Matthieu 24, 51
il l’écartera et lui fera partager le sort des hypocrites ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.
il l’écartera et lui fera partager le sort des hypocrites ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.
C'est-à-dire afin qu'il règne avec Jésus-Christ, à qui son Père a remis toutes choses. Jésus-Christ, établi comme le fils d'un bon père sur tous ses biens, fait entrer en participation de sa dignité et de sa gloire, ses intendants fidèles et prudents, et les établit eux-mêmes au-dessus de tous les hom mes.
Ou bien, on appelle ordinairement fidèle, celui qui a fait des progrès dans la foi, bien qu'il n'ait pas encore atteint la perfection; et prudent, celui qui a reçu de la nature la subtilité et la pénétration d'esprit. - Or, en considérant attentivement, on trouvera un grand nombre d'hommes fidèles, qui sont animés dans leurs actions du zèle de la foi; mais il en est peu qui soient prudents: «Car Dieu a choisi ce qu'il y a d'insensé selon le monde». ( 1Co 1,27 ) Réciproquement, on rencontrera des hommes d'un esprit subtil et prudent, et d'une foi médiocre; mais il est très-rare de trouver réunies dans une même personne la prudence et la fidélité. Cependant la prudence est nécessaire pour distribuer la nourriture en temps convenable, et la fidélité pour ne point dérober aux indigents leur subsistance. Il n'est point inutile d'avertir, que dans le sens le plus naturel, nous devons être tout à la fois fidèles et prudents pour administrer les revenus de l'Église. Nous devons être fidèles pour ne point dévorer les richesses des veuves, nous souvenir des besoins des pauvres, ne pas nous autoriser de ces paroles de l'Apôtre: «Le Seigneur a établi que ceux qui prêchent l'Évangile doivent vivre de l'Évangile», pour prendre autre chose que la simple nourriture où les vêtements qui nous sont nécessaires; et ne pas retenir pour nous plus que l'on ne donne à ceux qui sont dans le besoin. Nous devons être prudents pour examiner et comprendre les causes de l'indigence d'un chacun, pour tenir compte de sa position, de son éducation et de ses besoins; car il faut une grande sagesse pour administrer avec soin les revenus de l'Église. Le serviteur doit encore être fidèle et prudent en ne prodiguant point par le désir de faire paraître la sagacité de son esprit la nourriture raisonna ble et spirituelle à ceux qui n'en sont point capables, c'est-à-dire à ceux qui ont bien plus be soin d'instructions, qui leur apprennent à régler leurs moeurs et à rendre leur vie meilleure, que des lumières spéculatives de la science. Cette prudence est encore nécessaire pour ne pas négliger d'expliquer les hautes vérités de la religion aux esprits plus pénétrants, car en se bornant aux vérités élémentaires, on s'exposerait aux mépris de ceux qui ont naturellement une intelligence plus ouverte, ou qui l'ont exercée par l'étude de la philosophie profane.
Tout évêque se rend coupable d'offense envers Dieu, lorsqu'il n'administre pas comme étant lui-même serviteur, mais comme maître, lorsqu'il veut dominer par la violence comme un tyran insupportable, lorsqu'il repousse ceux qui ont faim, et fait bonne chair avec des ivrognes, lorsqu'il se repaît de ce rêve que le Seigneur ne viendra que longtemps après.
Ou bien, il le séparera, lorsque l'esprit (c'est-à-dire le don spirituel), retournera à Dieu qui l'avait donné, tandis que son âme ira dans l'enfer avec son corps. Le juste, au contraire, n'a pas à craindre cette séparation, et son âme se dirige vers le royaume du ciel avec l'esprit, c'est-à-dire avec le don de l'esprit qui l'animait. Quant à ceux qui sont divisés, ils ne conservent plus cette partie du don spirituel qu'ils avaient reçu de Dieu, mais ils en sont réduits à la partie qui leur appartient, c'est-à-dire à leur âme qui sera punie avec le corps. «Et il lui donnera son partage avec les hypocrites».
Ou bien, les pleurs seront la punition de ceux qui sont livrés aux joies insensées du monde, et le grincement de dents, le châtiment de ceux qui se sont abandonnés au repos outre mesure. Dans les efforts qu'ils font pour résister aux douleurs sensibles qu'ils éprouvent, ils grincent des dents sous l'action du châtiment; tel sera le sort de ceux qui se sont nourris de ce que la malice a de plus acerbe. Appre nez delà que ce ne sont pas seulement ceux qui sont fidèles et prudents que le Seigneur établit pour gouverner sa famille, mais encore les méchants, et que ce qui les sauve, ce n'est pas d'avoir la directi on de la maison de Dieu, mais de lui distribuer la nourriture en son temps, et de s'abstenir de mauvais traitements et de débauches.
Ou encore, il sera établi sur tous les biens du Seigneur, c'est-à-dire qu'il sera placé dans la gloire de Dieu, ce qui est le comble du bonheur et de la félicité.
Bien que le Seigneur nous ait recommandé à tous en général une vigilance continuelle sur nous-mêmes, il ordonne aux princes du peuple ( Ps 46,18 ), c'est-à-dire aux évêques, une sollicitude toute particulière dans l'attente de son avènement. C'est ce qu'il veut signifier par ce serviteur prudent et fidèle, placé à la tête de la famille et chargé de pourvoir aux intérêts et aux besoins du peuple qui lui est confié: «Quel est, à votre avis, le serviteur fidèle et prudent ?»etc.
C'est-à-dire, obéissant aux ordres de son maître, et distribuant à sa famille, en son temps, le pain de vie qui doit la nourrir pour la vie éternelle.
Non content d'instruire ceux qui l'écoutent par la perspective de la gloire réservée aux justes, le Sauveur ajoute la menace du châtiment qui attend les méchants. «Mais si ce serviteur est méchant, et qu'il dise», etc.
Ce n'est point par igno rance que le Sauveur fait cette question; car Dieu le Père se sert aussi de l'interrogation en parlant à Adam: «Adam où es-tu ?» ( Gn 3,9 ).
Il exige deux choses de ce serviteur: la prudence et la fidélité; il est fidèle, parce qu'il ne s'approprie rien des biens de son maître, et ne les emploie à aucune dépense inutile ou superflue; il est prudent, parce qu'il connaît l'usage qu'il doit faire des cho ses qui lui ont été confiées.
Cette parabole s'applique également aux princes de la terre, car ils doivent employer tout ce que Dieu leur a donné, sagesse, puissance, et tous les autres dons, pour l'utilité générale, et non pour nuire à ceux qui leur sont soumis, ou pour leur propre perte.
Il dit «Le maître de ce serviteur viendra», etc., pour leur faire comprendre que le Seigneur viendra au moment qu'ils n'y penseront pas, et pour exciter ainsi la vigilance et la solli citude de ses intendants. Il ajoute: «Il le séparera», non pas qu'il le partagera en deux avec le glaive, mais il le séparera de la société des saints.
C'est-à-dire avec ceux qui étaient ou dans les champs, ou occupés à tourner la meule, et qui n'en ont pas moins été laissés; car nous disons souvent qu'un hypocrite est autre qu'il ne paraît; c'est ainsi que eaux qui étaient dans les champs ou occupés à tourner la meule, paraissaient faire les mêmes actions, mais on a vu la différence d'intention qui les faisait agir.
La ma nière d'agir de ce serviteur nous fait connaître les sentiments qui l'animaient. Le bon Maître a pris soin de nous tracer en peu de mots sa conduite, d'abord son orgueil. «S'il se met à battre les autres s erviteurs», puis sa vie dissolue: «Et à manger et à boire avec des ivrognes»,et ces traits nous font comprendre que si le mauvais serviteur dit: «Mon maître tarde à venir», ce n'est pas qu'il désire son arrivée, comme le désirait ardemment le Roi-prophète, lorsqu'il disait: «Mon âme a soif du Dieu vivant, quand viendrai-je devant lui?» ( Ps 42,3 ). Ces paroles: «Quand viendrai-je ?» nous montrent combien ce retard lui était pénible. Car l'ardeur de ses désirs lui faisait paraître trop lent le temps qui s'écoule avec rapidité.
Détournons nos regards de ce mauvais serviteur qui redoute l'arrivée de son maître, et arrêtons-les sur ces trois bons serviteurs qui désirent le retour de leur maître. L'un d'eux attend son maître plus tôt, le second, plus tard, le troisième avoue son igno rance sur ce point; voyons quel est celui dont la conduite se rapproche le plus des préceptes de l'Évangile, Le premier dit: Veillons et prions, car le maître va bientôt venir; le second: Veil lons et prions, car cette vie est courte et incertaine, bien que le maître doive tarder à venir; le troisième: Veillons et prions, parce que cette vie est courte et incertaine, et nous ne savons pas quand le maître doit venir. Or, ce dernier ne dit autre chose que ce que dit l'Évangile: «Veillez, car vous ne savez à quelle heure le Seigneur doit venir». Tous voudraient, par suite du désir qu'ils éprouvent de voir le royaume de Dieu, que ce que pense le premier fût vrai, et si les choses arrivaient ainsi, le second et le troisième partageraient sa joie. Si au contraire, l'événement ne justifie pas la croyance du premier, il est à craindre que ce retard n'ébranle ceux qui l'avaient partagée, et qu'ils n'en viennent à croire, non pas que l'avènement du Seigneur doit tarder, mais qu'il n'aura jamais lieu. Ceux qui pensent comme le second, que le Seigneur doit différer son avènement, supposé que Cette croyance ne soit pas fondée, ne seront point troublés dans leur foi, mais ils seront comblés d'une joie inespérée. Celui enfin qui confesse son ignorance sur toutes ces choses, désire l'arrivée de son maître, en supporte le retard, et ne se trompe dans aucune conjecture, parce qu'il n'en affirme et n'en nie aucune.
Cette question prouve, non pas qu'il soit impossible, mais simplement difficile d'arriver à la perfection de la vertu.
Remarquons que de même qu'il y a une grande différence entre les bons prédicateurs et les bons auditeurs, il y a aussi une grande différence dans les récompenses qu'ils méritent. Si le Seigneur trouve les bons auditeurs, vigilants et attentifs, il les fera asseoir à sa table, comme nous le voyons dans saint Luc ( Lc 12,37 ); mais pour les bons prédicateurs, il les établira sur tous ses biens: «Je vous le dis en vérité, qu'il l'établira sur tous ses biens».
Ils ne seront pas les seuls pour obtenir la récompense éternelle, mais ils en rece vront une supérieure à toutes les autres, tant pour les vertus qu'ils ont pratiquées, que pour le soin qu'ils ont pris de leur troupeau.
Le maître, c'est Jésus-Christ; la famille à laquelle il prépose ses serviteurs pour en prendre soin, c'est l'Église catholique. Or il est difficile de rencontrer un homme qui soit à la fois prudent et fidèle, mais cela n'est pas impossible, car autrement le Sauveur n'aurait pas déclaré bienheureux celui qui ne peut exister: «Bienheureux ce serviteur, si son maître, à son arrivée, le trouve agissant de la sorte».
Au sens figuratif, frapper ses compagnons, c'est blesser la conscience des faibles par ses discours et par ses exemples ( 1Co 8,12 ).
Ou bien, il recevra le châtiment des hypo crites, c'est-à-dire la double peine du feu et celle du froid (cf. Jb 24,19 ). «Là il y aura des pleurs et des grincements de dents»; car les pleurs seront la suite de la peine du feu, et le grin cement de dents, l'effet du froid qu'ils endureront.
La Glose
Car il est rare de rencontrer un serviteur fidèle qui serve le Seigneur pour le Seigneur lui-même, qui paisse les brebis de Jésus-Christ, non pour l'appât du gain, mais par amour pour Jésus-Christ lui-même; un serviteur prudent qui étudie les moeurs et la capacité de ceux qu'il est chargé de diriger; un serviteur que le Seigneur lui-même a établi, c'est-à-dire qui est appelé de Dieu, et qui ne s'est point ingéré lui-même dans ces hautes fonctions ( He 5,4 ).
2485. Et qu’en sortira-t-il ? Suit donc une triple peine. IL LE RETRANCHERA, non pas, comme le dit Jérôme, qu’il le tranchera par l’épée, mais il le séparera de la société des bons, plus loin, 25, 32 : Et il les séparera, comme le pasteur sépare les brebis des boucs. Et cela est la plus grande peine. Origène dit ceci : «Il y a trois choses dans l’homme : il y a l’âme, le corps et le don spirituel. Et ces choses ne seront pas séparées chez le bon prélat, mais chez les mauvais prélats. Le don spirituel sera séparé, car [le Seigneur] reprendra le don spirituel qu’il leur avait donné ; mais le corps et l’âme seront envoyés au feu.»
2486. De même, une autre peine est annoncée aux mauvais [prélats]. Il dit donc : ET IL ATTRIBUERA SA PART AUX HYPOCRITES. Les hypocrites sont les simulateurs qui professent une chose et en font une autre. Il attribuera donc sa part à ceux-là. Ainsi l’entend le Ps 10[11], 6 : Soufre et vent de tempête, c’est la coupe qu’ils auront en partage. Et cela ne suffit pas encore, car il y aura une autre peine : IL Y AURA LÀ DES PLEURS ET DES GRINCEMENTS DE DENTS. Jb 24, 19 : Ils passeront du froid de la neige à une trop grande chaleur. Les pleurs proviennent donc de la fumée, les grincements de dents, du froid. Origène dit que nous pouvons comprendre par cela que ceux qui disent que les mauvais prélats ne sont pas des prélats parlent incorrectement. 2487. Remarquez une certaine comparaison présentée par Augustin : «Éloignez de votre regard le serviteur dont on a parlé et remplacez-le par trois serviteurs, qui aiment l’avènement du Seigneur. L’un dit : “Mon maître viendra bientôt ; je veillerai donc.” L’autre dit : “Mon maître tardera, mais je veux veiller.” Le [troisième] dit : “Je ne sais pas quand il viendra, c’est pourquoi je veux veiller.” Lequel des trois a le mieux parlé ?» Augustin répond que le premier s’est complètement trompé, car s’il pense que [son maître] viendra rapidement et que celui-ci tarde, il est en danger de s’endormir par ennui. Le deuxième peut se tromper, mais il n’est pas en danger. Mais le troisième se comporte bien, car, dans le doute, il est toujours en attente. Ainsi, le mal consiste à préciser un moment.
2486. De même, une autre peine est annoncée aux mauvais [prélats]. Il dit donc : ET IL ATTRIBUERA SA PART AUX HYPOCRITES. Les hypocrites sont les simulateurs qui professent une chose et en font une autre. Il attribuera donc sa part à ceux-là. Ainsi l’entend le Ps 10[11], 6 : Soufre et vent de tempête, c’est la coupe qu’ils auront en partage. Et cela ne suffit pas encore, car il y aura une autre peine : IL Y AURA LÀ DES PLEURS ET DES GRINCEMENTS DE DENTS. Jb 24, 19 : Ils passeront du froid de la neige à une trop grande chaleur. Les pleurs proviennent donc de la fumée, les grincements de dents, du froid. Origène dit que nous pouvons comprendre par cela que ceux qui disent que les mauvais prélats ne sont pas des prélats parlent incorrectement. 2487. Remarquez une certaine comparaison présentée par Augustin : «Éloignez de votre regard le serviteur dont on a parlé et remplacez-le par trois serviteurs, qui aiment l’avènement du Seigneur. L’un dit : “Mon maître viendra bientôt ; je veillerai donc.” L’autre dit : “Mon maître tardera, mais je veux veiller.” Le [troisième] dit : “Je ne sais pas quand il viendra, c’est pourquoi je veux veiller.” Lequel des trois a le mieux parlé ?» Augustin répond que le premier s’est complètement trompé, car s’il pense que [son maître] viendra rapidement et que celui-ci tarde, il est en danger de s’endormir par ennui. Le deuxième peut se tromper, mais il n’est pas en danger. Mais le troisième se comporte bien, car, dans le doute, il est toujours en attente. Ainsi, le mal consiste à préciser un moment.
Il le séparera. Ce mot indique certainement quelque supplice
insigne. Lequel ? On ne saurait l’affirmer d’une manière tout-à-fait certaine. Il est probable cependant,
d’après le grec, qu’il signifie scier en deux, ou bien mutiler, écarteler. Ces tortures existaient chez les Juifs
aussi bien que chez les Grecs et les Romains. Cf. Jud. 19, 29 ; 1 Reg. 15, 33 ; 2 Reg. 12, 31 ; 3 Reg. 3, 25,
etc. ; parmi les profanes, Diod. Sic. 1, 2 ; Herod. 3, 17 ; Tite-Live, 1, 28 ; Horace, Sat. 1, 1, 99 ; Suet. Calig.
c. 27. Voir Breitschneider, Lex.man. T. 1, p. 251. Les locutions latines « flagris tergum secare, discindere,
distruncare », ont fait croire à quelques exégètes (Paulus, de Wette, Kuinœl, etc.) que « séparera » représente
ici la flagellation. D’après S. Jérôme, Maldonat, Grotius et d’autres, ce verbe signifierait simplement
« congédier ». Mais ce serait une peine bien bénigne dans la circonstance. - Sa part : hébraïsme qui marque
aussi le sort, la destinée. - Avec les hypocrites. Cet homme s’est conduit comme un véritable hypocrite,
profitant de l’absence de son maître pour faire le mal ; il est juste qu’il soit traité comme tel. - Là, c’est-à-dire
dans le lieu spécial réservé au supplice des hypocrites. - La formule Il y aura des pleurs... désigne
évidemment en ce passage, comme dans tous les autres où nous l’avons déjà rencontrée, Cf. 7, 12 ; 13, 42-50
; 22, 12 et parall., la damnation éternelle et les tourments de l’enfer. Les Rabbins s’accordent pour placer les
hypocrites dans la Géhenne et Dante, Inferno, 23, 58, relègue au sixième enfer ceux qu’il appelle
ironiquement « la foule des Ombres ».
Et il le divisera ; c’est-à-dire il le fera mourir. Dans l’Ecriture le mot diviser se met souvent pour séparer l’âme du corps, ôter la vie. Les maîtres d’ailleurs avaient droit de vie et de mort sur leurs esclaves.