Matthieu 14, 5
Hérode cherchait à le faire mourir, mais il eut peur de la foule qui le tenait pour un prophète.
Hérode cherchait à le faire mourir, mais il eut peur de la foule qui le tenait pour un prophète.
Voyez quelle est la puissance de la vertu: Hérode redoute Jean-Baptiste, bien qu'il soit mort, et s'entretient de sa résurrection: « Et il dit à ses courtisans: C'est Jean-Baptiste ».
Ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste désigne ici le temps d'une ma nière précise; il veut vous apprendre tout à la fois l'orgueil du tyran et son indifférence. En effet, ce n'est point tout d'abord et un des premiers, mais beaucoup plus tard, qu'il apprend les prodiges opérés par le Christ; c'est ainsi que la plupart des puissants du monde, séduits par le faste qui les environne, négligent de s'instruire des vérités du salut, parce qu'ils n'y attachent pas grande importance.
Il n'a point donné à ce récit une très grande importance, car tout son dessein était de nous transmettre ce qui avait rapport à Jésus-Christ et rien autre chose, si ce n'est ce qui pouvait concourir au même but. Il le commence donc en ces termes: « Hérode ayant fait arrêter Jean, l'avait fait charger de chaînes ».
Cependant ce n'est pas à cette femme qu'il s'adresse, mais à celui qui l'a épousée, parce qu'il était le chef et le maître; d'ailleurs il professait probablement la loi judaï que, et c'est au nom de cette loi que Jean lui défend l'adultère. « Et il voulait le faire mourir, mais il craignait le peuple ».
Un interprète ecclésiastique demande ici comment Hé rode a pu soupçonner que Jean était ressuscité d'entre les morts. Ce n'est point à nous de ren dre raison d'une erreur qui nous est étrangère, et l'hérésie de la métempsycose ne peut s'appuyer sur ce passage pour soutenir qu'après bien des années révolues les âmes viennent animer des corps différents, puisque Notre-Seigneur avait trente ans lorsque Jean fut décapité.
Une ancienne histoire nous apprend que Philippe, fils du premier Hérode, et frère de celui-ci, épousa Hérodiade, fille d'Aretas, roi d'Arabie. Plus tard son beau-père, par suite de certains débats qu'il eut avec son gendre, reprit sa fille, et pour punir son premier mari la don na pour femme à Hérode, ennemi de Philippe. Or, Jean-Baptiste qui était venu dans l'esprit et la vertu d'Elie, reprit Hérode et Hérodiade de cette union criminelle avec la même autorité dont Elie avait fait preuve à l'égard d'Achab et de Jézabel ( 1R 21,14-16 1R 21,19 ). Il lui déclara que du vivant de son frère, il ne pouvait épouser sa femme; et il aima mieux encourir la haine implacable du roi que de sacrifier par une basse flatterie les commandements de Dieu.
Il craignait que la réputation de Jean qui avait baptisé un grand nombre de juifs n'excitât une sédition populaire; mais il était esclave de sa passion pour cette femme, et cette passion lui faisait perdre de vue les préceptes de la loi divine.
Saint Matthieu dit: « En ce temps-là »,et non pas: «Dans ce jour-là», ou «A cette heure»; c'est qu'en effet saint Marc, qui raconte le même fait de la même manière (Mc 6), ne suit pas le même ordre. Il le place après que Notre-Seigneur a envoyé ses disciples prêcher l'Évangile et sans faire supposer qu'il y ait une liaison rigoureuses entre ces deux faits. Saint Luc ( Lc 9 ) suit le même ordre que saint Marc, mais sans nous forcer d'admettre que c'est l'ordre dans lequel les faits se sont passés.
Dans sai nt Luc, au contraire, nous lisons: « Et Hérode dit: J'ai fait mourir Jean; quel est donc celui-ci dont j'apprends de telles choses ? » Puisque saint Luc nous représente Hérode étant encore dans le doute, il faut admet tre que ce doute fit place à la conviction dans son esprit sur ce qu'on lui avait rapporté, lors qu'il dit à ses courtisans, d'après saint Matthieu: « Celui-ci est Jean-Baptiste »; ou bien il faut voir dans ces paroles l'expression d'un esprit qui doute encore, car elles sont susceptibles de ces deux sens et peuvent signifier ou bien qu'Hérode était convaincu par le rapport des autres, ou qu'il doutait encore, comme saint Luc paraît l'indiquer.
Saint Luc ne rapporte pas ce fait dans le même ordre, mais il le joint au récit qu'il fait du baptême de Notre-Seigneur. C'est donc la narration anticipée d'un événement qui n'arriva que longtemps après, puisqu'il le place immédiatement après les paroles de Jean-Baptiste qui nous montrent le Seigneur le van à la main. Or, d'après l'Évangéliste saint Jean, cet événement n'arriva pas aussitôt le baptême de Jésus, puisqu'il nous raconte qu'aussitôt son baptême, Jésus alla dans la Galilée, puis revint dans la Judée, y baptisa sur les bords du Jour dain, et tout cela avant que Jean fût mis en prison. Ni saint Matthieu, ni saint Marc n'ont ra conté dans cet ordre la captivité de Jean-Baptiste, comme le prouvent leurs écrits, car ils rap portent que lorsque le saint précurseur fut arrêté, le S eigneur se trouvait dans la Galilée, et après avoir raconté les nombreux miracles qu'il y opéra, à l'occasion de la renommée du Christ qui parvint jusqu'aux oreilles d'Hérode, ils racontent tout ce qui a rapport à la prison et à la mort de Jean-Baptiste: Quant à la cause pour laquelle il fut jeté en prison, saint Matthieu nous la fait connaître, par ce qu'il ajoute: « A cause d'Hérodiade, épouse de son frère; car Jean lui disait: Il ne vous est pas permis d'avoir cette femme ».
Peut-être nous demande ra-t-on ici pourquoi saint Matthieu s'exprime de la sorte: « En ce temps-là Hérode apprit »,etc., tandis qu'il raconte bien auparavant que ce n'est qu'après la mort d'Hérode que le Sau veur revint d'Egypte, Cette difficulté n'existe plus dès qu'on admet qu'il y eut deux Hérodes. Le premier Hérode étant mort, eut pour successeur Archélaüs, son fils, qui dix ans après fut exilé à Vienne, dans les Gaules. César-Auguste divisa alors ce royaume en quatre principautés ou tétrarchies, et en donna trois parties aux enfants d'Hérode. Cet Hérode qui fit décapiter Jean-Baptiste est donc le fils du grand Hérode sous le règne duquel naquit Notre-Seigneur, et c'est pour bien marquer cette différence que l'Évangéliste lui donne le nom de tétrarque.
Nous pouvons juger ici combien grande était la jalousie des Juifs. Hérode, qui n'est qu'un étranger, déclare que Jean-Baptiste est peut-être ressuscité d'entre les morts, et cela sans que personne le lui ait attesté, et les Juifs ont mieux aimé croire que le Christ, dont les prophètes avaient annoncé la résurrection, avait été enlevé frauduleusement de son tombeau, plu tôt que d'admettre sa résurrection, preuve que les Gentils étaient bien mieux disposés à em brasser la foi que les Juifs.
Tous ceux qui croient à la résurrection des morts ont admis en même temps avec raison que les saints jouiront alors d'une puissance plus grande que celle qu'ils avaient lorsqu'ils étaient appesantis par l'infirmité de la chair. C'est pour cela qu'Hérode dit: « Et il se fait des miracles par lui ».
La Glose
L'Évangéliste, après nous avoir raconté l'interprétation calomnieuse que les pharisiens donnaient des miracles de Jésus-Christ et comment ses concitoyens, tout en les admi rant, n'avaient cependant que du mépris pour lui, rapporte l'opinion qu'Hérode avait conçue du Christ au récit des prodiges qu'il opérait: « En ce temps-là, Hérode apprit », etc.
L'Évangéliste ayant rapporté ce que pensait Hérode de la résurrection de Jean, sans rien dire de sa mort, revient sur ses pas pour raconter la manière dont mourut le saint précurseur.
La crainte de Dieu réforme la volonté coupable; la crainte des hommes l'arrête pour un instant, mais ne la change pas; elle rend plus ardents pour le crime ceux dont elle a enchaîné quelque temps les violents désirs.
1663. Il arrive parfois que, lorsque quelqu’un ne veut pas éviter le péché, il commet [un péché] plus grand. Os 4, 2 : Ils ont accumulé l’homicide, le vol et l’adultère, et le sang a couvert le sang. Ainsi, comme [Hérode] ne voulait pas éviter l’adultère, il commit un homicide. Et comme il voulait [le commettre], IL CRAIGNAIT LE PEUPLE. Les mouvements de foule sont très à craindre. Si 26, 5 : Trois choses me font peur : une calomnie qui court la ville, une émeute populaire et une fausse accusation. De même, la crainte du Seigneur écarte un mauvais dessein, mais ce n’est pas le cas de [la crainte] de l’homme, bien qu’elle le fasse reporter. Ainsi, parce que [Hérode] ne put pas [le commettre] à cause de la crainte du peuple, il le reporta.
Et voulant le faire mourir. S. Marc raconte les choses différemment et, ce semble, avec plus
d’exactitude. D’après lui, c’est Hérodiade surtout qui nourrissait contre le nouvel Élie les projets homicides
de Jézabel contre l’ancien : mais Hérode avait encore assez d’énergie pour entraver les desseins de cette
femme, car, ajoute l’Évangéliste, il craignait Jean, sachant que c’était un homme juste et saint, et il suivait
ses conseils pour beaucoup de choses et il l’écoutait volontiers. Marc. 6, 49. 20. Ces détails, contradictoires
en apparence, coïncident cependant fort bien : ils dépeignent au vif la lutte qui se passait dans le cœur du
tétrarque. L’âme faible et mobile d’Antipas était un composé d’idées contraires, tour à tour prédominantes
selon que régnait la bonne ou la mauvaise influence. Parfois donc il voulait sauver son prisonnier qu’il
estimait, qu’il consultait même dans les affaires difficiles : d’autres fois, excité contre lui par Hérodiade, il
formait la résolution de le mettre à mort ; mais sur le point d’exécuter son décret, il s’arrêtait tout à coup
pour un motif politique. - Il craignit le peuple ; il redoutait une sédition de la part du peuple, qui, dévoué au
Précurseur, aurait pu faire payer cher au tyran la mort de celui que tous regardaient comme un grand
prophète. Quand on est ainsi ballotté entre le bien et le mal et qu’on est faible comme Hérode, ce n’est
jamais le bien qui triomphe : la suite des faits ne le montre que trop.