Matthieu 5, 42
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
Sans ce nouveau commandement, celui de la loi de Moïse ne peut se soutenir, car si nous usons de cette concession de la loi pour rendre à tous le mal pour le mal, nous deviendrons tous mauvais, parce que ceux qui nous persécutent sont malheureusement très nombreux ; tandis que si, d'après le précepte du Christ, on ne résiste pas au mal, les bons restent bons, quand bien même ils ne pourraient adoucir les méchants.
En rendant à votre ennemi le coup que vous avez reçu, l'avez-vous apaisé et amené à ne plus vous frapper ? Bien au contraire, vous l'avez excité à vous porter de nouveaux coups, car la colère loin de calmer la colère ne sert qu'à l'irriter davantage.
C'est une chose indigne qu'un chrétien se présente devant le tribunal d'un juge infidèle. Mais quand même le juge serait chrétien, si vous le mettez dans la nécessité de vous juger, lui qui devait respecter en vous la dignité de la foi, vous perdez à ses yeux pour une affaire temporelle cette dignité dont le Christ vous avait revêtu. D'ailleurs tout procès est une source d'irritation et de pensées coupables, car si vous voyez qu'on veut l'emporter contre vous par l'intrigue ou par l'argent, vous vous empressez de recourir aux mêmes moyens dans l'intérêt de votre cause, et certes ce n'est pas ce que vous vouliez dès le début.
Le mot '''''''''', angariaverit, veut dire entraîner injustement, et tourmenter sans raison.
Nos richesses ne sont pas à nous, mais à Dieu, et il a voulu que nous en soyons les dispensateurs, et non pas les maîtres.
Le Christ nous fait donc un devoir de prêter, mais sans condition d'usure, car celui qui prête à cette condition ne donne pas ce qui est à lui ; il prend ce qui ne lui appartient pas ; il brise un des lieus de l'emprunteur, pour le charger d'un plus grand nombre de chaînes ; il donne, ce n'est point par un principe de justice divine, c'est dans une pensée toute d'intérêt personnel. L'argent qu'on prête à usure est semblable à la morsure d'un aspic, de même que le venin de l'aspic répand secrètement la corruption dans tous les membres, ainsi l'usure fait de tous les biens autant de dettes.
Le Seigneur, en nous ôtant le droit de nous venger, tranche donc jusqu'à la racine du péché ; dans la loi, la faute est corrigée ; ici, les commencements mêmes du péché sont détruits.
Dans le sens mystique, lorsqu'on nous frappe sur la joue droite, nous devons présenter non pas la joue gauche, mais l'autre joue (cf. Pv 4, 27 ; Qo 10, 2 ; Mt 6, 3), car le juste n'a pas de gauche. Par exemple, si un hérétique nous frappe dans la discussion, et qu'il veuille porter atteinte au sens droit d'une vérité dogmatique, nous devons lui opposer un autre témoignage semblable tiré de l'Écriture.
Si nous restreignons au devoir de l'aumône ces paroles du Sauveur, on ne peut l'appliquer à un trop grand nombre de pauvres, car si les riches donnaient constamment, ils ne pourraient donner toujours.
On peut encore entendre ces paroles du trésor de la doctrine, qui ne s'épuise jamais, mais qui se remplit abondamment à proportion de ce qu'on donne.
La troisième espèce d'injures qui consiste dans des actions dommageables est un mélange des deux premières et peut se réparer par le châtiment ou sans le châtiment. Car celui qui contraint méchamment un homme, et le force malgré lui à l'aider, peut porter la peine de sa méchanceté et rendre ce que l'on a fait pour lui. A l'égard de ces injures le Seigneur veut qu'un coeur chrétien se montre rempli de patience et disposé à en souffrir encore davantage, c'est pourquoi il ajoute : « Si quelqu'un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en deux mille autres encore, » paroles qui exigent beaucoup moins que nous marchions en réalité, que d'être disposés à le faire.
Nous pensons que par ces paroles : « Allez avec lui l'espace de deux autres milles : » Notre-Seigneur a voulu compléter le nombre trois, nombre qui exprime la perfection, pour rappeler à celui qui agit ainsi qu'il fait acte de justice parfaite. C'est pour cela qu'il appuie ce précepte sur trois exemples et que dans le troisième le nombre deux est ajouté à l'unité pour compléter le nombre trois. Ou bien, peut-être, faut-il entendre ici que dans ce précepte, le Seigneur monte par degré de ce qui est plus facile à ce qui est plus parfait. Il vous commande en premier lieu de présenter l'autre joue à celui qui vous frappe sur la droite, c'est-à-dire d'être disposé à supporter un affront moindre que celui que vous avez reçu. A celui qui veut vous prendre votre tunique, il vous commande d'abandonner votre manteau ou votre vêtement, suivant un autre texte ; c'est vous demander de supporter une injure égale, ou de bien peu supérieure à celle qui vous a été faite. Enfin il vous ordonne d'ajouter aux mille premiers pas, l'espace de deux autres mille, c'est-à-dire de faire le double de ce que vous avez fait. Mais comme ce serait peu de ne pas rendre le mal pour le mal, si l'on ne fait positivement le bien, il ajoute : « Donnez à celui qui vous demande. »
Ce commandement a été donné pour éteindre le feu de ces haines violentes qui éclataient entre des ennemis acharnés les uns contre les autres, et pour mettre un frein à des colères sans mesure. Car quel est celui qui se contente d'une vengeance égale seulement à l'injure qu'il a reçue ? Ne voyons-nous pas au contraire des hommes légèrement offensés tramer le meurtre, avoir soif du sang et trouver à peine de quoi l'assouvir dans les maux dont ils accablent leurs ennemis ? C'est à cette vengeance aussi excessive qu'elle est injuste que la loi a posé de justes bornes en créant la peine du talion, qui mesure rigoureusement le châtiment à l'offense. Le but de cette loi n'est pas de dominer une nouvelle force à la fureur, mais de la contenir et de la réprimer ; ce n'est pas de rallumer une flamme assoupie, mais de circonscrire celle qui brûlait déjà. En effet, la vengeance, réglée ici par la justice, ne dépasse pas les droits que l'injure donne à celui qui en est offensé. Il peut céder ce qui lui est dû, et c'est bonté de sa part ; mais il peut le demander sans injustice. Or, comme il y a péché à poursuivre une vengeance sans mesure tandis qu'il n'y en a aucun à ne vouloir qu'une vengeance modérée ; il est évident que celui qui refuse toute vengeance est le moins exposé à pécher, et c'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au mal. » Je pourrais traduire ainsi ces paroles « Il a été dit aux anciens : Vous ne vous vengerez pas injustement ; pour moi, je vous dis : Ne vous vengez pas (ce qui est vraiment accomplir la loi), » si ces paroles paraissaient être dans la pensée du Christ un complément de la loi. Mais il est plus naturel de penser qu'il n'a eu d'autre but que celui même que se proposait la loi de Moïse, c'est-à-dire qu'il recommande de ne se venger en aucune manière, afin d'être plus assuré d'observer ce précepte et de ne pas dépasser les bornes d'une légitime vengeance.
La justice des Pharisiens qui s'appliquait à ne point dépasser la mesure de la vengeance, est une justice imparfaite, et c'est le commencement de la réconciliation et de la paix ; mais la justice parfaite est de s'interdire toute vengeance. Aussi entre cet excès que la loi condamne, de rendre plus de mal qu'on n'en a reçu, et la perfection dont le Sauveur fait un précepte à ses disciples, et qui consiste à ne pas rendre le moindre mal à ceux qui nous en ont fait, nous trouvons ce moyen terme qui ne rend que le mal qu'on a reçu. Et c'est par ce moyen terme que le monde a passé de la plus grande division à l'accord le plus parfait. En effet, si vous prenez l'initiative de l'offense, vous commettez une souveraine injustice ; si, sans avoir commencé, vous tirez de votre ennemi une vengeance supérieure à l'offense, vous n'atteignez pas tout à fait le même degré d'iniquité. Si vous ne rendez que le mal que vous avez reçu, vous vous montrez tant soit peu généreux ; car celui qui a commencé le premier mérite un châtiment supérieur à l'offense dont il s'est rendu coupable. Mais le Sauveur qui est venu accomplir la loi a porté à sa perfection cette justice ébauchée, exempte de sévérité, et où l'on sent déjà la miséricorde. Quant aux deux degrés intermédiaires, il nous les laisse à comprendre. Car il en est qui tirent une vengeance légère pour une grave offense, et c'est par ce degré qu'on arrive à ne pas se venger du tout. Mais c'est trop peu encore pour le Seigneur, il veut que vous soyez disposé à en supporter davantage. Aussi nous recommande-t-il non-seulement de ne pas rendre le mal pour le mal, mais de ne pas résister au mal, etc., c'est-à-dire non-seulement de ne pas rendre le mal qui nous aurait été fait, mais encore de ne pas empêcher celui qu'on voudrait nous faire. C'est ce que signifient ces paroles : « Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi la gauche. » C'est donc un acte de miséricorde et de condescendance que le Sauveur demande, et c'est ce que comprennent parfaitement ceux qui acceptent d'être comme les serviteurs de personnes qui leur sont chères, par exemple, des enfants, ou de ceux qui sont atteints de frénésie. Que n'ont-ils pas à en souffrir, et si leur bien le demande, ils sont disposés à en supporter encore davantage. Le Seigneur souverain médecin des âmes enseigne donc ici à ses disciples à supporter les infirmités de ceux dont ils veulent sauver les âmes, car toute méchanceté vient de la faiblesse de l'esprit, et personne n'est plus inoffensif que celui qui pratique la vertu dans sa perfection.
La conduite que les Saints ont tenue sous la loi nouvelle sert à nous faire comprendre les exemples de l'Écriture qui nous sont présentés sous forme de préceptes, comme lorsque nous lisons dans l'Évangile : « Vous avez reçu un soufflet, présentez l'autre joue. » (Lc 6). Nous ne pouvons certainement trouver de plus parfait exemple de patience que l'exemple du Seigneur lui-même : Or lorsqu'il eut reçu un soufflet dans sa passion, il ne dit pas : « Voici l'autre joue, » mais : « Si j'ai mal parlé, faites voir le mal que j'ai dit : et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » Cet exemple nous prouve que c'est intérieurement qu'il faut être disposé à présenter l'autre joue.
En effet, Notre-Seigneur était disposé non-seulement à recevoir un soufflet sur l'autre joue pour le salut des hommes, mais à voir son corps tout entier attaché à la croix. Mais que signifie cette joue droite ? C'est au visage que l'on reconnaît un homme ; être frappé au visage c'est donc d'après l'Apôtre devenir l'objet du dédain et du mépris. Mais on ne peut distinguer le visage en visage droit et en visage gauche, et cependant on peut avoir une double dignité, l'une selon Dieu, l'autre selon le monde, de là cette distinction de joue droite et de joue gauche, distinction qui apprend à tout disciple de Jésus-Christ qui voit mépriser en lui son caractère de chrétien à se montrer disposé à souffrir les mépris qui tomberaient sur les honneurs temporels dont il peut être revêtu. Toutes les offenses auxquelles nous sommes exposés peuvent se diviser en deux classes, les offenses qu'on ne peut réparer, les offenses qui peuvent l'être. Or c'est justement dans les offenses où la réparation n'est pas possible, qu'on cherche ordinairement la consolation de la vengeance. On vous a frappé, à quoi vous sert de rendre le coup que vous avez reçu ? Avez-vous guéri par là la blessure qu'on a pu faire à votre corps ? Non sans doute, il n'y a qu'une âme où la colère déborde qui puisse désirer de pareils adoucissements.
Aussi le Seigneur veut-il que nous supportions cette faiblesse de la colère du prochain dans un vrai sentiment de compassion, plutôt que de chercher dans son châtiment un adoucissement à la nôtre. Et cependant il ne défend pas ici la vengeance qui a pour but la correction du prochain, car elle fait partie de la miséricorde et se concilie très bien avec la disposition de souffrir encore davantage de celui qu'on veut corriger. Celui qui est revêtu du pouvoir légitime doit nécessairement tirer vengeance des crimes commis ; mais il doit le faire avec le coeur d'un père qui ne peut haïr son enfant. De saints personnages ont puni de mort certains crimes pour inspirer aux vivants une crainte salutaire, et alors ce n'était pas la mort qui était préjudiciable à ceux qui étaient punis, mais bien leur péché, qui aurait pu s'aggraver s'ils avaient continué de vivre. C'est ainsi qu'Élie en frappa plusieurs de mort (cf. 3 R 18, 40 ; 4 R 1, 10 ; Lc 9, 54), et les disciples de Jésus-Christ ayant voulu s'autoriser de cet exemple, le Seigneur les reprit, en blâmant non pas l'action du prophète, mais l'ignorance qui les poussait à se venger, et en leur faisant remarquer que ce n'était pas l'amour de la correction fraternelle, mais la haine qui excitait en eux le désir de la vengeance. Mais après même qu'il leur eut enseigné la loi de charité et qu'il eut répandu l'Esprit saint dans leurs âmes, on vit encore de semblables vengeances ; c'est ainsi que la parole de Pierre fit tomber morts à ses pieds Ananie et sa femme, et que l'apôtre saint Paul livra un homme à Satan pour mortifier sa chair. C'est pourquoi je ne puis comprendre le déchaînement aveugle de quelques-uns contre les châtiments corporels que nous voyons dans l'Ancien Testament, dans l'ignorance où ils sont de l'esprit et l'intention qui les a fait infliger.
Quel est l'homme de bon sens qui oserait dire aux rois : « Qu'un de vos sujets choisisse d'être religieux ou impie, cela ne vous regarde pas ? On ne peut leur dire davantage : Que dans votre royaume on soit débauché ou de moeurs pures, vous n'avez pas à vous en occuper. » Sans doute il vaut mieux amener les hommes à la pratique de la religion par l'instruction que par des peines coercitives, mais cependant nous pourrions prouver par l'expérience que pour plusieurs il a été fort utile d'être forcés par la peine ou par la crainte à se faire instruire ou à pratiquer ce qu'on leur avait déjà enseigné. Ceux qui se laissent conduire par l'amour sont évidemment les meilleurs, mais c'est le plus grand nombre qu'on ne ramène que par la crainte. C'est la conduite que Jésus-Christ tient à l'égard de saint Paul : il le dompte d'abord par la force avant de le soumettre par ses divines leçons.
Un chrétien veut-il observer la juste mesure de vengeance qui lui est ici permise, lorsqu'il a reçu quelque outrage de ce genre, que la haine n'entre pas dans son coeur, qu'il soit disposé à souffrir encore davantage, et qu'en même temps il ne néglige pas de se servir de l'influence du conseil ou de l'autorité pour faire rentrer son frère dans le devoir.
Il est un autre genre d'injures qui peuvent se réparer complètement : elles sont de deux espèces, l'une s'attaque à l'argent, l'autre consiste dans les actions outrageantes. C'est de la première des deux dont Notre-Seigneur ajoute : « Si quelqu'un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, abandonnez lui encore votre manteau. » Or de même que le soufflet reçu sur la joue exprime tous les outrages qui ne peuvent être réparés que par le châtiment, ainsi ce que le Seigneur dit ici du vêtement comprend toutes les injures qui peuvent être réparées sans recourir à la vengeance ; et ce précepte doit s'entendre de la disposition du coeur, et non de ce qu'il faut faire en réalité. Ce qui nous est commandé à l'égard de la tunique ou du manteau, nous devons le faire pour tous les biens temporels dont nous avons le domaine, de quelque manière que ce soit. Car si ce précepte porte sur le nécessaire, à plus forte raison devons-nous abandonner le superflu ? C'est ce que Notre-Seigneur nous enseigne en disant : « Si quelqu'un veut plaider contre vous. » Ces paroles comprennent tout ce qu'on peut nous disputer devant les tribunaux. Mais doit-on y comprendre les esclaves ? C'est une grande question, car un chrétien ne peut assimiler la propriété d'un esclave à la propriété d'un cheval, quoiqu'il puisse se faire que le cheval soit d'un prix plus élevé qu'un esclave. Or si votre esclave trouve en vous un maître plus sage que celui qui désire vous l'enlever, je ne sais qui oserait vous conseiller de ne pas y attacher plus d'importance qu'à votre vêtement.
C'est pourquoi le Seigneur défend ici aux chrétiens tout débat devant les tribunaux pour des affaires temporelles. Si donc l'Apôtre en défendant sous les peines les plus sévères tout appel au tribunal des infidèles permet cependant que les causes entre fidèles soient jugées entre eux, il est évident que c'est une concession qu'il fait à leur faiblesse.
Il est plus utile de retirer le pain à celui qui a faim, et qui assuré de sa nourriture négligerait de pratiquer la justice, que de faire de ce morceau de pain dont il a besoin, un moyen de séduction pour le forcer de consentir au mal.
Le Seigneur nous dit donc : « Donnez à tout homme qui vous demande, » mais non pas à celui qui vous demande toute sorte de choses. Quoi ! vous donneriez de l'argent à celui qui veut s'en servir pour opprimer un innocent ou pour corrompre la vertu d'une femme ! Il ne faut donc donner que ce qui ne peut être nuisible ni pour vous, ni pour un autre, autant que vous pouvez en juger sur la foi de celui qui demande. Et lorsque vous croirez devoir lui refuser ce qu'il demande, expliquez-lui les justes motifs de votre refus. De cette manière il ne s'en ira point sans avoir rien reçu, et en lui faisant comprendre l'injustice de sa demande vous lui aurez donné quelque chose de bien préférable à ce qu'il demandait.
Les paroles qui suivent : « Et ne vous détournez point de celui qui veut emprunter de vous » se rapportent aux dispositions de l'âme, car « Dieu aime celui qui donne gaîment. » Tout homme qui reçoit, emprunte, dût-il ne rien rendre, parce que Dieu rend à ceux qui exercent la charité plus qu'ils n'ont donné. Si cependant on ne veut entendre par emprunteur que celui qui reçoit avec l'intention de rendre, il faut dire alors que le Seigneur comprend dans ses paroles ces deux manières de donner, ou le don gratuit, ou le prêt soumis à l'obligation de rendre. Le Seigneur nous exhorte avec raison à ce genre de bienfait, en nous disant : « Ne rejetez point, » c'est-à-dire ne détournez pas votre volonté dans la pensée que Dieu ne vous serait plus redevable, parce que votre débiteur se serait acquitté à votre égard, car ce que l'on fait pour obéir à un précepte divin ne saurait demeurer sans fruit.
On nous objecte que cette doctrine de Jésus-Christ n'est pas compatible avec les moeurs publiques, car qui peut, dira-t-on, se laisser ravir quelque chose par l'ennemi ? qui serait disposé à ne pas exercer contre ceux qui dévastent les provinces romaines les représailles qu'autorise le droit de la guerre ? Nous répondons que ces préceptes de patience doivent toujours se retrouver dans les dispositions de notre coeur, et que cette bonté qui défend de rendre le mal pour le mal doit toujours faire le fond de notre âme. On doit d'ailleurs agir envers ceux qui se refusent aux avances de la charité avec une sévérité pleine de douceur, et qui soit pour eux un châtiment salutaire. Si la société se conduisait d'après les préceptes du christianisme, les guerres elles-mêmes auraient leurs inspirations bienveillantes. On n'y chercherait que l'utilité des vaincus en rétablissant l'union entre l'impiété et la justice, car on gagne à être vaincu quand on perd la liberté de faire le mal. Il n'y a rien, en effet, de plus malheureux que la félicité des pécheurs, car elle alimente l'impunité qui est un châtiment, et fortifie au-dedans de nous cet ennemi intérieur qu'on appelle la volonté du mal.
Parmi ceux qui nous ravissent nos biens temporels nous devons supporter les uns, mais nous devons nous opposer aux autres, tout en conservant la charité à leur égard. En cela nous ne nous opposons pas seulement à ce qu'ils nous enlèvent ce qui est à nous, mais nous les empêchons de se perdre eux-mêmes en ravissant ce qui ne leur appartient pas ; car nous devons beaucoup plus craindre pour les ravisseurs eux-mêmes, que désirer avidement des biens privés de raison. Or lorsque nous sacrifions la paix avec le prochain à un bien temporel, il est évident que nous aimons ce bien plus que le prochain.
La Glose
Après avoir interdit toute injustice contre le prochain, toute irrévérence envers Dieu, le Seigneur nous enseigne comment un chrétien doit se conduire à l'égard de ceux qui lui font quelque injure « Vous avez appris ce qui a été dit : « oeil pour oeil, dent pour dent (Ex 21, 24 ; Lv 24, 20 ; Dt 19, 21). » »
On peut dire aussi que par ces paroles le Seigneur ajoute quelque chose à la justice de l'ancienne loi.
840. À QUI TE DEMANDE, DONNE. Ici est présentée la manière parfaite de se montrer serviable, ce qui se fait de deux façons : premièrement, sans espoir de rémunération, quand on donne aux pauvres ; deuxièmement, sans intérêts, quand on accorde un prêt à ceux qui le demandent. À propos du premier point, [le Seigneur] dit : À QUI TE DEMANDE, DONNE un objet ou une remontrance. La Glose [dit] : «Ce qui peut être donné avec honnêteté et justice.» Elle dit «avec honnêteté» car une chose pourrait être nécessaire, mais sans pouvoir être donnée honnêtement. «Avec justice», parce que le bien d’autrui ne peut être donné avec justice. Augustin [écrit] : «Donne de façon que cela ne nuise ni à toi ni à autrui.»
841. Il y a trois dons que nous devons surtout faire. Premièrement, [le don] qui vient du cœur : la compassion, Is 58, 10 : Si tu répands ton âme pour l’affamé et si tu rassasies l’opprimé, etc. Grégoire [écrit] : «Compatir avec son cœur, c’est davantage que donner, car celui qui compatit donne de lui-même, celui qui donne de l’argent donne d’autrui.» Deuxièmement, le [don] qui vient de la bouche : de douces paroles de consolation, Si 18, 16 : La rosée ne calme-t-elle pas la chaleur ? Ainsi la parole vaut mieux que le cadeau. Troisièmement, [celui] qui vient de la main : des ressources matérielles, Dt 15, 11 : J’ordonne que tu ouvres ta main à ton frère qui est pauvre.
842. Question : tout le monde est-il tenu à cela, et toujours ? Réponse : le don peut être matériel ou spirituel. S’il est matériel, soit il consiste en actions serviables, et ainsi n’importe qui est tenu envers le pauvre, Ex 23, 5 : Si tu vois l’âne de ton ennemi tomber sous sa charge, tu ne passeras pas ton chemin mais tu l’aideras à le relever ; soit il consiste en biens, superflus ou nécessaires. Les clercs sont tenus [de donner les biens] superflus. Ambroise [dit] : «Enlever à celui qui possède n’est pas un plus grand crime que refuser aux pauvres alors que tu peux.» Mais en cas [de besoin], c’est-à-dire dans une extrême nécessité, tout un chacun est tenu de [donner les biens] nécessaires ou superflus. Sur ce sujet Jérôme [cite] Rm 12, 20 : Si ton ennemi a faim, [donne-lui à manger (…), ce faisant tu amasseras des charbons ardents sur sa tête]. Celui qui dans une nécessité quelconque peut secourir quelqu’un en danger de mort, s’il ne le fait pas il le tue. Mais s’il n’est pas riche, comme il ne peut donner de biens matériels, il est tenu de [donner] de l’affection. La Glose [dit] : «Si les ressources te manquent, donne de l’affection.»
843. Si [le don] est spirituel, il consiste soit en compassion [venue] du cœur, soit en douces paroles [venues] de la bouche, soit en sagesse [venue] de l’intelligence, et [ce don] oblige autant les pauvres que les riches. Jérôme [écrit] : «La plupart des pauvres n’ont pas [d’argent], mais même les riches, s’ils en distribuent toujours, ne pourront pas en donner toujours ». Donc ce commandement se comprend de cet argent, selon Jérôme, qui ne disparaît pas quand on en donne, à savoir la sagesse : au contraire, plus on en donne, plus elle se multiplie.
844. À QUI VEUT T’EMPRUNTER, NE TOURNE PAS LE DOS. Voici la deuxième sorte d’aide, selon Chrysostome : c’est-à-dire quand nous prêtons à quelqu’un qui rendra. C’est pourquoi il dit : À QUI VEUT T’EMPRUNTER, c’est-à-dire à qui veut recevoir de toi un prêt, NE TOURNE PAS LE DOS. La Glose [dit] : «C’est-à-dire ne détourne pas ta bonne volonté.» Chrysostome [écrit] : «L’argent d’un usurier est semblable à la morsure d’une vipère. Celui qui est frappé par la vipère s’endort comme charmé ; dans la suavité de cet engourdissement, il meurt, parce qu’alors le venin parcourt secrètement tous ses membres. De même celui qui emprunte à intérêt ressent sur le moment comme un bienfait, mais les intérêts envahissent tous ses moyens et changent tout en dette.»
841. Il y a trois dons que nous devons surtout faire. Premièrement, [le don] qui vient du cœur : la compassion, Is 58, 10 : Si tu répands ton âme pour l’affamé et si tu rassasies l’opprimé, etc. Grégoire [écrit] : «Compatir avec son cœur, c’est davantage que donner, car celui qui compatit donne de lui-même, celui qui donne de l’argent donne d’autrui.» Deuxièmement, le [don] qui vient de la bouche : de douces paroles de consolation, Si 18, 16 : La rosée ne calme-t-elle pas la chaleur ? Ainsi la parole vaut mieux que le cadeau. Troisièmement, [celui] qui vient de la main : des ressources matérielles, Dt 15, 11 : J’ordonne que tu ouvres ta main à ton frère qui est pauvre.
842. Question : tout le monde est-il tenu à cela, et toujours ? Réponse : le don peut être matériel ou spirituel. S’il est matériel, soit il consiste en actions serviables, et ainsi n’importe qui est tenu envers le pauvre, Ex 23, 5 : Si tu vois l’âne de ton ennemi tomber sous sa charge, tu ne passeras pas ton chemin mais tu l’aideras à le relever ; soit il consiste en biens, superflus ou nécessaires. Les clercs sont tenus [de donner les biens] superflus. Ambroise [dit] : «Enlever à celui qui possède n’est pas un plus grand crime que refuser aux pauvres alors que tu peux.» Mais en cas [de besoin], c’est-à-dire dans une extrême nécessité, tout un chacun est tenu de [donner les biens] nécessaires ou superflus. Sur ce sujet Jérôme [cite] Rm 12, 20 : Si ton ennemi a faim, [donne-lui à manger (…), ce faisant tu amasseras des charbons ardents sur sa tête]. Celui qui dans une nécessité quelconque peut secourir quelqu’un en danger de mort, s’il ne le fait pas il le tue. Mais s’il n’est pas riche, comme il ne peut donner de biens matériels, il est tenu de [donner] de l’affection. La Glose [dit] : «Si les ressources te manquent, donne de l’affection.»
843. Si [le don] est spirituel, il consiste soit en compassion [venue] du cœur, soit en douces paroles [venues] de la bouche, soit en sagesse [venue] de l’intelligence, et [ce don] oblige autant les pauvres que les riches. Jérôme [écrit] : «La plupart des pauvres n’ont pas [d’argent], mais même les riches, s’ils en distribuent toujours, ne pourront pas en donner toujours ». Donc ce commandement se comprend de cet argent, selon Jérôme, qui ne disparaît pas quand on en donne, à savoir la sagesse : au contraire, plus on en donne, plus elle se multiplie.
844. À QUI VEUT T’EMPRUNTER, NE TOURNE PAS LE DOS. Voici la deuxième sorte d’aide, selon Chrysostome : c’est-à-dire quand nous prêtons à quelqu’un qui rendra. C’est pourquoi il dit : À QUI VEUT T’EMPRUNTER, c’est-à-dire à qui veut recevoir de toi un prêt, NE TOURNE PAS LE DOS. La Glose [dit] : «C’est-à-dire ne détourne pas ta bonne volonté.» Chrysostome [écrit] : «L’argent d’un usurier est semblable à la morsure d’une vipère. Celui qui est frappé par la vipère s’endort comme charmé ; dans la suavité de cet engourdissement, il meurt, parce qu’alors le venin parcourt secrètement tous ses membres. De même celui qui emprunte à intérêt ressent sur le moment comme un bienfait, mais les intérêts envahissent tous ses moyens et changent tout en dette.»
Ce quatrième et dernier trait condamne l’égoïsme qui n’aime ni à donner, ni à prêter, et
recommande la compassion la plus généreuse envers tous ceux qui sont dans le besoin. - Donne, quel que
soit l’objet, quelle que soit l’importunité de la demande, mais toujours bien entendu dans les limites
prescrites par la sagesse et la prudence. - Emprunter : Jésus-Christ parle évidemment d’un prêt gratuit. -
L’expression suivante, ne te détourne pas, est pleine de vie ; elle rappelle à merveille le brusque mouvement
par lequel on échappe aux requêtes ennuyeuses. Un bon chrétien ne doit pas se détourner, il faut qu’il
demeure ferme et qu’il accède aux désirs du suppliant. - Le lecteur aura sans doute remarqué la gradation
descendante suivie par le divin Maître dans ces quatre traits : on va constamment du plus difficile au plus
facile.
Et moi, etc. Jésus-Christ veut nous montrer ici que c’est pour nous un véritable devoir de ne rechercher, ni même de désirer la vengeance, et d’être disposés intérieurement à renoncer à ce qui nous est dû toutes les fois que la charité et la gloire de Dieu le demandent. Pour l’exécution à la lettre de ses divines paroles, c’est un simple conseil de perfection propre à nous faire acquérir plus de mérite aux yeux de Dieu.
Dieu bénit ceux qui viennent en aide aux pauvres et réprouve ceux qui s’en détournent : " A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos " (Mt 5, 42). " Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement " (Mt 10, 8). C’est à ce qu’ils auront fait pour les pauvres que Jésus Christ reconnaîtra ses élus (cf. Mt 25, 31-36). Lorsque " la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres " (Mt 11, 5 ; cf. Lc 4, 18), c’est le signe de la présence du Christ.