Matthieu 4, 1

Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.

Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.
Saint Thomas d'Aquin
381. Plus haut on a montré que le Christ s’est préparé à enseigner en recevant le baptême ; maintenant [il s’y prépare] en surmontant la tentation. A cet égard, il fait deux choses : d’abord est présentée la victoire qu’il a remportée sur la tentation ; deuxièmement, comment il a appelé les disciples à écouter [son] enseignement, en cet endroit : JÉSUS, MARCHANT LE LONG DE LA MER DE GALILÉE.

382. À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses : d’abord, il présente des préambules sur la tentation ; deuxièmement, il présente l’attaque de la tentation, en cet endroit : ET S’APPROCHANT LE TENTATEUR DIT ; troisièmement, la victoire, en cet endroit : ALORS LE DIABLE LE QUITTA.

383. Trois préambules sont abordés : le lieu, le jeûne et l’expérience de la faim.

384. À propos du premier point, quatre choses sont abordées : le temps, le lieu, celui qui commande et la fin de ce commandement.

385. Le temps : ALORS, c’est-à-dire dès qu’a été déclaré par la voix paternelle qu’il était le Fils de Dieu. En quoi [Matthieu] donne à comprendre que la tentation menace ceux qui sont rendus fils de Dieu par le baptême. Si 2, 1 : Fils, en accédant au service de Dieu, reste dans la justice et la crainte, et prépare ton âme à la tentation.

386. Ce désert se trouvait entre Jérusalem et Jéricho, où beaucoup furent tués et dont parle Lc 10, 30 : Un homme descendit de Jérusalem à Jéricho, et rencontra des bandits qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et partirent en le laissant à moitié vivant.

387. Et note cinq raisons pour lesquelles quelqu’un, après avoir reçu une grâce spirituelle, est tenté. La première, pour avoir la preuve expérimentale de sa justice, Si 34, 10 : Celui qui n’a pas été tenté, quelle est la qualité de sa science ? La deuxième, pour rabaisser l’orgueil, 2 Co 12, 7 : Afin que la grandeur des révélations ne m’exalte pas, il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me donner des coups de poings etc. La troisième, pour confondre le diable, afin qu’il sache combien est grande la puissance du Christ, et qu’il ne peut le vaincre. À propos de cet exemple, on a Jb 1, 8 : As-tu considéré mon serviteur Job, etc. ? La quatrième, pour être rendu plus fort, comme les soldats sont rendus forts par l’expérience. Jg 3 [explique] pourquoi [le Seigneur] voulut envoyer de tous côtés des ennemis avec les fils d’Israël [Jg 3, 1 : Voici les nations que le Seigneur laissa subsister, pour éprouver par elles tous les enfants d’Israël.] La cinquième, pour connaître sa propre dignité, parce que lorsque le diable attaque quelqu’un, cela tourne à l’honneur [de celui-ci], car le diable attaque les saints. Jb 40, 15 et 23 : Sa nourriture est de l’herbe (…) et il a confiance que le Jourdain se jette dans sa bouche.

388. Ensuite [Matthieu parle] du lieu : ALORS JÉSUS FUT CONDUIT DANS LE DÉSERT. Cela va bien avec ce qui précède et avec ce qui va suivre, car il convenait qu’après le baptême il entre au désert. Cela est signifié dans le peuple d’Israël, qui après la traversée de la Mer Rouge qui fut une figure du baptême vint à la terre promise en passant par le désert et la solitude. Ainsi les baptisés doivent-ils chercher une vie solitaire et calme, en abandonnant le monde physiquement ou mentalement. Os 2, 14 : Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur ; Ps 54, 8 : Voici, j’ai fui au loin, et j’ai demeuré dans la solitude. Il convenait qu’il s’en aille dans le désert, en quelque sorte pour un combat singulier avec le diable.

389. Chrysostome [dit] : «Il va au désert celui qui sort des frontières c’est-à-dire de la volonté de la chair et du monde, où il n’y a pas lieu d’être tenté.» En effet, comment aurait-il des tentations libidineuses, celui qui est toute la journée avec sa femme ? Ceux qui ne quittent pas la volonté de la chair et du monde ne sont pas fils de Dieu mais fils du diable, eux qui, même ayant leur propre femme, désirent celle d’autrui ; mais les fils de Dieu ayant l’Esprit Saint sont conduits au désert pour être tentés avec le Christ, et c’est de quoi parle la suite : il fut conduit PAR L’ESPRIT, comprends SAINT.

390. [Objection :] celui qui conduit est plus grand que celui qui est conduit. Donc, l’Esprit Saint est plus grand que le Christ. Il faut répondre que, si on se réfère à Jésus selon qu’il est Fils de Dieu, il est ainsi égal à l’Esprit Saint. Quelqu’un peut en conduire un autre, soit par le commandement, et ainsi il est plus grand, soit par l’exhortation, et ainsi il est égal. Jn 1, 40s : André conduisit Pierre à Jésus. Et c’est ainsi que Jésus fut conduit.

391. Hilaire rapporte [ceci] au Christ, selon qu’[il est] homme, à savoir que l’Esprit Saint expose à la tentation l’homme qu’il avait rempli.

392. Les hommes sont conduits par l’Esprit Saint quand ils sont mus par la charité, de sorte qu’ils ne sont pas mus par leur propre mouvement mais par celui d’un autre, puisqu’ils suivent l’élan de la charité, 2 Co 5, 14 : L’amour de Dieu nous presse. Et les fils de Dieu sont conduits par l’Esprit Saint, de sorte qu’ils traversent victorieusement, grâce à la puissance du Christ, le temps de cette vie qui est pleine de tentations. Jb 7, 1 : L’épreuve est la vie de l’homme sur la terre. Car lui-même voulut être tenté, pour que, de même que par sa mort il a vaincu la nôtre, de même par sa tentation il vainque toutes nos tentations, He 4, 15 : Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d’une manière semblable, à l’exception du péché.

393. Grégoire dit qu’il y a trois degrés dans la tentation : la suggestion, la délectation, le consentement. La première est extérieure et peut être sans péché. La deuxième est intérieure et avec elle il commence à y avoir péché. Elle se parachève avec le consentement. Le premier degré peut se trouver dans le Christ, mais pas les autres. Et note que le diable n’aurait pas osé aller vers le Christ pour le tenter, si le Christ n’était d’abord venu vers lui.
Louis-Claude Fillion
Alors, c’est-à-dire immédiatement après le baptême de Jésus ; les deux autres synoptiques le disent en termes très explicites : « Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert », Marc. 1, 12 ; « Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert », Luc. 4, 1. Il n’y eut donc pas d’interruption notable entre les deux faits. - Fut conduit, il fut conduit en haut : le désert témoin de la retraite et de la tentation du Sauveur était par conséquent plus élevé, que la vallée dans laquelle serpente le Jourdain. Nous venons de voir que S. Marc et S. Luc emploient des expressions d’une énergie particulière : « être poussé, être conduit ». - Dans le désert. Divers auteurs, entre autres Michaëlis, ont placé ce désert aux alentours du Sinaï ; mais cette opinion, qui est dénuée de tout fondement, est aujourd’hui complètement abandonnée. On peut affirmer d’une manière générale qu’il s’agit encore du désert de Juda, de même qu’au v. 3. Quant au théâtre spécial de l’événement que nous étudions, il est assez facile de le déterminer à l’aide des données évangéliques et de la tradition. S. Matthieu nous a dit que son altitude était supérieure à celle du Ghôr où coule le Jourdain ; il devait en outre, d’après l’ensemble du récit, n’être pas très éloigné de ce fleuve dans lequel Jésus avait été baptisé : enfin un trait pittoresque de S. Marc, 1, 13, « Il vivait parmi les bêtes sauvages », suppose que c’était un lieu tout à fait sauvage. Or, le désert de la Quarantaine, désigné par une tradition vénérable comme l’emplacement de la tentation du Christ, remplit fort bien ces trois conditions. Il est situé à l’Ouest du Jourdain, entre Jéricho et Béthanie, la patrie de Lazare : de là vient le nom de désert de Jéricho qu’il porte dans l’Ancien Testament et dans les écrits de Josèphe, Ant. 16, 1 ; Bell. Jud. 4, 8, 2. Son appellation moderne fait allusion aux 40 jours qu’y passa Notre-Seigneur.C’est une région affreuse, désolée, couverte de rochers nus et déchirée en tous sens par de profondes ravines ; au dire des voyageurs, il existe à peine au monde un site plus sauvage ; Cf. Schubert, Reise in das Morgenland, t. 3, p. 72. A l’extrémité septentrionale du désert, non loin de Jéricho, se dresse la montagne également appelée Quarantaine, qui aurait servi plus spécialement de refuge au Sauveur. L’ascension en est très pénible et même dangereuse ; ses flancs sont remplis de cavernes, qui étaient autrefois habitées par des ermites désireux d’honorer sur les lieux mêmes le mystère de la tentation de Jésus. En face, de l’autre côté du Jourdain, on aperçoit le mont Abarim, du sommet duquel Moïse put contempler la Terre Promise avant de mourir. - Par l'Esprit ; l’Esprit de Dieu, dont il avait reçu naguère abondamment l’onction, le conduit ou plutôt le pousse violemment comme un champion sur le champ de bataille. - Pour être tenté ; tel est le but direct et principal de la marche du Christ vers le désert : de même qu’il était venu de Nazareth au Jourdain pour être baptisé par S. Jean, de même il se dirige actuellement vers la solitude de la Quarantaine pour y être tenté par Satan. Le verbe « tenter » signifie quelquefois « éprouver » et alors il ne présente à l’esprit qu’une idée excellente et noble ; mais le plus souvent il est employé en mauvaise part, dans le sens de « provoquer au mal, tenter d’une manière proprement dite ». C’est cette seconde signification que nous devons lui appliquer ici : Jésus sera réellement tenté, on lui proposera de faire des choses vraiment coupables et indignes de son caractère messianique. Il y a là assurément un grand mystère. En effet, si le baptême du Précurseur semblait de prime abord ne pas convenir à Notre-Seigneur Jésus-Christ, n’être même pour lui qu’une humiliante cérémonie, que dirons-nous de la tentation ? Aussi, pour l’excuser en quelque sorte, a-t-il été d’usage d’alléguer toute sorte de motifs capables de la réconcilier avec notre esprit ; Sylveira en cite jusqu’à dix qui viennent plus ou moins bien « ad rem », et dont la plupart n’ont qu’un intérêt secondaire et homilétique. Nous croyons trouver la plus simple et la meilleure des explications dans quelques textes de S. Paul, textes il est vrai aussi étranges que sublimes : « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance », Hebr. v. 8. ; « un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché », Hebr. 4, 15 ; « Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple. », Hebr. 2, 17. Après avoir lu ces paroles inspirées, on admet sans peine et sans hésitation le mystère de l’abaissement complet du Sauveur. « Il était juste, ajoute saint Grégoire, qu’il triomphe de nos tentations par ses tentations, comme il venait vaincre notre mort par sa mort ». S Jean Chrysostôme donne une autre raison de convenance non moins juste que belle : « C’est comme font les athlètes. Car, pour enseigner à leurs disciples comment vaincre, ils se mêlent à leurs jeux dans les palestres, se donnent en spectacle corps à corps avec les adversaires, pour qu’ils apprennent la façon de vaincre », Hom. in h.l. C’est donc pour nous, plutôt que pour lui-même, que Jésus a été tenté. Nous avions tous partagé la honteuse défaite de notre premier père ; il était juste que nous eussions tous part à la victoire de notre divin chef. - Mais comment Jésus put-il être tenté, lui qui était impeccable ? Si le premier Adam « a pu ne pas pécher », le second Adam « n'a pas pu pécher », comme le disent les expressions théologiques consacrées. La réflexion suivante de S. Grégoire contient la solution de ce problème : « Toute cette tentation diabolique fut externe, non interne », Hom. 16 in Evang. Jésus n’avait pas en lui d'inclination au péché ; pour lui, la tentation ne pouvait donc provenir que du dehors : c’est pour cela que l’évangéliste déclare formellement qu’il fut tenté par le diable. - Ce nom, qui dérive du grec, calomnier, désigne habituellement dans la Bible le chef des esprits mauvais, Satan comme l’appelaient les Juifs, Cf. v. 10. L’histoire de Job, 1, 6 et ss., et l’Apocalypse,12, 10, en justifient parfaitement la signification, nous montrant le démon sous les traits d’un odieux calomniateur de l’humanité devant le trône du Seigneur. Ce « serpent antique » avait subi lui aussi l’épreuve de la tentation, mais il avait honteusement succombé ; de là sa perte éternelle, de là sa haine mortelle contre le genre humain et son désir d’entraîner tous les hommes dans sa propre ruine. Il vient donc tenter le second Adam, comme il avait autrefois tenté le premier. - Remarquons ici un contraste frappant que l’évangéliste se proposait évidemment de mettre en relief lorsqu’il écrivait ce verset : « Jésus fut conduit dans le désert par l’Esprit, pour être tenté par le diable ». S. Matthieu nous montre ainsi les deux principes opposés, l’Esprit de Dieu et le démon, agissant en sens contraire sur le Christ. Olshausen est tombé dans une erreur singulière quand il a cru que le Saint Esprit avait abandonné Jésus à ses propres forces au moment de la tentation, pour ne rentrer en lui qu’après son triomphe sur Satan. Rosenmüller s’est trompé plus grossièrement encore en affirmant, malgré les assertions très expresses des synoptiques, que le tentateur fut non pas le prince des démons, mais un Juif perfide qui, sous les faux semblants de l’amitié, voulait détourner Jésus de sa vocation et le porter au péché. Voilà les belles inventions auxquelles sont réduits ceux qui regardent le démon, son histoire et ses apparitions comme des « fables de vieille femme » (sic.). - Avant de reprendre notre commentaire, faisons encore, à la suite des Pères et des anciens exégètes, un rapprochement qui se présente de lui-même à l’esprit. La scène du désert de Jéricho est la contre-partie de celle qui s’était passée quatre mille ans auparavant sous les ombrages de l’Eden. « Il est certain que le premier père de l’humanité, lié à sa descendance par une si étroite et si profonde solidarité qu’il l’enfermait en quelque sort en lui-même, a subi la grande épreuve des êtres libres dans un séjour de beauté et de gloire, tandis que Jésus-Christ l’a traversée dans une affreuse solitude, image d’un monde où sont gravés les stigmates de la chute et de la condamnation. Ces rochers dénudés,... cette mer de soufre, tout ce pays de la mort, immobile et muet comme le sépulcre, quel théâtre convenait mieux à l’homme de douleur pour sa lutte ?... Tout marque le contraste entre la première tentation et la seconde ; il ne s’agit plus en effet simplement de conserver l’union bienheureuse avec Dieu, mais de la reconquérir dans les amères conditions qui ont été le résultat de sa rupture » ; de Pressensé, Jésus-Christ, sa vie, son temps, son œuvre, p. 314.
Fulcran Vigouroux
Le désert de la tentation est, d’après la tradition, le désert de la Quarantaine, ainsi appelé des quarante jours qu’y passa Notre-Seigneur. Il s’étend à l’ouest de Jéricho ; il est très accidenté et ses montagnes sont des plus belles de la Palestine méridionale ; elles se composent de calcaire blanc et sont remplies de cavernes ; c’est là vraisemblablement que se réfugièrent les espions envoyés par Josué à Jéricho (Voir Josué, 2, 22) ; elles furent peuplées d’anachorètes, après l’ère chrétienne, en souvenir du jeûne du Sauveur.
Catéchisme de l'Église catholique
L’Écriture atteste l’influence néfaste de celui que Jésus appelle " l’homicide dès l’origine " (Jn 8, 44), et qui a même tenté de détourner Jésus de la mission reçue du Père (cf. Mt 4, 1-11). " C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu " (1 Jn 3, 8). La plus grave en conséquences de ces œuvres a été la séduction mensongère qui a induit l’homme à désobéir à Dieu.

Or un tel combat et une telle victoire ne sont possibles que dans la prière. C’est par sa prière que Jésus est vainqueur du Tentateur, dès le début (cf. Mt 4, 1-11) et dans l’ultime combat de son agonie (cf. Mt 26, 36-44). C’est à son combat et à son agonie que le Christ nous unit dans cette demande à notre Père. La vigilance du cœur est rappelée avec insistance (cf. Mc 13, 9. 23. 33-37 ; 14, 38 ; Lc 12, 35-40) en communion à la sienne. La vigilance est " garde du cœur " et Jésus demande au Père de " nous garder en son Nom " (Jn 17, 11). L’Esprit Saint cherche à nous éveiller sans cesse à cette vigilance (cf. 1 Co 16, 13 ; Col 4, 2 ; 1 Th 5, 6 ; 1 P 5, 8). Cette demande prend tout son sens dramatique par rapport à la tentation finale de notre combat sur terre ; elle demande la persévérance finale. " Je viens comme un voleur : heureux celui qui veille ! " (Ap 16, 15).