Matthieu 26, 15

et leur dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui remirent trente pièces d’argent.

et leur dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui remirent trente pièces d’argent.
Saint Thomas d'Aquin
2632. ET IL LEUR DIT. Ici est présentée l’entente en vue de la trahison. Premièrement, l’entente est présentée ; deuxièmement, la mise en œuvre.

Premièrement, il faut considérer la cupidité [de Judas] ; deuxièmement, sa présomption. Sa cupidité, lorsqu’il dit : QUE VOULEZ-VOUS ME DONNER ET MOI, JE VOUS LE LIVRERAI ? Il a renié toute amitié pour de l’argent. Si 10, 10 : Rien n’est plus funeste que d’aimer l’argent. En effet, celui-ci a une âme vénale. Lui qui n’a pas réfréné sa cupidité tombe ainsi dans la trahison. Car, voyant qu’il avait été privé du prix du parfum, il voulut donc le récupérer en trahissant le Christ. La trahison est aussi touchée lorsqu’il dit : ET MOI, JE VOUS LE LIVRERAI. Ce fut une grande présomption que de livrer [le Christ], lui qui savait tout. De même, [Judas] parle comme quelqu’un qui a une mauvaise opinion de Dieu, car lorsque quelqu’un veut vendre [à un autre] quelque chose qu’il aime, il lui propose un prix ; mais lorsqu’il a quelque chose dont il veut se débarrasser, il dit : «Donnez-moi ce que vous voulez !» Ainsi s’exprime [Judas] : QUE VOULEZ-VOUS ME DONNER ?, c’est-à-dire : «Donnez ce que vous voulez.» Ils ont obtenu pour rien une terre désirable, Ps 105[106], 24.

2633. CEUX-CI LUI VERSÈRENT TRENTE PIÈCES D’ARGENT. Origène dit que ceux qui rejettent Dieu pour un avantage temporel agissent de la même façon. En effet, Il habite en nous par la foi, mais nous Le rejetons lorsque nous nous attachons trop fortement aux réalités temporelles. [Matthieu] dit donc : CEUX-CI LUI VERSÈRENT TRENTE PIÈCES D’ARGENT. Mais pourquoi s’est-il exprimé ainsi ? Parce que cela avait été exprimé par Za 11, 12 : Et ils ont estimé mon prix à trente pièces d’argent. Et il ne faut pas dire que Joseph a été vendu pour trente deniers, mais l’Écriture indique seulement [qu’il le fut] pour vingt pièces d’argent, c’est-à-dire des deniers. Mais que veut-il dire par TRENTE ? Il faut [bien] comprendre : ce nombre se compose de cinq et de six ; ainsi cinq fois six donnent trente. Par cinq, sont indiqués les livres de Moïse, ou bien les réalités temporelles qui sont soumises aux cinq sens. Ainsi est-il indiqué que le salut arriverait au sixième âge après la loi de Moïse.
Louis-Claude Fillion
Offre révoltante et cynique qui, mieux que les raisonnements étranges de nos beaux esprits contemporains, montre sous son vrai jour le caractère de Judas et la nature de son œuvre. S'il est exact de dire, à certains points de vue, que la trahison de Notre-Seigneur Jésus-Christ par l'un de ses Apôtres constitue un « problème psychologique des plus difficiles » (Reuss, Hist. évang. p. 623), il est faux d'ajouter que « nos Évangiles ne nous fournissent que des éléments insuffisants pour sa solution ». Non seulement ils signalent le fait matériel de la trahison, mais ils en laissent encore entrevoir assez clairement les causes morales. Aussi les Pères et les anciens auteurs avaient-ils estimé Judas à sa juste mesure ; cf. S. August. De Cons. Evang. 3, 4 S. Jérôme in h. l. ; Maldonat, Corn. a Lap., Jansénius, etc. Mais ceux qui, de nos jours, ont attaqué Jésus avec tant de violence, n'avaient-ils pas intérêt à prendre le parti du traître, à pallier leur faute en excusant la sienne ? C'est ainsi qu'ils ont cherché à l'idéaliser, à le transformer en héros tragique. « Sans nier, écrit M. Renan, Vie de Jésus, 1ère édit. p. 382, que Judas de Kerioth ait contribué à l'arrestation de son Maître (même à M. Renan, il serait assez difficile de le nier!), nous croyons que les malédictions dont on le charge ont quelque chose d'injuste. Il y eut peut-être dans son fait plus de maladresse que de perversité... Il ne semble pas qu'il eût complètement perdu le sentiment moral puisque, voyant les conséquences de sa faute, il se repentit et, dit-on, se donna la mort ». Pourquoi ne pas dire simplement, comme d'autres auteurs l'insinuent, que Judas a livré son Maître par excès d'amour ? Croyant fermement au rôle messianique de Jésus, il ne voyait pas sans peine la lenteur avec laquelle il établissait son royaume. Pour l'obliger à sortir de cette réserve, il aurait fait semblant de le trahir, en le plaçant dans une situation telle que, toute retraite lui étant impossible, il devrait forcément proclamer sa mission divine, et recourir aux prodiges éclatants, aux manifestations populaires. Le trône de David serait ainsi rapidement et glorieusement conquis (cf. Schollmeyer, Jesus und Judas, p. 52, Lunebourg 1846 ; K. Hase, Leben Jesu, p. 231 et ss. 5ème édit.). Sans s'avancer autant, divers écrivains modernes ont eu recours à des hypothèses pour le moins assez singulières, afin d'expliquer la conduite de Judas. Il aurait été mû, selon les uns, par un sentiment de haine sauvage et de vengeance féroce qui se serait éveillé dans son cœur, soit à la vue de S. Pierre nommé prince des Apôtres et de S. Jean choisi pour disciple privilégié, soit à la suite de quelques avertissements sérieux de Jésus ; selon d'autres, par un désappointement très vif, le royaume messianique, sur les joies humaines et les gloires terrestres duquel il comptait, lui apparaissant désormais dans toute sa nudité au point de vue des espérances mondaines ; suivant d'autres encore, par la crainte de voir bientôt Jésus renversé par ses puissants ennemis, auquel cas ses disciples seraient exposés aux dangers les plus graves. – Mais non, tels ne furent pas les mobiles réels et principaux de l'action de Judas : une sordide avarice, le désir d'un misérable gain dominèrent dans sa trahison tout autre motif. « C'était un voleur », lisons-nous en propres termes dans le récit inspiré, Joan. 12, 6 ; et ne peint-il pas lui-même son acte sous son caractère véritable, quand il dit brusquement aux princes des prêtres : « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? ». Un homme qui tient un pareil langage n'a rien que de vil et de vulgaire : une trahison proposée en termes semblables ne peut trouver aucun palliatif ; c'est la plus honteuse et la plus détestable qui se puisse commettre. « Qui pourrait assez s’étonner de la malignité de Judas qui va de lui-même trouver les Juifs pour leur vendre son Maître, et qui le leur vend à si vil prix? », S. Jean Chrys. Hom. 80 in Matth. Nous verrons, en étudiant le quatrième Évangile, cf. Joan. 6, 60 et ss., que les sombres projets de Judas contre son Maître remontaient à une date assez éloignée ; mais son âme n'était arrivée que par degrés à cet excès d'infamie et d'impudence. - Et je. On dirait qu'il appuie sur ce pronom personnel. Moi, son apôtre ; moi à qui la réussite sera si facile. Cf. Luc de Bruges, in h. l. - Ils convinrent. « Nouvel Achitophel, Judas est reçu avec des transports de joie par les membres du Sanhédrin, comme le premier l'avait été au conseil des rebelles convoqué par Absalon », Lémann, Valeur de l'assemblée, etc. p. 54. D'après les récits de S. Marc, 14, 11, et de S. Luc, 22, 5, les princes des prêtres ne livrèrent pas aussitôt à Judas le prix de sa trahison : ils promirent seulement de le lui remettre plus tard, sans doute après qu'il aurait exécuté lui-même la partie du contrat qui le concernait. - Trente pièces d'argent. S. Matthieu est le seul à noter exactement la somme offerte à Judas. Ce qu'il appelle pièce d'argent ne peut être que le sicle d'argent, ou sicle du sanctuaire, qui valait un peu plus que le sicle commun. La monnaie sacrée entrait seule dans le trésor du Temple : les prêtres n'en pouvaient pas promettre d'autre à Judas. Or le sicle du sanctuaire était, d'après l'historien Josèphe, Ant. 3, 8, 2, l'équivalent de quatre drachmes attiques, ou plus exactement, selon S. Jérôme, de trois drachmes et un tiers. Cf. Comm. in Mich. 19. Cent drachmes produisent dans notre monnaie la somme de 100 fr. environ (en 1895 ; soit environ 38 000€ en 2014 – source INSEE) : somme assurément bien faible, même si l'on tient compte des changements considérables survenus dans la valeur vénale et usuelle de l'argent depuis cette époque lointaine. Aussi a-t-on eu parfois recours à des suppositions de tout genre, pour expliquer que Judas s'en soit contenté. Les trente sicles n'étaient que des arrhes, dit le Dr Sepp, Leben Jesu, t. 6, p. 22. Les Sanhédristes agissaient ainsi par ironie, pensent d'autres auteurs ; ou bien, Judas espérait obtenir davantage une fois sa trahison consommée. Les rationalistes (Strauss, de Wette, Ewald), trouvent plus simple d'affirmer que la tradition, c'est-à-dire la narration évangélique, est dans l'erreur. Assurément, la somme était relativement modique : mais, outre que la cupidité, quand elle a été surexcitée, se contente de peu, il faut voir dans cette circonstance un trait providentiel. Dieu permit qu'on offrît précisément trente sicles à Judas, pour réaliser ainsi l'oracle prophétique de Zacharie, 11, 12 et ss. ; cf. Matth. 27, 9 : « Ils ramassèrent les trente pièces d’argent ». Les Pères aimaient déjà à faire observer que, d'après la Loi, Ex. 21, 32, on payait cette même somme comme indemnité au maître dont on avait tué involontairement l'esclave. Le sang de Jésus, comme celui d'un esclave, fut donc payé trente pièces d'argent. - La légende s'est emparée des trente deniers pour leur attribuer une origine et des vicissitudes historiques tout-à-fait surprenantes. Voir Hoffman, das Leben Jesu nach den Apokryphen, Leipzig, 1851, p. 333 ; Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 41.
Fulcran Vigouroux
Trente pièces d’argent ; c’est-à-dire trente sicles, qui font environ quarante-huit francs de notre monnaie (en 1900) ; c’était le prix ordinaire d’un esclave.