Matthieu 12, 32
Et si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais si quelqu’un parle contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde-ci, ni dans le monde à venir.
Et si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais si quelqu’un parle contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde-ci, ni dans le monde à venir.
Il prononce un jugement sévère contre l'opinion injuste des pharisiens et contre la perversité de ceux qui la partagent, en promettant le pardon de tous les péchés, mais en le refusant au blasphème contre l'Esprit. «C'est pourquoi je vous déclare que tout péché et tout blasphème sera remis».
Qu'y a-t-il de plus impardonnable que de nier la nature divine dans le Christ, que de le dépouiller de la substance de l'Esprit du Père qui demeure en lui, alors qu'il opère toutes ses oeuvres par l'Esprit de Dieu, et que Dieu est en lui pour se réconcilier le monde?
Le Seigneur a répondu aux pharisiens en justifiant sa conduite; il leur inspire maintenant une salutaire frayeur. Car une partie importante de la correction, c'est non-seulement de justifier sa manière d'agir, mais aussi d'y ajouter les menaces.
On peut encore dire, suivant la première interprétation, que les Juifs ne connaissaient pas la personne du Christ, mais ils avaient de l'Esprit saint une connaissance suf fisante, car c'est lui qui avait inspiré les prophètes. Voici donc le sens des paroles du Sauveur: J'admets que la chair dont je suis revêtu soit pour vous une cause de scandale; mais quant à l'Esprit saint, pouvez-vous dire: Nous ne le connaissons pas? Et vous en subirez le châti ment dans cette vie et dans l'autre; car chasser les démons et guérir les maladies est une oeu vre de l'Esprit saint; ce n'est donc pas à moi seul que vous faites outrage, mais à l'Esprit saint: c'est pourquoi votre condamnation est inévitable dans ce monde et dans l'autre. Il en est qui ne sont punis que dans cette vie, comme ceux qui ont participé indignement aux saints mystères chez les Corinthiens ( 1Co 11,29-30 ); il en est qui ne reçoivent leur châtiment que dans l'autre monde, comme le mauvais riche dans l'enfer. Il en est enfin qui sont punis dans ce monde et dans l'autre, comme les Juifs qui furent cruellement châtiés lors de la prise de Jéru salem, et qui auront encore à endurer d'affreux supplices dans l'enfer.
Ou bien ce passage doit être entendu ainsi: Si quelqu'un dit une parole contre le Fils de l'homme, scandalisé qu'il est par la chair dont je suis revêtu, et ne voyant en moi qu'un homme, cette opinion, bien qu'elle soit un blasphème et une erreur coupable, sera cependant digne de pardon, à cause de la faiblesse de la nature humaine qui paraît en moi; mais celui qui, en présence d'oeuvres incontestablement divines dont il ne peut nier la puissance, osera cepen dant me calomnier sous l'inspiration de l'envie, et dire que le Christ, le Verbe de Dieu, et les oeuvres de l'Esprit saint doivent être attribuées à Béelzébub, ne peut espérer de pardon ni dans ce monde ni dans l'autre.
Quelle différence entre cette locution: «Le blasphème contre l'Esprit ne sera pas pardonné»,et cette autre que nous lisons dans saint Luc: «Si quelqu'un blasphème contre l'Esprit saint, il ne lui sera pas remis» ( Lc 11 ), si ce n'est que la pensée est rendue plus clai rement d'une façon que de l'autre, et que le second Évangéliste explique le premier sans le contredire? En effet, cette expression: le blasphème de l'Esprit, a quelque obscurité, parce qu'on ne dit pas de quel esprit il s'agit, et c'est pour la faire disparaître que Notre-Seigneur ajoute: «Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme». Après avoir parlé en général de toute espèce de blasphème, il veut spécifier en particulier le blasphème contre le Fils de l'homme, blasphème qui nous est représenté comme un péché très grave dans l'Évangile de saint Jean, où nous lisons: «Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement; de péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi» ( Jn 16 ). Le Sauveur ajoute: «Mais celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera point pardonné».Ces paroles ne signi fient donc pas que dans la Trinité l'Esprit saint est supérieur au Fils, erreur que n'a jamais soutenue personne, pas même les hérétiques.
Si tel était le sens de ces paroles, il ne serait question d'aucun autre blasphème, et le seul qui serait irrémissible serait le blasphème contre le Fils de l'homme, c'est-à-dire celui qui ne veut voir en lui qu'un homme. Mais comme il a commencé par dire: «Tout péché et tout blasphème sera remis aux hom mes», il est hors de doute que le blasphème contre le Père lui-même est compris dans cette proposition générale; et le seul blasphème qu'il déclare irrémissible est celui qui attaque l'Esprit saint. Est-ce que le Père lui-même a pris la forme d'un esclave, de manière que sous ce rapport l'Esprit saint lui soit supérieur? Et quel est celui qu'on ne pourrait convaincre d'avoir parlé contre l'Esprit saint avant qu'il devint chrétien et catholique? Est-ce que d'abord les païens, lorsqu'ils osent attribuer les miracles de Jésus-Christ à des opérations magiques, ne sont pas semblables à ceux qui lui reprochaient de chasser les démons au nom du prince des démons? Et les Juifs eux-mêmes, et tous les hérétiques qui confessent l'Esprit saint, mais qui nient sa présence perpétuelle dans le corps du Christ, qui est l'Église catholique, ressemblent aux pharisiens qui niaient que l'Esprit saint fût en Jésus-Christ. D'ailleurs, il y a eu des héréti ques, comme les Ariens, les Eunomiens et les Macédoniens, qui ont osé soutenir que l'Esprit saint n'était qu'une créature, ou qui ont nié son existence, jusqu'à prétendre que le Père seul était Dieu, et qu'on lui donnait tantôt le nom de Fils, tantôt le nom de l'Esprit saint; ce sont les Sabelliens. Les Photiniens soutiennent aussi que le Père seul est Dieu, que le Fils n'est qu'un homme, et ils nient complètement l'existence de la troisième personne, de l'Esprit saint. Il est donc évident que les païens, les hérétiques et les Juifs blasphèment contre l'Esprit saint. Faut-il donc les abandonner ou les considérer comme n'ayant plus d'espérance? Si le blasphème qu'ils ont proféré contre l'Esprit saint, ne doit pas leur être remis, c'est donc inutilement qu'on leur promet qu'ils recevront la rémission de leurs péchés dans le baptême, ou par leur entrée dans l'Église? Car Notre-Seigneur ne dit pas: Ce péché ne lui sera remis que dans le baptême, mais: «Il ne lui sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre»,et ainsi il n'y aurait pour être exempts de ce crime énorme que ceux qui sont catholiques dès leur enfance. Et au chap. 15: Il en est quelques-uns qui prétendent que le blasphème contre l'Esprit saint est le péché exclusif de ceux qui, après avoir été purifiés dans l'Église par l'eau régénératrice, et après avoir reçu l'Esprit saint, répondent par l'ingratitude, à ce bienfait inestimable du Sauveur, et se plon gent de nouveau dans l'abîme du péché mortel, tels que les adultères, les homicides, ou les apostats du nom chrétien ou de l'Église catholique. Mais je ne sais quelle preuve on peut ap porter à l'appui d'un pareil sentiment, alors que l'Église ne ferme à aucun crime les portes de la pénitence, et que l'Apôtre nous avertit de reprendre les hérétiques eux-mêmes ( 2Tm 2 ), dans l'espérance que Dieu les amènera par la pénitence à la connaissance de la vérité. Enfin le Seigneur n'a pas dit: «Le fidèle catholique qui aura proféré une parole contre l'Esprit saint, mais: «Celui qui aura dit», c'est-à-dire: Quiconque aura dit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans l'autre.
Je n'ai pas appuyé cette interprétation, parce que j'ai dit que tel était mon sentiment, en ajoutant, toutefois, pourvu que l'on arrive à la fin de cette vie dans cette disposition d'esprit si criminelle. Il ne faut, en effet, désespérer pendant cette vie d'aucun pécheur, quelque dépravé qu'il soit, et ce ne sera jamais témérité de prier pour celui dont il est permis encore d'espérer le salut.
Nous lisons dans l'apôtre saint Jean ( 1Jn 5 ): «Il est un péché qui conduit à la mort; je ne dis pas que quelqu'un doive prier pour ce péché».Or, je dis que ce péché du frère qui engendre la mort, est le péché de celui qui, après avoir connu Dieu par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, attaque la sainte fraternité, ou qui, poussé par une ardente jalousie, se déclare contre la grâce elle-même à laquelle il doit sa réconciliation avec Dieu. L'énormité de ce crime est telle, qu'elle ne laisse plus de place à l'humilité de la prière, alors même que les remords de la conscience forcent le pécheur de reconnaître et d'avouer son crime. Il faut croire que cette disposition de l'âme, à cause de la grandeur du péché, produit déjà quelque chose de l'impénitence finale et de la damnation, et c'est peut-être là ce qu'on peut appeler pécher contre l'Esprit saint, c'est-à-dire par malice et par envie, attaquer la charité fraternelle après avoir reçu la grâce de l'Esprit saint. C'est ce péché qui, selon la déclaration du Seigneur, ne sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre. Cette explication nous amène à exa miner si les Juifs commirent ce péché contre l'Esprit saint lorsqu'ils accusèrent Notre-Seigneur de chasser les démons au nom de Béelzébub, prince des démons, c'est-à-dire si nous devons regarder cette accusation comme dirigée personnellement contre le Seigneur, parce qu'il dit de lui-même dans un autre endroit: «S'ils ont appelé le père de famille Béelzébub, à combien plus forte raison ses serviteurs». Ou bien, comme ils ne parlaient de la sorte que par un excès de jalousie, et qu'ils n'avaient que de l'ingratitude pour de si grands bienfaits, ne peut-on pas croire que par l'excès même de leur jalousie ils ont péché contre l'Esprit saint, quoiqu'ils ne fussent pas encore chrétiens? Cette explication ne ressort pas des paroles du Seigneur, mais on peut dire cependant qu'il les avertit de recevoir la grâce qui leur est offerte, et après l'avoir reçue, de ne plus retomber dans le péché qu'ils avaient déjà commis. Ils avaient proféré contre le Fils de l'homme une parole pleine de méchanceté; elle aurait pu leur être pardonnée s'ils avaient voulu se convertir et croire en lui; mais si après avoir reçu l'Esprit saint ils avaient continué à porter envie à leurs frères, et à se déclarer contre la grâce qu'ils avaient reçue, ce péché ne leur sera pardonné ni dans ce monde ni dans l'autre. Et en effet, si le Sauveur les avait considérés comme déjà condamnés, sans nulle espérance de retour, il n'aurait pas conti nué de leur donner des conseils en ajoutant immédiatement: «Ou faites un arbre bon»,etc.
Ce passage renferme un grand mys tère, et il faut demander à Dieu la lumière nécessaire pour bien l'exposer. Je vous le déclare, mes très chers frères, peut-être dans toutes les saintes Écritures ne trouve-t-on pas une ques tion plus importante et plus difficile. Remarquez d'abord que Notre-Seigneur n'a pas dit: Au cun blasphème contre l'Esprit saint ne sera remis, ni: Celui qui aura dit une parole quelconque contre l'Esprit saint, mais: «Celui qui aura dit la parole». - Et au chap. 6: Il n'est donc point nécessaire de regarder comme irrémissible tout blasphème, toute parole contre l'Esprit saint, il faut seulement reconnaître qu'il y a une parole qui dite contre l'Esprit saint, ne peut obtenir de pardon. Les saintes Écritures ont, en effet, l'habitude de s'exprimer de manière que lorsqu'une chose n'a été dite ni du tout ni de la partie, il n'est pas nécessaire qu'elle puisse s'appliquer à la totalité pour nous défendre de l'entendre de la partie. Ainsi le Seigneur dit aux Juifs ( Jn 15 ): «Si je n'étais pas venu, et si je ne leur avais point parlé, ils ne seraient pas coupables»; Notre-Seig neur n'a pas voulu nous dire que les Juifs eussent été absolument sans péché, mais qu'il y avait un péché que les Juifs n'auraient pas eu si le Christ n'était pas venu. - Et au chap. 18: L'ordre que nous nous sommes prescrit nous fait un devoir d'expliquer quelle est donc cette espèce de blasphème contre l'Esprit saint. Le caractère particulier sous lequel nous est représenté le Père, c'est l'autorité; pour le Fils, c'est la nais sance; pour le Saint-Esprit, c'est l'union du Père et du Fils. Or le lien qui unit le Père et le Fils est aussi dans leurs desseins, celui qui doit nous unir tous ensemble entre nous et avec eux: «Car sa charité a été répandue en nos coeurs par l'Esprit saint qui nous a été donné». Nos péchés nous ayant privés de la possession des biens véritables, la charité couvre la multitude des péchés ( 1P 1 ). Que ce soit, en effet, dans l'Esprit saint que Jésus-Christ nous remette les péchés, nous pouvons le conclure de ce qu'après avoir dit à ses Apôtres: «Recevez l'Esprit saint»,il ajoute aussitôt: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez». La première grâce que reçoivent ceux qui croient, c'est donc la rémission des péchés dans l'Esprit saint; c'est contre ce don gratuit que s'élève le coeur impénitent. Donc l'impénitence est ce blasphème contre l'Esprit saint qui ne sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre. Car celui qui, «par sa dureté et par l'impénitence de son coeur, amasse un trésor de colère pour le jour de la colère», ( Rm 2 ) celui-là, soit dans sa pensée, soit verbalement, prononce une pa role criminelle contre l'Esprit saint par lequel les péchés sont remis. Or, cette impénitence ne peut espérer aucun pardon, ni dans ce monde ni dans l'autre, parce que la pénitence obtient dans ce monde le pardon qui nous ouvre les portes de l'autre vie. - Et au chap. 13: Or, cette impénitence ne peut être définitivement jugée pendant cette vie, car on ne doit désespé rer de personne tant que la patience de Dieu peut l'amener à se repentir ( Rm 2 ). Car enfin qu'arrivera-t-il si ceux que vous voyez livrés à toute sorte d'erreurs, et que vous condamnez comme ayant perdu tout espoir, font pénitence avant le moment de leur mort? Quoique ce blasphème se compose de plusieurs paroles et qu'il puisse être très étendu, l'Écriture, suivant sa coutume, en parle comme si ce n'était qu'une seule parole. Ainsi, bien que Dieu ait adressé plusieurs paroles aux prophètes, on lit cependant: «Parole qui fut adressée à tel ou à tel prophète». - Et au chap. 15: Si l'on nous fait ici cette question: Est-ce l'Esprit saint qui seul remet les péchés, ou est-ce le Père et le Fils? nous répondrons que c'est également le Père et le Fils, car le Fils dit du Père: «Votre Père vous remettra vos péchés» ( Mt 6 ) et il dit de lui-même: «Le Fils a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés».Pourquoi donc cette impénitence qui demeure sans pardon n'a-t-elle pour cause que le blasphème contre l'Esprit saint, comme si celui qui se trouve lié par ce péché d'impénitence résistait au don de l'Espri t saint, don qui nous confère la rémission des péchés? - Et au chap. 17: C'est que les péchés qui ne peuvent être remis en dehors de l'Église ne doivent être remis que par la vertu de cet Esprit qui est le principe de l'unité de l'Église, etc. Donc la rémission des péchés, qui est l'oeuvre de la Trinité tout entière, est attribuée spécialement à l'Esprit saint; car il est cet Esprit d'adoption des enfants dans lequel nous crions: Mon Père, mon Père ( Rm 8 ), afin que nous puissions lui dire: «Pardonnez-nous nos offenses». Et comme le dit saint Jean, c'est en cela que nous connaissons que le Christ demeure en nous, parce qu'il nous a rendus participants de son Esprit ( 1Jn 4,13 ). C'est ce même Esprit qui est l'auteur de cette société qui ne fait de nous qu'un seul corps, le corps du Fils unique de Dieu. - Et au chap. 20.: Car l'Esprit saint est lui-même en quelque sorte la société du Père et du Fils, etc. Et au chap. 22: Celui donc qui se rendra coupable d'impénitence contre l'Esprit saint, qui réunit toute l'Église dans les liens d'une même communion et d'une seule unité, il ne lui sera jamais pardonné.
Remarquons, toutefois, que le pardon n'est pas accor dé indistinctement à tout le monde, mais à ceux qui auront fait une pénitence proportionnée à leurs péchés. Ces paroles sont la condamnation de l'erreur de Novatien, qui prétendait que les fidèles ne pouvaient se relever de leurs chutes par la pénitence, ni mériter le pardon de leurs péchés, surtout ceux qui avaient renoncé la foi dans les persécutions.
«Mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne leur sera point remis».
Ce passage nous donne à entendre que certaines fautes sont pardonnées en ce monde, tandis que d'autres ne sont remises que dans l'autre; car ce qui n'est nié que pour une seule chose est affirmé pour quelques autres. Et cependant on ne peut espérer ce pardon que pour les fautes les plus légères, comme des paroles oiseuses, des rires immodérés, ou les fautes que l'on commet dans la gestion de ses affaires, fautes que peuvent à peine éviter, ceux même qui savent comment on doit se garder de tout péché; ou bien enfin l'ignorance en matière légère. Il est encore d'autres fautes dont nous demeurons chargés après la mort, si elles ne nous ont pas été remises pendant cette vie, etc. Mais il ne faut pas oublier que personne n'obtiendra le par don de ses fautes légères après la mort, à moins d'avoir mérité dans cette vie par ses bonnes oeuvres que ce pardon lui soit accordé.
L'autorité divine de ces paroles condamne l'erreur d'Origène, qui assure qu'après bien des siècles, tous les pécheurs obtiendront leur pardon; et Notre-Seigneur l'a détruite par ces seuls mots: «Il ne lui sera pardonné ni dans cette vie ni dans l'autre».
1444. Ensuite, [le Seigneur] en vient à une chose particulière, et il l’explique. Premièrement, il explique la première chose qu’il a dite. «Il a donc été dit : TOUT PÉCHÉ, etc. Et que cela soit vrai, je le montre par le fait que le blasphème contre le Fils est rémissible.» Ainsi, QUICONQUE AURA PARLÉ CONTRE LE FILS DE L’HOMME, CELA LUI SERA REMIS, à savoir, s’il fait pénitence. MAIS QUICONQUE AURA DIT une parole CONTRE L’ESPRIT SAINT, CELA NE LUI SERA REMIS NI EN CE SIÈCLE NI DANS LE SIÈCLE À VENIR. Et, comme le dit Augustin, «ces paroles sont tellement difficiles qu’il n’y a pas de paroles plus fortes dans l’évangile».
1445. Il faut donc dire qu’il y a une triple manière de les interpréter. Certains les interprètent à la lettre, car [les Juifs] le voyaient accomplir des miracles et les œuvres de l’Esprit Saint, et disaient qu’il avait un esprit impur. Ils blasphémaient donc contre l’Esprit. Et, sur ce point, les interprétations divergent. Certains disent que les deux choses doivent être mises en rapport avec la personne du Fils. Mais, dans le Fils, il existe une double nature, la divine et l’humaine. Selon [la nature] divine, il est esprit et il est saint. Le Fils est donc appelé un esprit saint, mais pas selon ce qu’on entend par cette seule expression ; c’est là l’interprétation d’Hilaire. La position [est donc la suivante] : quiconque aura dit un mot contre le Fils et contre [sa] nature humaine, parce qu’il était influencé par l’infirmité [de celle-ci], a une excuse ; mais quiconque aura parlé contre [sa nature] divine, celui-là n’a pas de raison d’être pardonné.
1446. D’autres l’interprètent de l’Esprit Saint, selon que celui-ci est la troisième personne de la Trinité. Ainsi, quiconque aura parlé contre le Fils de l’Homme, à savoir, contre [sa] nature humaine, sera pardonné ; mais quiconque [aura parlé] contre le Saint-Esprit à l’œuvre, celui-là n’est pas pardonné. Cette [interprétation] semble être une interprétation complète et le texte semble la formuler. Mais Augustin fait l’objection suivante : il est clair que tous les païens blasphèment, parce qu’ils ne croient pas que l’Esprit Saint est dans l’Église. Il y a aussi beaucoup d’hérétiques, et pourtant le chemin de la vie ne leur pas fermé. De même, il y a beaucoup de Juifs, etc. Mais on pourrait dire : il faut l’entendre [de la situation qui existe] après l’accueil de la foi. Cependant, on répond : s’il en est ainsi, la pénitence ne lui est-elle pas refusée, s’il se repent ? [Le Seigneur] ne dit pas non plus : «chrétien», mais, d’une manière générale, QUICONQUE.
1447. Quelle sera donc la solution ? Augustin donne une double solution. L’une est l’interprétation qu’il donne du sermon sur la montagne, et il la rétracte. Il présente l’autre dans le Livre sur les paroles du Seigneur. Vous devez donc comprendre que le péché contre l’Esprit Saint ne s’appelle pas blasphème contre l’Esprit Saint, mais s’entend de la manière de pécher. La bonté, la charité et l’amour sont attribués à l’Esprit Saint. À la bonté répond la malice, à la charité, l’envie. Ainsi donc, si quelqu’un qui connaît la vérité déroge à la vérité par malice, il pèche contre l’Esprit Saint. De même, si quelqu’un voit les œuvres de la sainteté chez un autre et s’en écarte par envie, car l’envie de la sainteté, et non de la personne, est un péché irrémissible, non pas parce qu’il est impossible qu’il soit remis, mais parce que la chute [de ce] péché est telle que la justice divine fait que [ce pécheur] ne se repent pas. Ainsi, ceux qui disaient que [Jésus] chassait les démons par Béelzéboul ne péchaient pas contre l’Esprit, comme le dit Augustin, parce qu’ils n’avaient pas atteint une malice profonde, etc. Mais [le Seigneur] a commencé à en parler, non pas parce qu’ils l’avaient commis, mais afin que ceux qui avaient commencé évitent d’en venir à cet état.
1448. Augustin rejette ce sens et se rétracte, car il y aurait ainsi un état pour lequel il ne faudrait pas prier, ce qui n’est pas vrai pendant qu’on est en chemin. C’est pourquoi il donne une autre interprétation dans le Livre sur les paroles du Seigneur, et c’est la suivante. Veuillez remarquer que [le Seigneur] n’a pas dit : «Quiconque a dit une parole blasphématoire», mais : «[Quiconque] a dit une parole», de manière indéfinie. Mais ce qui est ainsi présenté de manière indéfinie ne s’applique pas universellement, mais parfois de manière particulière, comme en Jn 15, 22 : Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas péché, non pas simplement ou de manière universelle, mais ils n’auraient pas commis le péché d’infidélité. De même en est-il lorsqu’il dit : «[Quiconque] a parlé.» Il ne s’agit pas de n’importe quelle parole, mais d’une parole qui, si elle est prononcée, est irrémissible. Quelle est cette parole, Augustin le dit. L’Esprit Saint est la charité par laquelle les membres de l’Église sont unis au Christ tête, et tout péché est remis par l’Esprit Saint. Même si c’est toute la Trinité qui remet, cela est néanmoins approprié à l’Esprit Saint en raison de l’amour. Celui qui a un cœur impénitent parle donc contre l’Esprit Saint, de sorte que l’impénitence elle-même s’oppose à la charité de l’Esprit Saint. Ainsi donc, il ne s’agit pas de quiconque aurait prononcé une parole, mais cette parole, à savoir, une parole d’impénitence : celle-là est irrémissible. Et [le Seigneur] dit : UNE PAROLE, et non pas des paroles, parce que c’est la coutume, dans l’Écriture, de parler de plusieurs paroles comme d’une parole. Ainsi, dans Isaïe, le Seigneur dit souvent : Tu diras ma parole, bien qu’Il lui dise plusieurs paroles. Il n’y a donc pas de contradiction avec ce qui a été dit plus haut, en cet endroit : JE VOUS LE DIS : TOUT PÉCHÉ ET TOUT BLASPHÈME, etc., parce que celui qui aura dit une parole contre l’Esprit Saint blasphème. De sorte qu’un maître interrogé sur ce qu’était le péché contre l’Esprit Saint, a dit : «L’impénitence s’attire la colère.»
1449. Mais que veut-il dire lorsqu’il dit : CELA NE LUI SERA PAS REMIS NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR ? Est-ce que certains péchés seront remis dans le monde à venir ? Augustin dit que non. On ne dit donc pas que certaines choses seront remises en ce monde et d’autres dans le monde à venir, mais que le péché est remis ici de telle manière que cela vaut pour le monde à venir. Ou bien, autre interprétation : certains péchés, à savoir, [les péchés] mortels, sont remis dans le monde présent, mais d’autres, à savoir, les véniels, dans le monde à venir, comme lorsque quelqu’un meurt avec un péché véniel, il est clair qu’il lui sera remis. Il y aura donc une certaine miséricorde dans le monde à venir, parce que [cette personne] sera encore en chemin.
1450. Chrysostome donne une interprétation très claire en disant qu’ici, [le Seigneur] parle d’un double blasphème : contre le Fils de l’Homme et contre l’Esprit Saint. Ceux-ci blasphémaient contre le Fils de l’Homme parce qu’ils disaient qu’il était un buveur de vin. De même, ils blasphémaient encore d’une autre façon contre l’Esprit Saint parce qu’ils disaient qu’il chassait les démons par un esprit démoniaque. Ils étaient excusés pour le premier [blasphème], parce qu’ils ne savaient pas ; mais ils n’avaient pas d’excuse d’avoir parlé contre l’Esprit Saint, parce qu’ils savaient par les Écritures, et donc cela ne leur sera pas remis.
1451. Mais que veut dire : NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR ? Cela est dit parce qu’un certain péché est pardonné en ce monde, un autre dans l’autre, et un autre en ce monde et dans l’autre. L’un est pardonné seulement en ce monde, comme cela est manifeste chez les pénitents. L’autre dans le monde à venir seulement, comme ceux dont il est question en Jb 21, 13 : Ils passent leur vie à faire le bien, et subitement ils descendent en enfer. [Le péché qui ne sera pardonné] ni dans ce monde ni dans l’autre, c’est le péché contre l’Esprit Saint. IL NE SERA donc REMIS NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR, non pas parce qu’il existe une rémission dans le monde à venir, mais parce que la peine surviendra dans le monde à venir. Le sens est donc que [ce péché] ne sera pas remis sans qu’une peine ait été subie en ce monde et dans le monde à venir.
1452. Ainsi parlent les saints de ce péché. Mais il faut remarquer que le maître [Pierre Lombard], dans Sentences, d. 43, l. 2, fait une distinction et précise six espèces de péchés contre l’Esprit Saint : le désespoir, la présomption, l’impénitence, l’obstination, la résistance à une vérité connue et l’envie de la grâce d’un frère. Ainsi, on dit que pèchent contre l’Esprit Saint ceux qui pèchent contre ce qui est approprié au Saint-Esprit. Au Père, on approprie la puissance, au Fils la sagesse, à l’Esprit Saint la bonté. On dit donc que pèche contre le Père celui qui pèche par faiblesse ; contre le Fils, celui [qui pèche] par ignorance ; contre l’Esprit Saint, celui [qui pèche] par malice. Mais il faut savoir que pécher par malice, c’est pécher volontairement, ce qui vient d’une malice avérée, et cela d’une double façon : ou parce qu’on a une inclination au péché, ou parce qu’on n’en a pas. En effet, lorsqu’un homme commet de nombreux péchés, il reste en lui une habitude de pécher ; il pèche ainsi par choix. De même, quelqu’un pèche parce que lui est enlevé ce qui le retenait de pécher. Or, il est retenu de pécher par l’espérance de la vie éternelle. Ainsi, celui qui n’espère pas dans la vie éternelle pèche avec une malice avérée, Ep 4, 19 : Ceux qui n’ont pas d’espérance se sont livrés à l’impureté. De sorte que celui qui pèche par inclination pèche contre l’Esprit Saint, à savoir, par le fait qu’il s’écarte de ce qui le retient du péché. Or, cela arrive de six manières. En effet, la miséricorde et la justice existent en Dieu. Le désespoir vient du mépris de la miséricorde [de Dieu] ; la présomption, du mépris de la justice [de Dieu]. Il en est de même pour ce qui est de la conversion, car il se tourne vers un bien fragile, et ainsi apparaît l’obstination. De même, pour ce qui est de se détourner, car il ne se propose pas de revenir à Dieu, et ainsi apparaît l’impénitence. De même, pour ce qui est du remède, à savoir, l’espérance et la charité, [et ainsi] apparaissent la résistance à la vérité connue et l’envie de l’amour fraternel. Tels sont les péchés contre l’Esprit Saint. S’il existe donc une impénitence réelle, elle n’est donc pas remise, non pas parce qu’elle n’est d’aucune manière remise, mais parce qu’elle n’est pas facilement remise, puisqu’il n’existe pas de raison de la remettre, mais que cela vient de la seule grâce de Dieu, comme si quelqu’un avait une fièvre tierce, il peut être guéri, mais s’il a une maladie incurable [imimetrion], il ne peut être guéri par lui-même, puisqu’il ne peut être guéri que par l’aide divine.
1445. Il faut donc dire qu’il y a une triple manière de les interpréter. Certains les interprètent à la lettre, car [les Juifs] le voyaient accomplir des miracles et les œuvres de l’Esprit Saint, et disaient qu’il avait un esprit impur. Ils blasphémaient donc contre l’Esprit. Et, sur ce point, les interprétations divergent. Certains disent que les deux choses doivent être mises en rapport avec la personne du Fils. Mais, dans le Fils, il existe une double nature, la divine et l’humaine. Selon [la nature] divine, il est esprit et il est saint. Le Fils est donc appelé un esprit saint, mais pas selon ce qu’on entend par cette seule expression ; c’est là l’interprétation d’Hilaire. La position [est donc la suivante] : quiconque aura dit un mot contre le Fils et contre [sa] nature humaine, parce qu’il était influencé par l’infirmité [de celle-ci], a une excuse ; mais quiconque aura parlé contre [sa nature] divine, celui-là n’a pas de raison d’être pardonné.
1446. D’autres l’interprètent de l’Esprit Saint, selon que celui-ci est la troisième personne de la Trinité. Ainsi, quiconque aura parlé contre le Fils de l’Homme, à savoir, contre [sa] nature humaine, sera pardonné ; mais quiconque [aura parlé] contre le Saint-Esprit à l’œuvre, celui-là n’est pas pardonné. Cette [interprétation] semble être une interprétation complète et le texte semble la formuler. Mais Augustin fait l’objection suivante : il est clair que tous les païens blasphèment, parce qu’ils ne croient pas que l’Esprit Saint est dans l’Église. Il y a aussi beaucoup d’hérétiques, et pourtant le chemin de la vie ne leur pas fermé. De même, il y a beaucoup de Juifs, etc. Mais on pourrait dire : il faut l’entendre [de la situation qui existe] après l’accueil de la foi. Cependant, on répond : s’il en est ainsi, la pénitence ne lui est-elle pas refusée, s’il se repent ? [Le Seigneur] ne dit pas non plus : «chrétien», mais, d’une manière générale, QUICONQUE.
1447. Quelle sera donc la solution ? Augustin donne une double solution. L’une est l’interprétation qu’il donne du sermon sur la montagne, et il la rétracte. Il présente l’autre dans le Livre sur les paroles du Seigneur. Vous devez donc comprendre que le péché contre l’Esprit Saint ne s’appelle pas blasphème contre l’Esprit Saint, mais s’entend de la manière de pécher. La bonté, la charité et l’amour sont attribués à l’Esprit Saint. À la bonté répond la malice, à la charité, l’envie. Ainsi donc, si quelqu’un qui connaît la vérité déroge à la vérité par malice, il pèche contre l’Esprit Saint. De même, si quelqu’un voit les œuvres de la sainteté chez un autre et s’en écarte par envie, car l’envie de la sainteté, et non de la personne, est un péché irrémissible, non pas parce qu’il est impossible qu’il soit remis, mais parce que la chute [de ce] péché est telle que la justice divine fait que [ce pécheur] ne se repent pas. Ainsi, ceux qui disaient que [Jésus] chassait les démons par Béelzéboul ne péchaient pas contre l’Esprit, comme le dit Augustin, parce qu’ils n’avaient pas atteint une malice profonde, etc. Mais [le Seigneur] a commencé à en parler, non pas parce qu’ils l’avaient commis, mais afin que ceux qui avaient commencé évitent d’en venir à cet état.
1448. Augustin rejette ce sens et se rétracte, car il y aurait ainsi un état pour lequel il ne faudrait pas prier, ce qui n’est pas vrai pendant qu’on est en chemin. C’est pourquoi il donne une autre interprétation dans le Livre sur les paroles du Seigneur, et c’est la suivante. Veuillez remarquer que [le Seigneur] n’a pas dit : «Quiconque a dit une parole blasphématoire», mais : «[Quiconque] a dit une parole», de manière indéfinie. Mais ce qui est ainsi présenté de manière indéfinie ne s’applique pas universellement, mais parfois de manière particulière, comme en Jn 15, 22 : Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas péché, non pas simplement ou de manière universelle, mais ils n’auraient pas commis le péché d’infidélité. De même en est-il lorsqu’il dit : «[Quiconque] a parlé.» Il ne s’agit pas de n’importe quelle parole, mais d’une parole qui, si elle est prononcée, est irrémissible. Quelle est cette parole, Augustin le dit. L’Esprit Saint est la charité par laquelle les membres de l’Église sont unis au Christ tête, et tout péché est remis par l’Esprit Saint. Même si c’est toute la Trinité qui remet, cela est néanmoins approprié à l’Esprit Saint en raison de l’amour. Celui qui a un cœur impénitent parle donc contre l’Esprit Saint, de sorte que l’impénitence elle-même s’oppose à la charité de l’Esprit Saint. Ainsi donc, il ne s’agit pas de quiconque aurait prononcé une parole, mais cette parole, à savoir, une parole d’impénitence : celle-là est irrémissible. Et [le Seigneur] dit : UNE PAROLE, et non pas des paroles, parce que c’est la coutume, dans l’Écriture, de parler de plusieurs paroles comme d’une parole. Ainsi, dans Isaïe, le Seigneur dit souvent : Tu diras ma parole, bien qu’Il lui dise plusieurs paroles. Il n’y a donc pas de contradiction avec ce qui a été dit plus haut, en cet endroit : JE VOUS LE DIS : TOUT PÉCHÉ ET TOUT BLASPHÈME, etc., parce que celui qui aura dit une parole contre l’Esprit Saint blasphème. De sorte qu’un maître interrogé sur ce qu’était le péché contre l’Esprit Saint, a dit : «L’impénitence s’attire la colère.»
1449. Mais que veut-il dire lorsqu’il dit : CELA NE LUI SERA PAS REMIS NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR ? Est-ce que certains péchés seront remis dans le monde à venir ? Augustin dit que non. On ne dit donc pas que certaines choses seront remises en ce monde et d’autres dans le monde à venir, mais que le péché est remis ici de telle manière que cela vaut pour le monde à venir. Ou bien, autre interprétation : certains péchés, à savoir, [les péchés] mortels, sont remis dans le monde présent, mais d’autres, à savoir, les véniels, dans le monde à venir, comme lorsque quelqu’un meurt avec un péché véniel, il est clair qu’il lui sera remis. Il y aura donc une certaine miséricorde dans le monde à venir, parce que [cette personne] sera encore en chemin.
1450. Chrysostome donne une interprétation très claire en disant qu’ici, [le Seigneur] parle d’un double blasphème : contre le Fils de l’Homme et contre l’Esprit Saint. Ceux-ci blasphémaient contre le Fils de l’Homme parce qu’ils disaient qu’il était un buveur de vin. De même, ils blasphémaient encore d’une autre façon contre l’Esprit Saint parce qu’ils disaient qu’il chassait les démons par un esprit démoniaque. Ils étaient excusés pour le premier [blasphème], parce qu’ils ne savaient pas ; mais ils n’avaient pas d’excuse d’avoir parlé contre l’Esprit Saint, parce qu’ils savaient par les Écritures, et donc cela ne leur sera pas remis.
1451. Mais que veut dire : NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR ? Cela est dit parce qu’un certain péché est pardonné en ce monde, un autre dans l’autre, et un autre en ce monde et dans l’autre. L’un est pardonné seulement en ce monde, comme cela est manifeste chez les pénitents. L’autre dans le monde à venir seulement, comme ceux dont il est question en Jb 21, 13 : Ils passent leur vie à faire le bien, et subitement ils descendent en enfer. [Le péché qui ne sera pardonné] ni dans ce monde ni dans l’autre, c’est le péché contre l’Esprit Saint. IL NE SERA donc REMIS NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR, non pas parce qu’il existe une rémission dans le monde à venir, mais parce que la peine surviendra dans le monde à venir. Le sens est donc que [ce péché] ne sera pas remis sans qu’une peine ait été subie en ce monde et dans le monde à venir.
1452. Ainsi parlent les saints de ce péché. Mais il faut remarquer que le maître [Pierre Lombard], dans Sentences, d. 43, l. 2, fait une distinction et précise six espèces de péchés contre l’Esprit Saint : le désespoir, la présomption, l’impénitence, l’obstination, la résistance à une vérité connue et l’envie de la grâce d’un frère. Ainsi, on dit que pèchent contre l’Esprit Saint ceux qui pèchent contre ce qui est approprié au Saint-Esprit. Au Père, on approprie la puissance, au Fils la sagesse, à l’Esprit Saint la bonté. On dit donc que pèche contre le Père celui qui pèche par faiblesse ; contre le Fils, celui [qui pèche] par ignorance ; contre l’Esprit Saint, celui [qui pèche] par malice. Mais il faut savoir que pécher par malice, c’est pécher volontairement, ce qui vient d’une malice avérée, et cela d’une double façon : ou parce qu’on a une inclination au péché, ou parce qu’on n’en a pas. En effet, lorsqu’un homme commet de nombreux péchés, il reste en lui une habitude de pécher ; il pèche ainsi par choix. De même, quelqu’un pèche parce que lui est enlevé ce qui le retenait de pécher. Or, il est retenu de pécher par l’espérance de la vie éternelle. Ainsi, celui qui n’espère pas dans la vie éternelle pèche avec une malice avérée, Ep 4, 19 : Ceux qui n’ont pas d’espérance se sont livrés à l’impureté. De sorte que celui qui pèche par inclination pèche contre l’Esprit Saint, à savoir, par le fait qu’il s’écarte de ce qui le retient du péché. Or, cela arrive de six manières. En effet, la miséricorde et la justice existent en Dieu. Le désespoir vient du mépris de la miséricorde [de Dieu] ; la présomption, du mépris de la justice [de Dieu]. Il en est de même pour ce qui est de la conversion, car il se tourne vers un bien fragile, et ainsi apparaît l’obstination. De même, pour ce qui est de se détourner, car il ne se propose pas de revenir à Dieu, et ainsi apparaît l’impénitence. De même, pour ce qui est du remède, à savoir, l’espérance et la charité, [et ainsi] apparaissent la résistance à la vérité connue et l’envie de l’amour fraternel. Tels sont les péchés contre l’Esprit Saint. S’il existe donc une impénitence réelle, elle n’est donc pas remise, non pas parce qu’elle n’est d’aucune manière remise, mais parce qu’elle n’est pas facilement remise, puisqu’il n’existe pas de raison de la remettre, mais que cela vient de la seule grâce de Dieu, comme si quelqu’un avait une fièvre tierce, il peut être guéri, mais s’il a une maladie incurable [imimetrion], il ne peut être guéri par lui-même, puisqu’il ne peut être guéri que par l’aide divine.
Et quiconque aura parlé... Nous retrouvons ici la même pensée qu’au v. 31 : seulement,
Jésus-Christ y ajoute des détails importants, qui précisent davantage encore les deux points que nous avons
examinés plus haut. D’abord, il se met lui-même en scène, opposant au blasphème contre l’Esprit-Saint celui
qu’on peut commettre contre sa propre personne, envisagée à un point de vue particulier. - Contre le Fils de
l'homme. « parler contre » est synonyme de « blasphème » et représente aussi une parole outrageante.
L’expression « Fils de l’homme » montre que Notre-Seigneur parle ici de sa nature humaine, de son humble
apparition sous la forme d’un esclave ; or, on pouvait se tromper sous ce rapport ; les préjugés, l’ignorance,
rendaient l’erreur possible et diminuaient la faute. Aussi, dans ce cas, le pardon est-il assuré, il lui sera
pardonné. « Celui qui aura dit une parole contre le Fils de l'homme, trompé par mes dehors humains, et me
considérant seulement comme un homme, son erreur, quoique blasphème et quoique erreur coupable, sera
néanmoins pardonnable à cause de ce que mon humanité présente d'infirme à l’œil », S. Jérôme. On est
inexcusable au contraire quand on blasphème contre l’Esprit-Saint, parce qu’on résiste alors avec pleine
connaissance de cause à la lumière, à la grâce, ainsi qu’il a été dit à propos du v. 31. « Les blasphèmes que
vous dites contre l’Esprit-Saint, c’est un crime irrémissible... Parce que le Saint-Esprit ne vous est pas
inconnu, et que vous attaquez impudemment une vérité trop claire », S. Jean Chrys. Hom. 41 in Matth.
Origène donne une explication analogue lorsqu’il dit : « Si le péché est plus grave, ce n’est point parce que le
Saint-Esprit est supérieur au Verbe, mais parce que celui qui a reçu l’Esprit-Saint est plus élevé dans la vie
chrétienne ». Mais on a singulièrement exagéré l’antithèse établie par Jésus-Christ entre sa personne et
l’Esprit-Saint, lorsqu’on a prétendu trouver dans ces deux versets trois péchés distincts, commis contre
chacune des personnes divines, et puisant, dans le rapport qu’ils ont avec le Père, le Fils et l’Esprit-Saint,
leur degré plus ou moins grand de culpabilité. D’abord, il n’est aucunement question de Dieu le Père en cet
endroit ; de plus, on ne voit pas de quelle manière une faute commise contre la seconde ou la troisième
personne de la Sainte Trinité serait moins grave qu’une offense envers la première personne divine, tandis
que l’on comprend très bien qu’il puisse y avoir une différence entre blasphémer contre le Fils de l’Homme
et blasphémer contre l’Esprit de Dieu. - Ni dans ce monde, ni dans le monde à venir. Tout-à-l’heure Jésus
avait dit simplement « ne sera pas remis » ; actuellement il insiste et appuie avec force sur cette expression
par le développement qu’il lui donne. Les Rabbins mentionnent souvent, dans le Talmud « le siècle présent »
et « le siècle futur ». Le siècle présent, c’est en général le temps qui précède le jugement dernier et, pour
chaque individu, la durée de sa vie terrestre ; le siècle futur, c’est l’éternité commencée pour chaque individu
dès l’instant de sa mort et après la fin du monde pour toute l’humanité. « Bien que les païens vivent
tranquilles dans le siècle présent, il n’en sera pas de même dans le siècle futur », dit le Midrasch Tehillin, f.
45, 4. « Le siècle futur existe dès que l’homme est sorti de ce monde », Tanchum, f. 52, etc. Affirmer qu’un
péché ne sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre, c’est affirmer très expressément qu’il ne sera jamais
pardonné durant toute l’éternité.
Il résulte du contexte même que le péché contre le Saint-Esprit, dont il est ici parlé, consiste à attribuer au démon les miracles du Sauveur. Or ce péché est dit irrémissible, parce qu’il est moralement impossible d’en obtenir la rémission, attendu qu’il y a une malice intrinsèque naturellement opposée au pardon. Il faudrait pour cela un miracle de la grâce que Dieu n’accorde pas selon le cours ordinaire de sa providence. D’un autre côté, c’est un dogme de la foi catholique qu’il n’y a aucun péché absolument irrémissible, l’Eglise ayant reçu le pouvoir de remettre tous les péchés sans exception, et Dieu, dans sa miséricorde, pouvant toucher le cœur du pécheur le plus endurci.