Matthieu 5, 10

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
Saint Hilaire de Poitiers
Le Seigneur réserve donc pour la dernière béatitude, ceux dont le coeur est préparé à tout souffrir pour Jésus-Christ (qui est la justice). A eux aussi il promet le royaume des cieux, parce que le mépris du siècle les a rendus pauvres d'esprit. C'est pour cela qu'il ajoute : « Le royaume des cieux leur appartient. »
Saint Ambroise
Ou bien autrement, le royaume du ciel promis en premier lieu sera pour les saints l'affranchissement des liens du corps (cf. Ph 1, 25), le second qui suivra la résurrection, les réunira pour toujours à Jésus-Christ. C'est après la résurrection en effet, que vous commencerez à posséder la terre qui est à vous sans plus craindre la mort, et que vous trouverez la consolation dans cette possession paisible. Le plaisir suit la consolation, et il est suivi à son tour par la divine miséricorde, or Dieu ne peut faire miséricorde à quelqu'un sans l'appeler, et le fruit de cette vocation, c'est de voir Dieu qui nous appelle. Celui qui a vu Dieu a droit à son tour aux honneurs de la filiation divine, et c'est alors enfin que comme fils de Dieu il trouve sa joie dans les richesses du royaume des cieux. D'un côté donc le bonheur commence, de l'autre il est dans sa plénitude.
Saint Jean Chrysostome
Notre-Seigneur voulant détruire cette pensée que c'est toujours un bien de rechercher pour soi la paix, ajoute : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, c'est-à-dire pour la vertu, pour la défense des autres, pour la piété ; car le Sauveur emploie ordinairement le mot justice pour exprimer toute vertu de l'âme.

Il ne dit pas : « Bienheureux celui qui souffre persécution de la part des Gentils, » car vous pourriez penser que ce bonheur n'est promis qu'à celui qui est persécuté par les païens, parce qu'il refuse d'adorer leurs idoles. Celui donc qui souffre persécution de la part des hérétiques, pour défendre contre eux la vérité, a droit à ce bonheur parce qu'il souffre pour la justice. Et si un des puissants du monde qui sont chrétiens en apparence, vous persécute, parce que peut-être vous l'auriez repris de ses vices, estimez-vous heureux avec Jean-Baptiste. Car s'il est vrai que les prophètes mis à mort par leurs concitoyens ont été de vrais martyrs, on ne peut douter que celui qui souffre pour la cause de Dieu, bien que la persécution lui vienne des siens, ne reçoive aussi la récompense du martyre. Et c'est pourquoi l'Écriture n'a pas désigné la personne des persécuteurs, mais la cause seule de la persécution, afin que vous ne considériez pas quels sont ceux qui vous persécutent, mais la cause pour laquelle vous souffrez persécution.

Ne soyez pas surpris, si a chaque béatitude, il n'est pas fait mention du royaume des cieux, car ces expressions : « Ils seront consolés, ils obtiendront miséricorde, » et autres semblables, sont autant d'insinuations mystérieuses du royaume des cieux. En s'exprimant ainsi le Sauveur veut que l'objet de votre espérance n'ait rien de sensible, car on n'est pas heureux quand on n'a pour récompense que des choses qui passent avec cette vie.
Saint Jérôme
Le Sauveur ajoute cette expression significative : « Pour la justice, » car il en est beaucoup qui souffrent pour leurs péchés ; et qui sont loin d'être justes. Remarquez en même temps que cette huitième béatitude qui est comme l'octave de la vraie circoncision, a pour objet le martyre.
Saint Augustin
La paix une fois établie et affermie au-dedans de nous, quelles que soient les persécutions que soulève au dehors celui que nous avons chassé de notre âme (cf. Jn 12, 13), il ne fait qu'augmenter la gloire qui est selon Dieu.

Ou bien la huitième béatitude revient à la première comme à sa source, parce qu'elle la montre élevée à sa plus haute perfection. Aussi voyez, dans la première comme dans la huitième, se trouve nommé expressément le royaume des cieux. En effet les sept béatitudes sont les différents degrés de cette perfection ; la huitième lui donne le dernier trait et la montre dans tout son éclat, et la récompense de la première béatitude s'y trouve rappelée pour que ces deux degrés extrêmes communiquent leur perfection aux degrés intermédiaires.

Il faut étudier avec soin le nombre de ces béatitudes. Nous voyons en effet les sept opérations de l'Esprit saint décrites par Isaïe (Is 11), correspondre aux sept degrés des béatitudes, mais avec cette différence, que le prophète suit une marche opposée dans l'énumération, parce qu'il nous montre le Fils de Dieu descendant jusque dans l'abîme de notre misère, et qu'ici nous voyons l'homme montant de cet abîme jusqu'à la ressemblance de Dieu. Le premier des dons de l'Esprit saint est la crainte qui est le propre des âmes humbles dont il est dit : « Bienheureux les pauvres d'esprit, » c'est-à-dire ceux qui ne se nourrissent pas de hautes pensées, mais qui se tiennent dans la crainte (cf. Rm 11, 20 ; 12, 16). Le second est la piété qui convient à ceux qui sont doux, car celui qui cherche avec piété fait profession de respect, il ne s'érige pas en censeur, il ne résiste pas, ce qui constitue la vertu de douceur. Le troisième est la science, qui se rapporte à ceux qui pleurent, car ils savent dans quelle dure captivité les retiennent ces maux, qu'ils avaient demandés comme des biens. Le quatrième est la force, qui convient à ceux qui ont faim et soif, parce qu'en cherchant leur joie dans les véritables biens, ils font tous leurs efforts pour se détacher des choses de la terre. Le cinquième est le conseil, qui se rapporte aux miséricordieux, car l'unique remède pour échapper à tant de maux, c'est de pardonner et d'être charitable. Le sixième est l'intelligence qu'ont en partage ceux qui ont le coeur pur, et dont l''il purifié pénètre ce qu'ils ne pouvaient voir auparavant. La septième est la sagesse, qui est le propre des pacifiques dans l'âme desquels n'existe aucun mouvement de révolte, mais ou tout est soumis à l'esprit. Il n'y a qu'une seule récompense, c'est le royaume des cieux qui reçoit diverses dénominations. Il est expressément nommé et avec raison dans la première béatitude qui est le commencement de la divine sagesse, comme s'il était dit : « Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. » A ceux qui sont doux est promis l'héritage, comme a des enfants dont la piété filiale cherche le testament de leur père ; à ceux qui pleurent la consolation, parce qu'ils savent ce qu'ils ont perdu, et dans quels maux ils sont plongés ; à ceux qui ont faim l'abondance, comme aliment réparateur, après les fatigues endurées pour le salut ; à ceux qui sont miséricordieux, la miséricorde parce qu'ils se sont ménagé sagement le bénéfice de l'indulgence dont ils ont fait preuve à l'égard des autres ; à ceux qui sont purs la faculté de voir Dieu, car, eux seuls ont un 'il capable de voir et de comprendre les choses éternelles ; à ceux qui sont pacifiques, la ressemblance avec Dieu. Or toutes ces promesses peuvent s'accomplir en cette vie comme nous croyons qu'elles se sont réalisées dans les apôtres ; car aucune parole ne saurait exprimer l'objet des promesses éternelles.
Saint Thomas d'Aquin
591. Ensuite est présentée la huitième béatitude, qui représente la perfection de toutes les précédentes, car on est parfait en elles toutes quand on n’en délaisse aucune à cause des tribulations. Si 27, 6 : Le four éprouve les vases d’argile, et l’épreuve de la tribulation les hommes justes. Ainsi, HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT PERSÉCUTION, etc.

592. Mais peut-être quelqu’un qui entend HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX, dira-t-il que ceux-ci, à cause de la persécution, ne sont pas heureux, car la persécution trouble la paix, ou la supprime complètement. Mais à coup sûr [il ne s’agit] pas de la [paix] intérieure, mais de la [paix] extérieure. Ps 118, 165 : Paix nombreuse à ceux qui aiment ta loi, etc. Ce n’est pas la persécution elle-même qui rend heureux, c’est sa cause. C’est pourquoi il dit : POUR LA JUSTICE. 1 P 3, 14 : Si vous subissez quelque chose à cause de la justice, heureux [êtes-vous] ! Chrysostome [dit] : «[Le Seigneur] ne dit pas : “[persécution] par les païens et pour la foi”, mais “pour la justice”.» Il dit donc : POUR LA JUSTICE, car il y a martyre non par quelqu’un ni pour une cause quelconque, mais pour la justice du Père. Si 4, 28 : Combats pour la justice. Les prophètes ont été tués non parce qu’ils ont renié la foi, mais parce qu’ils ont annoncé la vérité ; Jean Baptiste, c’est parce qu’il annonçait la vérité qu’il fut tué et devint martyr.

593. Et il faut noter que cette béatitude est mise à la huitième place, de même que le huitième jour se faisait la circoncision, qui préfigure une circoncision générale des martyrs.

594. CAR LE ROYAUME EST À EUX. Cela paraît venir de ce qui est dit dans la première béatitude, c’est pourquoi les saints l’expliquent de différentes façons.

595. Certains disent que ce qui est dit : HEUREUX LES PAUVRES CAR LE ROYAUME, etc., est la même chose que ce qui est dit ici, et cela pour représenter la perfection de la patience. Jc 1, 4 [Mais que la constance s’accompagne d’une œuvre parfaite, afin que vous soyez parfaits, irréprochables, ne laissant rien à désirer]. Or, la perfection est toujours représentée par ce qui revient à son commencement, comme nous le voyons dans le cercle. De plus, celui qui subit PERSÉCUTION POUR LA JUSTICE est pauvre, et tout le reste lui est dû, car il est doux, miséricordieux, etc. C’est pourquoi lui sont dues non seulement la première récompense, mais aussi toutes les récompenses.

596. D’autres disent que ce n’est pas pareil. Ainsi Ambroise dit que LE ROYAUME DES CIEUX concerne la gloire de l’âme et du cœur, car à la vertu de l’âme répond le royaume des cieux, mais au martyre répond la béatitude qui consiste dans la glorification des corps, à cause des supplices qu’ils ont soufferts. Ou encore : aux pauvres, le royaume des cieux est promis en espérance, parce qu’ils ne s’[y] envolent pas aussitôt, mais aux martyrs [il est promis] en réalité parce qu’ils s’[y] envolent aussitôt.
Louis-Claude Fillion
Dans les Béatitudes qui précèdent, Jésus a décrit l’état intérieur, les dispositions intimes des vrais chrétiens ; il passe maintenant à la description de leurs rapports externes avec le monde injuste et cruel. - Qui souffrent persécution ... C’est ce qu’il y a de plus difficile pour l’homme. A la rigueur et encouragé par les paroles du Christ, il comprend qu’il doit agir en vue du royaume messianique ; mais souffrir toute sorte de persécutions pour lui et se croire heureux quand il est ainsi en butte à l’outrage, à l’opprobre, c’est une difficulté devant laquelle l’esprit et la volonté reculent tout d’abord. Et pourtant la pratique de cette Béatitude n’est point une chimère ! Depuis l’admirable exemple donné par les Apôtres peu de temps après la mort de Jésus, Act. 5, 41, jusqu’au 19è siècle, le v. 10 a reçu un vivant commentaire par la conduite de tant de personnes courageuses qui ont souffert avec bonheur pour la justice. - Pour la justice ou « pour la cause de la vertu », d’après S. Jean Chrysostôme ; pour les intérêts et la gloire de Dieu, du Christ, de l’Église, pour la cause si grande et si vaste de la sainteté. Le détail serait infini. A propos de ces mots, S. Augustin fait observer à bon droit que ce qui fait les martyrs, ce n’est pas seulement le fait de souffrir, mais la cause pour laquelle ils souffrent. - Car... ; même promesse qu’au v. 3 : cette formule devient ainsi le lien qui unit ensemble les huit Béatitudes comme un tout incapable d’être divisé. « La belle octave ! où l’on tâche d’imprimer en soi-même huit caractères du chrétien, qui enferment un abrégé de la philosophie chrétienne ! La pauvreté, la douceur, les larmes ou le dégoût de la vie présente, la miséricorde, l’amour de la justice, la pureté de cœur, l’amour de la paix, la souffrance pour la justice », Bossuet, Méditat. 10° jour. « Voilà, s’écrie à son tour M. Bougaud, Jésus-Christ, 2è partie, ch. 4, voilà l’ouverture de ce magnifique Discours sur la montagne. C’est comme la charte en huit articles du nouveau royaume de Dieu. N’y aurait-il que ces huit mots dans l’Évangile, je le proclamerais divin ».
Fulcran Vigouroux
« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient. Tous ceux qui souffrent pour avoir bien fait, pour avoir donné bon exemple, pour avoir obéi simplement et avoir confondu par leur exemple ceux qui ne vivent pas assez régulièrement, en sorte qu’on se prend à eux des reproches qu’on fait aux autres, souffrent persécution pour la justice. Ceux qui portent leur croix tous les jours et persécutent persévéramment en eux-mêmes leurs mauvais désirs, souffrent persécution pour la justice. C’est ici la dernière et la plus parfaite de toutes les béatitudes, parce que c’est elle qui porte le plus vivement en elle-même l’empreinte et le caractère du Fils de Dieu. » (BOSSUET.)
Concile œcuménique
Les évêques, pris à part, placés à la tête de chacune des Églises particulières, exercent leur autorité pastorale sur la portion du Peuple de Dieu qui leur a été confiée, et non sur les autres Églises ni sur l’Église universelle. Mais, comme membres du collège épiscopal et légitimes successeurs des Apôtres, ils sont tous tenus, à l’égard de l’Église universelle, de par l’institution et le précepte du Christ, à cette sollicitude qui est, pour l’Église universelle, éminemment profitable, même si elle ne s’exerce pas par un acte de juridiction. Tous les évêques, en effet, doivent promouvoir et servir l’unité de la foi et la discipline commune de l’ensemble de l’Église, former les fidèles à l’amour envers tout le Corps mystique du Christ, surtout envers ses membres pauvres, souffrants, et envers ceux qui souffrent persécution pour la justice (cf. Mt 5, 10), ils doivent enfin promouvoir toute l’activité qui est commune à l’ensemble de l’Église, surtout en vue du progrès de la foi et pour que la lumière de la pleine vérité se lève sur tous les hommes. D’ailleurs, il est bien établi que, en gouvernant leur propre Église comme une portion de l’Église universelle, ils contribuent efficacement au bien de tout le Corps mystique qui est aussi le Corps des Églises.

Poussés par la charité qui vient de Dieu, ils pratiquent le bien à l’égard de tous, surtout de leurs frères dans la foi (cf. Ga 6, 10), rejetant « toute malice, toute fraude, hypocrisie, envie, toute médisance » (1 P 2, 1), entraînant ainsi les hommes vers le Christ. Or, la charité divine, qui « est répandue dans les cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5), rend les laïcs capables d’exprimer concrètement dans leur vie l’esprit des Béatitudes. Suivant Jésus pauvre, ils ne connaissent ni dépression dans la privation, ni orgueil dans l’abondance ; imitant le Christ humble, ils ne deviennent pas avides d’une vaine gloire (cf. Ga 5, 26), mais ils s’efforcent de plaire à Dieu plutôt qu’aux hommes, toujours prêts à tout abandonner pour le Christ (cf. Lc 14, 26) et à souffrir persécution pour la justice (cf. Mt 5, 10) se souvenant de la parole du Seigneur : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24). Entretenant entre eux une amitié chrétienne, ils se prêtent un mutuel appui en toutes nécessités.