Matthieu 15, 11

Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur. »

Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Saint Jean Chrysostome
Le Seigneur vient de prouver aux pharisiens qu'ils n'avaient pas droit d'accuser ceux qui transgressaient la tradition des anciens, alors qu'ils violaient eux-mêmes la loi de Dieu. Il établit encore la même vérité par le témoignage du prophète: «Hypocrites, leur dit-il, Isaïe a bien prophétisé de vous».

Après avoir donné un nouveau poids à l'accusation dirigée contre les pharisiens, en l'appuyant de l'autorité du prophètes sans qu'il ait pu les amener à de meilleurs sentiments, il cesse de leur parler, et il s'adresse au peuple: «Puis, ayant appelé le peuple, il leur dit: Écoutez, et comprenez bien ceci».Comme il doit exposer à la foule une vérité élevée et pleine de sagesse, avant de l'énoncer, il prépare les esprits à la recevoir, en témoignant d'abord des égards et de la sollicitude pour ce peuple; ce que l'Évangéliste nous indique par ces paroles: «Puis, ayant appelé le peuple».Les circonstances sont d'ailleurs on ne peut plus favorables pour ce qu'il valeur dire; car ce n'est qu'après avoir ressuscité des morts et triom phé des pharisiens qu'il propose sa loi pour la faire plus facilement accepter. Il ne se contente pas d'appeler la foule, mais il la rend plus attentive par ces paroles: «Entendez, et comprenez», c'est-à-dire prêtez votre attention, et élevez votre esprit pour comprendre mes paroles. Il ne leur dit pas: Il ne faut pas faire de distinction entre les aliments, ou c'est à tort que Moïse a prescrit cette distinction; mais, puisant ses preuves dans la nature même des choses, il parle sous forme d'avertissement et de conseil, et il dit: «Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme», etc. La traduction de saint Jérôme porte: Qui rend commun (cf. Mc 7,15 ).
Saint Jérôme
Le mot communicat est une expression particulière aux Écritures, et qui n'est point employé dans le langage ordinaire. Le peuple juif qui se vantait d'être l'héritage de Dieu, donnait le nom de nourriture commune ou impure aux viandes dont se nourrissent tous les hommes, comme la viande de porc, de lièvre, et d'autres animaux qui n'ont pas le sabot fendu, qui ne ruminent pas, et parmi les poissons, ceux qui n'ont point d'écailles. C'est dans ce sens que nous lisons dans les Actesdes Apôtres ( Ac 10 ): «Ne regardez pas comme commun ce que Dieu a sanctifié». Ainsi le mot commun, qui exprime ce qui est permis aux autres hommes, comme ne faisant point partie de l'héritage de Dieu, est pris ici dans le sens d'impur.

Un lecteur attentif pourra nous faire cette difficulté: «Si ce qui entre dans la bouche de l'homme ne le souille pas, pourquoi ne pas manger des viandes offertes aux idoles? Nous répondons que les aliments et toute créature de Dieu sont purs par eux-mêmes; mais que l'invocation des idoles et des démons rend impures ces viandes immolées aux idoles pour ceux qui les mangent avec la conviction qu'ils font un acte idolâtrique, et ainsi leur conscience qui est faible, en est souillée, suivant la parole de l'Apôtre ( 1Co 8 ).
Saint Augustin
L'Ancien Testament, qui défend certains aliments, n'est nulle ment en opposition avec ce que le Seigneur dit ici: «Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille», ni avec ces autres paroles de l'Apôtre: «Tout est pur pour ceux qui sont purs» ( Tt 1 ), et encore: «Toute créature de Dieu est bonne». ( 1Tm 4,4 ). Que les Mani chéens, s'ils le peuvent, comprennent que l'Apôtre a voulu parler ici des substances considé rées en elles-mêmes, tandis que la sainte Écriture, pour établir certaines figures qui étaient en rapport avec le temps, considère certains animaux comme impurs, non pas de leur nature, mais par la signification qui s'y trouve attachée. Ainsi, par exemple, que l'on demande si le porc et l'agneau sont purs de leur nature, il faudra répondre affirmativement, parce que «toute créature de Dieu est bonne». Mais si on les considère sous un certain rapport signifi catif, l'agneau est pur, le porc ne l'est pas. Il en est de même pour les mots fou et sage:

l'un et l'autre sont purs, si on les considère dans le son de la voix qui les prononce, aussi bien que dans les lettres et les syllabes qui les composent; mais considérés dans leur signification, le nom de fou, peut recevoir la qualification d'impur, non pas dans sa nature, mais parce qu'il signifie quelque chose d'impur. Peut-être aussi que le fou est dans l'ordre des réalités ce que le porc est dans l'ordre des figures. Ainsi cet animal et ce mot latin de deux syllabes (stultus), que nous traduisons par fou, auraient une seule et même signification; car la loi répute le porc im monde, parce qu'il ne rumine pas, ce qui tient à sa nature, et n'est point un vice en lui. Il est des hommes qui sont figurés par cet animal, et qui sont impurs par leur propre faute et non par nature, parce qu'après avoir écouté volontiers les leçons de la sagesse, ils n'y pensent plus en aucune façon. Car si après avoir reçu des enseignements utiles, vous les rappelez comme des entrailles de votre mémoire, et que vous reportiez la douceur de ce souvenir comme dans la bouche de la pensée, que faites-vous en cela, que ruminer spirituellement? Ceux qui agissent différemment sont figurés par les animaux impurs. Or, cette multitude de choses qui nous sont proposées ou dans des expressions allégoriques, ou dans des observ ances figuratives, font sur les esprits raisonnables une douce et salutaire impression. Mais un grand nombre de ces choses étaient pour le peuple juif autant de préceptes qu'il devait non seulement écouter, mais encore mettre en pratique. C'était le temps où les mystères, dont Dieu réservait la révélation aux siè cles qui suivirent, devaient être prophétisés non-seulement par des paroles, mais encore par des faits. Lorsque plus tard ces mystères ont été révélés par le Christ, et dans le Christ, ces obser vances n'ont pas été imposées comme un joug aux nations qui embrassèrent la foi, mais l'autorité de la prophétie qu'elles contenaient a conservé toute sa force. Or, je demanderai aux Manichéens si cette maxime du Seigneur: «Ce qui entre dans la bouche ne souille pas»,est vraie ou fausse; s'ils prétendent qu'elle est fausse, pourquoi leur docteur Adimantus, qui re connaît qu'elle vient de Jésus-Christ, s'en fait une arme pour battre en brèche l'Ancien Testa ment? Si elle est vraie, comment peuvent-ils admettre contre sa déclaration que la nourriture souille l'homme ?
Saint Rémi
Un hypocrite est un homme qui feint, qui simule, et qui affecte de paraître au dehors tout autre qu'il n'est au fond du coeur. C'est avec raison qu'il les appelle hypocrites, eux, qui sous prétexte d'honorer Dieu, ne cherchaient qu'à amasser les biens de la terre.

Le peuple juif paraissait s'approcher de Dieu, et l'honorer des lèvres et de la bouche; car il se faisait gloire de n'adorer qu'un seul Dieu; mais son coeur s'éloigna de lui, parce qu'après avoir vu tant de prodi ges et de miracles, il ne voulut ni reconnaître sa divinité, ni le recevoir.

Mais celui qui est doué d'une foi assez grande pour comprendre que ce que Dieu a créé ne peut être souillé en aucune manière, sanctifie sa nourriture par la prière et par la parole de Dieu, et il peut manger ce qu'il voudra, à moins, toutefois, que cette liberté ne devienne un scandale pour les personnes faibles, comme le fait remarquer le même Apôtre.
Rabanus Maurus
Ils n'auront point de part à la récompense des vrais adorateurs, eux qui enseignent des doctrines et des préceptes purement humains, au mépris des commandements qui viennent de Dieu.

Isaïe a prévu cette hypocrisie des Juifs qui les porterait à combattre artificieusement l'Évangile; et c'est pour cela qu'il a dit au nom du Seigneur: «Ce peuple m'honore des lèvres»,etc.

Ils l'honoraient des lèvres, lorsqu'ils di saient: «Maître, nous savons que vous êtes vrai»; mais leur coeur était bien loin de lui, lors qu'ils envoyèrent des hommes pour lui tendre des pièges et le surprendre dans ses discours.
La Glose
Ou bien ils l'honoraient en recommandant les purifications extérieures et légales, mais comme ils n'avaient point la pureté intérieure, leur coeur était loin de Dieu, et l'honneur qu'ils lui rendaient était sans fruit pour eux, comme l'ajoute le Sauveur: «Et c'est en vain qu'ils m'honorent, enseignant des maximes et des ordonnances humaines».
Louis-Claude Fillion
Ce n'est pas ce qui entre... A l’impureté purement légale, Jésus oppose le grand principe de la vraie pollution, la pollution des âmes, indiquant ce qui souille l’homme et ce qui ne le souille pas. Il commence par le côté négatif. Ce n’est pas, dit-il, ce qui entre dans la bouche qui est capable de rendre l’homme impur ; puis, passant au côté positif, il ajoute : Ce qui sort de la bouche, voilà ce qui peut souiller l’homme. Par cette antithèse hardie, Jésus se transporte donc tout d’un coup au cœur de la question qui avait fait l’objet de la controverse précédente. Vos disciples, Seigneur, mangent sans se laver auparavant les mains ; par là-même ils contractent une souillure. Qu’importe ? reprend le Sauveur, puisque c’est du dedans et du dehors que vient l’impureté. Deux choses sont ici à noter. 1° Le mot bouche est pris dans un double sens, car il désigne d’abord la bouche en tant qu’elle reçoit et prépare la nourriture pour l’estomac ; puis la bouche en tant qu’elle profère les pensées qui lui sont communiquées à elle-même par le cœur. Il s’agit donc tour à tour, si nous pouvons parler ainsi, de la bouche physique et de la bouche morale. On comprend que la seconde seulement puisse avoir de l’influence sur la moralité des actes humains. - Cette distinction établie par Jésus nous rappelle une belle parole du Juif Philon : « La bouche, dit-il, par laquelle, selon la pensée de Platon, entrent les choses mortelles, tandis que les choses immortelles en sortent. Car c’est par là que pénètrent les aliments et la boisson, mais c’est par là que sortent les paroles, les lois immortelles de l’âme immortelle par laquelle est dirigée la vie de la raison », de Opif. Mundi, 1, 29. - 2° Le verbe souille doit s’entendre exclusivement d’une souillure spirituelle et intérieure, qui ne saurait jamais être produite par les aliments, fussent-ils portés à la bouche par des mains non lavées. En effet, en soi et indépendamment des circonstances de désobéissance à des lois divines, d’intempérance, etc., la nourriture est une chose tout à fait indifférente pour l’homme : elle ne saurait ni le sanctifier, ni le rendre impur. Il n’en est pas de même des paroles mauvaises qui, lorsqu’elles s’échappent du cœur, comme un trésor rempli d’immondices, Cf. 23, 35, souillent profondément celui qui les prononce. Au lieu de « souille », le texte grec emploie un verbe que la version latine du second Évangile a plus exactement traduit par « communicare », Cf. Marc. 7, 15, 18, 20, 23, rendre commun, c’est-à-dire profane. La pensée, réduite à sa plus simple expression, pourrait s’exprimer ainsi : C’est dans l’homme proprement dit, dans l’homme intérieur, qu’il faut chercher la raison de la sainteté ou de la malice. - Il n’est pas besoin d’ajouter que les mots ce qui sort de la bouche ne doivent pas être pris absolument, mais dans un sens figuré, pour représenter les paroles mauvaises qui s’échappent du cœur par la bouche. - On s’est parfois demandé si, en tenant un tel langage, Jésus n’abrogeait pas purement et simplement toutes les lois mosaïques relatives au pur et à l’impur, et plusieurs interprètes ont cru pouvoir répondre affirmativement ; mais c’est là, croyons-nous, une exagération. Il est plus exact de dire que Jésus-Christ se contentait alors de préparer les voies à l’abrogation future, ou plutôt à la transformation successive de la Loi. Nous avons pour garants de notre assertion non seulement l’existence de prescriptions cérémonielles à un époque assez avancée de la prédication apostolique, Cf. Act. 15, 20, 29, mais encore les termes mêmes employés par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ne dit point : Aucune nourriture ne souille, mais : Ce qui entre dans la bouche ; comme s’il eût craint d’aller trop loin ; Cf. S. Jean Chrys. Hom. 51. « Le Christ ne dit donc rien ici contre la loi qui établissait une distinction entre les mets. Car le temps n’en était pas encore venu. Mais il le fait indirectement. En enseignant que rien n’est impur par nature, il allait contre ce que pensaient les Pharisiens, et laissait donc entendre que cette loi n’était pas immuable », Grotius.
Fulcran Vigouroux
On abuse souvent de ces paroles pour autoriser la violation de l’abstinence prescrite par l’Eglise. Il est vrai que les viandes qui entrent dans le corps de l’homme ne peuvent souiller son âme ; mais le mépris des lois de l’Eglise établie par Jésus-Christ lui-même, la sensualité, voilà ce qui souille et rend coupable devant Dieu. C’est ainsi qu’Adam n’a pas été souillé par le fruit qui entra dans sa bouche, mais par sa désobéissance à la loi de Dieu.