Matthieu 13, 25

Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla.

Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla.
Saint Thomas d'Aquin
1568. PENDANT QUE LES GENS DORMAIENT, etc. Après avoir traité de l’origine du bien, il traite ici de l’origine du mal. Et d’abord, il présente l’occasion du mal qui est fait ; deuxièmement, l’ordre [dans lequel il est fait].

1569. En premier lieu, une double occasion est présentée : l’une, du point de vue des gardiens ; l’autre, du point de vue du semeur.

1570. Du point de vue des gardiens, il dit : PENDANT QUE LES GENS DORMAIENT, etc., c’est-à-dire les responsables du genre humain, qui ont été établis pour surveiller, DORMAIENT, à savoir, du sommeil de la mort. Les saints apôtres savaient que des hérétiques se mêleraient au blé dans l’Église ; ainsi, Paul [dit] : Je sais qu’après mon départ, des loups rapaces s’en prendront à vous et n’épargneront pas le troupeau [Mt 7, 15].

1571. Ensuite, une autre occasion est présentée. Il dit ainsi : SON ENNEMI EST VENU, etc., à savoir, le Diable. Ps 73[74], 23 : L’orgueil de ceux qui te haïssent augmente sans cesse. De ceux qui te haïssent, c’est-à-dire, des démons. Mais cette inimitié vient de la perversité de [leur] volonté.

1572. Mais une question se pose. Est-il vrai qu’un être hait Dieu ? Il faut dire que l’amour ne porte que sur une chose connue. Or, Dieu peut être connu de deux manières : en lui-même, ou dans ses effets. [S’il est connu] en lui-même, il est impossible qu’il ne soit pas aimé : en effet, tout ce qui est aimé est aimé sous l’aspect du bien. Comme Il est la bonté première, il ne peut être haï. [S’Il est connu] dans ses effets, il n’est pas impossible [qu’il ne soit pas aimé]. En effet, les démons, dans la mesure où ils sont, aiment celui par qui ils sont ; mais certains effets leur déplaisent, à savoir qu’ils soient punis contre leur volonté, qu’ils ne puissent pas punir les hommes à leur volonté, et des choses semblables.

1573. Ensuite, l’ordre est abordé : [SON ENNEMI] A SEMÉ DE L’IVRAIE. Tous les mots ont beaucoup de sens. Voyons donc ce qui est semé et dans quel ordre. Ce qui est semé, c’est ce qu’on appelle de l’ivraie, qui ressemble au blé. Qu’est-ce qui est signifié par l’ivraie ? Les mauvais fils et tous ceux qui aiment l’iniquité, en particulier, les hérétiques. Il y a trois genres de méchants : les mauvais catholiques, les schismatiques et les hérétiques. Les mauvais catholiques sont signifiés par la paille, dont il a été question plus haut, 3, 12 : La paille sera consumée par le feu. Les schismatiques [sont signifiés] par les épis, et les hérétiques, par l’ivraie. Ils sont donc semés dans le champ, c’est-à-dire, dans ce monde. De même, l’ivraie ressemble au blé, de sorte que ceux-ci présentent l’aspect du bien, comme [on lit] en 1 Tm 1, 7 : Ils veulent être des docteurs de la loi, et ils ne comprennent pas ce dont ils parlent, ni ce qu’ils affirment. Et il faut remarquer que, plus haut, il a été dit : IL A SEMÉ, et ici, on ne le dit pas, car ils ont été catholiques avant d’être hérétiques. En effet, le Diable, voyant l’Église s’étendre, en a conçu de l’envie ; il a semé un agent de corruption et a poussé le cœur des hérétiques à nuire. Ainsi [dit-on] que les hérétiques étaient parmi nous, comme on lit dans la première lettre canonique de Jn 2, 19 : Mais ils ne faisaient pas partie de nous, parce que, s’ils avaient fait partie de nous, ils seraient restés avec nous. [Le Seigneur] dit aussi : AU MILIEU DU BLÉ. Le Diable n’a cure que certains soient hérétiques au milieu des païens, parce qu’il les possède tous, mais [il se préoccupe qu’ils soient] au milieu du blé et du peuple fidèle. Et c’est ce que dit Jb 4, 18 : Et il trouve de la méchanceté chez ses anges. Et Augustin dit qu’«aucune société n’est si bonne que ne s’y trouve quelque dépravé». Ainsi, dans la société des apôtres, il y eut un dépravé, Judas. [Le Seigneur] dit aussi : ET IL S’EN EST ALLÉ, c’est-à-dire qu’il s’est fait secret. En effet, lorsqu’il incite, il n’obtient pas toujours une coopération, car s’il réussissait tout à sa volonté, il pourrait facilement être identifié. C’est pourquoi il renonce parfois à sa malice Ps 9, 9 : Il se met en embuscade en secret, comme un lion dans sa caverne.
Louis-Claude Fillion
Pendant que les hommes dormaient. Expression pittoresque pour désigner le temps de la nuit. Nous dirions de même : Quand tout le monde dormait. Il ne s’agit donc pas exclusivement ici des serviteurs et du fermier, ni d’une négligence coupable de leur part. « Quand les hommes dormaient. Il ne dit pas les gardiens (ou les serviteurs comme au verset 28) ; s’il avait dit les gardiens, nous aurions compris qu’on les accusait de négligence. Mais il dit hommes, pour que nous comprenions que c’était sans faute de leur part qu’ils s’étaient abandonnés au sommeil », Cajetan in h. l. C’est pendant la nuit, à la dérobée par conséquent et à l’insu de tous, que fut commise la mauvaise action qui va suivre. Le divin Maître n’a pas voulu dire autre chose. - Et sema : le texte latin indique « sema de nouveau », heureuse expression pour indiquer de secondes semailles pratiquées peu de temps après d’autres, dans un même champ. - De l'ivraie, plante nommée Zawân par les arabes et Zonim par le Talmud. Il s’est formé une double opinion parmi les linguistes relativement à cette appellation, les uns lui donnant une origine sémitique, Cf. Buxtorf, Lexic. Talmud. s. v., les autres la croyant dérivée du grec et adoptée par les langues orientales, ce qui paraît aujourd’hui plus probable. L’herbe ainsi désignée ne doit pas différer du « Lolium temulentum », ou ivraie, qu’on rencontre presque à chaque pas en Palestine non moins que dans nos contrées. Les graines qu’elle produit, assez semblables à celles du froment, mais en général de couleur noirâtre, sont depuis longtemps renommées pour leurs dangereux effets. Mêlées en partie notable à la nourriture, elles causent le vertige, des convulsions et même la mort : de là l’épithète de funeste que Virgile donne à l’ivraie dans ses Géorgiques, 1, 154. - Et s'en alla. Après avoir réussi à accomplir son œuvre pleine de malice, il se hâte de disparaître. Les actes de ce genre ne sont inouïs, paraît-il, ni en Orient, ni même en Occident. Le Dr Robert assure, Oriental Illustrations, p. 541, que plus d’un cultivateur indien a vu son champ gâté de la sorte, et pour de longues années, dans l’intervalle d’une nuit. Le Rév. Alford raconte dans son commentaire qu’il eut à souffrir lui-même d’une méchanceté du même genre à Gaddesby, comté de Leicester. Ce qui prouve que la malice du monde n’a pas changé.
Fulcran Vigouroux
L’ivraie est une plante annuelle, de la famille des graminées et de la tribu des hordéacées. Il en existe plusieurs espèces. Celle de la parabole est le Lolium temulentum ou ivraie enivrante. Elle est commune dans les moissons d’Europe comme en Palestine. « L’ivraie enivrante est la seule graminée qui possède des propriétés malfaisantes. Son nom lui vient de l’espèce d’ivresse qu’elle occasionne. Ses semences mêlées au blé, ont souvent produit des symptômes d’empoisonnement, des nausées, des vertiges. » (CHENU.) Par la cuisson, l’action de la chaleur lui enlève ses propriétés malfaisantes. ― Son ennemi sema de l’ivraie. « Notre-Seigneur n’a rien imaginé ici, mais il parle d’un acte de malice qui a dû être connu de ses auditeurs. La loi romaine le suppose et un écrivain moderne (ROBERTS), en parlant des coutumes et des mœurs de l’Orient, affirme qu’il est également pratiqué dans l’Inde. « Voyez, dit-il, ce coquin attentif au moment où son voisin labourera son champ ; dès que le champ est ensemencé, il s’y rend à son tour, de nuit, et y répand ce que les natifs appellent pandinellu, c’est-à-dire de l’ivraie ; elle croît avant la bonne semence et se propage rapidement, tellement que le malheureux propriétaire du champ doit attendre des années avant de pouvoir se débarrasser de cette plante nuisible. » (TRENCH, L’ivraie.)