Matthieu 26, 23

Prenant la parole, il dit : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer.

Prenant la parole, il dit : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer.
Saint Thomas d'Aquin
2646. IL RÉPONDIT : «CELUI QUI MET LA MAIN DANS LE PLAT, CELUI-LÀ ME TRAHIRA.» Ici est présentée l’annonce anticipée sous forme de prophétie. Premièrement, [Matthieu] présente l’annonce prophétique anticipée ; deuxièmement, la nécessité de la passion ; troisièmement, la condamnation du traître.

2647. [Matthieu] dit donc : IL RÉPONDIT. On peut interpréter ainsi Ps 40[41], 10 : Celui qui mangeait mon pain a accumulé contre moi les manœuvres. CELUI QUI MET LA MAIN DANS LE PLAT [paropsis]. Marc dit : Dans le bassin. On appelle «plat» [paropsis] un contenant carré, ayant pour ainsi dire des côtés égaux [paria]. Le «bassin» est un récipient de terre cuite pour recueillir les breuvages. Ainsi, dans les «bassins» étaient déposés les breuvages, et dans les «plats», les [aliments] solides. Les deux pouvaient donc se trouver là. Ou bien, l’on parlait d’un plat, qu’on appelait bassin en raison de sa fonction.

2648. Et pourquoi dit-il : CELUI QUI MET LA MAIN DANS LE PLAT ? Il faut dire que c’était la coutume chez les anciens que plusieurs mangent dans un même plat, et peut-être utilisaient-ils un récipient. Étonnés, tous retirèrent donc la main, sauf Judas, afin de se disculper davantage. C’était donc une façon de parler qui prêtait au doute, car il mettait la main en même temps que tous les autres. [Le Seigneur] ne voulut donc pas le mettre à découvert de crainte qu’il ne devienne davantage pécheur. Ou bien, on peut dire qu’ils étaient assis deux à deux, et que [Judas] s’était placé près de lui pour l’amener. Mais plusieurs ne sont pas amenés par l’amitié.

2649. LE FILS DE L’HOMME S’EN VA COMME IL EST ÉCRIT DE LUI. «Pourquoi dis-tu que tu l’as livré ?» [Le Seigneur] dit : «LE FILS DE L’HOMME S’EN VA», à savoir, de sa propre volonté. Il s’est offert parce qu’il l’a voulu, comme il est écrit en Is 53, 7. La passion avait donc été prédite par les prophètes, comme on le lit en Lc 24, 27 : En commençant par Moïse et tous les prophètes, il leur expliqua toutes les Écritures qui parlaient de lui. Et ainsi, rien ne nuit au Fils de l’homme, car il arrive ce qu’il a lui-même décidé. Mais on dira : «S’il s’en va de sa propre volonté, il ne faut donc pas l’imputer à Judas.» Bien au contraire, faut-il répondre, car il faisait par une volonté mauvaise ce que le Fils faisait volontairement.

2650. C’est pourquoi viennent ensuite les peines : MALHEUR À L’HOMME PAR QUI LE FILS DE L’HOMME EST LIVRÉ ! Comme plus haut, 17, 7 : Il est nécessaire qu’arrivent des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! La grandeur de la peine est abordée : IL AURAIT MIEUX VALU QU’IL NE FÛT PAS NÉ. De cela vient une occasion d’erreur. En effet, certains disent qu’une peine n’est pas imposée à qui n’existe pas ; ils disent donc qu’il aurait été tout simplement mieux qu’il n’existe pas, ce qui va à l’encontre de l’Apôtre, Rm 9. De sorte que, selon Jérôme, il faut dire que [le Seigneur] parle selon la manière commune de parler : il aurait moins nui, il subirait un moindre tourment s’il n’était pas né. Cela semble correspondre à ce qui est dit en Qo 4, 2 : J’ai fait l’éloge des morts plutôt que des vivants. Mais cela va à l’encontre d’Augustin, dans le livre Sur le libre arbitre. Du fait qu’il n’y a rien, cela ne peut être choisi. De même, le fait que nous choisissions est plus proche de la félicité. Mais le fait qu’on n’existe pas n’est pas plus proche de la félicité.

2651. Que faut-il donc dire ? Est-ce que quelqu’un peut choisir plutôt de ne pas exister que d’être soumis à une peine ? Ne pas exister peut donc s’entendre de deux façons : en soi ou par comparaison à autre chose. En soi, je dis que cela ne peut être choisi, comme le dit Augustin, mais par comparaison à autre chose, cela peut être choisi, comme le dit Jérôme. En effet, [ne pas exister] n’est pas quelque chose [qui existe] par nature, mais est perçu comme quelque chose par la perception de l’âme, comme le fait de ne pas être assis. Or, le choix porte sur ce qui est perçu. De sorte qu’être privé d’un mal est perçu comme un bien. Ainsi, si on choisit [cela] non pas en soi, mais en tant que cela exclut le mal, on choisit donc, comme le dit le Philosophe. Par cela, la réponse au second point est claire. [Le Seigneur] dit donc que ce qui s’éloigne le plus du mal est perçu comme plus rapproché de la félicité. Ainsi, pour un homme pris de fièvre, être exempt de fièvre semble être une félicité, car il semble ne pas être dans les souffrances. Il est donc mieux de ne pas être que d’être dans les souffrances.

2652. JUDAS, CELUI QUI LE TRAHISSAIT, LUI RÉPONDIT : «SERAIT-CE MOI, MAÎTRE ?» Il faut remarquer qu’il dit cela par simulation ; ainsi, en tardant à poser la question, il avait indiqué qu’il était triste, mais il simulait. De même, les autres l’appellent «Seigneur», mais lui, «Maître». Toutefois, [Jésus] était les deux, Jn 13, 13 : Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis.

[LE SEIGNEUR] LUI RÉPONDIT : «TU L’AS DIT.» Remarquez la mansuétude du Seigneur. Plus haut, 11, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et cela, afin de nous donner un exemple de mansuétude. Il dit donc : «TU L’AS DIT», à savoir : «Tu l’as confessé.» Ou bien : «Tu dis cela, je ne l’affirme pas ; mais toi, tu le dis.» Ce n’est donc pas la parole de qui affirme. En effet, il ne voulait pas le dévoiler, comme s’il disait : «Je ne l’affirme pas, mais toi, tu le dis.»
Louis-Claude Fillion
Dans sa réponse, le Sauveur répète avec énergie sa première assertion, se contentant d'y ajouter un détail qui fait mieux ressortir l'odieux caractère de la trahison. - La main au plat. Jésus fait allusion à une coutume qui subsiste encore dans l'Orient moderne, au grand désagrément des voyageurs européens. Les mets sont habituellement servis sur de vastes plats dans lesquels chaque convive, la main armée d'un morceau de pain, puise directement les viandes, les sauces et les légumes. - On a souvent pris à la lettre cette parole du Sauveur, dont on a conclu qu'au moment où elle a été prononcée, Judas étendait de fait la main vers le plat commun (D. Calmet, Corn. a Lap., Rosenmüller, Fritzsche, de Wette, etc.). Mais il n'est pas possible de lui attribuer ce sens, puisque alors Judas eût été clairement désigné comme le traître, tandis que nous savons, d'après S. Jean 13, 20, que son crime demeura encore un mystère pour la plupart des Apôtres. C'est donc une expression générale pour dire : L'un de mes amis les plus intimes. Cf. Ps. 40, 10 : « Même l'ami, qui avait ma confiance et partageait mon pain, m'a frappé du talon ». - Au plat désignait un plat de grande dimension. - Celui est emphatique, comme plus haut « vous ».
Fulcran Vigouroux
Dans le plat, en grec, trublion, plat très grand. En Orient, les assiettes sont inconnues ; chacun prend immédiatement dans le plat, à mesure qu’il mange, chacun de ses morceaux, en se servant de son pain en guise de cuiller et de fourchette. Tous les Apôtres mettaient donc la main dans le plat avec le Sauveur, et ces paroles ne désignaient pas le traître mais signifiaient seulement : C’est un de ceux qui mangent ici avec moi qui me trahira.