Matthieu 13, 30

Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.” »

Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.” »
Saint Jean Chrysostome
Il nous apprend ensuite de quelle manière le démon tend ses embûches: «Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l'ivraie au milieu du blé, et il s'en alla». Notre-Seigneur nous en seigne par là que l'erreur ne vient qu'après la vérité, ce que l'expérience ne prouve que trop. En effet, ce n'est qu'après les prophètes que sont venus les faux prophètes; après les Apôtres, les faux apôtres; après le Christ, l'Antéchrist. Si le démon ne voit rien qu'il puisse imiter, s'il ne voit personne qu'il puisse faire tomber dans le piége, il s'abstient de tenter; mais comme il voit ici que l'un rend cent pour un, l'autre soixante, l'autre trente, et qu'il n'a pu enlever ou étouffer ce qui a pris racine, il a recours à d'autres artifices, il mêle les erreurs à la vérité; il leur en donne autant qu'il peut la couleur et la ressemblance pour tromper plus facilement ceux sur qui la séduction exerce depuis longtemps son empire. C'est pour cela que Notre-Seigneur ne dit pas qu'il y sème une autre semence, mais de l'ivraie, parce qu'elle a quelque ressemblance pour la forme avec le grain de froment. Le démon fait éclater encore sa malignité en ne répan dant l'ivraie que lorsque les semailles étaient terminées, afin de nu ire davantage aux travaux du la boureur.

Notre-Seigneur, dans ce qui suit, nous trace avec soin le portrait des hérétiques: «Lorsque l'herbe eut poussé et qu'elle fut montée en épis, alors l'ivraie parut elle-même». Les hérétiques dissimulent d'abord leur présence, mais lorsque leur confiance s'est accrue, qu'ils sont parvenus à se faire écouter, et qu'ils ont fait quelques prosélytes, ils répandent leur venin.

Dans la parabole précédente, le Seigneur s'est proposé ceux qui ne reçoivent pas la parole de Dieu; ici il veut parler de ceux qui reçoivent une parole de corruption, car c'est un des artifices du démon de mêler toujours l'erreur à la vérité: «Il leur proposa une autre parabole», etc.

Notre-Seigneur l'appelle l'homme ennemi, à cause du mal qu'il fait aux hommes. C'est sur nous que tombent les effets de sa haine, quoique la cause du mal qu'il nous fait soit non pas son inimitié contre nous, mais son opposition contre Dieu.

Nous pouvons admirer ici le zèle et la charité de ces serviteurs: ils ont hâte d'aller arracher l'ivraie, preuve de leur sollicitude pour la semence; ils n'ont en vue qu'une chose, ce n'est pas de faire punir qui que ce soit, mais que les semences ne soient pas perdues. Quelle fut la réponse du Seigneur? «Et il leur répondit: Non».

Le Seigneur fait cette recommandation pour défendre les meurtres; car mettre à mort les hérétiques, ce serait donner naissance à une guerre implacable dans l'univers. Et c'est pour cela qu'il a dit: «De peur que vous n'arrachiez le blé», c'est-à-dire si vous re courez aux armes, si vous mettez à mort les hérétiques, vos coups atteindront nécessairement un grand nombre de saints. Ce qu'il défend, ce n'est donc point de jeter en prison les héréti ques, et de s'opposer à la licence de leurs prédications, à la réunion de leurs synodes, et de rendre inutiles leurs efforts, mais de les mettre à mort.

Mais pourquoi dit-il: «Arrachez d'abord l'ivraie ?» C'est pour ôter aux bons toute crainte que le blé ne partage le sort de l'ivraie.
Saint Jérôme
Le démon est appelé l'homme ennemi, parce qu'il a cessé d'être Dieu; et c'est de lui qu'il est écrit au psaume neuvième: «Levez-vous, Seigneur, que l'homme ne s'affermisse pas dans sa puissance».Aussi celui qui est placé à la tête de l'Église ne doit pas se laisser aller au sommeil, de peur que l'homme ennemi ne profite de sa négligence pour semer par dessus le bon grain l'ivraie, c'est-à-dire les erreurs des hérétiques.

Notre-Seigneur agit comme un homme riche qui sert à ses convives une table couverte de mets variés, où chacun peut choisir dans cette variété ce qui convient à son estomac. L'Évangéliste ne dit pas «l'autre parabole», mais «une autre parabole», car s'il avait dit «l'autre», nous n'aurions pu en espérer une troisième, tandis qu'en disant «une autre», il nous fait entendre que d'autres paraboles doivent la suivre. Il nous explique ensuite le sujet de cette parabole en disant: « Le royaume des cieux est sem blable à un homme qui sème de bon grain »,etc.

Dieu veut laisser le temps au repentir, et il nous enseigne à ne pas nous hâter de retrancher un de nos frères de la communion des fidèles, car il peut arriver que celui-là même, dont l'esprit est perverti par un e erreur dangereuse, se convertisse et devienne un zèle défen seur de la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment».

Cette recommandation paraît en opposition avec ce précepte: «Faites disparaître le mal du milieu de vous» ( 1Co 5,13 ). Car s'il nous est défendu d'arracher, et si nous devons attendre avec patience la moisson, comment pouvons-nous en retrancher quelques-uns du mi lieu de nous? Le froment et l'ivraie (en latin lolium) se ressemblent beaucoup tant qu'ils sont en herbe et que leur tige n'est pas encore couronnée d'épis, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de les distinguer. Le Seigneur nous recommande donc de ne pas nous hâter de prononcer la sentence sur ce qui est douteux, et de laisser le jugement à Dieu, qui, au jour du jugement, rejettera de l'assemblée des saints, non pas sur de simples conjectures, mais pour des crimes évidents.

Or, en commandant d'arracher l'ivraie pour la jeter au feu, et d'amasser le blé dans les greniers, il déclare ouvertement que les hérétiques et les hypocrites sont destinés à brûler dans les feux de l'enfer, et que les saints qu'il appelle le blé ou le bon grain seront recueillis dans les greniers, c'est-à-dire dans les demeures éternelles.
Saint Augustin
Il ajoute: «Lorsque les hommes dormaient».C'est en effet lorsque les premiers pasteurs de l'Église se laissèrent aller à la négligence, ou bien lorsque les Apôtres se sont endormis du sommeil de la mort, que le démon est venu et qu'il a semé par-dessus la bonne semence ceux que le Seigneur appelle les mauvais enfants. On peut demander avec rai son s'il a voulu désigner par là les hérétiques, ou bien les catholiques dont la vie n'est pas conforme à leur foi. Il nous dit qu'ils ont été semés au milieu du froment, il semble donc qu'il a voulu désigner ceux qui appartiennent à une même communion. Cependant, comme lui-même nous déclare que ce champ est non-seulement l'Église, mais le monde entier, on peut très-bien voir dans cette ivraie les hérétiques qui dans ce monde se trouvent mêlés aux justes. Ceux qui conservent la vraie foi tout en la déshonorant par leur vie sont plutôt semblables à la paille qu'à l'ivraie, parce que la paille a la même origine et la même racine que le froment. Quant aux schismatiques, ils ressemblent bien plus aux pailles brisées ou coupées que l'on sépare de la moisson. Il ne faut pas en conclure cependant que tout hérétique et tout schismatique soient extérieurement séparés de l'Église; l'Église en renferme un grand nombre dans son sein qui n'attirent pas l'attention de la multitude en défendant leurs erreurs d'une manière éclatante. S'ils le faisaient, l'Église les retrancherait de la communion. - Et plus bas: Lors donc que le démon en répandant ses détestables erreurs et ses fausses doctrines eut semé de l'ivraie au mi lieu du blé, c'est-à-dire eut jeté les hérésies sur la vérité en se couvrant du nom du Christ, il se cacha avec plus de soin et se rendit invisible; c'est ce que Notre-Seigneur veut exprimer par ce mot: «Et il s'en alla». Il faut cependant admettre, comme il l'explique lui-même, que sous le nom d'ivraie il a voulu comprendre non pas seulement quelques scandales, mais tous les scan dales et tous ceux qui opèrent l'iniquité.

Ou bien dans un autre sens, lorsque l'homme spirituel commence à juger toutes choses, alors les erreurs se dessinent à ses yeux, il voit clairement que ce qu'il a entendu, ce qui a fait l'objet de ses lectures s'éloignait de la règle de la vérité; mais tant qu'il n'a pas atteint la perfection spirituelle, la vue de tant d'erreurs, de tant d'hérétiques qui se sont couverts du nom du Christ, peut faire impression sur lui, comme nous le voyons dans la suite de la parabole: «Alors les serviteurs du père de famille vinrent le trouver, et lui dirent: Seigneur, n'avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?» Ces servi teurs sont-ils les moissonneurs dont il sera bientôt question? Notre-Seigneur lui-même, dans l'explication de la parabole, nous dit que les moissonneurs sont les anges, et comme on ne peut dire que les anges ignoraient quel était celui qui avait semé l'ivraie au milieu du blé, il faut en tendre par ces serviteurs les fidèles eux-mêmes; et il n'y a rien d'étonnant s'il les désigne en même temps comme étant la bonne semence, car une même chose peut être représentée sous différentes figures, suivant le rapport sous lequel on la considère; c'est ainsi que le Sauveur a dit de lui-même qu'il était la porte, et aussi qu'il était le pasteur.

Lorsque le serviteur de Dieu aura compris que le démon n'avait recours à cette manoeuvre frauduleuse que parce qu'il sentait qu'il ne pouvait rien contre la puissance d'un nom si grand, et qu'il était obligé de couvrir ses fourberies du prestige de ce nom, il peut sentir en lui le désir de faire disparaître de tels hommes du commerce des choses humaines, s'il en avait le temps; mais il consulte la justice de Dieu, pour savoir s'il doit le faire. «Les servi teurs lui dirent Voulez-vous que nous allions l'arracher ?»

Cette réponse est des plus propres à les calmer et à leur inspirer une grande patience. Le père de famille répond de la sorte, parce que les bons qui sont encore faibles ont besoin dans certaines circonstances d'être mêlés aux méchants, soit afin que ce mélange serve d'épreuve à leur vertu, ou afin que ce rap prochement soit pour les méchants une exhortation puissante à devenir meilleurs. Ou bien peut-être le blé est déraciné lorsqu'on arrache l'ivraie, parce qu'il en est beaucoup qui ne sont d'abord que de l'ivraie et qui deviennent ensuite froment. Or, si on ne les supportait avec pa tience lorsqu'ils sont mauvais, on ne verrait jamais en eux ce changement admirable; si donc on les arrache, on déracine en même temps le froment, puisqu'ils devaient devenir froment si on les eût épargnés. Dieu veut donc qu'on ne les arrache pas de cette vie, car en s'efforçant de faire périr les méchants on s'exposerait à faire périr les bons, puisqu'ils deviendront peut-être bons; ou à nuire aux bons eux-mêmes puisque les méchants sont pour eux une occasion invo lontaire de vertu. Ce retranchement se fera donc bien plus à propos lorsqu'à la fin ils n'auront plus le temps de changer de vie, et que le spectacle de leurs erreurs ne pourra plus être pour les bons une occasion de progrès dans la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson», c'est-à-dire jusqu'au jugement.

Lorsqu'un chrétien, dans le sein de l'Église, est reconnu coupable d'un crime qui mérite anathème, et qu'on n'a pas à craindre le schisme, qu'il soit soumis à l'anathème, avec un sentiment de charité qui se pro pose, non pas de le déraciner, mais de le corriger. S'il ne reconnaît pas sa faute, s'il n'en fait pas pénitence, il sera mis hors de l'Église, et séparé par sa propre volonté de la communion des fidèles. C'est pour cela que le Seigneur, après avoir dit: «Laissez croître l'un et l'autre jus qu'à la moisson», en donne cette raison: «De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraci niez en même temps le froment».Il est donc évident que, lorsqu'on n'a pas à craindre cet in convénient, et qu'on est tout à fait certain que le bon grain ne court aucun danger, c'est-à-dire lorsque le crime est connu de tous, et qu'il inspire une telle horreur qu'il ne trouve point de défenseur, ou au moins de défenseur qui puisse devenir l'auteur d'un schisme, on ne doit pas laisser dormir la sévérité de la discipline. La répression du crime sera d'autant plus efficace, que les lois de la charité auront été plus respectées; mais si le mal a gagné la multitude, la seule chose utile à faire, c'est de s'affliger et de gémir. Il faut donc reprendre avec miséricorde ce qu'on peut corriger; et ce qui est incorrigible, il faut le supporter avec patience, pleurer et gémir par un sentiment de charité jusqu'à ce que Dieu lui-même se charge de reprendre et de corriger, et attendre jusqu'à la moisson pour arracher l'ivraie et pour jeter la paille au vent. Mais lorsqu'on peut élever la voix au milieu du peuple, il faut atteindre la multitude des coupa bles par des reproches généraux, surtout si un fléau envoyé du Ciel nous offre l'occasion favo rable de leur rappeler qu'ils ont reçu le châtiment qu'ils méritaient. Alors le malheur qui les frappe leur fait écouter avec humilité la parole qui leur démontre la nécessité de changer de vie, et cette parole inspire à leurs coeurs affligés les gémissements d'une confession pleine de re pentir plutôt que les murmures de la résistance. Mais alors même qu'aucune calamité ne serait venu frapper les coupables, on peut, toutes les fois que l'occasion s'en présente, reprendre les vices de la multitude en s'adressant à elle directement; car de même que les hommes s'irritent de ce qui leur est reproché en particulier, les reproches qui sont adressés à la multitude dont ils font partie excitent en eux des gémissements salutaires.

C'était d'abord mon sentiment qu'il ne fallait forcer personne d'embrasser l'unité du Christ, mais agir simplement par la parole, combattre par la discussion, vaincre par la raison, afin d'éviter d'avoir pour catholiques hypocrites ceux que nous avions pour hérétiques déterminés. Cependant mon opinion était combattue, si non par des raisons, du moins par des exemples contraires. En effet, la frayeur qu'inspirent ces lois promulguées par des rois qui servent le Seigneur avec crainte, produit les plus heureux effets (cf. Ps 2,10-11 ). Ainsi les uns disent: C'était depuis longtemps notre volonté, mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a fourni l'occasion favorable, et ôté tout prétexte de différer; d'autres: Nous savions que c'était la vérité, mais nous étions retenus par je ne sais quelles habitudes; grâces à Dieu qui a brisé nos liens; d'autres: Nous ne savions pas que telle était la vérité et nous n'avions aucun désir de l'apprendre, mais la crainte nous a forcés d'y être atten tifs et de prendre les moyens de la connaître; grâces au Seigneur qui a secoué notre négligence avec l'aiguillon de la terreur; d'autres encore: Nous craignions d'entrer dans l'Église, retenus par de faux bruits dont nous n'aurions pas reconnu la fausseté si nous n'y étions pas entrés, et nous n'y serions pas entrés si une contrainte salutaire ne nous eût forcés; grâces à Dieu qui par cette sévérité a fait cesser nos hésitations et nous a fait connaître par expérience la futilité et la fausseté des bruits que des voix trompeuses répandaient sur son Église; d'autres enfin: Nous pensions qu'il importait peu de croire en Jésus-Christ dans une religion ou dans une autre; mais grâces au Seigneur qui a mis un terme à notre séparation et nous a enseigné que le seul culte agréable à Dieu est celui qui lui est rendu dans l'unité. Que les rois de la terre se montrent donc les serviteurs du Christ en publiant des lois en faveur de la religion du Christ.

Quel est celui d'entre vous qui voudrait, je ne dis pas qu'un hérétique périsse, mais qu'il éprouvât même la moindre perte? Cependant la maison de David ne put recouvrer la paix qu'après que son fils Absalon eut été enseveli dans la guerre impie qu'il faisait contre son père ( 2S 18 ); quoique David eût recommandé avec le plus grand soin aux chefs de son armée de prendre tous les moyens pour conserver la vie à son fils et que son coeur de père n'attendît que son repentir pour lui pardonner. Mais lorsqu'il fut tombé victime de sa rébellion, que resta-t-il à son père que de pleurer sa mort et de se consoler par la pensée que son royaume avait recouvré la paix? C'est ainsi que notre mère, la sainte Église catholique, lorsqu'elle rassemble dans son sein un grand nombre de ses enfants au prix de la perte de quel ques-uns, adoucit et ca lme la douleur de son coeur maternel par le spectacle de tant de peuples affranchis et délivrés de l'erreur. Que veut donc dire ce qu'ils ne cessent de crier: N'est-on pas libre de croire ou de ne pas croire? A qui donc le Christ a-t-il fait violence? Quel est celui qu'il a contraint d'embrasser la vérité? Nous leur répondons par l'exemple de l'apôtre saint Paul, qui les force de reconnaître que Jésus-Christ a usé de violence à son égard avant de l'enseigner, qu'il l'a frappé avant de le consoler. Et il est remarquable que celui que Dieu a forcé par un châtiment extérieur de se soumettre à l'Évangile a travaillé à la propagation de l'Évangile plus que ceux dont la vocation n'avait été déterminée que par une seule parole. Pourquoi donc l'Église ne forcerait-elle pas ses enfants égarés de revenir dans son sein, alors que ces mêmes enfants en ont forcé tant d'autres à périr ?

On peut demander pourquoi il ne commande pas de faire une seule botte ou un seul tas de toute l'ivraie; c'est peut-être à cause des différentes sortes d'hérétiques qui non-seulement sont séparés du bon grain, mais qui sont encore séparés entre eux. Il a donc voulu exprimer par ces bottes d'ivraie les conventicules de chaque hérésie, dont tous les mem bres sont unis entre eux par des liens communs. Or, ils sont liés ensemble et destinés au feu du moment qu'ils se séparent de la communion catholique et qu'ils commencent à former des Églises particulières. Mais ils ne seront jetés au feu qu'à la fin des temps, bien que depuis, longtemps ils soient réunis en bottes. Cependant s'il en était ainsi, il n'y en aurait pas un si grand nombre qui regretteraient leurs erreurs et les abjureraient pour rentrer dans l'Église ca tholique. Ce n'est donc qu'à la fin que les bottes seront liées, afin que leur opiniâtreté ne soit point punie sans discernement, mais que chacun d'eux soit puni d'une manière proportionnée à sa perversité.
Saint Rémi
Le royaume des cieux, c'est le Fils même de Dieu, et le royaume est semblable à un homme qui a semé de bon grain dans son champ.

Ils s'approchent de Dieu, non par le mouvement du corps, mais par le coeur et par le désir de l'âme, et Notre-Seigneur leur apprend que cela est arrivé par la malice du démon: «C'est l'homme ennemi qui a fait cela».

La moisson c'est le temps où l'on recueille, c'est-à-dire le jour du jugement où les bons seront séparés d'avec les mauvais.
Rabanus Maurus
Remarquez qu'en disant: «Il a semé du bon grain», il nous fait connaître la bonne volonté dont les élus sont l'objet et qui est en eux; en ajoutant: «L'ennemi vient»,etc., il nous avertit d'avoir à nous tenir sur nos gardes; lorsque l'ivraie ayant crû, il dit: «C'est l'homme ennemi qui a fait cela»,il nous recommande la patience; et en ajoutant plus bas: «De peur qu'en arrachant l'ivraie», il nous donne l'exemple du discernement dont nous devons faire usage. Les paroles suivantes: «Laissez-les croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson»,nous font un devoir de la longanimité, et il nous recommande la justice par celles qui terminent: «Liez-la en bottes pour la brûler».
Saint Thomas d'Aquin
1586. Mais est-ce qu’ils seront toujours épargnés ? Non, mais pendant un certain temps. [Le Seigneur] dit ainsi : LAISSEZ L’UN ET L’AUTRE CROÎTRE ENSEMBLE JUSQU’À LA MOISSON, etc. On trouve une position semblable dans Ap 22, 11 : Celui qui nuit, qu’il nuise encore ; celui qui est sale, qu’il se souille encore.

1587. LAISSEZ L’UN ET L’AUTRE CROÎTRE ENSEMBLE JUSQU’À LA MOISSON. Il y a une objection contre cette position, car il est dit en Is 1, 16 : Supprimez le mal de vos pensées, etc. De même, 1 Co 5, 7 : Purifiez-vous du vieux ferment pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes des azymes, etc. Pourquoi donc dit-il : LAISSEZ, etc. ? Chrysostome dit qu’il parle de la mise à mort. Les hérétiques ne doivent donc pas être tués, car beaucoup de maux sortiraient de cela. Augustin dit, dans une lettre, qu’il lui était apparu à un certain moment qu’ils ne devaient pas être tués ; mais, à l’expérience, il avait appris que beaucoup étaient convertis par la violence. En effet, le Seigneur en attire beaucoup d’une manière violente, comme il a attiré Paul. De sorte que celui-ci, converti par la force, a produit plus de fruits que tous ceux qui ont cru volontairement. Et Augustin a traité de cette opinion ou question. Ainsi, selon l’opinion de Chrysostome, si [tuer les hérétiques] ne peut être fait sans danger, cela ne doit pas être fait, mais seulement là où on craint un plus grand danger. Et cela est clair en l’appliquant à tous, car, même s’ils sont mauvais, ils sont utiles pour la mise à l’épreuve [des bons]. Cependant, il faut craindre davantage que l’enseignement évangélique ne s’éteigne chez les autres par la faute [des hérétiques]. En conséquence, etc. De même, certains qui sont maintenant mauvais deviennent bons par la suite. Il est vrai qu’ils ne doivent pas être tués immédiatement, mais, comme on le lit dans Tt 3, 10 : Évite l’hérétique après un premier et un deuxième avertissement. À ce qui est objecté en troisième lieu, à savoir que plusieurs semblent mauvais qui sont bons, cela est vrai, si [on les tuait] sans discrimination, comme on le lit en 1 Tm 4. De même, à propos de ce qui a été dit, à savoir que le dirigeant d’un peuple ne doit pas être excommunié, si tu vois qu’il y a un plus grand scandale à ce qu’il soit excommunié que dans le fait qu’il pèche, il ne doit pas être excommunié ; mais s’il avait fait quelque chose qui était dangereux pour la foi, il doit sans aucun doute être excommunié, quel que soit le dommage qui en sorte.

1588. ET AU MOMENT DE LA MOISSON, JE DIRAI AUX MOISSONNEURS, etc. Plus haut, le Seigneur a exposé sous forme de parabole l’origine du bien et du mal, et l’évolution des deux ; ici, il est question de la ressemblance entre les deux. Premièrement, le moment de la fin est présenté ; deuxièmement, les serviteurs ; troisièmement, le mode et l’ordre selon lesquels chaque élément est ordonné à la fin.

1589. Le temps est abordé lorsqu’il est dit : AU MOMENT DE LA MOISSON, etc. Le temps de la moisson est le temps de la cueillette des fruits qui sont attendus des semences. Or, il y a une double cueillette : l’une dans l’Église présente, l’autre dans [l’Église] céleste. Il y a donc une double moisson : une certaine cueillette des fruits dans le présent, dont il est question en Jn 4, 35 : Levez les yeux, et voyez les champs, car ils sont blancs pour la moisson. Il y aura aussi un temps pour la moisson dans l’Église triomphante. Ainsi, il est dit, plus loin, chez le même, que [le moment de] la moisson est la fin du temps. Elle est donc reportée jusqu’à ce moment.

1590. Qui sont les serviteurs ? Les moissonneurs. Ainsi : JE DIRAI AUX MOISSONNEURS. Les moissonneurs de la première moisson furent les apôtres. En effet, ce sont eux qui ont cueilli et converti le monde entier, dont on dit en Jn 4, 38 : Je vous ai envoyés cueillir ce que vous n’avez pas semé. Dans la seconde moisson, les serviteurs sont les anges. Dans Ap 14, 15, il est dit à un ange : Sors ta faux et moissonne, car l’heure est venue de moissonner, car la moisson de la terre s’est desséchée, etc. Ce que l’on croit survenir par l’intermédiaire de Dieu, il faut croire que cela arrive par le ministère des anges. Il est ainsi dit des anges, Ps 102[103], 21 : Vous, ses serviteurs, qui faites sa volonté.

1591. Mais voyons l’ordre et le mode selon lequels la fin est atteinte, et quelle fin. Et d’abord, pour ce qui est des mauvais ; deuxièmement, pour ce qui est des bons.

1592. À propos des mauvais, il faut savoir qu’ils sont d’abord cueillis ; deuxièmement, qu’ils sont attachés ; troisièmement, qu’ils sont brûlés.

1593. En premier lieu, il y a d’abord la séparation des bons et des méchants. Aussi longtemps que dure le temps présent, l’ivraie est mêlée au blé, les lis aux épines, comme on lit dans Ct 2, 2, et plus loin, [Mt] 25, 31 : Lorsque viendra le Fils de l’homme, il séparera les bons des méchants, les boucs des agneaux. [Le Seigneur] dit donc : RAMASSEZ D’ABORD L’IVRAIE, etc. Maintenant, les biens et les maux arrivent presque sans discrimination aux bons et aux méchants. C’est ce qui est dit en Qo 9, 3, que le pire de tout ce qui arrive sous le ciel, c’est que les mêmes choses arrivent à tous. Mais, alors, les biens seront donnés aux bons, et les maux aux méchants. Afin donc qu’ils ne soient mêlés, il faut qu’ils soient séparés et attachés. Ainsi : ET ATTACHEZ-LES. Par le fait de lier, le caractère perpétuel de la peine est signifié. Ps 149[150], 8 : Pour attacher leurs rois dans les fers, etc. ; plus loin, 22, 13 : Après lui avoir lié les mains et les pieds, jetez-le dans les ténèbres extérieures, ce qui signifie l’impénitence et le caractère irrévocable de la peine éternelle. EN BOTTES. Tous seront séparés de la vision de Dieu : la peine du dam sera égale pour tous ; ils seront donc mis en bottes, comme on lit en Lv 13, où on enseigne à distinguer sangs et lèpres [Lv 13, 47s]. Et en Is 27, 8 : Mesure contre mesure. Et pourquoi ? POUR LES BRÛLER, c’est-à-dire qu’ils seront jetés au feu éternel. On parle de celui-ci en Lc 16, 24 : Je souffre dans ce feu.

1594. Ensuite, lorsqu’il est dit : MAIS AMASSEZ LE BLÉ DANS MON GRENIER, la fin des bons est présentée et, en sens inverse, trois choses sont présentées : la pureté, l’unité et la tranquillité. La pureté, lorsqu’il est dit : LE BLÉ. Mais remarquez que l’ivraie a été cueillie ; elle ne fut donc pas vannée, mais le blé fut vanné. Et cela signifie que les méchants, avec leurs impuretés, seront jetés en enfer ; mais les bons seront totalement purifiés. Is 35, 8 : Le chemin sera appelé saint, celui qui est souillé ne l’empruntera pas. De même l’unité existe-t-il entre eux : ainsi, RASSEMBLEZ. Entre les méchants, il y a toujours des querelles ; ils n’ont donc pas l’unité, mais les bons sont rassemblés. Ps 49[50], 5 : Rassemblez-y ses saints, qui appliquent ses ordonnances à propos des sacrifices, etc. ; et plus loin, [Mt] 24, 28 : Là où est le corps, là se rassembleront les aigles. De même y aura-t-il chez eux la tranquillité. Il dit donc : DANS MON GRENIER. Le grenier est destiné à la conservation de la moisson. Ainsi, cette patrie sera le grenier des saints, où ils vivront dans la louange et la joie éternelles, comme on lit en Is 35, 10.
Louis-Claude Fillion
Laissez croître l'un et l'autre... Après avoir rejeté le projet imparfait de ses serviteurs, le Maître en propose un autre qui produira le même résultat, sans présenter aucun inconvénient. Il faut laisser croître et mûrir l’ivraie à côté du froment jusqu’à l’époque de la moisson. Alors les deux plantes sont plus distinctes que jamais, et, lorsqu’elles ont été tranchées ensemble par la faucille, il est aisé de les séparer sans nuire aucunement au bon grain. - Je dirai aux moissonneurs. L’ordre que ce cultivateur intelligent donnera aux moissonneurs se décompose en trois parties. Ils devront, en premier lieu, mettre à part toute l’ivraie ; cela fait, ils la lieront en gerbes destinées à être toutes jetées au feu, excellente précaution qui anéantira les mauvaises graines qu’elle contient ; enfin ils amasseront le blé dans les greniers de la ferme, après l’avoir battu dans le champ même, suivant la mode orientale. Grâce à ses sages précautions, on aura une récolte très pure, en dépit des machinations perfides de l’homme ennemi.
Fulcran Vigouroux
L’ivraie, avant de s’être développée, ressemble si fort au froment, qu’il est très difficile de distinguer les deux plantes l’une de l’autre. Mais « quand le blé commence à former l’épi, l’ivraie fait de même, et alors un enfant ne peut plus la confondre avec le froment ou avec l’orge. Auparavant le triage serait impossible. Les cultivateurs eux-mêmes qui, en Palestine, ont l’habitude d’arracher les mauvaises herbes dans leurs champs, n’essaient point d’enlever l’ivraie. » (THOMSON.)