Matthieu 27, 35

Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ;

Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ;
Saint Thomas d'Aquin
2850. QUAND ILS L’EURENT CRUCIFIÉ, etc. Mais on peut se demander pourquoi il a plutôt voulu mourir de cette mort. Une raison vient de ceux qui le crucifiaient, car ils voulaient qu’il soit diffamé par cela, selon ce que dit Sg 2, 20 : Condamnons-le à la mort la plus honteuse, etc., et celle-ci est [la mort sur] la croix. Aussi, cela [vient] d’une disposition de Dieu, car le Christ a voulu être notre maître afin de nous donner un exemple de la manière de supporter la mort. Il a donc souffert la mort afin de nous libérer par la mort, comme on le lit en He 2, 14s. Or, nombreux sont ceux qui veulent endurer la mort, mais ils fuient une mort honteuse. C’est pourquoi le Seigneur a donné l’exemple afin qu’ils ne fuient aucun genre de mort. De même, cela était approprié à la rédemption, car c’était en satisfaction pour le péché du premier homme. Or, le premier homme a péché par le bois. Le Seigneur a donc voulu souffrir par le bois. Sg 14, 7 : Béni soit le bois par lequel est rétablie la justice ! De même, le Christ devait être élevé par sa passion. Il a donc voulu être élevé par la passion sur la croix. Il voulait aussi s’attirer nos cœurs. Jn 12, 32 : Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. C’était aussi afin que nos cœurs soient élevés.

2851. ILS SE PARTAGÈRENT SES VÊTEMENTS. Ici est présenté ce qui a été fait pour outrager le crucifié : premièrement, le partage de ses vêtements est présenté ; deuxièmement, l’apposition d’une inscription ; troisièmement, l’association [à des malfaiteurs].

À propos du premier point, [Matthieu] présente le fait ; deuxièmement, la prophétie.

Il dit donc : ILS SE PARTAGÈRENT. Chrysostome dit que c’était là une grande insulte. C’était en effet la coutume que le condamné ne soit pas dénudé, à moins qu’il ne s’agît d’un homme de la plus basse condition. Afin donc de lui infliger un grand outrage, ils le dépouillèrent, pour que nous recevions l’enseignement que nous devons nous dépouiller de tous les effets des actes charnels. Comment cela s’est-il fait, Matthieu glisse [sur la question], mais Jean raconte, 19, 23s, que chaque soldat reçut une partie d’un autre vêtement. Mais, pour ce qui est de la tunique sans couture, ils la tirèrent au sort. Puis la prophétie est présentée : Afin que s’accomplît ce qui est dit par le prophète. AFIN n’a pas un sens causal, mais consécutif, car, du fait que le Christ a souffert, il arrive que s’est accompli ce qui avait été dit.
Louis-Claude Fillion
La sévère simplicité avec laquelle les Évangélistes racontent les scènes, pourtant si émouvante, de la Passion du Fils de Dieu, a été fréquemment admirée. Elle est un gage manifeste de leur parfaite impartialité. « Leurs narrations ne seraient pas plus incolores, si c'étaient des rapports officiels émanés de Pilate ou de ses subordonnés. On n'y rencontre pas une seule épithète destinée à exprimer ou à exciter soit l'indignation contre les bourreaux, soit la compassion pour la victime. Il n'y est pas fait de tentative pour déduire quelque conclusion doctrinale. Les écrivains se bornent à constater les faits... Ils ont exposé le drame du Calvaire aux yeux du monde tels qu'ils l'ont vu. Chaque génération nouvelle contemple à travers une atmosphère claire et limpide l'image du Crucifié, que ne recouvre aucune draperie formée par la rhétorique du sentiment », L. Abbott, the N. Test. t. 1, p. 303. Nous aimerions pourtant trouver dans l'Évangile quelques détails sur le crucifiement du Sauveur. Les écrivains sacrés n'en donnent aucun, parce qu'ils supposaient le supplice de la croix, si fréquent à cette époque, bien connu de tous leurs lecteurs. Heureusement, il est facile de combler cette lacune, grâce aux nombreuses données de l'archéologie. Nous parlerons d'abord de la croix, puis du crucifiement. - 1 La croix. Cet antique et douloureux instrument de supplice reçut dans le cours des temps les formes les plus variées. Après avoir été à l'origine un simple poteau auquel on attachait le condamné, il ne tarda pas, grâce à l'addition d'une branche transversale, à prendre un aspect complètement nouveau. On eut ainsi, selon la manière dont cette branche fut rattachée au tronc primitif, trois sortes de croix. La première, plus connue sous le nom de croix de S. André, était en forme d'X ; la seconde, appelée parfois croix de S. Antoine, ressemblait à la lettre T ; la troisième ne différait de la seconde que par une légère projection du montant principal au-dessus de la traverse : c'est la croix latine avec laquelle nous sommes familiarisés depuis notre enfance. Il est moralement certain que la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ eut cette dernière forme. Si les anciens monuments de l'art chrétien laissent la question douteuse, c'est parce que la croix du deuxième type y alterne avec celle du troisième, cf. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 322, la tradition paraît la trancher en faveur de la croix latine. En effet, les comparaisons par lesquelles les Pères essayent souvent de décrire la croix du Sauveur, v.g. un homme qui nage ou un oiseau qui vole (S. Jérôme, in Marc. c. 11), Moïse priant les bras étendus (S. Justin Mart., Dial. c. Tryph. c. 90 ; cf. Minut. Felix, Oct. c. 29), l'étendard romain (Tertull, Apol. c. 16) , les quatre points cardinaux (S. Maxime de Turin, de cruce Dom. hom. 3), un hameçon (S. Greg, Illum. ap. Spicil. Solesm. t. 1, p. 500), etc., ne peuvent guère s'appliquer qu'à la croix latine. D'ailleurs, la tablette attachée au -dessus de la tête du Sauveur, cf. v. 37, eût nécessairement transformé une croix en forme de T en croix latine. Les croix étaient d'ordinaire peu élevées : elles atteignaient tout au plus le double de la taille d'un homme. Nous savons par le témoignage d'autres anciens que le corps du patient était assez rapproché du sol pour que les bêtes sauvages pussent le dévorer. Cf. Sueton. Ner. 49. Elles étaient munies vers le centre de la tige d'un morceau de bois projeté en avant sur lequel, d'après l'expression consacrée, le condamné montait à cheval (voir dans S. Justin, Dial. c. Tryph., c. 91, et dans S. Iren. adv. Haeres. 2, 42, des expressions analogues). Ce support était nécessaire pour soutenir le corps du crucifié : autrement les mains, sur lesquelles tout le poids aurait porté, se seraient bientôt déchirées, et la victime aurait roulé jusqu'à terre. Cf. Tert. adv. Nat. 1, 12 ; Senec. Ep. 101. Le petit tabouret qu'on place habituellement sous les pieds de Jésus en croix aurait pu remplir le même but ; mais il n'est pas probable qu'il ait existé. Les auteurs anciens n'en font pas mention : S. Grégoire de Tours est le premier à le signaler. Ce sont sans doute les artistes qui l'ont inventé afin de pouvoir supprimer le chevalet dont la représentation eût été choquante. - 2. Le crucifiement. Les soldats chargés de l'exécution, cf. Senec. de Ira, 1, 17, Jos. Ant. 19, 1, 6, dépouillaient d'abord le condamné de ses vêtements : telle était la règle, cf. Artemidor. Oneirocrit. 2, 58, et la tradition suppose qu'elle fut exécutée pour Notre-Seigneur Jésus-Christ comme pour les condamnés vulgaires. Néanmoins, nous savons par maint passage des classiques grecs et latins (voir des citations dans Langen, l.c., p. 305) que le mot latin « nudus » ne doit pas toujours s'entendre d'une nudité complète. On peut donc légitimement affirmer que le voile respectueusement jeté autour des reins de Jésus crucifié n'est pas une pure fiction de l'art chrétien. Il est déjà mentionné dans l'Évangile apocryphe de Nicodème, ch. 10 ; de plus son emploi était rigoureusement exigé par les convenances juives, cf. tr. Sanhedr. c. 6, 3, et même romaines, cf. Horat. Ep. 1, 11, 18 ; S. August. de Civ. Dei 14, 17 ; Dionys. Halicarn. 7, 72 ; Langen, l.c., p. 306. Après que le condamné ait été dépouillé de Page 506 / 531 ses habits, on procédait au crucifiement. Il y avait deux manières de le pratiquer. Parfois la croix était d'abord étendue sur le sol, les soldats y attachaient le condamné, puis elle était dressée et consolidée. Mais cette méthode n'était qu'assez rarement employée. Le plus souvent, on commençait par planter en terre l'instrument du supplice : le patient était ensuite hissé sur la cheville que nous avons décrite, et on lui clouait les mains et les pieds aux différentes branches de la croix. C'est ainsi que Notre-Seigneur dut être crucifié. « Est plus vraisemblable l’opinion selon laquelle le Christ a été crucifié après que la croix ait été érigée, plutôt que quand elle était encore posée par terre. Lipsius montre, en effet, dans la croix, 2, 7, que la plupart du temps les condamnés à mort étaient crucifiés de cette façon. Et dans les auteurs anciens, on rencontre souvent ces expressions : monter sur la croix, placer sur la croix, hisser sur la croix. Elles signifient clairement que la croix était déjà érigée quand ont les clouait dessus. Il est certain qu’Athanase a dit dans son sermon sur la passion : il est venu au lieu où il avait à monter sur la croix. Et Hilaire dans la trinité, livre 10 : il a été élevé sur le bois. Saint Bonaventure, Rodolphe et Tolet sont du même avis. Bynoeus aussi, dans de la mort du Christ, 3, 6 », Benoit XIV, dans des fêtes, C.7, 86. Le docte Pontife aurait pu ajouter que c'était l'opinion de la plupart des Pères et de presque tous les commentateurs ; Cf. Gretser, de Cruce t. 1, p. 59 et ss. Adrichomius mentionne il est vrai, Theatr. terrae sanctae, § 118, une autre tradition, d'après laquelle Jésus aurait été cloué à la croix avant d'être élevé en l'air ; mais elle est relativement tardive et ne présente que fort peu de garanties. - Les mains étaient fixées les premières au bois de la croix au moyen d'énormes clous, dont M. Rohault de Fleury cite plusieurs spécimens dans son mémoire sur les Instruments de la Passion, p. 172 et ss. Les pieds étaient ensuite percés de la même manière. C'est dans cette opération et dans ses suites affreuses que consistait à proprement parler, dit Tertullien, adv. Marc. 3, 19, l'atrocité du crucifiement. Une double discussion s'est élevée touchant la manière dont les pieds divins du Sauveur furent attachés à la croix. 1° Plusieurs rationalistes (Paulus, von Ammon, etc.) prétendent qu'ils n'auraient pas été cloués, mais simplement liés avec des cordes. Ils allèguent en preuve de leur assertion un passage de S. Jean, 20, 25, où Notre-Seigneur, parlant de ses blessures, ne mentionne que celles des mains et du côté , nullement celles des pieds. Mais nous leur opposons l'autorité du Christ lui-même, d'après le récit de S. Luc, 24, 39 et ss. : « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai... Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. » Nous leur opposons encore le témoignage unanime de la tradition (cf. en particulier S. Justin Martyr, c. Triph. 97 ; Tertull. c. Marcion. 3, 19 ; C. Cyprien, etc. ; Friedlieb, Archaeologie der Leidengesch., p. 144 et ss.) qui voit dans le crucifiement du Sauveur l'accomplissement de la célèbre prophétie : « Ils ont percé mes mains et mes pieds », Ps. 22, 17. Nous leur opposons enfin le texte suivant de Plaute, Mostell. 2, 1, 13 : « Je donnerai un talent au premier qui grimpera au gibet, mais à condition qu'on lui clouera deux fois les mains, deux fois les pieds ». De cette offre singulière, il ressort évidemment que la coutume ancienne était de clouer les pieds aussi bien que les mains à l'arbre de la croix ; l'extraordinaire de la demande consiste en ce qu'on voudrait ici que chaque membre dût percé de deux clous. Au reste, nos adversaires démasquent leur jeu lorsqu'ils ajoutent que, la mort de Jésus n'ayant été qu'apparente, il n'est pas étonnant qu'il pût faire si promptement usage de ses pieds. S'il est question en divers endroits de cordes destinées à lier les coupables à la croix, cf. Pline, Hist. Nat. 28, 11 ; Xen. Ephes. 4, 2, etc., cela prouve qu'elles étaient souvent employées en même temps que les clous. Pour plus de commodité, on attachait les mains et les pieds avant de les percer. S. Hilaire réunit ensemble « Les chaînes des cordes qui le liaient et les plaies des clous qui le transperçaient ». - 2° La seconde discussion porte sur le nombre des clous qui servirent à fixer les pieds du Sauveur à la croix. Dans un poème faussement attribué à S. Grégoire de Nazianze, « Christus patiens », v. 1463 et ss., la croix est appelée « bois à trois clous », ce qui suppose que les deux pieds auraient été placés l'un sur l'autre et percés d'un seul clou, comme on le voit sur de nombreux crucifix. La paraphrase de Nonnus, in Joan. 19, 91, semble attester le même fait, quoique en termes assez obscurs. De nos jours, Movers (Zeitschr. für Phil. u. Kath. Theolog. 15, 183 et ss.) s'est également prononcé en faveur de cette opinion. Mais il est beaucoup plus probable que chaque pied fut attaché isolément par un clou distinct. Telle a toujours été l'opinion commune : voir la monographie de Corn. Curtius « de Clavis dominicis », Anvers 1670. S. Cyprien, qui avait souvent assisté à des crucifiements, parle au pluriel « des clous qui perçaient les pieds », Serm. de Pass. S. Ambroise. Orat. de obitu Theodos. § 47, Rufin, Hist. Eccl. 2, 8, Theodoret, Hist. Eccl. 1, 17, S. Grégoire de Tours, de Glor. martyr. 6, mentionnent expressément les quatre clous qui furent employés pour crucifier Notre-Seigneur. Du reste, il eût été extrêmement difficile de n'attacher les pieds du condamné avec un seul clou. La position du condamné, la forme de la croix, l'absence d'un support pour les pieds, auraient été de sérieux obstacles à cette dernière partie de l'exécution. - On s'est demandé parfois si les sculpteurs et les peintres ont raison de représenter l'image du divin Crucifié avec la couronne d'épines sur la tête. Ceux des anciens auteurs qui se sont occupés de cette question font une réponse affirmative, par exemple Origène, in Matth. , h.l., et Tertullien, contr. Judaeos, c. 13. L'Évangile de Nicodème, 1, 10, raconte aussi que les soldats, après avoir dépouillé Jésus de ses vêtements, lui passèrent un linge autour des reins et lui mirent de nouveau sur la tête son diadème douloureux. Il était d'ailleurs naturel que le « roi des Juifs » fût crucifié par les Romains avec cet attribut de sa royauté. Sur tous les points relatifs à la croix et au crucifiement nous renvoyons le lecteur aux savants ouvrages de Lipsius, de Cruce, de Salmasius, id., de Kippingius, de Cruce et Cruciariis, de Gretser, de Cruce Christi, et de Bartholinus, Hypomnemata de Cruce. Voir encore Smith, diction. of the Bible, s.v. Cross, Crucifixion ; Wetzer et Welte, Dict. Encyclop. au mot Crucifiement ; Winer, Realwoerterbuch, s.v. Kreuzigung. - Ils partagèrent entre eux ses vêtements. Lorsque les soldats eurent accompli leur horrible tâche, ils se partagèrent aussitôt les vêtements de la victime qui, de par la loi, Digest. 48, 206, De bonis damnatorum, l. 6, étaient adjugés aux bourreaux. Ils étaient quatre : ils firent donc quatre parts. - Les tirant au sort. Les portions étant nécessairement inégales, le sort fut chargé de décider celle de chacun. Cf. Joan. 19, 23, 24. - Afin que s'accomplît … Ces mots et la fin du verset sont omis par de nombreux manuscrits grecs et latin, par plusieurs Pères et plusieurs versions : aussi la plupart des critiques les rejettent-ils du texte comme apocryphes. C'est probablement une glose marginale empruntée à S. Jean, 19, 24, et insérée dans le texte de S. Matthieu par un copiste. - Par le prophète. La citation est tirée du Psaume 21, v. 19 ; elle est faite d'après les Septante.
Fulcran Vigouroux
Après qu’ils l’eurent crucifié. « Tantôt la victime était attachée par terre à la croix, qui était ensuite élevée avec son fardeau ; tantôt la croix était d’abord dressée, et le condamné attaché avec des cordes, puis cloué. Le premier mode paraît avoir été plus probablement employé sur le Calvaire. Les crucifiés étaient souvent fixés avec des clous [placés au milieu des mains et aux pieds.] Avant de clouer les pieds, on préparait le trou avec une broche. Ce que dit le Sauveur à saint Thomas, (voir Jean, 20, 27), prouve qu’il avait eu les mains percées de clous. Les auteurs profanes qui se sont occupés du crucifiement parlent toujours de quatre clous. Toutes les peintures grecques représentent Notre-Seigneur fixé sur la croix avec quatre clous. Le clou [de la passion conservé à] Notre-Dame [de Paris], de 90 millimètres de longueur, n’a pas de tête ; sa pointe méplate est intacte. La forge est en grossière. Le clou que l’on voit dans la basilique de Sainte-Croix de Jérusalem a 120 millimètres de long, 8 millimètres et demi de grosseur à sa plus grande dimension, et sa tête est couverte d’une espèce de chapeau creux au fond duquel il est rivé, comme on le voit à quelques clous antiques, à ceux par exemple de la Bibliothèque du Vatican. » (ROHAULT DE FLEURY.)