une terrible prophétie. Le divin Maître dut les prononcer avec énergie, sous l’empire de la sainte colère que lui inspirait la vue d’une indifférence si coupable. - Corozaïn. Cette ville n’apparaît ni dans l’Ancien Testament, ni dans les écrits de Josèphe. Seuls S. Matthieu et S. Luc en font mention dans le Nouveau Testament, et d’une manière si vague qu’il est aujourd’hui moralement impossible de retrouver son emplacement précis. S. Jérôme nous assure qu’elle n’était éloignée de Capharnaüm que de deux milles romains. Les Talmuds vantent la bonne qualité de son froment. « Si Khorazim, disent-ils, avait été plus près de Jérusalem, on y aurait pris les blés pour le temple » ; Cf. Neubauer, la Géographie du Talmud, p. 220. Plusieurs voyageurs modernes ont voulu identifier cette localité célèbre dans l’histoire de Jésus avec le Bir Kerazeh, qu’on rencontre au Nord de la mer de Galilée et à une bonne heure du rivage ; mais c’est là une hypothèse invraisemblable, puisque Corozaïn était bâtie sur les bords du lac, comme l’atteste déjà S. Jérôme, Comm. in Isai. 9, 1. D’autres la placent auprès de la source de Tabigah, dont nous parlerons plus loin. Elle était déjà en ruines au temps d’Eusèbe ; Cf. Onomasticon, s. v. - Bethsaïde, ou maison de pêche. Ce nom lui venait de ses pêcheries nombreuses et de ses excellents poissons ; nous savons du reste que Pierre et André, transformés en pêcheurs d’hommes par Notre-Seigneur Jésus-Christ, étaient originaires de Bethsaïde ; Cf. Joan. 1, 44. On admet généralement aujourd’hui qu’il existait à l’époque du Sauveur deux Bethsaïde peu éloignées l’une de l’autre et situées l’une en Galilée, Joan. 12, 21, par conséquent sur la rive occidentale du lac, l’autre dans la Gaulanite inférieure, à quelque distance et au N. E. du lac. Cette dernière était plus connue sous le nom de Julias que lui avait récemment donné le tétrarque Philippe, après l’avoir considérablement agrandie. C’est de la première qu’il est question dans notre passage. Sa position exacte est tout aussi inconnue que celle de Corozaïn : néanmoins il ressort clairement des textes évangéliques où elle est mentionnée et des rares renseignements de la tradition à son sujet, qu’elle était située dans la région N. O. du lac de Tibériade. Raumer, Ritter, Hengstenberg, van de Velde, et d’autres géographes récents la placent à Khan Minyeh, c’est- à-dire à une heure environ de Magdala, dans la direction du Nord. - Car si… dans Tyr et Sidon... Le Sauveur fait ici un rapprochement frappant. Il compare les deux gracieuses petites villes du lac, Corozaïn et Bethsaïda, aux deux cités autrefois considérables de Tyr et de Sidon, deux villes juives à deux villes païennes, deux villes comblées de bénédictions à deux villes maudites et sévèrement châtiées quelques siècles auparavant. Tyr et Sidon étaient renommées pour leur dépravation, qui est signalée en termes si énergiques par les Prophètes, Cf. Is. 23, 1 ; Ezéch. 26, 2 ; 27, 3 ; 28, 2, 12 : ce trait donne une grande signification à la préférence que Jésus leur accorde sur Corozaïn et Bethsaïda. Elles avaient été rebâties et étaient redevenues florissantes, tout en restant bien au-dessous de leur ancienne splendeur. - Il y a longtemps, depuis longtemps, sans résister à la grâce messianique comme l’avaient fait les deux bourgades juives. - Dans le sac et la cendre... Le cilice et la cendre étaient chez les Orientaux des symboles très expressifs de la pénitence. En signe de deuil et de repentir, ces hommes, amis des manifestations extérieures, se couvraient d’un vêtement grossier, dépourvu de manches et de couleur sombre, Cf. Gesenius, Thesaurus s. v., et jetaient de la cendre ou de la poussière sur leur tête, Cf. Jon. 3, 6 ; Is. 58, 5 ; Jerem. 6, 26, etc. Voilà donc ce qu’auraient fait les villes superbes et corrompues de Tyr et de Sidon, si Jésus leur eût autrefois annoncé l’Évangile en confirmant sa prédication par des miracles. - Ce passage est important au point de vue dogmatique ; les théologiens l’emploient à juste titre pour prouver qu’il y a en Dieu une « science intermédiaire » (Dieu aperçoit avec une entière certitude ce que l'humain fera dans telle ou telle circonstance). « Dieu connait les choses contingentes et libres qui n’existeront jamais, mais qui auraient existé si certaines conditions s’étaient réalisées », Abelly, Medulla theolog. Tract. 2 c. 3 sect. 4.
Fulcran Vigouroux
Corozaïn, bourgade de Galilée, qui n’est mentionnée ni dans l’Ancien Testament ni dans Josèphe. Saint Jérôme dit qu’elle était située à deux mille romains de Capharnaüm, sur les bords du lac de Génésareth. Beaucoup la placent aujourd’hui au nord de Capharnaüm dans la plaine. ― Bethsaïde, ville de Galilée, dont le nom signifie maison de pêche, située sur la rive occidentale du lac de Génésareth, non loin de Capharnaüm. Il y avait à l’extrémité septentrionale du lac, à l’est, près du Jourdain, une autre Bethsaïde, qui faisait partie de la Gaulonitide ; elle fut agrandie par Philippe le tétrarque et reçut le surnom de Julias, en l’honneur de Julie, fille de l’empereur Auguste. D’après plusieurs interprètes, la Bethsaïde dont il est question dans saint Luc, 9, 10, et aussi dans saint Marc, 8, 22, est Bethsaïde-Julias ; dans tous les autres passages du Nouveau Testament où Bethsaïde est nommée, il faut entendre celle de Galilée.