Matthieu 4, 2

Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.

Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Saint Hilaire de Poitiers
C'est contre ceux qui ont été sanctifiés que le démon dirige ses plus violents efforts, car la victoire qu'il désire le plus ardemment est celle qu'il peut remporter sur les Saints.

Ce ne fut pas pendant les quarante jours qu'il eut faim, mais seulement lorsqu'ils furent écoulés. Lors donc que le Seigneur éprouva le besoin de la faim, ce ne fut pas l'effet naturel du jeûne, mais parce qu'il abandonna en ce moment la nature humaine à sa faiblesse, car c'est par la faiblesse de la chair et non par la force divine que l'enfer devait être vaincu. Ainsi nous est figurée la faim mystérieuse qu'il devait avoir du salut des hommes, lorsque, les quarante jours qu'il passa sur la terre après sa résurrection étant écoulés, il porta dans les cieux à son Père ce présent si désiré de l'humanité qu'il s'était unie.
Saint Jean Chrysostome
Le démon vient trouver les hommes pour les tenter ; mais comme il ne pouvait marcher le premier contre le Christ, c'est le Christ qui s'avance contre lui, c'est pour cela qu'il est dit : " Afin qu'il fût tenté par le diable. "

Le démon redouble surtout ses tentations à l'égard de ceux qu'il voit seuls ; c'est ainsi qu'au commencement il a tenté la femme qu'il trouvait éloignée de son mari ; et la présence de Jésus-Christ qu'il voit seul dans le désert, devient également pour lui une occasion de le tenter.

Notre-Seigneur commence par jeûner, sans avoir besoin du jeûne, mais pour nous apprendre quelle est son excellence, quel bouclier il nous offre contre les traits du démon, et aussi qu'après le baptême, nous devons nous appliquer non pas aux plaisirs, mais à la mortification des sens.

Il jeûna quarante jours et quarante nuits pour fixer lui-même la durée du jeûne quadragésimal : " Après qu'il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, " dit l'Évangéliste.

Il ne prolongea pas son jeûne au delà du jeûne de Moïse et d'Élie (cf. Ex 24, 18 ; 34, 28 ; Dt 9, 9.18 ; 3 R 19, 8), pour ne pas faire douter de la vérité de son incarnation.

Après avoir été baptisé dans l'eau par Jean-Baptiste, le Sauveur est conduit par l'Esprit dans le désert, pour y être baptisé dans le feu de la tentation (cf. Is 4, 4). Alors, dit l'Évangéliste, " Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert. " Alors, c'est-à-dire aussitôt que le Père eut fait entendre cette voix du haut du ciel : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé. "

Il ne fut pas conduit dans le désert comme un inférieur qui obéit au commandement de son supérieur. En effet, on n'est pas seulement conduit lorsqu'on marche sous les ordres d'un autre, mais lorsqu'on se détermine par quelque sage raison qu'il apporte ; c'est ainsi que nous lisons qu'André trouva Simon son frère, et qu'il le conduisit à Jésus.

Qui que vous soyez, qui après le baptême vous trouvez en butte à de plus fortes tentations, ne vous en troublez point. Ce n'est pas pour rester oisif, mais pour combattre que Dieu nous a revêtus d'une armure divine. Il ne défend pas à la tentation d'approcher de vous, pour vous apprendre premièrement que vous êtes devenu beaucoup plus fort ; secondement pour que la grandeur des grâces que vous avez reçues ne soit pas pour vous un principe d'orgueil ; troisièmement pour faire connaître par expérience au démon que vous avez rompu entièrement avec lui ; quatrièmement pour augmenter la force dont vous êtes revêtu ; cinquièmement pour vous donner une juste idée du trésor qui vous est confié (cf. 2 Co 4, 7), car le démon ne viendrait pas pour vous tenter, s'il ne vous voyait élevé à une plus grande dignité.

Jésus-Christ n'est pas le seul qui soit conduit dans le désert par l'Esprit ; il en est ainsi de tous les enfants de Dieu que l'Esprit saint dirige. Ils ne peuvent supporter de rester inactifs, car l'Esprit saint les presse d'entreprendre quelque oeuvre importante, et pour le démon, une de ces oeuvres, c'est de se retirer dans le désert, car on n'y voit aucune de ces injustices qui font sa joie. Tout vrai bien d'ailleurs se trouve en dehors de la chair et du monde, parce qu'il n'est pas conforme à la volonté de la chair et du monde. C'est donc dans ce désert que se retirent tous les enfants de Dieu pour être éprouvés par la tentation. Si, par exemple, vous avez résolu de ne pas vous marier, c'est l'Esprit saint qui vous a conduit dans le désert, c'est-à-dire, au delà des limites de la chair et du sang, pour y être tenté par la concupiscence de la chair. Car comment celui qui se trouve continuellement avec sa femme pourrait-il ressentir les atteintes de la concupiscence ? Sachons donc que les enfants de Dieu ne sont tentés par le démon que lorsqu'ils se retirent dans le désert. Au contraire, les enfants du diable, placés au milieu du monde et sous l'empire de la chair, sont tous les jours brisés et se soumettent à l'esclavage. Ainsi un homme vertueux est marié, il ne se livre pas à la fornication, mais sa femme lui suffit ; un homme vicieux au contraire n'en est pas content, et se rend coupable d'infidélité envers son épouse ; et il en est ainsi de tous les autres devoirs. Les fils du démon ne vont donc pas au-devant de lui pour être tentés, car qu'est-il nécessaire de combattre pour celui qui ne désire pas la victoire ? Au contraire, les plus illustres des enfants de Dieu franchissent les limites de la chair pour marcher contre le démon, parce qu'ils aspirent à la gloire du triomphe. C'est pour cela que le Christ vint dans ce désert à la rencontre du démon afin d'y être tenté par lui.

Le Seigneur connaissait le dessein que le démon avait de le tenter ; en effet le démon avait appris la naissance du Christ par l'apparition des anges, par le rapport des bergers, par les recherches des Mages et par la déclaration de Jean-Baptiste. Le Seigneur s'avança donc contre lui, non comme Dieu, mais comme homme, ou plutôt comme Dieu et homme, car il n'est pas dans la nature de l'homme de ne point éprouver la faim pendant quarante jours, comme il n'est pas dans la nature de Dieu d'être jamais soumis à la nécessité de la faim. Il eut faim, pour ne pas rendre la divinité trop évidente, car le démon aurait ainsi perdu tout espoir de le tenter, et lui-même l'occasion d'en triompher ; c'est pour cela qu'il est dit : " Après cela il eut faim. "
Saint Jérôme
Il n'est conduit ni par force, ni par violence, mais par le désir qu'il a de combattre.
Saint Augustin
Pourquoi s'est-il rendu accessible à la tentation ? pour nous aider comme médiateur à triompher des tentations, non seulement par la puissance de son secours, mais encore par l'efficacité de son exemple.

Ou bien, dans un autre sens, toute la sagesse consiste à connaître le Créateur et la créature. Le Créateur c'est la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; la créature est en partie invisible, comme l'âme, dans laquelle le nombre trois est consacré par le triple commandement qui nous est fait d'aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, de tout notre esprit ; elle est en partie visible comme le corps, auquel convient le nombre quatre, à cause des quatre prophéties qu'il renferme, le chaud et le froid, l'humide et le sec. Le nombre dix, qui rappelle le Décalogue et résume toute la morale, étant multiplié par le nombre quatre qui est le nombre spécial et distinct du corps, parce que le corps est chargé de la direction des choses extérieures, forme le nombre quarante. Or les parties égales de ce nombre font cinquante. En effet, les nombres un, deux, quatre, cinq, huit, dix et vingt, qui sont les parties du nombre quarante, additionnés ensemble, donnent cinquante. Ainsi donc le temps des gémissements et de la douleur est figuré par le nombre quarante, et le temps de la félicité et de la joie par le nombre cinquante, qui s'écoule entre la fête de Pâques et celle de la Pentecôte.

De ce que le Christ a voulu jeûner immédiatement après son baptême, il ne faut pas en conclure qu'il nous ait imposé par là l'obligation rigoureuse de jeûner aussitôt que nous avons reçu le baptême. C'est lorsque le démon nous livre de plus violentes attaques, qu'il faut recourir au jeûne, afin que le corps s'exerce aux combats de la mortification et que l'âme puisse remporter la victoire par ses humiliations.
Saint Grégoire le Grand
Il en est qui n'osent décider quel fut l'esprit qui conduisit Jésus dans le désert, à cause de cette circonstance que l'Évangéliste rapporte plus loin : " Le démon le transporta dans la cité sainte. " Mais il est hors de doute, et c'est le seul sens convenable, que Jésus fut conduit par l'Esprit saint, c'est-à-dire que son propre esprit le conduisit dans le désert, où le malin esprit devait venir pour le tenter.

La tentation nous attaque en trois manières, par la suggestion, par la délectation, par le consentement. Lorsque nous sommes tentés, nous tombons presque toujours dans le consentement ou dans la délectation, parce que nous tirons notre origine du péché de la chair, et que nous portons en nous-même la cause des combats que nous avons à soutenir ; tandis que le Dieu incarné dans le sein d'une vierge, étant venu dans le monde sans péché, ne portait en lui aucun principe de lutte intérieure. Il a donc pu être tenté par la suggestion ; mais la délectation du péché n'a eu aucune prise sur son âme, et tous les efforts du démon dans cette tentation se bornèrent à l'extérieur, sans aller plus avant.

L'auteur de toutes choses ne prit absolument aucune nourriture pendant quarante jours et quarante nuits ; nous donc aussi, autant que nos forces nous le permettent, mortifions notre chair par l'abstinence pendant le temps du Carême. Le nombre quarante est ici consacré, parce qu'il est formé par le nombre dix répété quatre fois, et que la perfection du Décalogue trouve son accomplissement dans les quatre livres du saint Évangile. Ou bien, c'est parce que notre corps est composé de quatre éléments, et que la concupiscence, dont il est la source, nous met en opposition avec les dix commandements de Dieu.

Or, puisque les désirs de la chair nous portent à transgresser les commandements du Décalogue, il est bien juste de mortifier cette chair pendant quarante jours. On peut dire encore que, comme autrefois le Seigneur exigeait la dixième partie des biens de la terre, nous nous efforçons de lui offrir la dixième partie des jours de l'année. En effet, du premier dimanche de Carême à la fête de Pâques, on compte six semaines, c'est-à-dire quarante-deux jours, et trente-six seulement, si l'on supprime les six dimanches qui sont exempts de la loi du jeûne. Or l'année étant composée de trois cent soixante-cinq jours, en consacrant trente-six de ces jours à la pénitence, nous offrons à Dieu la dixième partie des jours de l'année.
La Glose
Ce désert s'étend entre Jérusalem et Jéricho ; il était habité par des voleurs, et on l'appelait Dammaïm, c'est-à-dire désert du sang, à cause des meurtres qu'y commettaient ces brigands. Aussi lisons-nous que cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs. Cet homme représentait Adam qui fut vaincu par les démons. Il convenait donc que le démon fût vaincu à son tour par le Christ dans ce même endroit où existait une figure de son triomphe sur l'humanité.
Saint Thomas d'Aquin
394. Ensuite est abordé le deuxième préambule : le jeûne : QUAND IL EUT JEÛNÉ, etc., et cela va avec ce qui précède et avec ce qui suit. Avec ce qui précède, parce qu’il convient de jeûner après le baptême, bien qu’après le baptême on ne doive pas se livrer à l’oisiveté mais pratiquer les bonnes œuvres. Ga 5, 13 : Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté. La vraie liberté ne doit pas être dévolue à la vie charnelle. De plus, le jeûne de celui que le diable allait tenter s’accordait avec les choses d’après, parce que ce genre de démons n’est éjecté que par la prière et le jeûne, Mt 17, 20.

395. QUARANTE JOURS. Il faut comprendre cela à la lettre. Et [Matthieu] ajoute : ET NUITS, pour que personne ne croie qu’il avait le droit de manger la nuit, comme font les Sarrasins. Et il faut savoir que ce nombre est préfiguré dans l’Ancien Testament chez Moïse et Élie, Ex 24, 18 et 1 R 19, 8. En cela est caché un mystère, car ce nombre vient de dix fois quatre. Dix représente la loi, car dans les dix commandements est contenue toute la loi. Quatre représente la composition de la chair, car la chair est composée de quatre éléments. Puisque nous, par la suggestion de la chair, nous transgressons la loi divine, il est juste que nous affligions notre chair pendant quarante jours.

396. Selon Grégoire, ce nombre a été institué par l’Église pour jeûner, parce que grâce à cela nous acquittons la dîme de l’année entière : car du premier dimanche [de Carême] jusqu’à Pâques il y a trente-six jours de jeûne, qui sont le dixième de l’année elle-même, si on enlève six jours. Et c’est pourquoi, depuis l’Antiquité, un demi-jour fut ajouté par certains, qui jeûnaient jusqu’au milieu de la nuit du Samedi saint.

397. En troisième lieu, on ajoute qu’ENSUITE IL EUT FAIM. On ne le dit pas de Moïse ni d’Élie, qui étaient des hommes. Mais le Christ voulut avoir faim pour montrer son humanité, car autrement le diable n’aurait pas osé venir le tenter. Ph 2, 7 : Devenant semblable aux hommes, s’étant comporté comme un homme.
Louis-Claude Fillion
Ce jeûne du Sauveur fut complet, absolu ; s’il eût été seulement relatif, ainsi que l’affirment plusieurs auteurs modernes, c’est-à-dire s’il eût consisté dans la privation de la nourriture ordinaire et dans la manducation d’herbes et de racines sauvages recueillies au milieu du désert, pourquoi S. Matthieu aurait-il fait mention des nuits, « et quarante nuits » ? Du reste le récit de S. Luc, 4, 2, renverse directement cette interprétation, en disant de la façon la plus claire que Jésus « ne mangea rien durant ces jours-là ». - Quarante jours... Ces mots déterminent nettement la durée du jeûne de Notre-Seigneur ; on doit les prendre à la lettre, « comme ils sonnent », car ils sont d’une exactitude rigoureuse et ne représentent pas, comme on l’a insinué de nos jours, un nombre plus ou moins arrondi par l’écrivain sacré. Durant cette longue période, Jésus vivait de la vie de l’âme et de l’esprit, occupé tout entier de Dieu et de son œuvre : ce fut pour lui une continuelle extase, durant laquelle les besoins corporels étaient miraculeusement suspendus. Autrefois, dans des circonstances analogues, Moïse et Élie, deux types du Christ, avaient passé eux aussi par un jeûne de quarante jours ; Cf. Deut. 9, 18 et 3 Reg. 19, 8. - Il eut faim. La nature, domptée jusque-là, reprend ses droits avec une vive énergie ; Jésus sent violemment l’aiguillon de la faim. En pareil cas, l’homme ordinaire est faible et succombe aisément à la tentation : Satan ne l’ignore point, et c’est pour cela qu’il choisit cette heure pour s’approcher du Christ.