Matthieu 23, 4
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Les disciples de Jésus-Christ valent mieux que le reste du peuple. C'est ainsi que, dans l'Église, vous trouverez des âmes qui s'approchent avec plus d'amour du Verbe de Dieu, et qui sont les disciples de Jésus-Christ; les autres forment son peuple. Tantôt c'est à ses disciples seuls qu'il adresse la parole, tantôt à la foule, et tantôt tout à la fois au peuple et à ses disciples, comme dans ce qui suit: «Il leur dit: Les pharisiens et les scribes sont assis sur la chaire de Moïse». Ceux qui font profession de suivre la loi de Moïse, et qui se glorifient d'en être les interprètes, sont assis sur la chaire de Moise; les scribes sont ceux qui ne s'écartent pas de la lettre de la loi; et ceux qui prétendent à une perfection plus grande et se séparent de la foule comme étant meilleurs que le reste des hommes sont les phari siens, dont le nom veut dire séparé (cf. Gn 38,29 ). Ceux au contraire qui entendent et interprètent la loi de Moïse dans le sens vraiment spirituel sont assis il est vrai sur la chaire de Moïse, mais ils ne sont ni comme les scribes ni comme les pharisiens, ils valent beaucoup mieux qu'eux et sont les bien-aimés disciples de Jésus-Christ.
Mais si les scribes et les pharisiens, assis sur la chaire de Moïse, sont les docteurs des Juifs, et leur enseignent quant à la lettre les préceptes de la loi, comment Notre-Seigneur peut-il nous ordonner, à nous, de faire tout ce qu'ils disent, alors que les apôtres, comme nous le voyons dans les Ac 15 , ont défendu aux premiers fidèles de suivre la lettre de la loi ? C'est que les pharisiens enseignaient la lettre de la loi sans en comprendre le sens spirituel. Toutes les choses donc qu'ils nous prescrivent en vertu de la loi divine, nous qui avons l'intelligence de la loi, nous les observons et nous les pratiquons; mais nous ne conformons pas notre conduite à la leur, car ils ne suivent pas les vrais enseignements de la loi, et ils ne comprennent pas qu'il y a un voile sur la lettre de la loi ( 2Co 3,14 ). Ou bien cette expression: «Tout ce qu'ils vous diront», n'a pas pour objet tous les préceptes de la loi, comme ceux par exemple qui ont rapport aux aliments, aux victimes et à d'autres choses semblables, mais seulement les préceptes qui tendent à la réforme des moeurs. Or, pourquoi ne fait-il pas cette re commandation pour la loi de grâce, mais pour la loi de Moïse? C'est qu'avant la Passion le temps n'était pas encore venu de faire connaître les commandements de la nouvelle loi. Mais il me semble que le Sauveur avait en cela un autre dessein. Il allait, dans le discours suivant, ac cuser les scribes et les pharisiens. Il commence donc par repousser tout d'abord le soupçon que des insensés auraient pu former contre lui, de vouloir s'emparer de leur autorité, ou d'agir dans un esprit d'hostilité; et ce n'est qu'alors qu'il leur adresse des reproches pour que le peuple ne tombe point dans les mêmes désordres et ne s'imagine qu'il doit imiter leur conduite comme il est obligé d'écouter leurs enseignements, car il ajoute «Ne faites pas ce qu'ils font». Or, quoi de plus misérable qu'un docteur dont les disciples ne peuvent se sauver qu'à la condition de ne pas l'imiter, et qui se perdent s'ils marchent sur ses traces?
Après avoir mis à néant toutes les questions insidieuses des prêtres, et leur avoir montré que leur état était incurable (car ceux qui sont consacrés à Dieu et se dé tournent de la voie droite, ne reviennent presque jamais au bien, tandis qu'on peut y ramener facilement les simples fidèles), le Sauveur adresse ses enseignements à ses apôtres et au peu ple: «Alors Jésus s'adressant au peuple et à ses disciples», etc., car une parole qui confond les uns sans instruire les autres est une parole stérile.
Il faut cependant considérer de quelle manière un homme occupe la chaire de l'enseignement, car ce n'est pas la chaire qui fait le prêtre, mais le prêtre qui donne l'autorité à sa chaire; ce n'est pas le lieu qui sanctifie l'homme, mais l'homme qui sanctifie le lieu. Aussi le sacerdoce est pour le mauvais prêtre une source de crimes et ne lui donne aucune dignité morale.
Toutefois afin que personne ne pût excuser sa négli gence pour les bonnes oeuvres par les vices de celui qui enseigne, le Sauveur détruit ce pré texte en ajoutant: «Faites tout ce qu'ils vous diront»,etc. Car ce n'est pas leur propre doc trine qu'ils enseignent, mais les vérités divines dont Dieu a composé la loi qu'il a donnée par Moïse. Considérez quel honneur le Sauveur rend ici à Moïse, et comme il fait ressortir l'harmonie qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
De même qu'on recueille l'or dans le sein de la terre, et qu'on laisse de côté la terre, les auditeurs doivent recevoir la doctrine et laisser les moeurs de ceux qui enseignent, car il arrive fréquem ment qu'un homme vicieux enseigne une doctrine irréprochable. Or, de même que les prêtres aiment mieux enseigner les méchants dans l'intérêt des bons, que de priver les bons d'enseignements à cause des méchants, ainsi les fidèles doivent honorer les mauvais prêtres à cause des bons, pour ne pas s'exposer à faire rejaillir sur les bons le mépris que méritent les mauvais. Il vaut mieux donner aux méchants ce à quoi il n'ont aucun droit, que de refuser aux bons ce qu'ils méritent.
Considérez quel est le premier reproche qu'il leur adresse: «Ils disent et ne font pas». En effet, celui qui a reçu ta puissance d'enseigner et qui transgresse la loi est coupable au premier chef: premièrement, parce qu'il donne l'exemple de la prévarication, alors qu'il doit reprendre et corriger les autres; secondement, parce que la dignité dont il est revêtu augmente son crime et son châtiment; troisièmement enfin, parce que son titre de docteur rend son péché plus scandaleux dans ses effets. Une seconde chose que le Sauveur leur reproche, c'est d'être durs et sévères pour ceux qui leur sont soumis: «Ils lient des fardeaux pesants», etc. Et c'est en cela qu'ils sont doublement coupables d'exiger des autres, sans miséricorde, une vie parfaite et irréprochable, et de se donner à eux-mêmes toute latitude. Or, un bon supérieur doit se conduire tout autrement, c'est-à-dire se montrer juge sévère pour tout ce qui le concerne, et plein de douceur et de bonté pour ceux qu'il dirige. Remarquez encore comme il fait ressortir l'indignité de leur conduite. Il ne dit pas: ils ne peuvent pas, mais «Ils ne veu lent pas», et non-seulement: «Ils ne veulent pas porter ces fardeaux»,mais «Ils ne veulent pas les remuer du bout du doigt», c'est-à-dire ni s'en approcher ni les toucher. Ces fardeaux pesants et insupportables dont Notre-Seigneur veut ici parler, et que les pharisiens et les scribes imposaient à leurs disciples, sont ces préceptes de la loi dont saint Pierre dit au livre des Actes ( Ac 15): «Pourquoi voulez-vous imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu porter ?» Ils donnaient, à l'aide de raisons frivoles, une grande importance à ces fardeaux de la loi dans l'esprit de leurs disciples, et les atta chaient, pour ainsi dire, sur les épaules de leur coeur, afin que, se regardant comme liés par la raison, ils ne fussent point tentés de rejeter loin d'eux ces fardeaux Pour eux, au contraire, ils n'en accomplissaient pas la moindre partie, c'est-à-dire que, non-seulement ils n'en portaient aucun en réalité, mais qu'ils ne voulaient pas même les toucher légèrement du bout des doigts.
Tels sont ceux qui imposent aux pécheurs repentants des pénitences accablantes, et qu'arrive-t-il? C'est qu'en cherchant à se dérober aux peines de la vie présente, ils méprisent les peines de la vie future. En effet, chargez les épaules d'un jeune homme encore faible d'un fardeau qu'il ne peut porter, de toute nécessité, ou il le rejettera loin de lui, ou il succombera sous le faix. Or, de même, si vous imposez à un homme une pénitence trop pesante et trop rigoureuse, il la laissera nécessairement de côté, ou bien il s'en chargera sans pouvoir l'accomplir, et y trouvera ainsi une cause de scandale et une occasion de plus grand péché. D'ailleurs, en supposant que nous nous trompions en imposant des pénitences trop légères, ne vaut-il pas mieux avoir à rendre compte d'une trop grande miséricorde que d'une excessive sévérité? Là où le père de famille est si libéral, le serviteur, qui distribue en son nom, ne doit pas être avare. Si Dieu est bon, pourquoi son prêtre serait-il d'une sévérité inflexible? Voulez-vous être véritablement saint? Soyez sévère pour vous-même et miséricor dieux pour les autres; que les hommes vous entendent imposer de légères ob ligations, et qu'ils vous voient en accomplir de grandes. Un prêtre qui, plein d'indulgence pour lui-même, exige beaucoup des autres, ressemble à celui qui, chargé de répartir l'impôt dans une ville, se dé grève lui-même pour charger ceux qui sont dans l'impossibilité de le payer.
Il faut entendre ici dans un sens spirituel les épaules, le doigt, les fardeaux et les liens qui lient ces fardeaux. Notre-Seigneur s'élève ici généralement contre tous ces docteurs qui imposent aux autres de lourdes obligations, et qui n'accomplissent pas eux-mêmes les plus légères.
La Glose
Ou bien encore «Ils lient des fardeaux», c'est-à-dire ils recueillent de toutes parts des traditions qui, loin de soulager la conscience, l'oppriment et l'accablent.
2301. EN EFFET, ILS LIENT [AUX ÉPAULES DES GENS] DES FARDEAUX PESANTS ET INSUPPORTABLES, etc. En effet, le Seigneur veut accentuer leur malice, car ILS DISENT, ET NE FONT PAS. S’ils disaient et ne faisaient pas tout simplement, cela serait encore tolérable ; mais cela ne leur suffit pas, puisqu’ils ajoutent aux commandements de Dieu des fardeaux très lourds. Leur présomption est donc signalée, puisqu’ils lient d’autres fardeaux aux fardeaux imposés par Dieu, car ils proposent de nouvelles observances, comme on lit, en Mc 7, 2, qu’ils interdisaient de manger du pain sans se laver les mains fréquemment, à l’encontre ce que [dit] Is 58, 6 : Détachez les liens injustes, déliez les liens oppressants ! De même, la cruauté de ceux qui imposent des fardeaux est indiquée, à l’encontre de ce [que dit] 1 Jn 5, 3 : Car les commandements de Dieu sont légers. En effet, mon joug est doux et mon fardeau léger, plus haut, 11, 30. Leur manque de jugement est donc relevé, car s’ils imposaient [un fardeau] pesant à celui qui est fort, ce ne serait pas grand-chose ; mais ils imposent des fardeaux insupportables aux faibles. En effet, ne peut pas être porté ce qui dépasse les forces de celui qui porte. Ac 15, 10 : C’est un joug que ni nous, ni nos pères n’avons pu porter. De même est indiquée leur trop grande sévérité, car s’ils imposaient un fardeau et se montraient indulgents, cela suffirait encore ; mais ils ordonnent avec une certaine violence.
2302. ILS [LES] IMPOSENT AUX ÉPAULES DES HOMMES. Ils dépassent donc la mesure dans ce qu’ils disent. Ils la dépassent aussi en NE FAISANT PAS, car il y a des hommes qui ne veulent pas tout faire, mais veulent faire quelque chose. De même, il y en a qui, même s’ils ne veulent pas faire quelque chose de difficile, veulent toutefois faire quelque chose de léger. De même, il y en a qui, même s’ils n’agissent pas, ont cependant la volonté d’agir. Mais ceux qui ne veulent rien de cela font preuve d’une malice excessive. [Le Seigneur] dit donc : EUX-MÊME SE REFUSENT À LES REMUER DU DOIGT. Ainsi, non seulement ne faisaient-ils pas, mais ils ne voulaient pas au moins LES REMUER DU DOIGT, c’est-à-dire [qu’ils ne voulaient pas] commencer. De même, [ils ne voulaient pas] faire même des choses légères, ce qui est signifié par le doigt.
Vous devez faire ce qu’ils enseignent, mais vous ne devez pas les suivre dans leurs actions, parce qu’ils ne font pas même la plus petite chose. Chrysostome dit : «Ces gens disent de grandes choses, mais en font de petites. Ils ressemblent aux collecteurs de taxes, qui obligent les autres à en acquitter de plus grandes que ne l’exigent les tributs, mais eux-mêmes n’en acquittent pas. Que je ne te voie pas enseigner de grandes choses et en faire de petites ! Ainsi, le Seigneur t’épargnera davantage si tu penches vers la miséricorde que vers la sévérité.»
2302. ILS [LES] IMPOSENT AUX ÉPAULES DES HOMMES. Ils dépassent donc la mesure dans ce qu’ils disent. Ils la dépassent aussi en NE FAISANT PAS, car il y a des hommes qui ne veulent pas tout faire, mais veulent faire quelque chose. De même, il y en a qui, même s’ils ne veulent pas faire quelque chose de difficile, veulent toutefois faire quelque chose de léger. De même, il y en a qui, même s’ils n’agissent pas, ont cependant la volonté d’agir. Mais ceux qui ne veulent rien de cela font preuve d’une malice excessive. [Le Seigneur] dit donc : EUX-MÊME SE REFUSENT À LES REMUER DU DOIGT. Ainsi, non seulement ne faisaient-ils pas, mais ils ne voulaient pas au moins LES REMUER DU DOIGT, c’est-à-dire [qu’ils ne voulaient pas] commencer. De même, [ils ne voulaient pas] faire même des choses légères, ce qui est signifié par le doigt.
Vous devez faire ce qu’ils enseignent, mais vous ne devez pas les suivre dans leurs actions, parce qu’ils ne font pas même la plus petite chose. Chrysostome dit : «Ces gens disent de grandes choses, mais en font de petites. Ils ressemblent aux collecteurs de taxes, qui obligent les autres à en acquitter de plus grandes que ne l’exigent les tributs, mais eux-mêmes n’en acquittent pas. Que je ne te voie pas enseigner de grandes choses et en faire de petites ! Ainsi, le Seigneur t’épargnera davantage si tu penches vers la miséricorde que vers la sévérité.»
Ils lient des fardeaux. Belle
métaphore. On a coutume de lier ensemble plusieurs petits paquets embarrassants, afin de pouvoir les porter
avec moins de gêne : les Docteurs juifs font de même. Toutefois, comme il s’agit des épaules d’autrui et non
des leurs, les petits fardeaux qu’ils accumulent deviennent si nombreux, si pesants qu’on en est bientôt écrasé. Les épithètes pesants et insupportables conviennent parfaitement à ces prescriptions minutieuses,
rigoureuses, innombrables, que les Pharisiens prétendaient imposer au peuple en les décorant du nom de
traditions. Nous en avons indiqué plusieurs, notamment celles qui concernent le sabbat et les ablutions : on
en trouvera d’autres plus intolérables encore dans l’ouvrage bien connu du pasteur anglais M’Caul
« Nethivoth olam ». Voir en particulier le chap. 53 : Combien les lois rabbiniques sont onéreuses pour les
pauvres. - Les remuer du doigt... Il y a là une antithèse frappante et pittoresque, qui faisait dire à Bengel,
Gnomon in h.l. : « L’écriture a quelque chose d’incomparable dans la description qu’elle fait des traits
particuliers des âmes ». Quelle odieuse inconséquence dans ces directeurs sans pitié ! Ils ne touchent pas
même du doigt les fardeaux énormes qu’ils ordonnent aux autres de porter.