Matthieu 25, 15

À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt,

À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt,
Saint Thomas d'Aquin
2524. Ensuite, la diversité des dons est présentée : À L’UN IL DONNA CINQ TALENTS, À UN AUTRE DEUX, À UN TROISIÈME UN SEUL. Il distribue ceux-ci en trois : le trentième, le soixantième et le centième, car toute multitude se répartit entre ce qui est meilleur, ce qui est moins bon et ce qui est moyen. Ces talents sont les divers dons des grâces : en effet, de même qu’un certain poids de métal est appelé talent, de même la grâce est-elle un poids qui fait pencher l’âme elle-même. C’est ainsi que l’amour est le poids de l’âme. L’Apôtre [dit] en 1 Co 12, 4 : Les grâces sont réparties. Ces dons sont donc répartis, de sorte qu’ils ne sont pas donnés également à tous. Ep 4, 7 : À chacun de nous la grâce a été donnée en proportion du don du Christ. Et c’est ce qu’il dit : À L’UN IL DONNA CINQ TALENTS, À UN AUTRE DEUX, À UN TROISIÈME UN SEUL.

2525. Quelle est la raison de ce nombre ? Nous pouvons dire que quelqu’un [bénéficie] d’une telle surabondance qu’il reçoit le double, mais un autre, plus du double. De sorte que celui qui reçoit deux [talents] est, par rapport à celui qui en reçoit un seul, dans une proportion du double ; mais celui qui en reçoit cinq, dans une proportion qui dépasse le double. [Le Seigneur] veut donc dire que celui-là en reçoit cinq qui en reçoit dans une mesure incomparable. Nous pouvons aussi dire que ces dons sont les paroles de Dieu, des paroles de sagesse. En effet, la sagesse est fréquemment comparée aux richesses. Is 33, 6 : La sagesse, c’est la richesse du salut.

2526. Que veut-il dire lorsqu’il dit : À L’UN IL DONNA CINQ TALENTS, À UN AUTRE DEUX, À UN TROISIÈME UN SEUL ? Origène dit qu’il a donné cinq talents à celui qui met en rapport avec l’intelligence spirituelle tout ce qui est dit dans l’Écriture ; comme il y a cinq sens corporels, il y a aussi cinq [sens] spirituels. Ainsi le Seigneur a-t-il donné aux apôtres. En Lc 24, 45, il est dit qu’il leur ouvrit l’intelligence afin qu’ils comprennent les Écritures. Et en Dn 1, 17, il est dit que Dieu donna aux enfants de comprendre toute l’Écriture.

2527. Qui sont ceux qui reçoivent deux [talents] ? Selon Origène, la dualité est le nombre de la matière. Ainsi tout nombre est composé de deux et d’un. De sorte que la matière est attribuée au nombre deux, et la forme à l’unité. On dit donc que ceux-là en reçoivent deux qui reçoivent moins, car ils ne savent pas se conduire en tout, mais ils sont experts en quelque chose : ils sont de bons constructeurs ou quelque chose de ce genre. Ainsi, selon Origène, celui qui en reçoit un reçoit davantage que celui qui en reçoit deux. Selon Grégoire et Jérôme, c’est l’inverse, car, par les cinq talents, les cinq sens sont signifiés. De sorte que celui-là reçoit cinq talents qui reçoit une grâce de Dieu se rapportant aux choses temporelles, sur lesquelles porte l’action des sens. Par les deux [talents], on entend les sens et l’intelligence. Par un seul [talent], seule l’intelligence est soulignée. Celui-là donc reçoit un seul talent qui reçoit une grâce pour comprendre, et non pour agir. Selon Hilaire, celui-là reçoit cinq [talents] qui trouve le Christ dans les cinq livres de Moïse ; [en reçoit] deux celui qui vénère la grâce du Nouveau et de l’Ancien Testament, et qui vénère dans le Christ la nature divine et [la nature] humaine ; [en reçoit] un seul le Juif, qui trouve sa gloire dans les seules [dispositions] de la loi.

2528. Vient ensuite la raison : À CHACUN SELON SES CAPACITÉS. Si cela est en rapport avec le fait que les talents sont les paroles [de Dieu], l’interprétation est claire, car elles doivent être données en proportion de la plus grande capacité. Jn 16, 12 : Toutefois, j’ai beaucoup de choses à vous dire, que vous ne pouvez pas porter maintenant. Et l’Apôtre [dit] en 1 Co 3, 2 : Comme à des petits enfants, je vous ai donné à boire du lait, et non de la nourriture solide. Il a donc donné aux plus déliés des [dons] plus subtils.

2529. Mais si nous mettons ceci en rapport avec les biens des grâces, il faut savoir que certains ont dit que [le Seigneur] donnerait des biens gratuits en proportion des biens naturels, de sorte que l’homme qui a plus de biens naturels a aussi davantage de biens gratuits. Cela a été vrai pour les anges, mais ne l’est pas pour les hommes. Et pour quelle raison ? Parce que, chez les anges, il n’existe que la seule nature spirituelle ; ils sont mus selon la totalité de leur puissance vers ce vers quoi ils sont mus. Ainsi, ils reçoivent autant que le permet leur capacité. Mais l’homme est constitué de deux natures contraires, dont l’une est éloignée de l’autre par son corps. De sorte qu’il ne lui est donné que dans la mesure où l’homme s’applique à ce bien naturel.

2530. Il y a eu aussi une autre erreur : elle disait que l’amorce de la grâce venait de nous. À cela s’oppose Augustin conformément à la parole de l’Apôtre, 2 Co 3, 5, qui dit que nous ne sommes pas capables de penser à quelque chose de nous comme si cela venait de nous. Or, y a-t-il un principe antérieur à la pensée ? Et si la pensée ne vient pas de nous, l’action non plus [ne vient] donc pas [de nous]. De sorte que plus on fait d’effort, plus on a de grâce, mais plus on fait d’effort, plus on a besoin d’une cause supérieure. Lm 5, 21 : Convertis-nous à toi, et nous serons convertis. Mais si tu te demandes pourquoi l’un a plus de grâce qu’un autre, je dis qu’il y a à cela une cause prochaine et une cause première : [la cause] prochaine est l’effort plus grand de l’un plutôt que de l’autre ; la cause première est l’élection divine. Si 33, 7 : Pourquoi un jour dépasse-t-il l’autre, une lumière une autre, une année une autre, et un soleil un autre soleil ? Ils ont été répartis par la connaissance du Seigneur. Et quelle en est la raison ? Voyez comme il en va autrement d’un agent universel et [d’un agent] particulier. L’agent particulier suppose qu’il y a quelque chose avant lui et, sous cet aspect, il agit diversement, comme lorsqu’un artisan donne une forme à une matière et une autre à une autre. Mais s’il pouvait faire la matière, on dirait qu’un tel a fait telle matière, de sorte qu’il produirait la forme conformément à sa volonté. Ainsi le Seigneur, puisqu’il est le créateur de toutes choses, a créé celui-ci pour le faire tel. On comprend donc que la capacité de la nature s’entend en tenant compte de l’effort.

2531. Puis, le départ de celui qui donne est présenté, lorsque [le Seigneur] dit : ET IL PARTIT AUSSITÔT. On peut comprendre que celui-ci est parti en voyage, car, lorsqu’il eut dit aux apôtres : Recevez le Saint-Esprit, Jn 21, 22, et à Pierre, Jn 21, 17 : Pais mes brebis, il partit immédiatement. C’est pourquoi il disait, Jn 13, 33 : Mes petits enfants, je suis avec vous pour un peu de temps encore, et il monta [au ciel] immédiatement. Ou bien, on peut dire qu’il partit sans se retirer, parce qu’il les livra à leur libre arbitre, car il ne les force pas à utiliser les dons qu’il a donnés.
Louis-Claude Fillion
Le Maître de la parabole avait trois principaux esclaves : le récit mentionne ce qu'il confie à chacun d'eux avant son départ. - Cinq talents. Le premier reçoit cinq talents, c'est-à-dire, d'après les indications que nous avons données plus haut, cf. la note de 18, 24, la somme relativement considérable d'environ 12000 € en 2015 (voir A. Rich, Dictionnaire des Antiq. Rom. et grecq. s. v. Talentum). Il est curieux d'observer en passant que la signification métaphorique du mot talent dans toutes les littératures modernes, pour désigner n'importe quel avantage de la nature ou de la grâce, remonte à ce passage de l'Évangile : les langues anciennes ne la connaissaient pas. - A un autre deux : 4800€ d'après le calcul précédent. - A un autre un : 2400€. - À chacun selon sa capacité … Réflexion importante, qui explique l'inégalité de la répartition des sommes. Tous reçoivent quelque chose : il n'est pas un seul homme en effet qui n'ait été comblé des dons célestes. « Car il n'y en a pas un seul qui puisse dire véritablement : Je n'ai point reçu de talent, ainsi je n'ai rien dont on puisse me demander compte... Considérons donc ce que nous avons reçu, et soyons vigilants à bien le dépenser », S. Grégoire le Grand, Hom. 9 in Evang. Mais tous ne reçoivent pas une somme identique : à l'un le Maître confie beaucoup, à l'autre il donne moins, à l'autre moins encore. Sur quoi se règle-t-il quand il distribue ses bienfaits avec cette mesure inégale ? Sur la capacité, sur les talents administratifs, sur la fidélité prévue d'un chacun, de telle sorte que tout est parfaitement équitable dans sa conduite. Admirons ce trait délicat de la divine bonté qui proportionne ainsi les dons, et par conséquent la responsabilité, à la force dont il a muni chaque individu. « Dieu a tout disposé harmonieusement dans son Église. À personne il n’impose des fardeaux au-dessus de ses forces ; à personne il ne refuse le don proportionnel à ses forces », Cajetan, in h. l. L'égalité se trouve par là-même rétablie d'une certaine manière, et personne ne peut se plaindre, puisque personne ne devra rendre compte que de ce qu'il aura reçu. - Il partit aussitôt : immédiatement, sans laisser d'ordres précis relativement à l'administration des biens qu'il avait distribués. Il abandonne tout à l'action libre et spontanée des trois esclaves. Remarquons aussi qu'il ne fait connaître en aucune façon l'époque de son retour : il veut surprendre tout à coup les gens de sa maison.
Fulcran Vigouroux
Chez les Hébreux, le talent valait environ 4414 francs (en 1900).