Matthieu 26, 27

Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, en disant : « Buvez-en tous,

Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, en disant : « Buvez-en tous,
Saint Thomas d'Aquin
2674. Plus haut, il a été question de l’institution d’un sacrement nouveau pour ce qui est du sacrement du corps du Seigneur. Ici, il est question de l’institution du même [sacrement] pour ce qui est du sacrement du sang. À ce sujet, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, les gestes du Christ sont présentés ; deuxièmement, [ses] paroles, en cet endroit : BUVEZ-EN TOUS.

À propos du premier point, trois gestes sont présentés : premièrement, il prend la coupe ; deuxièmement, il rend grâce ; troisièmement, il la donna à ses disciples.

2675. [Matthieu] dit donc : PUIS PRENANT UNE COUPE, etc. Il est indiqué par cela que [le sacrement] ne fut pas institué pour être réalisé sous une seule espèce, mais sous deux. Et quelle est la raison de cela ? Une raison est qu’il y a trois choses dans le sacrement : l’une, le sacrement seul ; une autre, la réalité seule ; une autre, le sacrement et la réalité. Le sacrement seul, ce sont les espèces du pain et du vin. La réalité seule, c’est l’effet spirituel. La réalité et le sacrement, c’est le corps contenu [dans le sacrement].

2676. Si donc nous considérons le sacrement seul, il convient tout à fait que le corps soit ainsi signifié sous l’espèce du pain et le sang sous l’espèce du vin, car ils sont signalés comme une indication de la réfection spirituelle. Or, la réfection relève à proprement parler de la nourriture et de la boisson. Donc, etc. De même, si l’on considère la réalité et le sacrement, il revient à ce sacrement de rappeler la passion du Seigneur. Et il ne pouvait mieux la signifier qu’en indiquant que le sang était répandu et séparé du corps. De même, si on l’envisage sous l’aspect de la réalité seule, car le sang est en rapport avec l’âme, non pas que le sang soit l’âme, mais parce que la vie est conservée par le sang. Il est donc indiqué que, puisque ce sacrement est destiné au salut des fidèles, le pain soit offert pour le salut du corps, mais le vin pour le salut de l’âme. Pr 9, 5 : Venez manger mon pain et boire le vin que j’ai mêlé pour vous, car cette réfection se trouve dans le pain et dans le vin.

2677. Il y a aussi une autre raison, car tout le Christ est contenu dans le corps. Pourquoi donc est-il nécessaire que le sang soit à part ? Il faut donc comprendre ce qui a été dit plus haut, à savoir qu’une chose s’y trouve directement par l’efficacité du sacrement, et une autre en vertu d’une concomitance naturelle. Sous l’espèce du pain, le corps du Christ est contenu par l’efficacité du sacrement, mais le sang par concomitance. Mais, dans le sang, c’est l’inverse, car le sang s’y trouve par l’efficacité du sacrement, mais le corps par concomitance. De sorte que si on avait célébré le sang du Christ répandu à terre, il ne se serait agi que du sang considéré séparément. Comme certains n’ont pas compris cela, ils ont donc dit que ces formules se répètent sans interruption. Ils disent donc que, lorsque le corps est consacré, le sang n’y est pas avant que le vin ne soit consacré. Mais tel n’est pas le cas, car si le prêtre mourait avant d’avoir consacré le vin, il y aurait dans l’hostie et le corps et le sang.

2678. [Matthieu] dit aussi : PRENANT UNE COUPE, et il ne dit pas : Prenant du vin. Pour cette raison, certains ont dit qu’il devait faire cela avec de l’eau. Mais cela est exclu, car vient ensuite : JE NE BOIRAI DU PRODUIT DE LA VIGNE, etc. [26, 29]. En second lieu, il est clair qu’il s’agissait de vin et d’eau mêlés. La raison de cela vient du sacrement, car il doit être célébré comme le Seigneur l’a institué. Or, dans les pays chauds, c’est la coutume que le vin ne soit pas bu sans eau. Il ne faut donc pas croire que [le Seigneur] l’a fait avec du vin seulement. Cela convient aussi à ce qui est contenu [dans le sacrement], car ce sacrement est un mémorial de la passion du Seigneur. Or, du côté du Christ, sont sortis du sang et de l’eau, comme on le lit en Jn 19, 34. C’était aussi pour signifier les effets, et cela de deux façons : parce que [ce sacrement] signifie le rappel de la passion du Christ, il doit donc entraîner en nous les effets de la passion du Christ. Or, l’effet est double : laver et racheter. Il nous a rachetés par son sang. Ap 5, 9 : Il nous a rachetés pour Dieu dans son sang. Il a aussi lavé nos souillures. Ap 1, 5 : Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés dans son sang. Or, l’eau et le sang étaient nécessaires pour laver et racheter. L’ablution est signifiée par l’eau et la rédemption par le vin. De même, par l’eau est signifié le peuple. Ap 17, 1 : Les grandes eaux, un peuple nombreux. Or, par ce sacrement, le peuple est uni au Christ. Ainsi, par ce mélange, on signifie que le peuple est uni au Christ. Mais que devient cette eau ? Certains disent qu’elle demeure. D’autres disent qu’elle est changée en vin, car lorsqu’on en ajoute un peu, l’espèce est changée, et ainsi l’ensemble est changé. Et, de cette façon, cela se rapporte au mystère, car en cela l’unité de l’Église est contenue.

2679. De même, par le fait que [Matthieu] dit : IL PRIT, il indique qu’il a souffert la passion volontairement. Ainsi, en Ps 115[116], 13 : Je prendrai la coupe du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur. De même, IL RENDIT GRÂCE. Et pour quoi ? Pour deux choses : pour le signe et pour ce qui est signifié. Pour le signe, car [il rendit grâce] pour [son] effet ; pour ce qui est signifié, car [il rendit grâce] pour [sa] passion. Par cela est indiqué que nous devons rendre grâce non seulement pour les biens, mais aussi pour les maux et pour l’adversité. 1 Th 5, 18 : Rendant grâce en toutes choses. Rm 8, 28 : Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. Il rendit aussi grâce pour l’institution de ce sacrement, parce qu’il faisait cela par la puissance divine. Ainsi, en Jn 5, 30 : Je ne fais rien de moi-même. Il rend ainsi grâce à Dieu, le Père. Jn 11, 41 : Je te rends grâce parce que tu m’as écouté. Par cela, un exemple nous est donné, car si le Christ rend grâce, lui qui était égal au Père, nous devons nous aussi rendre grâce. Il rend aussi grâce pour l’effet, car cet effet est le salut du monde. Et il ne peut faire cela qu’en vertu de [sa] divinité. Jn 6, 64 : C’est l’Esprit qui vivifie, mais la chair ne sert à rien.

2680. Vient ensuite : IL LEUR DONNA, afin qu’ils participent au sacrement. Et par cela il signifiait que les fruits de sa passion devaient être distribués aux autres par d’autres. Les apôtres peuvent donc être ainsi comparés aux petits de l’aigle, dont on dit en Dt 32, 11 : Comme un aigle qui incite ses petits à voler en voletant au-dessus d’eux.

Puis, il en ordonne l’usage. Premièrement, il en propose l’usage ; deuxièmement, [il propose] les paroles de la consécration du sang ; troisièmement, il annonce à l’avance [sa] résurrection. Il dit donc : BUVEZ-EN TOUS. Ct 5, 1 : Buvez et enivrez-vous, mes très chers. Il est indiqué par là que les chrétiens peuvent communier dans l’espace et dans le temps.
Louis-Claude Fillion
Mais, pour que le banquet d'amour fût complet, il fallait un breuvage de même nature. Jésus passe donc à une seconde consécration. - Prenant le calice. La coupe qui a circulé plusieurs fois déjà pendant le festin légal va porter aux Apôtres une liqueur toute divine. Sa forme était bien éloignée de celle de nos calices modernes. C'était, selon toute probabilité, un gobelet peu profond, très évasé, muni d'un pied fort bas et de deux petites anses, imité des modèles grecs et romains comme la plupart des ustensiles juifs à cette époque. Cf. A. Rich, Diction. des Ant. rom. et grecq. au mot Calix ; Smith, Dict. of the Bible, art. Cup. La légende n'a pas manqué de s'en emparer, comme elle avait fait des trente pièces d'argent : elle le fait remonter de main en main jusqu'au patriarche Noé. Cf. Sepp, Leben Jesu-Chr., t. 5, p. 90 et ss. Dans ce calice Jésus versa du vin rouge, cf. Lightfoot, Hor. hebr. in h. l., car c'est le plus commun en Palestine et c'est lui, dit Tertullien, qui représente mieux le sang. Il y versa aussi un peu d'eau. La tradition l'enseigne très généralement. Origène maintient cependant l'emploi du vin, sous prétexte qu'il symbolise mieux le sang très-pur du Sauveur. Mais le rituel juif prescrivait en termes formels de mêler de l'eau au vin dans les coupes du festin légal (Cf. Lightfoot, de Minister. Templi, c. 13, n. 3), avec l'une desquelles le calice eucharistique dût se confondre, comme l'admettent communément les exégètes. La troisième coupe était appelée dans le langage liturgique des Juifs « coupe de la bénédiction », nom que S. Paul donne précisément aux espèces sacramentelles, cf. 1 Cor. 10, 16 ; c'était elle qui était regardée comme la principale, parce qu'elle suivait immédiatement la manducation de l'agneau pascal. Pour ces motifs, divers auteurs (Lightfoot, Hor. Talm. in h. l. ; Paulus, Exeg. Handb., t. 3, p. 497 ; Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.) ont pensé que c'est elle qui eut l'honneur d'être transformée au corps et au sang du Sauveur. D'autres interprètes se sont déclarés en faveur de la quatrième coupe ; d'autres en faveur de la cinquième qui mettait fin à la cène. Nous verrons, en expliquant le mot « tous », que cette dernière hypothèse est probablement la plus vraie des trois. - Il rendit grâces ; en grec, « Eucharistie », action de grâces, donné au divin sacrement de l'autel, que Jésus instituait alors en rendant grâces à son Père. D'autres rites, ceux-là même que le prêtre reproduit chaque jour en consacrant les espèces du vin, durent être suivis par Jésus : il éleva légèrement la coupe et regarda le ciel, comme devait faire le père de famille pendant le festin de la Pâque, d'après la tradition juive. Cf. la glose de Bab. Berach. f. 51, 1. - Le leur donna : il fit passer le calice de main en main, après leur avoir recommandé d'en boire tous sans exception : Buvez-en tous. Ce « tous » a reçu des interprétations bien diverses, parfois même bien ridicules. C'est ainsi que les protestants, et en général les partisans de la communion sous les deux espèces, ont prétendu que Jésus l'aurait dirigé tout exprès, dans un pressentiment prophétique, contre l'Église catholique qui devait plus tard retirer aux laïques l'usage du calice ; voir Buxtorf, Dissert. de coena Domini, p. 323. Suivant Corneille de Lapierre, in h. l., Notre-Seigneur voulait simplement montrer à ses disciples et à leurs successeurs que les deux espèces du pain et du vin sont de rigueur pour que le sacrifice de la messe soit complet, mais qu'il n'appartient qu'aux seuls prêtres de communier sous les deux espèces. Maldonat et le P. Perrone, Theolog. Dogmat., lib. 8, § 198, font une autre conjecture sur l'intercalation du mot « tous ». Il avait pour but, disent-ils, d'insinuer aux disciples que, tous devant participer à ce calice unique, il fallait que chacun prit ses précautions de manière à en laisser aux autres. - Assurément, aucune de ces explications n'aura dû paraître satisfaisante à nos lecteurs. De concert avec M. J. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 185 et suiv., nous leurs proposons l'interprétation suivante qui a le double avantage de ne rien contenir d'excentrique et d'être appuyée sur les coutumes sacrées des Juifs. Nous avons dit, note du v. 21, qu'à la fin du repas légal, quand on avait récité la seconde partie de l'Hallel, les convives avaient le droit de proposer une cinquième coupe. Nous croyons que Notre-Seigneur, usant de ce droit, remplit pour la cinquième fois le calice qui avait servi à l'assemblée : bien plus, c'est alors qu'il consacra le vin en son sang. Mais comme chacun était libre, d'après les instructions du rituel, d'accepter ou de refuser cette dernière coupe, il prit soin d'indiquer à ses apôtres qu'ils devaient tous y participer. De là l'insertion de l'adjectif « tous ».
Fulcran Vigouroux
Buvez-en tous. Cela fut dit aux douze apôtres, qui tous étaient alors présents ; mais il ne s’ensuit nullement qu’il soit ordonné à tous les fidèles de boire de ce calice, pas plus qu’il ne leur est ordonné de consacrer, d’offrir et d’administrer ce sacrement, parce que Jésus-Christ, dans le même moment, commanda à ses apôtres de faire cela, selon ces paroles de saint Luc (voir Luc, 22, 19) : Faites ceci en mémoire de moi.