Matthieu 15, 2

« Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? En effet, ils ne se lavent pas les mains avant de manger. »

« Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? En effet, ils ne se lavent pas les mains avant de manger. »
Saint Thomas d'Aquin
1731. Ensuite, l’accusation qu’ils portaient est présentée : POURQUOI TES DISCIPLES TRANSGRESSENT-ILS LES TRADITIONS DES ANCIENS ? Il s’agissait d’un commandement, comme on le trouve en Dt 4, 2 : Vous n’ajouterez ni n’enlèverez rien à ce que je vous dis. En ajoutant des traditions, ils agissaient donc contre la loi, non pas qu’il ne fût pas permis d’établir quelque chose, mais [il leur était interdit] de l’imposer comme une loi du Seigneur.

1732. EN EFFET, ILS NE SE LAVENT PAS LES MAINS, etc. Ici est expliqué quelles étaient leurs traditions. Toutefois, cela est davantage expliqué en Mc 7, 2 : il y est dit, en effet, que, voyant certains de ses disciples manger des pains avec des mains ordinaires, c’est-à-dire, non lavées, ils critiquaient. Et il se peut que cela ait eu lieu à la lettre, car ils ne se lavaient pas les mains. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient tellement pris par la parole de Dieu qu’ils n’en avaient même pas le temps. Ainsi, en raison de l’intérêt qu’ils portaient aux réalités spirituelles, ils ne se lavaient pas à la manière des Juifs, comme on lit en Mc 7, 4 que tous les Juifs, à moins de se laver fréquemment les mains, ne mangeaient pas. Ainsi, les disciples ne se lavaient pas selon leurs rites. [Les Pharisiens] comprenaient ainsi de manière charnelle ce qui est dit en Is 1, 16 : Vous vous êtes lavés, vous êtes propres. Ils interprétaient donc de manière littérale en lavant ce qui était extérieur, mais non pas l’intérieur.
Louis-Claude Fillion
Pourquoi vos disciples... Comme dans plusieurs circonstances analogues, Cf. 9, 14 ; 12, 2, c’est la conduite des disciples qui est mise en avant par ces ennemis artificieux. Ils sous-entendent naturellement que le Maître en est responsable : aussi est-ce Jésus lui-même qu’ils accusent par ce moyen détourné. - La tradition des anciens. On appelait ainsi un code de prescriptions innombrables surajoutées par les docteurs à celles de la loi et transmises de génération en génération au moyen de l’enseignement oral. Leurs noms hébreux étaient paroles des Scribes, ou tradition, loi orale. Les traditions ont toujours joué un rôle important pour la religion révélée, et elles sont même nécessaires pour compléter les saints Livres ; mais les Juifs en abusaient alors singulièrement. Il s’était formé au sein de leurs écoles une multitude d’interprétations dites traditionnelles, qui avaient acquis une importance et une autorité surprenantes. Elles étaient pratiques pour la plupart ; aussi avaient-elles surchargé outre mesure la vie religieuse qu’elles rendaient tout extérieure, aux dépens de la vraie piété. On en trouve une très grande quantité dans le Talmud. S. Paul fait allusion à ces traditions lorsqu’il écrit aux Galates qu’avant sa conversion il défendait avec une ardeur jalouse les traditions de ses pères, Gal. 1, 14. De plusieurs passages du Pentateuque exagérés ou mal compris, on avait conclu que les traditions jouissaient d’une valeur égale ou même supérieure à celle de la loi ; Cf. Deut. 4, 14 ; 17, 10. De là des maximes sacrilèges qui abondent dans les livres rabbiniques : « Les mots des anciens ont plus de poids que ceux des prophètes. Les paroles des scribes sont à chérir plus que les paroles de la loi », Beracoth, f. 3, 2. « La Bible ressemble à l’eau, les paroles des anciens au vin » Soph. 13, 2 ; Cf. Rohling, der Talmudjude, A. 3 ; etc. - L’expression « anciens » représente les anciens docteurs qui avaient formé ou transmis les traditions ; Cf. Hebr. 11, 2. On sait qu’en pareille matière l’antiquité a une valeur considérable ; aussi les Pharisiens appuient-ils sur ce mot : la tradition des anciens. - Car ils ne lavent pas leurs mains. Ils mentionnent maintenant le point spécial qui était si audacieusement foulé aux pieds par les Apôtres. Pour bien comprendre la portée de l’accusation, il faut savoir que, parmi les prescriptions humaines signalées plus haut, celles qui concernaient le lavement des mains, avaient, aux yeux des Pharisiens, une importance extraordinaire. Sur un précepte particulier du Pentateuque, Lev. 16, 11, on avait échafaudé un système prodigieux, qui, d’après les calculs d’un patient Talmudiste, ne comprenait pas moins de 613 ordonnances ; Cf. M’Caul, Nethivoth Olam § 10. Quelques faits prouveront avec quelle rigueur on s’y conformait dans la pratique. Un rabbin, nommé Eléazar, s’étant permis de négliger l’ablution des mains, fut excommunié par le Sanhédrin, et, après sa mort, on alla jusqu’à placer une grosse pierre sur son cercueil pour montrer qu’il avait mérité le supplice de la lapidation ; Bab. Berach. 46, 2. « N’eût-on que la quantité d’eau nécessaire pour se rafraîchir, on doit en conserver une partie pour se laver les mains », Hilch. Berach. 6, 19. Aussi, R. Akiba, plongé dans une sombre prison et n’ayant qu’une provision d’eau suffisante pour soutenir sa vie, préféra-t-il se laisser mourir de soif plutôt que de violer la tradition. Il y a, suivant le Talmud, des démons dont la fonction consiste à nuire à quiconque n’est pas fidèle à l’ablution des mains. « Le démon Schibta repose sur les mains des hommes pendant la nuit ; et si une personne touche sa nourriture avec des mains non lavées, alors le démon repose sur sa nourriture et la rend dangereuse », Bab. Taanith f. 20, 2. Le traité talmudique, les Mains, est consacré tout entier à cette curieuse matière : il y est question « de la quantité d’eau qui suffit à cette lotion, de la lotion des mains, de l’immersion, de la première eau et de la seconde, de la sorte de lotion, du temps, de l’ordre à observer quand le nombre des convives dépasse ou ne dépasse pas le chiffre cinq », etc. ; Lightfoot, Hor. Talm. in h. l. On était exhorté à ne pas ménager l’eau car, dit un rabbin, « Celui qui utilise beaucoup d’eau pour l’ablution des mains, obtiendra beaucoup de richesses en ce monde » ; Cf. Buxtorf, Synag. Jud. Cap. 4. - Lorsqu'ils mangent du pain. Le pain est mis pour toute sorte de nourriture, conformément à l’hébraïsme. C’était surtout avant les repas, ou plutôt avant de prendre quelque nourriture que ce fût, qu’on était forcé de se laver les mains : mais on y obligeait encore en mille autres circonstances. - On voit, par cette accusation des Scribes et des Pharisiens, que les Apôtres se donnaient une certaine liberté relativement à l’ablution des mains : ils avaient vu leur Maître s’en dispenser parfois, Cf. Luc. 11, 37, 38, et, quand ils avaient quelque raison, par exemple lorsqu’ils étaient pressés, ils ne craignaient pas de faire comme lui. Leur conduite avait été promptement connue des Pharisiens qui la traitent maintenant d’affreuse transgression : le Talmud n’affirme-t-il pas que manger sans s’être lavé les mains constitue une faute plus grande que la fornication ? Cf. Sota, 4, 2.
Fulcran Vigouroux
Manger du pain ou manger le pain, dans la langue des Hébreux, signifie simplement prendre de la nourriture, faire un repas. ― La tradition des anciens, c’est-à-dire des ancêtres, désigne les préceptes pour la plupart rituels qui, d’après les Juifs d’alors, avaient été donnés oralement par Moïse et transmis oralement jusqu’à eux soit pour expliquer la loi, soit pour la compléter. Ils y attachaient la même importance qu’à la loi écrite. Le précepte de laver les mains avant de manger était une addition à la loi écrite. Dans saint Marc, 7, 7, Jésus appelle cette tradition la tradition des hommes, par opposition avec la véritable loi de Dieu.