Matthieu 11, 3

lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Saint Thomas d'Aquin
1293. Certains veulent condamner Jean à cause de cela, car il a eu des doutes sur le fait que [Jésus] était le Christ, et il est clair que celui qui doute en matière de foi est infidèle. Ambroise dit, en commentant Luc, que «cette question n’était pas due à l’infidélité, mais à la piété.» En effet, il ne parle pas de la venue [de Jésus] dans le monde, mais de sa venue en vue de la passion. De sorte qu’il s’étonne qu’il soit venu pour souffrir, comme le dit Pierre : Fais-moi miséricorde, Seigneur. Mais, par contre, Chrysostome dit que Jean l’avait su depuis le début, puisqu’il dit : Voici l’agneau de Dieu, Jn 1, 29. Il est donc clair qu’il savait que [Jésus] était une victime qui devait être immolée. C’est pourquoi le Seigneur fait ici son éloge en disant qu’il est plus qu’un prophète. Or, les prophètes connaissaient l’avenir. Une autre explication est celle de Grégoire, à savoir qu’il n’est pas question de la venue dans le monde ni de la passion, mais de la descente aux enfers, car Jean était près de descendre aux enfers. Il voulait donc être rassuré : ES-TU CELUI QUI DOIT VENIR, etc. ? Mais à cela s’objecte Chrysostome. Chez ceux qui sont aux enfers, il n’existe pas d’état de pénitence. Il semble donc que [Jean] dirait cela en vain. Mais cela ne s’oppose pas à Grégoire, car il entendait, non pas que [le Christ] annoncerait la conversion aux captifs, mais aux justes afin qu’ils se réjouissent. Autre réponse : nous lisons que le Seigneur a souvent interrogé, non pas parce qu’il avait des doutes, mais pour écarter la calomnie, comme en Jn 11, 34, il posa la question au sujet de Lazare : Où l’avez-vous déposé ? Non pas qu’il l’ignorât, mais pour que ceux qui allaient lui montrer le sépulcre ne pussent nier ni calomnier.

1294. Il en fut donc ainsi pour Jean. Parce que ses disciples exprimaient des calomnies au sujet du Christ, il les envoya, non parce que lui-même avait des doutes, mais afin que ceux-ci ne calomnient pas [le Christ] et pour qu’ils [le] reconnaissent. Mais pourquoi ne [les] a-t-il pas envoyés plus tôt ? Parce que plus tôt, [le Christ] était toujours avec eux ; il les rassurait donc. Mais lorsqu’il voulut s’éloigner d’eux, il voulut qu’ils soient rassurés par le Christ.

1295. [Jean] dit donc : ES-TU CELUI QUI DOIT VENIR OU DEVONS-NOUS EN ATTENDRE UN AUTRE ? Il est vrai que nos pères t’ont attendu, comme on trouve en Ex 4.
Louis-Claude Fillion
Celui qui doit venir, ou mieux « Celui qui vient » au temps présent, c’est-à-dire le Messie. En effet, à l’époque de Jésus, les Juifs avaient coutume de désigner le Christ par l’épithète « Celui qui vient », que l’on trouve répétée cent fois dans le Talmud. Toutes les prophéties de l’Ancien Testament relatives au Messie annonçant sa venue plus ou moins prochaine, les regards, les espérances et les désirs de tous étaient constamment dirigés vers l’avenir, et il était naturel qu’on donnât à l’objet de cette attente universelle la dénomination expressive de « Celui qui vient ». - Attendre un autre, du texte grec peut être aussi bien au subjonctif (conjonct. deliberat. des grammairiens) qu’à l’indicatif. Le premier de ces deux modes semble mieux exprimer la nuance de la pensée : « En attendrions-nous un autre ? » Adressée à Jésus-Christ par le Précurseur, cette question semble tout d’abord bien surprenante. Lui qui a déclaré depuis si longtemps, et d’une manière si expresse, que Jésus était vraiment le Christ, Cf. Joan. 1, 29 et ss, 35 ; 3, 26 et ss. ; lui qui, au baptême du Sauveur, a été témoin de sa consécration messianique opérée par Dieu lui-même, Cf. Matth. 3, 14 et ss., comment peut-il demander aujourd’hui à Jésus : Êtes-vous le Christ, ou devons-nous compter sur quelque autre ? Mais les motifs qu’on a parfois attribués à la question de Jean-Baptiste n’ont pas moins lieu de nous surprendre. Tertullien dans l’antiquité, adv. Marcion. 4, 18, de nos jours Ammon, Neander, Meyer, Dœllinger, etc., y ont vu l’expression d’un véritable doute dogmatique touchant le caractère messianique de Jésus. Tous les grands hommes de la Bible, nous disent ces auteurs, ont eu leurs jours de découragement et de faiblesse ; pourquoi le Précurseur aurait-il été plus épargné que Moïse et qu’Élie ? La prison de Machéronte aura peu à peu affaibli sa grande âme ; privé des consolations et des lumières célestes qui avaient été auparavant son partage habituel, plongé dans mille perplexités au sujet de son rôle et de celui de Jésus, il en sera venu, durant une heure d’angoisse, à douter formellement que le fils de Marie fût le Messie. Et c’est alors qu’il lui aura envoyé une ambassade officielle pour obtenir une explication à ce sujet. - Roman historique et rien de plus ! Jésus renversera d’un mot tout cet échafaudage de prétendue psychologie, en affirmant que Jean-Baptiste n’était pas un roseau agité par le vent, Cf. 5. 7. Il n’est pas dans l’Évangile un seul trait qui puisse servir de point d’appui à ce sentiment que nous devons d’ailleurs rejeter comme injurieux pour le Précurseur. - Sans aller aussi loin d’autres exégètes, entre autres Michaelis, Lightfoot, Olshausen, ont cru reconnaître dans la situation présentement décrite par l’évangéliste l’indice d’un certain mécontentement qui aurait envahi le cœur du Baptiste à l’endroit de Jésus. Tout en continuant de croire à ses fonctions de Christ, il se serait permis de penser qu’il les remplissait assez mal, en particulier qu’il ne se hâtait pas assez d’établir son royaume : la question « Êtes-vous celui... » aurait eu pour but de lui rappeler, au nom d’un homme autorisé par le ciel même, quels étaient ses devoirs en tant que Messie. - Cette opinion est à peine moins erronée que la précédente. Dépourvue, elle aussi, de toute base évangélique, elle méconnaît pareillement le caractère de Jean-Baptiste, en faisant jouer sans raison à ce saint personnage un rôle indigne de lui, et complètement opposé à la profonde humilité dont avaient été animés jusque là ses rapports avec Jésus-Christ, Cf. 3, 11 ; Joan. 3, 30. - La réponse donnée dès les premiers siècles par les Pères et les autres écrivains ecclésiastiques, adoptée depuis par la plupart des commentateurs catholiques et par plusieurs protestants, était cependant bien suffisante pour résoudre la difficulté que nous avons signalée, sans qu’il fût besoin de recourir à des hypothèses si inconsidérées. « Il est clair, dit saint Jean Chrysostôme, qu’il n’a pas envoyé parce qu’il doutait, ni n’a interrogé parce qu’il ignorait… Il nous reste à apporter la solution. Pourquoi donc envoie-il quelqu’un demander quelque chose ? Les disciples de Jean s’opposaient à Jésus, et étaient toujours mus contre lui par l’envie… Ils ne savaient pas encore qui était le Christ, mais, soupçonnant que Jésus n’était qu’un homme, et croyant que Jean était plus qu’un homme, ils supportaient difficilement de voir Jésus acclamé et Jean laissé pour compte… Pendant tout le temps qu’il était avec eux, Jean les exhorta et les enseigna, mais ne put jamais les persuader. Quand il était sur le point de mourir, il fit un plus grand effort pour les persuader. Car il craignait de leur léguer un prétexte à un dogme pervers, et qu’ils demeurent séparés du Christ. Qu’a-t-il donc fait ? Il attendit jusqu’au moment où il entendrait de la bouche de ses disciples que Jésus faisait des miracles. Il ne les exhorte pas alors, ni ne les envoie tous, mais deux seulement qu’il croyait plus disposés à croire, pour que l’interrogation ne soit sujette à aucun doute, et pour qu’ils apprennent de ces choses quelle différence il y a entre Jean et Jésus », S. Jean Chrysostôme, Hom. 36, in Matth. Ce n’est pas pour lui-même que S. Jean envoie ce message à Jésus ; c’est pour ses disciples incrédules, espérant les conduire au Christ par ce moyen détourné ; Cf. Origène, S. Jérôme, S. Hilaire, Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Cornelius a Lap., Grotius, etc. in h. l. Au reste, « toute question n’exprime pas une incertitude, dit fort bien M. Schegg, Evang. nach Matth. in h. l. Souvent on donne la forme interrogative à une affirmation ou à une interpellation. Les Orientaux affectionnent particulièrement cette manière de parler ».