Matthieu 5, 4

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Saint Hilaire de Poitiers
Ou bien Notre-Seigneur promet à ceux qui sont doux l'héritage de la terre, c'est-à-dire l'héritage de ce corps qu'il a choisi lui-même pour y habiter ; et puisque c'est à cause de la douceur de notre âme que le Christ habite en nous, il nous revêtira aussi de cet éclat dont son corps glorieux sera environné (Ph 3, 21).
Saint Ambroise
Lorsque je serai parvenu à me contenter de la médiocrité, à être exempt de toutes sortes de maux, j'aurai encore à établir la règle dans mes m'urs. Que me servirait-il de renoncer aux biens de la terre, si je ne pratique pas la douceur ? Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Bienheureux ceux qui sont doux. »

Modérez donc les mouvements de votre âme, pour ne pas vous mettre en colère, ou du moins pour ne pas vous livrer à une colère coupable. Il est beau de soumettre à la raison les saillies du coeur, et il ne faut pas moins de vertu pour contenir la colère qui est souvent l'indice d'une âme énergique, que pour ne pas la ressentir du tout, ce qui ordinairement est le propre d'un caractère sans vigueur.
Saint Jean Chrysostome
Ou bien cette terre, suivant l'opinion de quelques-uns est la terre des morts tant qu'elle reste dans l'état actuel, parce qu'elle est assujettie à la vanité, mais lorsqu'elle sera délivrée de la corruption, elle deviendra la terre des vivants et les mortels la recevront comme un héritage libre des atteintes de la mort. J'ai lu une autre explication, d'après laquelle le ciel que doivent habiter les saints est appelé terre des vivants, en ce sens que c'est le ciel par rapport à la région inférieure, et la terre comparativement au ciel supérieur. D'autres prétendent que cette terre c'est notre corps ; tant qu'il est soumis à la mort, c'est la terre des morts, mais il sera la terre des vivants, lorsqu'il deviendra semblable au corps glorieux de Jésus-Christ.

Ou bien encore, le Christ mêle ici les promesses temporelles aux promesses spirituelles. Celui qui fait profession de douceur passe aux yeux du monde pour perdre tout ce qu'il possède. Jésus-Christ lui promet donc ici le contraire en l'assurant que celui qui est doux possède en sûreté ce qui lui appartient, tandis que celui qui est arrogant perd bien souvent et son âme et l'héritage de ses pères. Or, le Sauveur emprunte ici pour les mêler à son discours ces paroles du Roi prophète : « Ceux qui sont doux auront la terre en héritage. »
Saint Augustin
Les hommes doux sont ceux qui cèdent devant les injustes dont ils sont victimes, qui ne font pas de résistance au mal, mais triomphent du mal par le bien. 

Que ceux qui ne connaissent pas la douceur, se querellent et soient en contestation pour les choses de la terre et du temps, mais« bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre, » d'où on ne pourra les arracher, cette terre dont il est dît au psaume 141 : « Mon partage est dans la terre des vivants, c'est-à-dire dans un héritage permanent, éternel, où l'âme se repose par une sainte affection, comme dans le lieu qui lui est propre, de même que le corps se repose dans la terre, et où elle s'y nourrit de son aliment comme le corps se nourrit de la terre ; cet héritage est le repos et la vie des saints. 
La Glose
Les hommes doux qui ont su se posséder eux-mêmes, posséderont plus tard l'héritage du Père céleste. Or, c'est une plus grande récompense de posséder cette terre que d'avoir simplement le royaume des cieux, car que de choses nous perdons dès que nous les avons.
Saint Thomas d'Aquin
547. HEUREUX LES DOUX. C’est la deuxième béatitude, mais pour que personne ne dise que la pauvreté suffit pour le bonheur, il montre qu’elle ne suffit pas. Au contraire, la douceur est requise, elle qui maîtrise les colères, comme la tempérance maîtrise les désirs ardents. En effet, est doux celui qui ne s’irrite pas. Cela pourra se faire par vertu, pour que du moins on ne se mette pas en colère sans une juste cause. Mais si tu as même une juste cause et que [ta colère] n’est pas provoquée, cela surpasse la manière humaine, et c’est pourquoi il dit : HEUREUX LES DOUX. Il y a des conflits à cause de l’abondance de biens extérieurs, et c’est pourquoi il n’y aurait jamais de trouble si on ne recherchait pas les richesses. C’est pourquoi ceux qui ne sont pas doux ne sont pas pauvres en esprit. C’est à cause de cela qu’il ajoute aussitôt : HEUREUX LES DOUX.

548. Et note que cela consiste en deux choses : d’abord, à ne pas se mettre en colère ; deuxièmement, si on se met en colère, à la maîtriser.

549. Ainsi dit Ambroise : «Le sage maîtrise ses mouvements de colère, et il n’y a pas moins de vertu à se mettre en colère d’une façon maîtrisée, qu’à ne se mettre en colère en aucun cas ; et je trouve la deuxième attitude beaucoup plus facile, et la première plus forte, etc.»

550. Chrysostome dit : «Parmi beaucoup de promesses éternelles, [le Seigneur] en met une terrestre.» D’où, à la lettre, LES DOUX POSSÉDERONT cette TERRE. Car beaucoup font des procès pour acquérir des possessions, mais souvent ils perdent la vie et tous leurs biens ; et souvent ce sont les gens tranquilles qui possèdent tout. Ps 36, 11 : Les doux hériteront la terre.

551. Une meilleure explication [consiste] à mettre [ces paroles] en rapport avec l’avenir, et alors on peut les expliquer de plusieurs façons. Hilaire donne cette [explication] : ILS POSSÉDERONT LA TERRE, à savoir le corps glorifié du Christ, car dans leur corps, ils seront conformes à sa clarté. Is 33, 17 : Ses yeux verront le roi dans sa beauté, distingueront une terre qui s’étend loin. Ph 3, 21 : Il reformera notre corps d’humilité en le configurant à son corps de clarté. Ou encore : cette terre, pour le moment, est celle des morts, car elle est sujette à la corruption, mais elle sera libérée de la corruption, selon l’Apôtre, Rm 8, 21 [L’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu.] Donc cette terre, quand elle sera clarifiée et libérée de l’esclavage de la corruption, sera appelée la terre des vivants. Ou bien par LA TERRE on entend le ciel empyrée, dans lequel sont les bienheureux, et on l’appelle TERRE parce que la terre a le même rapport avec le ciel, que ce ciel avec le ciel de la Sainte Trinité. Ou bien ILS POSSÉDERONT LA TERRE, c’est-à-dire leur corps glorifié. Augustin l’explique métaphoriquement : il dit qu’il faut entendre par là une certaine fermeté des saints dans la connaissance de la vérité première. Ps 26, 13 : Je le crois, je verrai les biens du Seigneur sur la terre des vivants.

552. Cette deuxième béatitude va avec le don de piété, car au sens propre, ceux qui se mettent en colère ne sont pas satisfaits du plan divin.
Louis-Claude Fillion
Dans la « Recepta » grecque l’ordre des Béatitudes a été interverti en cet endroit ; la seconde est devenue la troisième et « vice versa ». Nous suivons, comme de coutume, la Vulgate, que favorisent du reste plusieurs manuscrits grecs, plusieurs Pères et la version syriaque. - Tandis que la plupart des autres Béatitudes ont simplement quelque base générale dans l’Ancien Testament, celle-ci en est littéralement extraite. Cf. Ps. 36, 8-11. Voici en effet ce que nous lisons au Ps. 36, 8-11 : « Mets fin à la colère et laisse tomber la fureur. N’imite pas ceux qui se mettent en colère. Les irascibles seront exterminés. Ceux qui appuient le Seigneur hériteront de la terre. Encore un peu de temps, et il n’y aura plus de pécheur. Tu chercheras sa demeure et tu ne la trouveras pas. Les doux, eux, hériteront de la terre et jouiront d’une grande paix. » Jésus nous dira dans un instant qu’il ne vient que pour développer et perfectionner la révélation de l’ancienne Alliance. - Doux ne désigne pas une douceur purement extérieure, mais un sentiment qui a sa racine jusqu’au fond du cœur, là où prend sa source la sainte charité. Il faut aimer, en effet, pour être toujours doux et patient, Cf. Eph. 4, 2, pour pratiquer cette vertu qui est en apparence le don des âmes faibles, mais qui n’appartient de fait qu’aux esprits généreux et dépouillés d’eux-mêmes. - Ils posséderont la terre. Récompense magnifique pour ceux qui savent être doux à la suite de Jésus, le « doux de cœur », par excellence. « Ils posséderont » ; d’après le grec et d’après le passage des Psaumes que nous citions plus haut, « ils recevront en héritage », ce qui marque une possession plus solide et plus parfaite. Mais quelle est cette terre qui leur sera donnée comme une propriété ? Serait -ce la nôtre, comme le demande S. Augustin, Théophylacte, Euthymius ? Mais, dans ce cas, ainsi que le fait observer Maldonat avec sa finesse accoutumée, « cette sentence ne serait pas vraie. Les doux n’ont pas coutume de posséder la terre, mais plutôt d’être privés de sa possession ». Est-ce le ciel, la vraie terre des vivants ? Origène, S. Basile, S. Grégoire de Nysse, S. Jérôme et d’autres encore l’affirment avec plus de justesse. Conformément au principe que nous avons émis précédemment quand nous parlions des Béatitudes en général, nous dirons que cette terre est tout à la fois l’Église militante et l’Église triomphante, c’est-à-dire le Royaume des cieux envisagé dans son ensemble. C’est une locution empruntée à l’Ancien Testament où elle désigne régulièrement la Terre Sainte, la terre par excellence pour les Israélites, puis dans le sens typique le règne du Messie, la Palestine mystique où abonde la douceur, où coulent le lait et le miel. Posséder la terre et entrer dans le Royaume des cieux sont donc deux expressions synonymes. - Notons encore le paradoxe de cette parole : En ce monde, il arrive presque toujours aux âmes douces d’être les victimes des puissants, des violents, et c’est justement à elles que Jésus promet de magnifiques conquêtes ! Par conséquent, nouvelle déception pour les Juifs pharisaïques qui espéraient que leur Christ leur procurerait, les armes à la main, la domination universelle.
Fulcran Vigouroux
La terre, c’est-à-dire la terre des vivants, comme l’appelle l’Ecriture, ou le ciel. ― « Bienheureux ceux qui sont doux. Apprenez de moi que je suis doux, sans aigreur, sans enflure, sans dédain, sans prendre avantage sur personne, sans insulter au malheureux, sans même choquer le superbe ; mais tâchant de le gagner par douceur ; doux même à ceux qui sont aigres, n’opposant point l’humeur à l’humeur, la violence à la violence, mais corrigeant les excès d’autrui par des paroles vraiment douces. ― On est bienheureux dans sa douceur, et on possède la terre. La terre sainte promise à Abraham est appelée une terre coulante de lait et de miel. Toute douceur y abonde ; c’est la figure du ciel et de l’Eglise. Ce qui rend l’esprit aigre, c’est qu’on répand sur les autres le venin et l’amertume qu’on a soi-même. Lorsqu’on a l’esprit tranquille par la jouissance du vrai bien et par la joie d’une bonne conscience, comme on n’a rien d’amer en soi, on n’a que douceur pour les autres ; la vraie marque de l’innocence, ou conservée ou recouvrée, c’est la douceur. » (BOSSUET.)