Matthieu 11, 25

En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.

En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.
Saint Thomas d'Aquin
1354. EN CE TEMPS-LÀ, JÉSUS RÉPONDIT : «JE TE BÉNIS, PÈRE, etc.» Plus haut, le Seigneur avait invectivé l’infidélité des foules ; maintenant, il rend grâce pour la fidélité des disciples et de tous les autres croyants. Premièrement, il rend grâce au Père comme à l’auteur [11, 25] ; deuxièmement, il montre qu’il a le même pouvoir, en cet endroit : TOUT M’A ÉTÉ REMIS PAR MON PÈRE [11, 27].

1355. [Matthieu] dit donc : EN CE TEMPS-LÀ, c’est-à-dire, au moment où [cela] arriva, etc., IL RÉPONDIT. Mais à qui répondait-il ? Ce qui est dit en Jb 15, 2 lui convient : Est-ce que le sage répond par des raisons en l’air ? Non. Il répond donc à une objection tacite. En effet, quelqu’un pourrait dire : «Ceux à qui tu as prêché ne croient pas ; d’autres auraient cru si on leur avait prêché.» Il répond donc et en réfute certains qui ont cherché les raisons du choix, à savoir, pourquoi certains ont été élevés jusqu’au ciel et d’autres ont été jetés dans l’abîme. C’était le cas d’Origène, qui affirmait que l’élection relevait du mérite. Mais ici, [le Seigneur] réfute cela en montrant qu’on ne doit pas l’attribuer à la volonté divine.

1356. Il dit donc : JE TE BÉNIS, PÈRE, etc. Il faut remarquer qu’il y a une triple confession. [Une confession] de la foi, ainsi qu’il est dit en Rm 10, 10 : On croit en son cœur en vue de la justice, et on confesse de bouche pour son salut. [Il y a] aussi une confession des péchés, Jc 5, 16 : Confessez vos péchés les uns aux autres. Et aussi une confession d’action de grâce, dont il est question en Ps 105[106], 1 : Confessez au Seigneur, car il est bon, etc. C’est de celle-ci que s’entend : JE TE BÉNIS, PÈRE, DU CIEL ET DE LA TERRE. Deux hérésies sont écartées. Celle de Sabellius, qui ne distingue pas le Fils du Père. [Le Seigneur] dit donc : JE TE BÉNIS, PÈRE, etc. ; il confesse donc l’autorité du Père, etc. Il parle aussi de SON PÈRE, contre Arius. Et il est vraiment le Seigneur, le Père du ciel et de la terre. Ps 99[100], 3 : Sachez que le Seigneur lui-même est Dieu, qu’Il nous a faits et que nous ne l’avons pas fait. Et Il est appelé Père, non pas parce qu’Il a créé [le Seigneur], mais parce qu’Il l’a engendré. Ps 88[89], 27 : Il m’a prié : «Tu es mon Père.»

1357. Et pourquoi [le Seigneur] rend-il grâce ? Il rend grâce en raison d’une certaine différence, qu’il présente ainsi : TU AS CACHÉ CELA AUX SAGES ET AUX PRUDENTS, ET TU L’AS RÉVÉLÉ AUX PETITS. Il faut donc examiner qui sont les petits, qui sont les sages et qui sont les prudents. Or, on dit de certains qu’ils sont petits de trois façons. D’une manière littérale, on appelle petits ceux qui sont méprisables, ainsi en Ab 2 : Voilà que je te fais petit et très méprisable. On parle aussi de petit en raison de l’humilité, car il a une faible opinion de lui-même. Ainsi, le Seigneur, plus loin, [18, 3] : Si vous ne vous convertissez pas et ne devenez semblables à des petits, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Et aussi, en raison de la simplicité ; ainsi, l’Apôtre, en 1 Co 14, 20 : Soyez des petits pour ce qui est de la malice. On peut donc comprendre cela [de la manière suivante] : parce que tu as révélé cela à des petits et à des pêcheurs méprisables. Et pourquoi ? L’Apôtre en donne la raison en disant que Dieu a choisi ce qui était méprisé par le monde afin de confondre ce qui est fort [1 Co 1, 27]. Augustin interprète : aux petits, c’est-à-dire aux humbles, qui ne présument pas d’eux-mêmes. En effet, là où est l’humilité, là est la sagesse. Hilaire l’interprète des gens simples : Cherchez [la sagesse] dans la simplicité, Sg 1, 1, au contraire des sages et des gens avisés, qui s’appliquent à la sagesse charnelle, Jr 9, 23 : Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse. [Le Père] n’a pas révélé [ces choses] à ceux-ci, mais à des gens simples qui ne mettent pas leur confiance dans leur propre sagesse. Qo 7, 24 : J’ai dit : «Je deviendrai sage, et la sagesse s’est éloignée de moi encore plus qu’auparavant.» C’est pourquoi l’Apôtre [dit] en Rm 10, 3 : Ignorant la justice de Dieu et cherchant à affirmer la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. De même, il entend par sages les orgueilleux qui se glorifient eux-mêmes. [Le Père] n’a pas révélé [ces choses] à de telles gens, Rm 1, 22 : Alors qu’ils se disaient sages, ils sont devenus insensés. Il appelle aussi sages ceux qui vivent selon la chair, qui cherchent ce qui est de la chair, et non ce qui est de Dieu, Ph 2, 21. Et aussi, ils sont sages pour faire le mal, et ils ne savent pas faire le bien, Jr 4, 22.

1358. TU AS RÉVÉLÉ. Ep 4, 17 : Afin que vous ne vous comportiez pas comme se comportent les païens dans la vanité de leur jugement. Tu as donc caché [cela] aux sages pour le révéler aux petits. Il cache la sagesse aux sages en ne l’accompagnant pas de la grâce. C’est ainsi qu’il est dit en Rm 1, 28 : Il les a livrés à leur esprit sans jugement.
Louis-Claude Fillion
En ce temps-là. Date indécise, qui peut désigner soit le jour même où s’était présentée l’ambassade du Précurseur, Cf. vv. 2-7 et 20, soit, d’après S. Luc, 10, 21 et suiv., l’époque plus tardive du retour des soixante-douze disciples auprès de Jésus ; voir la note du v. 20. - Jésus prit la parole. Le verbe latin (respondens), que l’Évangéliste avait sans doute employé dans le texte original, est loin d’annoncer toujours une réponse proprement dite, Cf. Job. 3, 2, etc. Il signifie très souvent « prendre la parole » : de même « respondere » dans le cas présent. Il n’est donc pas nécessaire d’admettre avec Fritzsche l’omission de quelques phrases intermédiaires dans la narration de S. Matthieu. Le récit évangélique nous présentera fréquemment cette expression prise dans le même sens ; Cf. 22, 1 ; 28, 5 ; Luc. 14, 3 ; Joan. 2, 18 ; 5, 17, etc. Du reste, si elle ne suppose pas habituellement une réponse stricte, les paroles qu’elle précède viennent avec tant d’à-propos qu’elles semblent répondre d’une manière morale à la situation du moment. Tel est bien ici le cas, quelque hypothèse qu’on admette sur la période de la vie de Jésus à laquelle se rattachent les vv. 25-30. - Dit. Le sentiment dominant de son âme avait été jusque-là, et surtout à partir du v. 15, celui d’une profonde tristesse ; il se livre maintenant à un vif mouvement d’allégresse : « Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint », Luc. 10, 21. On lit sa joie et sa douce émotion à travers les lignes suivantes. Après avoir signalé tant d’indifférence, d’incrédulité, d’ingratitude, le divin Maître était si heureux de contempler en esprit la foi et l’amour d’un si grand nombre d’âmes qui lui étaient déjà dévouées, et qui devaient lui appartenir dans la suite des âges ! Quel essor magnifique du langage et des pensées ! On croirait lire une page du quatrième Évangile, et, si on ne se rappelait pas la place de ces six versets, on les irait chercher tout d’abord dans le récit de S. Jean : ce qui prouve que les synoptiques et l’Apôtre bien-aimé nous ont réellement conservé la même vie, quoique leur but et leur méthode aient différé dans l’ensemble. - Je vous rends grâces (Confiteor). Ce verbe n’est pas synonyme de « gratias ago ». Suivi du datif de la personne, il signifie : célébrer les louanges de quelqu’un, le féliciter, acquiescer avec la satisfaction la plus entière à ses volontés et à ses actes. Cf. Rom. 14, 11 ; 15, 9. Jésus-Christ adore donc Dieu en le louant. Pour la première fois, il s’adresse à lui directement, comme à son Père bien-aimé ; il le fera encore dans deux autres circonstances Joan. 11, 41 ; 12, 28 ; Luc. 23, 34. - Seigneur du ciel et de la terre : au titre qui exprime l’amour, il ajoute aussitôt celui qui marque le respect. C’est en qualité de maître absolu de l’univers que Dieu réprouve les superbes et comble les humbles de ses faveurs ; ce second nom sert donc d’introduction très naturelle à la pensée qui va suivre. - Vous avez caché ces choses... ; motif des louanges respectueuses et aimantes du Sauveur. Mais Jésus louerait-il réellement Dieu de l’endurcissement des âmes demeurées infidèles ? « Pas du tout », répond saint Jean Chrysostôme « Ces mystères donc, si grands et si divins, ne pouvaient être révélés aux uns sans que Jésus-Christ en ressentît de la joie, ni cachés aux autres, sans lui causer une profonde tristesse... Ce n’est donc point parce que ces mystères sont cachés aux sages que Jésus-Christ se réjouit, mais parce que ce qui était caché aux sages était révélé aux petits », Hom. 38 in Matth. ; et l’illustre interprète cite à l’appui de son opinion une phrase analogue de S. Paul, qu’il faut prendre également « in sensu diviso » : « Mais rendons grâce à Dieu : vous qui étiez esclaves du péché, vous avez maintenant obéi de tout votre cœur au modèle présenté par l’enseignement qui vous a été transmis » Cf. Rom. 6, 17. Ainsi, les mots « avez révélées aux petits » retomberaient seuls sur le verbe « rends grâces ». Mais c’est là un scrupule évident. Si le divin Maître peut louer la bonté de son Père, pourquoi ne louerait -il pas aussi sa justice par laquelle ont été exclus de la participation aux grâces messianiques des hommes qui s’en étaient volontairement rendus indignes ? Nous ne voyons pas de difficulté à ce que la louange du Sauveur porte sur ce double effet de la puissance de Dieu. D’ailleurs, « caché » n’exprime pas une opération directe et positive du Très-Haut. Libre de distribuer ses dons comme il lui plaît, il a renvoyé les mains vides ceux qui croyaient pouvoir se passer de ses bienfaits, il a laissé dans leur sagesse terrestre ceux qui se mettaient au-dessus de ses divines lumières. - « Ces choses », c’est-à-dire les mystères du royaume de Dieu, la doctrine évangélique et sa vérité, les preuves de la mission de Jésus-Christ, la force probante de ses miracles. - Aux sages et aux prudents. Bien que ces deux expressions représentent une même catégorie d’individus, elles expriment néanmoins une nuance délicate. Les sages, ce sont les hommes doués de la science spéculative ; les savants, les prudents, ce sont les hommes d’action et d’expérience, les habiles, comme l’on dit. Il s’agit ici, bien entendu, de ceux qui sont sages à leurs propres yeux, sages selon la chair et le monde, tels qu’étaient les Pharisiens, les Scribes et les Sadducéens. - Révélées aux petits. Autre appellation humble en apparence, mais glorieuse en réalité, donnée par Jésus à ses vrais disciples ; Cf. 10, 42. Ce sont par là-même des hommes dociles, accessibles à l’instruction, parce qu’ils se laissent enseigner et conduire comme de petits enfants. Dieu s’est toujours complu à répandre ses lumières sur cette sorte d’âmes, parce qu’elles en savent profiter mieux que personne. Voilà donc les savants qui ne savent rien, les ignorants qui connaissent toutes choses ! Mais Jésus n’est-il pas venu pour « que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles? » Joan. 9, 39.
Catéchisme de l'Église catholique
Du Christ, durant son ministère, les évangélistes ont retenu deux prières plus explicites. Or elles commencent chacune par l’action de grâces. Dans la première (cf. Mt 11, 25-27 et Lc 10, 21-23), Jésus confesse le Père, le reconnaît et le bénit parce qu’il a caché les mystères du Royaume à ceux qui se croient doctes et l’a révélé aux " tout petits " (les pauvres des Béatitudes). Son tressaillement " Oui, Père ! " exprime le fond de son cœur, son adhésion au " bon plaisir " du Père, en écho au " Fiat " de Sa Mère lors de sa conception et en prélude à celui qu’il dira au Père dans son agonie. Toute la prière de Jésus est dans cette adhésion aimante de son cœur d’homme au " mystère de la volonté " du Père (Ep 1, 9).

La prière vocale est une donnée indispensable de la vie chrétienne. Aux disciples, attirés par la prière silencieuse de leur Maître, Celui-ci enseigne une prière vocale : le " Notre Père ". Jésus n’a pas seulement prié les prières liturgiques de la synagogue, les Évangiles nous Le montrent élever la voix pour exprimer sa prière personnelle, de la bénédiction exultante du Père (cf. Mt 11, 25-26) jusqu’à la détresse de Gethsémani (cf. Mc 14, 36).

Avant de faire nôtre ce premier élan de la Prière du Seigneur, il n’est pas inutile de purifier humblement notre cœur de certaines fausses images de " ce monde-ci ". L’humilité nous fait reconnaître que " nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler ", c’est-à-dire " aux tout petits " (Mt 11, 25-27). La purification du cœur concerne les images paternelles ou maternelles, issues de notre histoire personnelle et culturelle, et qui influencent notre relation à Dieu. Dieu notre Père transcende les catégories du monde créé. Transposer sur lui, ou contre lui, nos idées en ce domaine serait fabriquer des idoles, à adorer ou à abattre. Prier le Père c’est entrer dans son mystère, tel qu’Il est, et tel que le Fils nous l’a révélé :
Pape Francois
Jésus reprend la foi biblique au Dieu créateur et met en relief un fait fondamental : Dieu est Père (cf. Mt 11, 25). Dans les dialogues avec ses disciples, Jésus les invitait à reconnaître la relation paternelle que Dieu a avec toutes ses créatures, et leur rappelait, avec une émouvante tendresse, comment chacune d’elles est importante aux yeux de celui-ci : « Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux as ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant Dieu » (Lc 12, 6). « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit» (Mt 6, 26).