Matthieu 24, 41
Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée.
Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée.
Ou bien encore, tant que l'Église, qui est le corps de Jésus-Christ, ignore ce jour et cette heure, il est dit du Fils qu'il les ignore lui-même. Le sens propre du mot savoir est ici le sens que lui donnent ordinairement les auteurs sacrés; ainsi l'Apôtre dit que le Sauveur n'a point connu le péché, pour dire qu'il n'a point péché. ( 2Co 5,21 ) Or, le Fils de l'homme ménage la connaissance de ce jour et de cette heure aux cohéritiers de ses promesses, de manière qu'ils sachent tous, c'est-à-dire qu'ils apprennent par leur propre expérience, en ce jour et à cette heure, ce que Dieu a réservé à ceux qu'il aime.
Ou bien dans un autre sens, le corps est étendu comme un malade sur le lit des passions charnelles, tandis que l'âme tourne la lourde meule de la vie, et que les sens du corps travaillent dans le champ du monde.
Ces paroles sont un triomphe pour Arius et pour Eunomius; car, disent-ils: Celui qui ignore, peut-il être l'égal de celui qui sait? Nous leur répondrons par ce peu de mots: Jésus, c'est-à-dire le Verbe de Dieu, a fait tous les temps; (car toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui ( Jn 1,3 ). Or, le jour du jugement est contenu dans l'étendue des temps, comment donc le Fils de Dieu, qui connaît l'ensemble, peut-il en ignorer une partie? On peut encore leur dire: Qu'y a-t-il, de plus grand de connaître le père ou de connaître le jour du jugement? Or, si le Sauveur connaît ce qu'il y a de plus grand, comment peut-il ignorer ce qu'il y a de moindre? Est-ce que Dieu le Père a refusé la connaissance de ce jour à son Fils, puisque le Fils dit expressément: «Toutes choses m'ont été données par mon Père»; car il ne lui a pas donné toutes choses, s'il lui en a refusé une seule.
Ou bien, ces deux hommes qui sont dans un champ, représentent les deux peuples des fidèles et des infidèles dans ce monde, et que le jour du Seigneur surprendra au milieu des occupations de cette vie. Ils seront séparés, puisque l'un sera laissé et l'autre sera pris, ce qui nous prouve le discernement qui sera fait des fidèles d'avec les infidèles. Car les saints seront protégés cou tre les effets redoutables de la colère de Dieu, et renfermés dans les magasins du père de fa mille; mais les impies seront abandonnés et deviendront la proie des feux vengeurs. Il en sera de même de ceux qui tournent la meule. «De deux femmes qui moudront»,etc. La meule c'est l'oeuvre de la loi. Or, comme une partie des Juifs doit croire à la prédication d'Elie, comme ils ont cru à la prédication des Apôtres, et recevoir la justification qui vient de la foi, une partie d'entre eux sera choisie en vertu de cette foi vivifiée par les bonnes oeuvres, tandis que l'autre partie sera laissée au milieu des oeuvres infructueuses de la loi, tournant inutilement la meule sans pouvoir se préparer le pain céleste de la vie éternelle.
Ces deux qui sont dans le même lit sont ceux qui prêchent le même repos de la passion du Sauveur (cf. Ps 15,9 Ac 2,25 ); car les hérétiques et les catholiques ont la même foi sur ce point. Mais la foi catholique proclamera que le Père et le Fils ont une même nature, une même divinité, tandis que la fausse doctrine des hérétiques attaquera cette vérité. Ces deux professions de foi subiront donc l'épreuve du jugement de Dieu, qui prendra l'une et rejettera l'autre.
J'ai lu dans un certain auteur que le Fils dont il est ici question n'est point le Fils uni que de Dieu, mais le Fils par adoption; car le Sauveur n'aurait point placé comme il le fait les anges avant le Fils unique: «Ni les anges des cieux, ni le Fils».
Notre-Seigneur ayant fait connaître tous les signes précurseurs de son avènement, et conduit pour ainsi dire son récit jusqu'aux portes, ne voulut pas cependant dé terminer le jour où ces choses arriveraient: «Personne ne sait ni ce jour, ni cette heure», etc.
Mais pour vous prouver que ce n'est point par ignorance qu'il garde le silence sur le jour et l'heure du jugement, le Sauveur donne un autre signe avant-coureur de ce jour en disant: «Et il arrivera à l'avènement du Fils de l'homme, ce qui arriva au temps de Noé», c'est-à-dire que ce jour viendra tout d'un coup et à l'improviste, surprendre les hommes au milieu de leurs désordres. C'est cette même vérité qu'exprime saint Paul, écrivant aux Thessaloniciens: «Lorsqu'ils diront: Paix et sécurité, alors une ruine soudaine les surprendra». ( 1Th 5,3 ) C'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Car comme durant les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient», etc.
Ou bien, cette paix et ces divertissements criminels seront le partage de ceux qui ont perdu tout sentiment. Aussi l'Apôtre ne dit pas: Lorsque la paix existera réellement, mais lorsqu'ils diront: «Paix et sécurité», voulant ainsi nous peindre l'insensibilité de ces hommes de plaisir, trop semblables à ceux qui existaient du temps de Noé; alors aussi les méchants se livraient à la débauche, tandis que les justes étaient dans la tristesse et l'affliction. Nous apprenons par là que lorsque l'antéchrist viendra, les méchants seront surpris au milieu des plus honteux plaisirs, dans lesquels ils se seront jetés en désespérant de leur salut. Cet exemple est donc choisi fort à propos par le Sau veur. Car lorsque Noé construisait l'arche, les méchants la voyaient sous leurs yeux, leur annonçant les malheurs ( 2P 2,5 ) qui devaient arriver, mais ils ne voulaient pas y croire, et se livraient à leurs plaisirs coupables comme s'ils n'étaient menacés d'aucun fléau; c'est donc parce qu'il en est beaucoup qui refusent de croire aux événements futurs qu'il appuie ses pré dictions sur les exemples passés.
Il donne encore une autre preuve que ce jour viendra à l'improviste, et qu'il ne lui est pas inconnu: «Alors de deux hommes qui seront dans un champ, l'un sera pris, et l'autre laissé»; ce qui nous prouve qu'il y en aura de pris et de laissés parmi les serviteurs comme parmi les maîtres, parmi ceux qui se reposeront, comme parmi ceux qui se livreront au travail.
Dans quelques manuscrits latins on trouve cette addition: «Ni le Fils»; mais elle n'existe ni dans les exemplaires grecs, ni dans ceux d'Origèneet de Pierius. Comme cependant elle se trouve dans quelques exemplaires, il nous faut l'examiner et l'expliquer.
Nous avons donc prouvé que le Fils de l'homme connaît le jour de la fin du monde, il nous reste à expliquer pourquoi il déclare qu'il ne le sait pas. Lorsque après sa résurrection, ses Apôtres lui demandent quand viendra ce jour, il leur répond clairement ( Ac 1,7 ): « Ce n'est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a disposés dans sa puissance», preuve évidente qu'il connaît ce jour, mais qu'il n'est pas utile pour les Apôtres d'avoir cette connaissance.
On peut se demander comment Notre-Seigneur dit plus haut: «On verra se soulever peuple contre peuple, et royaume contre royaume, et il y aura des pestes, des famines et des tremblements de terre en divers lieux», tandis qu'ici il semble nous donner tous les signes d'une paix profonde; c'est qu'après ces guerres et ces fléaux qui désolent le genre humain, succédera une paix de courte durée qui rétablira partout le calme et la tranquillité, et donnera un nouvel appui à la foi des chrétiens.
Ou bien deux hommes seront trouvés dans un champ se livrant au même travail, et répandant la même se mence, mais ils ne recevront pas le même fruit de leur travail. Dans ces deux femmes qui tour nent ensemble la meule, on peut voir encore l'Église et la synagogue qui, toutes les deux, pa raissent tourner la même meule dans la loi, et moudre avec les mêmes Écritures la farine des commandements de Dieu; ou bien enfin, les autres hérésies qui semblent moudre tantôt avec les deux Testaments, tantôt avec un seul la farine de leurs doctrines. «Deux seront dans le même lit, l'un sera pris, l'autre sera laissé ( Lc 17,34 ) ».
Cette expression: «il ne sait pas», signifie donc: il ne veut pas faire savoir; c'est ainsi que l'ange dit à Abraham: «Je sais maintenant que. tu crains le Seigneur ( Gn 22,12 ), c'est-à-dire je te fais sa voir; car cette épreuve lui fit connaître à lui-même ce qu'il était.
Il dit que le Père connaît ce jour, c'est-à-dire en même temps que le Fils le connaît dans le Père; car que peut-il y avoir dans ce jour qui n'ait été fait dans le Verbe par qui ce jour a été fait?
Le sens véritable de ces paroles: «Le Père seul connaît ce jour», est donc celui que nous avons indiqué, c'est-à-dire qu'il fait connaître ce jour au Fils; et s'il est dit du Fils qu'il ne sait pas, c'est parce qu'il ne communique point cette connaissance aux hommes.
L'Évangile déclare que personne ne connaît ni ce jour ni cette heure, et vous, vous ajoutez: On ne peut môme savoir ni le mois, ni l'année. Mais ces paroles paraissent signifier que si l'on ne peut connaître l'année, on peut savoir toutefois dans quelle semaine, ou dans quelle décade d'années ce jour doit arriver, comme si l'on pouvait dire que ce sera dans sept, dans dix ou dans cent ans, ou après un intervalle de temps plus ou moins long. Si vous ne croyez pas avoir atteint le véritable sens de ce passage, nous sommes tous deux au même point.
L'Évangéliste saint Marc (13, 32) dit que non-seulement les anges ne connaissent pas ce jour, mais que le Fils de l'homme l'ignore.
Ou bien ces paroles désignent les trois ordres de l'Église: les deux qui sont dans un champ figurent l'ordre des prédicateurs, à qui Dieu a confié la culture du champ de l'Église; les deux qui tournent la meule, la condition des époux qui, entraînés tour à tour par mille soucis divers, semblent tourner incessamment la meule; enfin les deux qui sont dans le même lit, l'état de ceux qui ont gardé la continence, dont le repos nous est figuré par le lit. Or, dans ces trois classes différentes, il y a des bons et des mauvais, des justes et des injustes, et c'est pour cela que les uns sont pris, tandis que les autres sont laissés.
Jésus-Christ ne condamne ici ni le mariage, ni les aliments, comme le prétendent faussement Marcion et les manichéens, puisque le mariage est nécessaire à la propagation du genre humain, et les aliments au soutien de la vie; mais il condamne l'usage immodéré que les hommes en font.
Deux femmes, et deux seulement, occupées à moudre avec des moulins à main. Tout est de la plus parfaite
exactitude dans cette courte description, comme nous l’apprenons par les récits des voyageurs. Les grands
moulins ont toujours été extrêmement rares en Orient : en revanche, presque chaque ménage possède son
petit moulin portatif dont les femmes, et habituellement les servantes ou les esclaves, Cf. Ex. 11, 5 ; Jud. 16,
21, se servent pour moudre la provision de blé nécessaire aux repas quotidiens de la famille. « A peine
installés, raconte l’Anglais Clarkes, dans la maison de Nazareth qu’on nous avait désignée comme logement,
nous aperçûmes par la fenêtre, dans la cour voisine, deux femmes en train de moudre du blé, qui nous
rappelèrent très vivement à la pensée la parole Jésus, Matth. 24, 41... Elles étaient assises sur le sol, en face
l’une de l’autre, et entre elles on voyait deux pierres plates et arrondies. Au milieu de la pierre supérieure se
trouvait une ouverture dans laquelle on versait le blé, et sur le côté une poignée de bois verticale qui servait à
la faire tourner. L’une des femmes, avec la main droite, poussait cette poignée à l’autre femme assise devant
elle et celle-ci la poussait à son tour à la première : la meule tournait ainsi très rapidement sous leur
impulsion commune. En même temps, chacune jetait de la main gauche un peu de blé dans l’ouverture, et
l’on voyait sortir le son et la farine aux côtés de la machine ». Rosenmüller, das alte u. neue Morgenland,
Leipzig 1820, t. 5, p. 94 ; Cf. Thomson, the Land and the Book, Londres 1876, p. 526 : une gravure
intéressante est jointe à la description. On a trouvé près d’Abbeville un de ces moulins à main dont les deux
meules réunies pèsent à peine 50 livres ; elles n’ont pas plus d’un pied de diamètre. - Ces exemples signifient
que les hommes seront surpris par le jugement, que tels ils seront alors tels ils comparaîtront à la barre du
Juge suprême, enfin que de leur état moral à cette heure décisive dépendra leur éternité heureuse ou
malheureuse.
Ces façons de parler marquent le discernement qui se fera alors des élus et des réprouvés.
Les esclaves de l’un et de l’autre sexe étaient employés à moudre le gain à force de bras. ― La meule supérieure du moulin est souvent tournée en Orient par deux personnes.