Matthieu 5, 2
Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
519. ET OUVRANT SA BOUCHE IL LES ENSEIGNAIT. On a ici le mode d’enseignement. Quand [Matthieu] dit : OUVRANT, il veut dire qu’avant, [le Christ] s’était longtemps tu. Et il montre que Jésus allait faire un grand et long discours, comme dit Augustin. Ou bien qu’il allait dire des choses grandes et profondes, car c’est ainsi que les gens ont l’habitude de faire, Jb 3, 1 : Après cela, Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. Et [Matthieu] dit SA [BOUCHE], car avant il a ouvert la bouche des prophètes, Sg 10, 21 : La Sagesse a ouvert la bouche des muets, et a rendu éloquente la langue des bébés, car lui-même est la sagesse du Père.
520. Mais ici se pose une question : ce discours, sur beaucoup de points, se trouve aussi en Lc 6, 20s. Mais entre les deux apparaît une contradiction, comme il est clair dans le texte. Augustin propose deux solutions : l’une est que ce discours n’est pas le même que l’autre, car d’abord il est monté sur la montagne et a fait ce discours à ses disciples, et ensuite en descendant il a trouvé la foule rassemblée, à qui il a prêché la même chose, avec beaucoup de considérations nouvelles, et c’est de cela que parle Lc 6, 20s. Ou bien il faut dire autrement : il y avait une seule montagne, elle avait un endroit plat sur le côté et un autre monticule exhaussait cet endroit plat. C’est pourquoi le Seigneur monta sur la montagne, c’est-à-dire sur l’endroit plat de cette montagne. Et d’abord il monta au sommet et appela les disciples, et là il choisit douze apôtres, comme on le voit dans Luc [Lc 6, 12-16] ; et ensuite en descendant, il trouva la foule rassemblée et s’assit pour les disciples qui arrivaient, et tint ce discours aux foules et aux disciples. Et cela paraît plus vrai, car Matthieu dit à la fin du discours que les foules s’étonnaient de son enseignement [Mt 7, 28]. Cependant, quelque sens qu’on prenne, il n’y a pas de contradiction.
521. Plus haut, l’évangéliste a donné une sorte de bref titre à l’enseignement du Christ ; maintenant il aborde l’enseignement lui-même [5, 3 7, 27], et son effet, c’est-à-dire l’étonnement des foules [7, 28]. Il faut aussi considérer que selon Augustin, « dans ce discours du Seigneur, toute la perfection de notre vie est contenue ». Et par cela, il prouve que le Seigneur ajoute la fin à laquelle il conduit, c’est-à-dire une promesse. Or, ce que l’homme désire le plus, c’est le bonheur. C’est pourquoi le Seigneur ici fait trois choses. D’abord il annonce d’avance la récompense qui attend ceux qui reçoivent cet enseignement [5, 3 12]. Deuxièmement, il propose des préceptes, en cet endroit : NE PENSEZ PAS QUE JE SUIS VENU ABOLIR LA LOI, etc. [5, 17]. Troisièmement, il enseigne comment on peut parvenir à les observer, en cet endroit : Demandez et vous recevrez [7, 7].
522. À propos du premier point, il fait trois choses, car de cet enseignement certains sont seulement observants, d’autres serviteurs. D’abord, il décrit le bonheur de ceux qui l’observent [5, 3 10] ; ensuite de ceux qui sont à son service, en cet endroit : HEUREUX ÊTES-VOUS QUAND ON VOUS INSULTERA [5, 11].
523. Il faut noter qu’ici sont abordées un assez grand nombre de béatitudes, mais jamais on ne pourrait parler sur les paroles du Seigneur avec assez de finesse pour atteindre au dessein du Seigneur. Cependant il faut savoir que dans ces paroles est inclus le bonheur plénier et total, car tous les hommes désirent le bonheur, mais ils diffèrent dans leur avis sur le bonheur, car l’un désire ceci, l’autre cela.
524. Nous trouvons une quadruple opinion sur le bonheur. Certains croient qu’il consiste seulement dans les choses extérieures, c’est-à-dire dans l’abondance de ces choses temporelles, Ps 143, 15 : Ils ont dit heureux le peuple à qui cela appartient. D’autres, que le bonheur parfait consiste à satisfaire sa propre volonté ; c’est pourquoi on dit : «Heureux celui qui vit comme il veut.» Qo 3, 12 : Et j’ai su qu’il n’y avait pas mieux que de vivre dans le plaisir, etc. D’autres disent que le bonheur parfait consiste dans les vertus de la vie active. D’autres, dans les vertus de la vie contemplative, c’est-à-dire [dans la contemplation] des choses divines et intelligibles, comme Aristote.
525. Mais toutes ces opinions sont fausses, bien que pas de la même façon. C’est pourquoi le Seigneur les critique toutes.
526. Il critique l’opinion de ceux qui ont dit que le bonheur consiste dans l’abondance de biens extérieurs ; c’est pourquoi il dit : HEUREUX LES PAUVRES [5, 3], c’est-à-dire en quelque sorte : «Pas heureux ceux qui sont abondamment pourvus.»
527. Il critique l’opinion de ceux qui mettaient le bonheur dans la satisfaction des appétits, quand il dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX [5, 7]. Mais il faut savoir que l’appétit humain est triple. Il existe d’abord l’irascible, qui désire se venger des ennemis, et [le Seigneur] le critique quand il dit : HEUREUX LES DOUX [5, 4]. [Il existe ensuite] le concupiscible, dont le bien est le plaisir et la jouissance. Il le critique quand il dit : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT [5, 5]. Enfin [il existe l’appétit] de la volonté, qui est double, selon qu’elle cherche deux choses : d’abord qu’aucune de ses volontés ne soit réprimée par une loi supérieure ; deuxièmement, qu’elle puisse restreindre les autres comme lui étant soumis. C’est pourquoi [la volonté] désire dominer et non être soumise. Le Seigneur, lui, montre le contraire sur l’un et l’autre point. Pour le premier il dit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE JUSTICE [5, 6]. Pour le deuxième, il dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX [5, 7]. Donc, autant ceux qui mettent le bonheur dans l’abondance extérieure, que ceux qui le mettent dans la satisfaction de l’appétit, se trompent.
528. Ceux qui mettent le bonheur dans les actes de la vie active, c’est-à-dire dans la morale, se trompent aussi, mais moins, parce que cela est une voie vers le bonheur. C’est pourquoi le Seigneur ne critique pas cela comme si c’était mal, mais il montre que cela est ordonné au bonheur. En effet, ou bien [les vertus] sont ordonnées à soi-même, comme la tempérance et les choses de ce genre, et leur fin est la pureté du cœur car elles aident à vaincre les passions ; ou bien elles sont ordonnées à autrui, et ainsi leur fin est la paix et les choses de ce genre, car l’œuvre de la justice, c’est la paix. Et c’est pourquoi ces vertus sont des voies vers le bonheur, et non le bonheur lui-même. Ainsi, HEUREUX LES CŒURS PURS CAR ILS VERRONT DIEU [5, 8]. Il ne dit pas : «Ils voient», parce que ce serait la béatitude elle-même. Et encore : HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX [5, 9], non parce qu’ils font la paix, mais parce qu’ils tendent vers autre chose. CAR ILS SERONT APPELÉS FILS DE DIEU.
529. Quant à l’opinion de ceux qui disent que le bonheur consiste dans la contemplation des choses divines, le Seigneur la critique quant au temps, car autrement elle est vraie. En effet, le bonheur suprême consiste dans la vision de l’intelligible optimal, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi il dit : ILS VERRONT. Et il faut noter que selon le Philosophe, pour que les actes contemplatifs rendent heureux, deux choses sont requises : l’une substantiellement, c’est-à-dire ce qui serait l’acte du plus haut intelligible, qui est Dieu ; l’autre formellement, c’est-à-dire l’amour et le plaisir, car le plaisir parachève le bonheur, comme la beauté parachève la jeunesse. Et c’est pourquoi le Seigneur aborde deux choses : ILS VERRONT DIEU, et ILS SERONT APPELÉS FILS DE DIEU, car cela concerne l’union d’amour, 1 Jn 3, 1 : Voyez quel amour le Père nous a donné, pour que nous soyons appelés fils de Dieu, et nous le sommes.
530. Il faut noter aussi que dans ces béatitudes, certaines sont présentées comme des mérites, et d’autres comme des récompenses, et cela dans chacune. HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT : voilà le mérite. CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST À EUX : voilà la récompense. Et de même pour les autres.
531. Une remarque doit aussi être faite sur le mérite en général, et une sur la récompense en général. Pour le mérite, il faut savoir que le Philosophe distingue deux sortes de vertu : d’abord une sorte commune, qui parachève l’homme de façon humaine ; ensuite une spéciale, qu’il appelle héroïque, et qui [le] parachève de façon supra-humaine. En effet, quand un courageux craint là où il y a à craindre, c’est de la vertu ; mais s’il n’avait pas peur, ce serait du vice. Par contre, si, confiant dans l’aide de Dieu, il n’avait peur de rien, ce serait vertu supra-humaine, et ces vertus sont appelées divines. Donc ces actes sont parfaits, et la vertu aussi, selon le Philosophe, est une œuvre parfaite. Ces mérites sont ainsi ou des actes des dons, ou des actes des vertus selon qu’ils sont parachevés par les dons.
532. Notez aussi que les actes des vertus sont ceux sur lesquels la loi fait des prescriptions. Or, les mérites de la béatitude sont des actes des vertus. C’est pourquoi tout ce qui est prescrit et qui est contenu plus loin, se rapporte à ces béatitudes. C’est pourquoi, de même que Moïse a été le premier à proposer des commandements et les a exprimés après beaucoup de [paroles] qui se rapportaient toutes aux commandements proposés, de même le Christ dans son enseignement a été le premier à annoncer ces béatitudes auxquelles toutes les autres [paroles] se rapportent.
533. À propos du premier point, il faut aussi noter que Dieu est la récompense de ceux qui le servent. Lm 3, 24 : Ma part, c’est le Seigneur, a dit mon âme, c’est pourquoi je l’attendrai ; Ps 15, 5 : Le Seigneur est ma part d’héritage et ma coupe ; Gn 15, 7 : C’est moi le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Ur des Chaldéens pour te donner cette terre et pour que tu la possèdes. Et comme dit Augustin dans le livre 2 des Confessions : «L’âme quand elle s’éloigne de toi cherche le bonheur en dehors de toi.» Les hommes cherchent des choses diverses ; mais tout ce qui peut être trouvé dans n’importe quelle vie, le Seigneur le promet totalement en Dieu.
534. Certains mettent comme bien suprême l’abondance de richesses, grâce à laquelle ils peuvent parvenir aux plus grandes dignités. Le Seigneur promet le royaume qui embrasse ces deux choses, mais il dit qu’on parvient à ce royaume par la voie de la pauvreté, non par celle des richesses. D’où HEUREUX LES PAUVRES. D’autres parviennent à ces honneurs grâce aux guerres, mais le Seigneur dit : HEUREUX LES DOUX, etc. D’autres cherchent consolation dans les plaisirs, mais le Seigneur dit : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT. Certains ne veulent pas être subordonnés, mais le Seigneur dit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE JUSTICE. Certains veulent éviter le malheur en opprimant leurs subordonnés, mais le Seigneur dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX, etc. Certains mettent la vision de Dieu dans la contemplation de la vérité sur le chemin [terrestre], mais le Seigneur [la] promet dans la patrie [du ciel], d’où : HEUREUX LES CŒURS PURS, etc.
535. Et il faut noter que ces récompenses dont le Seigneur traite ici peuvent être considérées de deux façons, à savoir, d’une façon parfaite et achevée, comme [ce sera] dans la patrie [du ciel] seulement ; et d’une façon ébauchée et imparfaite, comme [c’est] sur le chemin. C’est pourquoi les saints ont une amorce de ce bonheur. Et parce que dans cette vie ces choses ne peuvent être expliquées comme elles le seront dans la patrie, Augustin expose pourquoi en cette vie sont HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT, non seulement en espérance, mais aussi réellement. Lc 17, 21 : Le royaume de Dieu est à l’intérieur de vous.
536. Après ces préliminaires, venons-en au texte.
537. Dans ces béatitudes, l’évangéliste fait deux choses. D’abord, les béatitudes sont exposées ; deuxièmement, la manifestation des béatitudes, en cet endroit : HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT PERSÉCUTION POUR LA JUSTICE, CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST À EUX : c’est le mode déclaratif de toutes les béatitudes.
538. La vertu fait trois choses : elle éloigne du mal, réalise et fait réaliser le bien, et dispose au meilleur. Il précise donc au sujet de la première chose, en cet endroit : HEUREUX LES PAUVRES ; de la deuxième, en cet endroit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ; de la troisième, en cet endroit : HEUREUX LES CŒURS PURS.
539. La vertu éloigne de trois maux : la cupidité, la méchanceté ou l’agitation, et la volupté dépravée. Le premier point se trouve en cet endroit : HEUREUX LES PAUVRES ; le deuxième en cet endroit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX ; le troisième en cet endroit : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT.
520. Mais ici se pose une question : ce discours, sur beaucoup de points, se trouve aussi en Lc 6, 20s. Mais entre les deux apparaît une contradiction, comme il est clair dans le texte. Augustin propose deux solutions : l’une est que ce discours n’est pas le même que l’autre, car d’abord il est monté sur la montagne et a fait ce discours à ses disciples, et ensuite en descendant il a trouvé la foule rassemblée, à qui il a prêché la même chose, avec beaucoup de considérations nouvelles, et c’est de cela que parle Lc 6, 20s. Ou bien il faut dire autrement : il y avait une seule montagne, elle avait un endroit plat sur le côté et un autre monticule exhaussait cet endroit plat. C’est pourquoi le Seigneur monta sur la montagne, c’est-à-dire sur l’endroit plat de cette montagne. Et d’abord il monta au sommet et appela les disciples, et là il choisit douze apôtres, comme on le voit dans Luc [Lc 6, 12-16] ; et ensuite en descendant, il trouva la foule rassemblée et s’assit pour les disciples qui arrivaient, et tint ce discours aux foules et aux disciples. Et cela paraît plus vrai, car Matthieu dit à la fin du discours que les foules s’étonnaient de son enseignement [Mt 7, 28]. Cependant, quelque sens qu’on prenne, il n’y a pas de contradiction.
521. Plus haut, l’évangéliste a donné une sorte de bref titre à l’enseignement du Christ ; maintenant il aborde l’enseignement lui-même [5, 3 7, 27], et son effet, c’est-à-dire l’étonnement des foules [7, 28]. Il faut aussi considérer que selon Augustin, « dans ce discours du Seigneur, toute la perfection de notre vie est contenue ». Et par cela, il prouve que le Seigneur ajoute la fin à laquelle il conduit, c’est-à-dire une promesse. Or, ce que l’homme désire le plus, c’est le bonheur. C’est pourquoi le Seigneur ici fait trois choses. D’abord il annonce d’avance la récompense qui attend ceux qui reçoivent cet enseignement [5, 3 12]. Deuxièmement, il propose des préceptes, en cet endroit : NE PENSEZ PAS QUE JE SUIS VENU ABOLIR LA LOI, etc. [5, 17]. Troisièmement, il enseigne comment on peut parvenir à les observer, en cet endroit : Demandez et vous recevrez [7, 7].
522. À propos du premier point, il fait trois choses, car de cet enseignement certains sont seulement observants, d’autres serviteurs. D’abord, il décrit le bonheur de ceux qui l’observent [5, 3 10] ; ensuite de ceux qui sont à son service, en cet endroit : HEUREUX ÊTES-VOUS QUAND ON VOUS INSULTERA [5, 11].
523. Il faut noter qu’ici sont abordées un assez grand nombre de béatitudes, mais jamais on ne pourrait parler sur les paroles du Seigneur avec assez de finesse pour atteindre au dessein du Seigneur. Cependant il faut savoir que dans ces paroles est inclus le bonheur plénier et total, car tous les hommes désirent le bonheur, mais ils diffèrent dans leur avis sur le bonheur, car l’un désire ceci, l’autre cela.
524. Nous trouvons une quadruple opinion sur le bonheur. Certains croient qu’il consiste seulement dans les choses extérieures, c’est-à-dire dans l’abondance de ces choses temporelles, Ps 143, 15 : Ils ont dit heureux le peuple à qui cela appartient. D’autres, que le bonheur parfait consiste à satisfaire sa propre volonté ; c’est pourquoi on dit : «Heureux celui qui vit comme il veut.» Qo 3, 12 : Et j’ai su qu’il n’y avait pas mieux que de vivre dans le plaisir, etc. D’autres disent que le bonheur parfait consiste dans les vertus de la vie active. D’autres, dans les vertus de la vie contemplative, c’est-à-dire [dans la contemplation] des choses divines et intelligibles, comme Aristote.
525. Mais toutes ces opinions sont fausses, bien que pas de la même façon. C’est pourquoi le Seigneur les critique toutes.
526. Il critique l’opinion de ceux qui ont dit que le bonheur consiste dans l’abondance de biens extérieurs ; c’est pourquoi il dit : HEUREUX LES PAUVRES [5, 3], c’est-à-dire en quelque sorte : «Pas heureux ceux qui sont abondamment pourvus.»
527. Il critique l’opinion de ceux qui mettaient le bonheur dans la satisfaction des appétits, quand il dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX [5, 7]. Mais il faut savoir que l’appétit humain est triple. Il existe d’abord l’irascible, qui désire se venger des ennemis, et [le Seigneur] le critique quand il dit : HEUREUX LES DOUX [5, 4]. [Il existe ensuite] le concupiscible, dont le bien est le plaisir et la jouissance. Il le critique quand il dit : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT [5, 5]. Enfin [il existe l’appétit] de la volonté, qui est double, selon qu’elle cherche deux choses : d’abord qu’aucune de ses volontés ne soit réprimée par une loi supérieure ; deuxièmement, qu’elle puisse restreindre les autres comme lui étant soumis. C’est pourquoi [la volonté] désire dominer et non être soumise. Le Seigneur, lui, montre le contraire sur l’un et l’autre point. Pour le premier il dit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE JUSTICE [5, 6]. Pour le deuxième, il dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX [5, 7]. Donc, autant ceux qui mettent le bonheur dans l’abondance extérieure, que ceux qui le mettent dans la satisfaction de l’appétit, se trompent.
528. Ceux qui mettent le bonheur dans les actes de la vie active, c’est-à-dire dans la morale, se trompent aussi, mais moins, parce que cela est une voie vers le bonheur. C’est pourquoi le Seigneur ne critique pas cela comme si c’était mal, mais il montre que cela est ordonné au bonheur. En effet, ou bien [les vertus] sont ordonnées à soi-même, comme la tempérance et les choses de ce genre, et leur fin est la pureté du cœur car elles aident à vaincre les passions ; ou bien elles sont ordonnées à autrui, et ainsi leur fin est la paix et les choses de ce genre, car l’œuvre de la justice, c’est la paix. Et c’est pourquoi ces vertus sont des voies vers le bonheur, et non le bonheur lui-même. Ainsi, HEUREUX LES CŒURS PURS CAR ILS VERRONT DIEU [5, 8]. Il ne dit pas : «Ils voient», parce que ce serait la béatitude elle-même. Et encore : HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX [5, 9], non parce qu’ils font la paix, mais parce qu’ils tendent vers autre chose. CAR ILS SERONT APPELÉS FILS DE DIEU.
529. Quant à l’opinion de ceux qui disent que le bonheur consiste dans la contemplation des choses divines, le Seigneur la critique quant au temps, car autrement elle est vraie. En effet, le bonheur suprême consiste dans la vision de l’intelligible optimal, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi il dit : ILS VERRONT. Et il faut noter que selon le Philosophe, pour que les actes contemplatifs rendent heureux, deux choses sont requises : l’une substantiellement, c’est-à-dire ce qui serait l’acte du plus haut intelligible, qui est Dieu ; l’autre formellement, c’est-à-dire l’amour et le plaisir, car le plaisir parachève le bonheur, comme la beauté parachève la jeunesse. Et c’est pourquoi le Seigneur aborde deux choses : ILS VERRONT DIEU, et ILS SERONT APPELÉS FILS DE DIEU, car cela concerne l’union d’amour, 1 Jn 3, 1 : Voyez quel amour le Père nous a donné, pour que nous soyons appelés fils de Dieu, et nous le sommes.
530. Il faut noter aussi que dans ces béatitudes, certaines sont présentées comme des mérites, et d’autres comme des récompenses, et cela dans chacune. HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT : voilà le mérite. CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST À EUX : voilà la récompense. Et de même pour les autres.
531. Une remarque doit aussi être faite sur le mérite en général, et une sur la récompense en général. Pour le mérite, il faut savoir que le Philosophe distingue deux sortes de vertu : d’abord une sorte commune, qui parachève l’homme de façon humaine ; ensuite une spéciale, qu’il appelle héroïque, et qui [le] parachève de façon supra-humaine. En effet, quand un courageux craint là où il y a à craindre, c’est de la vertu ; mais s’il n’avait pas peur, ce serait du vice. Par contre, si, confiant dans l’aide de Dieu, il n’avait peur de rien, ce serait vertu supra-humaine, et ces vertus sont appelées divines. Donc ces actes sont parfaits, et la vertu aussi, selon le Philosophe, est une œuvre parfaite. Ces mérites sont ainsi ou des actes des dons, ou des actes des vertus selon qu’ils sont parachevés par les dons.
532. Notez aussi que les actes des vertus sont ceux sur lesquels la loi fait des prescriptions. Or, les mérites de la béatitude sont des actes des vertus. C’est pourquoi tout ce qui est prescrit et qui est contenu plus loin, se rapporte à ces béatitudes. C’est pourquoi, de même que Moïse a été le premier à proposer des commandements et les a exprimés après beaucoup de [paroles] qui se rapportaient toutes aux commandements proposés, de même le Christ dans son enseignement a été le premier à annoncer ces béatitudes auxquelles toutes les autres [paroles] se rapportent.
533. À propos du premier point, il faut aussi noter que Dieu est la récompense de ceux qui le servent. Lm 3, 24 : Ma part, c’est le Seigneur, a dit mon âme, c’est pourquoi je l’attendrai ; Ps 15, 5 : Le Seigneur est ma part d’héritage et ma coupe ; Gn 15, 7 : C’est moi le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Ur des Chaldéens pour te donner cette terre et pour que tu la possèdes. Et comme dit Augustin dans le livre 2 des Confessions : «L’âme quand elle s’éloigne de toi cherche le bonheur en dehors de toi.» Les hommes cherchent des choses diverses ; mais tout ce qui peut être trouvé dans n’importe quelle vie, le Seigneur le promet totalement en Dieu.
534. Certains mettent comme bien suprême l’abondance de richesses, grâce à laquelle ils peuvent parvenir aux plus grandes dignités. Le Seigneur promet le royaume qui embrasse ces deux choses, mais il dit qu’on parvient à ce royaume par la voie de la pauvreté, non par celle des richesses. D’où HEUREUX LES PAUVRES. D’autres parviennent à ces honneurs grâce aux guerres, mais le Seigneur dit : HEUREUX LES DOUX, etc. D’autres cherchent consolation dans les plaisirs, mais le Seigneur dit : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT. Certains ne veulent pas être subordonnés, mais le Seigneur dit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE JUSTICE. Certains veulent éviter le malheur en opprimant leurs subordonnés, mais le Seigneur dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX, etc. Certains mettent la vision de Dieu dans la contemplation de la vérité sur le chemin [terrestre], mais le Seigneur [la] promet dans la patrie [du ciel], d’où : HEUREUX LES CŒURS PURS, etc.
535. Et il faut noter que ces récompenses dont le Seigneur traite ici peuvent être considérées de deux façons, à savoir, d’une façon parfaite et achevée, comme [ce sera] dans la patrie [du ciel] seulement ; et d’une façon ébauchée et imparfaite, comme [c’est] sur le chemin. C’est pourquoi les saints ont une amorce de ce bonheur. Et parce que dans cette vie ces choses ne peuvent être expliquées comme elles le seront dans la patrie, Augustin expose pourquoi en cette vie sont HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT, non seulement en espérance, mais aussi réellement. Lc 17, 21 : Le royaume de Dieu est à l’intérieur de vous.
536. Après ces préliminaires, venons-en au texte.
537. Dans ces béatitudes, l’évangéliste fait deux choses. D’abord, les béatitudes sont exposées ; deuxièmement, la manifestation des béatitudes, en cet endroit : HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT PERSÉCUTION POUR LA JUSTICE, CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST À EUX : c’est le mode déclaratif de toutes les béatitudes.
538. La vertu fait trois choses : elle éloigne du mal, réalise et fait réaliser le bien, et dispose au meilleur. Il précise donc au sujet de la première chose, en cet endroit : HEUREUX LES PAUVRES ; de la deuxième, en cet endroit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ; de la troisième, en cet endroit : HEUREUX LES CŒURS PURS.
539. La vertu éloigne de trois maux : la cupidité, la méchanceté ou l’agitation, et la volupté dépravée. Le premier point se trouve en cet endroit : HEUREUX LES PAUVRES ; le deuxième en cet endroit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX ; le troisième en cet endroit : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT.
Ouvrant sa bouche. La
plupart des interprètes ont à bon droit trouvé de l’emphase dans cette expression : quoi de plus solennel, en
effet, que le moment où le Verbe incarné se dispose à proclamer pour la première fois, d’une manière
complète et suivie, les éternels principes du Nouveau Testament ! Cf. Maldonat, in h. l. Ce n’est donc pas un
simple hébraïsme, comme le veulent quelques auteurs, mais une tournure graphique d’un caractère spécial,
qui a été employée dans des cas semblables par d’autres écrivains soit sacrés, Job. 3, 1 ; Dan. 10, 16 ; Act. 8,
35 ; Cor. 6, 11 ; Eph. 4, 19, soit profanes. Cf. Wetstein, Hor. talm. in h.l. - Il les enseignait. Le pronom « les »
désigne directement les disciples mentionnés au v. 1, car c’est eux que Jésus avait plus spécialement en vue
lorsqu’il prit la parole ; toutefois on ne peut sans erreur exclure le reste de la foule de l’auditoire que
Notre-Seigneur se proposait d’instruire ; Cf. v. 1 ; 7, 28. Le Christ « parle à ses disciples, auxquels
s’adressent tout d’abord quelques-uns de ses enseignements ; mais il parle aussi au peuple, à tous les fidèles
qui existeront jusqu’à la fin du monde. Il prononce actuellement sur la terre des paroles d’après lesquelles il
jugera un jour tous les hommes lorsque aura lieu son second avènement », Kistemaker. - En disant. avant de
passer à l’interprétation du discours, nous avons encore à examiner quelques points généraux qui
concernent : 1° la différence des rédactions de S. Matthieu et de S. Luc ; 2° le caractère du Discours sur la
montagne ; 3° son plan et sa division. - 1° Le discours sur la montagne d’après S. Matthieu et d’après S. Luc.
On sait que ces deux évangélistes nous ont seuls conservé cet important discours. Mais il existe entre leurs rédactions des différences considérables. Par exemple, celle de S. Luc est beaucoup plus courte ; elle ne
contient que trente versets, tandis que le discours occupe trois grands chapitres et 107 versets dans le récit de
S. Matthieu. S. Luc omet en cet endroit, pour les rapporter ailleurs, de nombreuses paroles que le premier
évangéliste place ici même sur les lèvres du Sauveur. A ces divergences de fond et de forme, viennent s’en
ajouter d’autres qui regardent les circonstances préliminaires ; Cf. Matth. v, 1 et 2 ; Luc. 6, 12, 17-20. Prises
dans leur ensemble, elles ont donné naissance aux trois hypothèses qui suivent : 1. Les discours que nous
lisons au ch. 6 de S. Luc et dans les chap. 5, 6, 7, de S. Matthieu sont complètement distincts l’un de l’autre :
ils diffèrent quant au temps, quant au lieu, quant à l’auditoire, quant aux idées mêmes. Telle est l’opinion de
S. Augustin et d’un petit nombre d’auteurs plus récents, tels que Osiander, Hess, Storr, Gratz, etc. 2. Ce sont
bien deux discours, mais ils ont été prononcés à très peu d’intervalle l’un de l’autre. Le premier (S. Matth.)
est plus complet, parce que Jésus l’adressa seulement à ses disciples réunis autour de lui sur la cime de la
montagne ; c’est un discours ésotérique. Le second (S. Luc) est plus court et supprime une grande quantité de
détails, parce qu’il était destiné à la multitude qui attendait en bas de la colline, « sur un terrain plat », Luc. 6,
17 ; il est donc exotérique. M. J. P. Langen est l’auteur et, si nous ne nous trompons pas le seul partisan de
cette opinion. 3. Les deux synoptiques ne rapportent qu’un seul et même discours de Jésus-Christ : ce sont
simplement leurs rédactions qui diffèrent. Cette hypothèse a toujours été la plus généralement adoptée ; nous
nous déclarons à notre tour en sa faveur, parce qu’elle est de beaucoup la plus rationnelle et la plus conforme
au texte des Évangiles. « Il n’est pas possible d’établir une distinction tranchée entre les deux relations
comme si, dan la première, Jésus s’était renfermé dans son cercle intime, tandis que, d’après la seconde, il
aurait parlé à la multitude. L’auditoire est le même et la seule différence entre les deux Évangiles, c’est que
l’un nous donne le discours avec tous ses développements, au lieu que l’autre nous l’a conservé sous une
forme plus brève et plus vive », de Pressensé, Jésus-Christ, etc., p. 437. Ajoutons que toutes les autres
circonstances sont pareillement favorables à l’identité : nous avons même début, même corps du discours,
même conclusion, même miracle aussitôt après, Cf. Matth. 8, 5 et ss. ; Luc 7, 1 et ss., etc. Aussi n’y a -t-il
guère que les amis de la concorde à outrance et de l’harmonie méticuleuse qui puissent transformer en deux
discours ce qui n’en a formé qu’un seul. Que si l’un des rédacteurs parle d’une montagne, l’autre d’un lieu
plat, l’un d’un orateur assis, Matth. v. 1, tandis que l’autre fait tenir Jésus debout, Luc, 6, 17, pour les mettre
d’accord il suffit de se rappeler l’axiome : « Distinguez les temps, et l'Écriture est en harmonie avec
elle-même ». Ainsi, Jésus était debout avant de prendre la parole, pendant qu’il guérissait les malades qu’on
lui avait amenés, Luc 6, 17-18, et pendant que le peuple prenait place autour de lui ; il s’assit à la façon des
docteurs juifs dès qu’il commença son exorde. Retiré d’abord sur l’une des cornes d’Hattin avec ses
disciples, il descendit ensuite sur la plate-forme que nous avons décrite, pour s’adresser à la multitude qui s’y
était réunie. Les autres différences s’harmonisent avec la même facilité, comme nous le verrons en
expliquant S. Luc. - Mais ici surgit une nouvelle question accompagnée d’une nouvelle discussion. Puisque
nous avons admis deux rédactions d’un même discours, il faut dire encore laquelle de ces rédactions
reproduit le discours sous sa forme la plus authentique et la plus exacte. Cette fois, il n’y a place que pour
deux sentiments : les uns attribuent au récit de S. Luc, les autres à celui de S. Matthieu la note de la plus
grande originalité. Les premiers allèguent deux raisons qu’ils croient péremptoires : l’exactitude accoutumée
de S. Luc, l’habitude qu’a S. Matthieu de grouper des choses qui n’ont en réalité qu’une connexion logique.
Toutefois si ces raisons sont justes d’une manière générale, nous ne les croyons pas applicables au fait qui
nous occupe. S. Luc se pique d’exactitude, il est vrai ; mais il ne prétend pas être toujours complet, ce qui est
très différent : or, il se trouve précisément que les passages omis par lui dans ce discours, ou bien
n’intéressaient que fort peu les lecteurs d’origine païenne auxquels il s’adressait plus particulièrement, ou
bien devaient apparaître en d’autres endroits de son Évangile, probablement parce que Notre-Seigneur
Jésus-Christ répéta plusieurs fois, devant des auditoires divers, quelques-unes de ses leçons les plus
importantes. D’un autre côté, il est faux de prétendre que S. Matthieu nous livre ici une « composition
libre », un discours dont les différentes pièces appartiendraient sans doute au Sauveur, mais qui n’aurait
jamais été prononcé par Lui tel que nous l’avons sous les yeux. Le Discours sur la montagne du premier
Évangile, quand on l’étudie à fond, produit complètement l’effet d’une œuvre originale, coulée dans un
moule unique et d’un seul jet. De là cette suite régulière des pensées, cet ordre parfait, cette unité logique
qu’on y observe. N’était-il pas juste qu’à cette époque de sa vie publique, Jésus, après avoir réuni de grandes
foules autour de lui, après avoir vivement excité l’attente dans les cœurs, indiquât nettement ce qu’il voulait
et quel était son but ? Ne fallait-il point qu’après avoir parlé en termes énigmatiques du Royaume des cieux
qu’il venait établir, il expliquât d’une manière bien claire et bien formelle ce qu’était son royaume ? Il l’a fait
d’après S. Matthieu ; il ne l’aurait pas fait réellement d’après la rédaction de S. Luc. - 2° Caractère général du Discours de la Montagne. Nous avons déjà déterminé ce caractère en affirmant que le Discours de Jésus
sur la montagne est, pour ainsi dire, la grande charte de l’État messianique. Il est à l’Église chrétienne ce que
la législation du Sinaï était à la théocratie de l’Ancien Testament : il équivaut donc à une promulgation
solennelle de la Loi nouvelle. Mais ici un rapprochement, ou plutôt un contraste, s’établit de lui-même entre
les deux codes divins, considérés dans les circonstances extérieures au milieu desquelles ils furent donnés à
la terre. C’est d’une part le désert brûlant, un affreux et gigantesque rocher tout couronné d’éclairs, une
contrée d’épouvante ; c’est d’autre part un plateau gazonné d’où l’on domine une des plus gracieuses
contrées du monde. Là-bas la parole divine retentit comme un tonnerre qui glace les cœurs ; ici elle est pleine
de suavité. Là, les sujets reçoivent l’ordre de se tenir à l’écart, Cf. Ex. 19 ; ici, ils s’approchent
familièrement du Législateur qui est en même temps le Sauveur de l’humanité. On pourrait sans peine
prolonger ce parallèle à la suite des Pères : nous résumerons tout en un seul mot si nous ajoutons que là c’est
la Loi, tandis qu’ici c’est l’Évangile. - Le fond et la forme de ce discours sont d’une beauté incomparable : il
contient la doctrine la plus sublime sous le style le plus attrayant. De plusieurs sentences particulières qui s’y
rencontrent, on peut ainsi que nous le verrons bientôt, rapprocher des textes analogues extraits des écrits
rabbiniques ou même des auteurs païens ; mais l’ensemble est à tout jamais inimitable, parce que Dieu seul
peut tenir un pareil langage. Aussi des esprits éminents en ont-ils fait l’objet de leurs perpétuelles et de leurs
plus chères études ; combien d’entre eux, depuis S. Augustin au 4è siècle jusqu’à Mgr Ginoulhiac,
archevêque de Lyon, dans ces dernières années, ne se sont-ils pas complu à le commenter longuement ? Cf.
August. de Sermone Domini in monte, lib. 2 ; Tholuck, Philol. - theol. Auslegung der Bergpredigt,
Hambourg 1835 ; Mgr Ginoulhiac, Le Sermon sur la Montagne avec des réflexions dogmatiques et morales,
Lyon 1872. - Le dogme ne fait dans le Sermon sur la montagne que de rapides apparitions ; il s’y montre
toutefois assez pour justifier cette parole acérée de Stier. Reden des Herrn Jesu, in h. l. « Messieurs les
rationalistes qui aimez tant, qui écoutez si volontiers la morale du Discours sur la montagne, de grâce
écoutez aussi le dogme qu’il vous enseigne ». C’est donc la morale qui en constitue la plus grande partie ; et
il devait en être ainsi, Jésus-Christ voulant dans la situation présente donner des règles pour la conduite
pratique et point un recueil de doctrines, les principes généraux d’après lesquels un chrétien devrait se
conduire plutôt que des canons dogmatiques ou une règle de foi. Le « Credo » aura son tour. Nous n’avons
donc pas ici le Christianisme complet, mais seulement une de ses plus belles pages. Le Sauveur aura encore
environ dix-huit mois pour compléter et développer son enseignement. - 3° Plan et division. Tout en parlant
de plan à propos du Discours sur la montagne, nous admettons sans peine avec Rosenmüller que « ce
discours n'est pas composé selon les lois de la rhétorique ». Autre chose est l’éloquence de l’Occident, autre
chose l’éloquence de l’Orient : celle-ci se permet des allures plus libres, s’astreint moins à l’enchaînement
rigoureux des pensées. Cette restriction faite, il est certain qu’il existe dans le Sermon sur la montagne un
plan visible et bien logique. Les auteurs qui se sont appliqués à le découvrir ne le déterminent pas, il est vrai,
tout à fait de la même manière, parce qu’ils ne prennent point la même idée pour base ; cependant ils sont
d’accord sur les points les plus importants. M. J. P. Lange admet comme pensée fondamentale du discours la
« justice du royaume des cieux », en tant qu’elle est opposée à la perfection de l’ancienne théocratie. De là
deux grandes parties : la justice du royaume céleste en elle-même, v. 3-16 ; la justice du royaume céleste
envisagée dans ses rapports avec celle de l’Ancien Testament, v. 17-7, 6. Une troisième partie, 7, 7-27, qui
est encore plus pratique que les deux autres, montre comment on doit éviter la fausse route de la perfection,
pour suivre la bonne voie tracée par Jésus. D’un autre côté, Stier voit dans ce sermon du Christ une triple
gradation qui correspond, dit-il, au progrès qui doit se manifester dans la vie des disciples de Jésus. Le
Sauveur commence par gagner les cœurs au moyen de douces et saintes promesses, v. 3-20 ; ensuite il
expose la loi proprement dite avec ses prescriptions variées, telles qu’elles conviennent à des âmes qui sont
déjà vraiment chrétiennes et qui ont cessé d’être néophytes, v. 21-7, 14. Enfin il y a les graves avertissements
à l’adresse des pervers, 7, 15-27. la sanctification chrétienne nous est ainsi présentée tour à tour dans ses
fondements, dans sa manifestation extérieure, dans sa persévérance finale. - Nous avons adopté de préférence
le plan d’Oswald, Kath. Magazon ; t. 1, p. 98 et ss. Formelle Einheit der Bergpredigt, qui nous semble
exprimer le plus exactement le but du Sauveur, et qui permet de fixer et de retenir sans peine le véritable
enchaînement des pensées. Le Discours sur la montagne contient, avons-nous dit, la législation du royaume
de Dieu fondé par Jésus-Christ ; il est, en quelque sorte, le « Code civil » de l’empire messianique. Or, dans
le code de chaque État, on trouve tout d’abord l’indication des conditions auxquelles on peut acquérir le droit
de cité, des marques qui distinguent les citoyens des étrangers ; on y trouve ensuite des détails relatifs aux
fonctionnaires de l’État, à leurs devoirs, à leurs privilèges, etc. Ces deux choses nous apparaissent
précisément en tête de la rédaction de S. Matthieu. Les conditions requises pour devenir « citoyen chrétien » sont renfermées dans les Béatitudes, v. 3-12 ; aussitôt après, v. 13-16, nous apprenons ce que doivent être les
officiers du royaume chrétien, c’est-à-dire les Apôtres et leurs successeurs, pour bien s’acquitter de leurs
fonctions. Toutefois, avant l’apparition du Messie sur la terre, il existait déjà un royaume de Dieu parmi les
hommes ; c’était la théocratie de l’Ancien Testament, qui avait pour but de préparer et de symboliser l’Église
chrétienne. Il était donc naturel que Jésus, dans son discours, comparât ensemble ces deux royaumes, pour
montrer les ressemblances qui les séparent ; il le fait assez longuement, v. 17-48. Le corps du discours traite
encore plus au long des obligations et des droits des citoyens, 6, 1-7, 23 ; nous y voyons l’énoncé des
principales vertus que le Christ attend de chacun des membres de la société chrétienne et des principales
prérogatives qu’il a daigné leur accorder. Le tout se termine par une péroraison pleine de gravité, où l’orateur
insiste sur la nécessité pour tous ses sujets de se conduire désormais d’après les enseignements qu’il vient de
leur adresser, 7, 24-27.