Matthieu 5, 48

Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.
Saint Cyprien
Revêtir le nom du Christ sans suivre la voie du Christ, n'est-ce point trahir le nom divin et abandonner le chemin du salut? Car le Seigneur lui-même enseigne et déclare que l'homme qui garde ses commandements entrera dans la vie, que celui qui écoute ses paroles et les met en pratique est un sage et que celui qui les enseigne et y conforme ses actes sera appelé "maître le plus grand" dans le Royaume des cieux. Toute prédication bonne et salutaire, affirme-t-il, ne profitera au prédicateur que si la parole qui sort de sa bouche se traduit ensuite en actes.

Or, y a-t-il un commandement que le Seigneur ait enseigné plus souvent à ses disciples que celui de nous aimer les uns les autres du même amour dont il a lui-même aimé ses disciples? Trouvera-t-on, parmi ses conseils salutaires et ses divins préceptes, un commandement plus important à garder et à observer? Mais comment celui que la jalousie a rendu incapable d'agir en homme de paix et de coeur pourra-t-il garder la paix ou la charité du Seigneur?

Voilà pourquoi l'Apôtre Paul a publié aussi les mérites de la paix et de la charité. Il a affirmé avec force et enseigné que ni la foi ni les aumônes, ni même les souffranc es du confesseur de la foi et du martyr ne lui serviraient de rien, s'il ne respectait pas intégralement et scrupuleusement les liens de la charité. Et il a ajouté: La charité est magnanime, la charité est serviable, la charité ne jalouse pas (1Co 13,4). Il nous apprend et nous fait voir ainsi que seul l'homme magnanime et bienveillant, sur qui la jalousie et l'envie, n'ont pas de prise, peut garder la charité.

De même, à un autre endroit, l'Apôtre a exhorté quiconque est déjà rempli du Saint-Esprit et devenu fils de Dieu par la naissance d'en-haut, à ne rechercher que les réalités spirituelles et divines. Puis il déclare: Pour moi, frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des êtres de chair, comme à de petits enfants dans le Christ. C'est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide; vous ne pouviez encore la supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage maintenant, car vous êtes encore charnels. Du moment qu'il y a parmi vous jalousie, querelle et discorde, n'êtes: vous pas charnels et votre conduite n'est-elle pas tout humaine (1Co 3,1-3)?

Nous ne pouvons, en effet, revêtir l'image de l'homme céleste que si nous manifestons notre ressemblance au Christ à travers l'existence dans laquelle nous venons d'entrer maintenant. Ce qui équivaut, en vérité, à devenir différents de ce que nous étions, et à commencer d'être ce que nous n'étions pas. Ainsi notre divine naissance brillera en nous, notre conduite divine de Dieu nous rendra semblables à Dieu le Père, notre vie entourée d'honneur et de louange fera resplendir Dieu en l'homme. Dieu même nous y exhorte et nous y engage en promettant à ceux qui lui rendent gloire qu'ils seront glorifiés en retour. Car j'honorerai, dit-il, ceux qui m'honorent, et ceux qui me dédaignent tomberont dans le mépris (1S 2,30).

Pour nous éduquer à lui rendre cette gloire et nous y préparer, le Seigneur et Fils de Dieu a enseigné dans son Évangile ce qu'est la ressemblance avec Dieu le Père en ces termes: Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux (Mt 5,43-45).
Saint Thomas d'Aquin
855. SOYEZ DONC. Ici [est présentée] la conclusion, comme s’il disait : «Je vous ai exhortés à la perfection évangélique, donc SOYEZ PARFAITS.» La Glose [dit] : «Dans l’amour de Dieu et du prochain.»

COMME VOTRE PÈRE DU CIEL EST PARFAIT. La Glose [dit] : «COMME indique l’imitation, non l’égalité, comme s’il disait : ‘Faites ce que j’ai dit, pour mériter d’être les fils du Père céleste par grâce d’adoption’.»

856. Et note que la perfection est double : [celle] de la gloire, et [celle] du chemin. Sur la première, Ep 4, 13 : Jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble (…) à constituer cet homme parfait [dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ]. La perfection du chemin vient soit de la nature, c’est d’elle que [parle] Gn 2, 1 : Parfaits sont les cieux et la terre et toute leur parure ; soit de la grâce, et celle-ci est double : d’état ou de mérite. La perfection du mérite est multiple.

857. La première [est la perfection] du cœur, Is 38, 3 : Souviens-toi comment j’ai marché devant toi en vérité et avec un cœur parfait. La deuxième [est celle] de la bouche, Jc 3, 2 : Si quelqu’un ne fait pas d’offenses en paroles, c’est un homme parfait. La troisième [est celle] de l’œuvre et celle-ci est multiple. La première [est celle] de l’innocence, Si 31, 8 : Heureux homme qui a été trouvé sans faute, etc., et plus loin, [Si 31, 10] : Qui a subi cette épreuve et a été trouvé parfait ; la deuxième [est celle] de l’excellence de vie, Gn 6, 9 : Noé était un homme juste et parfait parmi ses contemporains, [et il marchait avec Dieu] : c’est à celle-ci que sont tenus les clercs, plus que les laïcs ; la troisième [est celle] de l’obéissance, Gn 17, 1 : Marche en ma présence, sois parfait ; la quatrième [est celle] de la patience, Jc 1, 4 : La constance s’accompagne d’une œuvre parfaite ; la cinquième [est celle] de la persévérance, 1 P 1, 13 : Soyez sobres et espérez parfaitement [en la grâce qui doit vous être apportée]. La Glose [dit] : «En persévérant avec constance» ; la sixième [est celle] de la charité, 1 Jn 4, 18 : La charité parfaite bannit la crainte, et à celle-ci, tout le monde est tenu.

858. La perfection a trois stades. Premièrement, l’ordre ; en Dt 33, 8, il est dit à la tribu de Lévi : Ta perfection et ton enseignement à ton saint. Deuxièmement, la préférence, Lc 6, 40 : Tout disciple sera parfait s’il est comme son maître. Troisièmement, la religion, Mt 19, 21 : Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres etc.
Louis-Claude Fillion
Soyez donc parfaits. Dans ce verset, qui termine admirablement la comparaison que Notre-Seigneur vient d’établir entre l’Ancien Testament et le Nouveau, nous trouvons le premier des trois grands principes de moralité que renferme le Discours sur la Montagne ; Cf. 6, 33 et 7, 12. C’est un idéal supérieur, qui nous inspire sans cesse un nouvel élan et qui est par cela même très apte à nous conduire au but voulu par le Christ ; « vous, courez de manière à l’emporter », ajoutera S. Paul, 1 Cor. 9, 24, tout en étant forcé de reconnaître qu’il n’avait pas encore atteint lui-même ce sublime sommet. Philipp. 3, 12, 13. - Soyez, en grec au futur, mais avec le sens bien manifeste de l’impératif. - Donc, car c’est une conclusion très logique de tous les ordres qui précèdent et plus particulièrement du dernier, v. 44-47, ou du moins de leur fidèle accomplissement. - Vous : ce « vous » est emphatique ; vous, mes disciples, par opposition aux Scribes et aux Pharisiens. - Parfaits, des hommes tout à fait saints, en qui il ne reste plus rien à réformer parce qu’ils sont vraiment complets. - Comme « ne déclare pas l’égalité, mais la qualité et la ressemblance », Maldonat, et n’est-ce pas assez pour notre faiblesse et notre misère ? - Votre Père céleste est parfait. Abîme insondable, océan sans bornes qu’il faut adorer, tout en essayant de nous en rapprocher. - Terminons cette partie par un mot de Cicéron qui semble la résumer toute entière : « Vaincre son tempérament, mettre un frein à la colère, non seulement s’élever en foulant au pieds l’adversaire, mais agrandir sa dignité première, celui qui fait ces choses je ne le compare pas aux plus grands hommes, mais je le juge très semblable à Dieu », Pro Marcello, 3.
Concile œcuménique
Maître divin et modèle de toute perfection, le Seigneur Jésus a prêché à tous et chacun de ses disciples, quelle que soit leur condition, cette sainteté de vie dont il est à la fois l’initiateur et le consommateur : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Et en effet à tous il a envoyé son Esprit pour les mouvoir de l’intérieur à aimer Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, de toute leur intelligence et de toutes leurs forces (cf. Mc 12, 30), et aussi à s’aimer mutuellement comme le Christ les a aimés (cf. Jn 13, 34 ; 15, 12). Appelés par Dieu, non au titre de leurs œuvres mais au titre de son dessein gracieux, justifiés en Jésus notre Seigneur, les disciples du Christ sont véritablement devenus par le baptême de la foi, fils de Dieu, participants de la nature divine et, par la même, réellement saints. Cette sanctification qu’ils ont reçue, il leur faut donc, avec la grâce de Dieu, la conserver et l’achever par leur vie. C’est l’apôtre qui les avertit de vivre « comme il convient à des saints » (Ep 5,3) , de revêtir « comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, des sentiments de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de longanimité » (Col 3, 12), portant les fruits de l’Esprit pour leur sanctification (cf. Ga 5, 22 ; Rm 6, 22). Cependant comme nous nous rendons tous fautifs en bien des points (cf. Jc 3, 2), nous avons constamment besoin de la miséricorde de Dieu et nous devons tous les jours dire dans notre prière : « Pardonne-nous nos offenses » (Mt 6, 12).

Les prêtres sont ministres du Christ Tête pour construire et édifier son Corps tout entier, l’Église, comme coopérateurs de l’ordre épiscopal : c’est à ce titre que le sacrement de l’ordre les configure au Christ Prêtre. Certes, par la consécration baptismale, ils ont déjà reçu, comme tous les chrétiens, le signe et le don d’une vocation et d’une grâce qui comportent pour eux la possibilité et l’exigence de tendre, malgré la faiblesse humaine à la perfection dont parle le Seigneur : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l’acquérir à un titre particulier : en recevant l’Ordre, ils ont été consacrés à Dieu d’une manière nouvelle pour être les instruments vivants du Christ Prêtre éternel, habilités à poursuivre au long du temps l’action admirable par laquelle, dans sa puissance souveraine, il a restauré la communauté chrétienne tout entière. Dès lors qu’il tient à sa manière la place du Christ lui-même, tout prêtre est, de ce fait, doté d’une grâce particulière ; cette grâce le rend plus capable de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du Peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu’il représente ; c’est encore au moyen de cette grâce que sa faiblesse d’homme charnel se trouve guérie par la sainteté de Celui qui s’est fait pour nous le Grand Prêtre « saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs» (He 7, 26).
Catéchisme de l'Église catholique
" L’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur rang et leur état " (LG 40). Tous sont appelés à la sainteté : " Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait " (Mt 5, 48) :

Ce " comme " n’est pas unique dans l’enseignement de Jésus : " Vous serez parfaits ‘comme’ votre Père céleste est parfait " (Mt 5, 48) ; " Montrez-vous miséricordieux ‘comme’ votre Père est miséricordieux " (Lc 6, 36) ; " Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ‘comme’ je vous ai aimés " (Jn 13, 34). Observer le commandement du Seigneur est impossible s’il s’agit d’imiter de l’extérieur le modèle divin. Il s’agit d’une participation vitale et venant " du fond du cœur ", à la Sainteté, à la Miséricorde, à l’Amour de notre Dieu. Seul l’Esprit qui est " notre Vie " (Ga 5, 25) peut faire " nôtres " les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus (cf. Ph 2, 1. 5). Alors l’unité du pardon devient possible, " nous pardonnant mutuellement ‘comme’ Dieu nous a pardonné dans le Christ " (Ep 4, 32).
Pape Saint Jean-Paul II
L'étranger n'est plus un étranger pour celui qui doit se rendre proche de quiconque est dans le besoin jusqu'à se sentir responsable de sa vie, comme l'enseigne de manière éloquente et vive la parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10, 25-37). Même l'ennemi cesse d'être un ennemi pour celui qui est tenu de l'aimer (cf. Mt 5, 38-48; Lc 6, 27-35) et de lui « faire du bien » (cf. Lc 6, 27.33.35), en se portant au-devant de ses besoins vitaux avec empressement et sens de la gratuité (cf. Lc 6, 34-35). Cet amour culmine dans la prière pour l'ennemi, qui nous met en accord avec l'amour bienveillant de Dieu: « Moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 44-45; cf. Lc 6, 28.35).

Cela ne doit pas surprendre: tuer l'être humain, dans lequel l'image de Dieu est présente, est un péché d'une particulière gravité. Seul Dieu est maître de la vie. Toutefois, depuis toujours, face aux cas nombreux et souvent dramatiques qui se présentent chez les individus et dans la société, la réflexion des croyants a tenté de parvenir à une compréhension plus complète et plus profonde de ce que le commandement de Dieu interdit et prescrit. 43 Il y a des situations dans lesquelles les valeurs proposées par la Loi de Dieu apparaissent sous une forme paradoxale. C'est le cas, par exemple, de la légitime défense, pour laquelle le droit de protéger sa vie et le devoir de ne pas léser celle de l'autre apparaissent concrètement difficiles à concilier. Indubitablement, la valeur intrinsèque de la vie et le devoir de s'aimer soi-même autant que les autres fondent un véritable droit à se défendre soi-même. Ce précepte exigeant de l'amour pour les autres, énoncé dans l'Ancien Testament et confirmé par Jésus, suppose l'amour de soi présenté parallèlement: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mc 12, 31). Personne ne pourrait donc renoncer au droit de se défendre par manque d'amour de la vie ou de soi-même, mais seulement en vertu d'un amour héroïque qui approfondit et transfigure l'amour de soi, selon l'esprit des béatitudes évangéliques (cf. Mt 5, 38-48), dans l'oblation radicale dont le Seigneur Jésus est l'exemple sublime.

Les Béatitudes n'ont pas comme objet propre des normes particulières de comportement, mais elles évoquent des attitudes et des dispositions fondamentales de l'existence, et, donc, ne coïncident pas exactement avec les commandements. D'autre part, il n'y a pas de séparation ou d'opposition entre les béatitudes et les commandements : les uns et les autres se réfèrent au bien et à la vie éternelle. Le Discours sur la Montagne commence par la proclamation des Béatitudes, mais renferme aussi la référence aux commandements (cf. Mt 5, 20-48). En même temps, ce Discours montre l'ouverture et l'orientation des commandements vers la perfection qui est celle des Béatitudes. Celles-ci sont, avant tout, des promesses, dont découlent aussi, de manière indirecte, des indications normatives pour la vie morale. Dans leur profondeur originelle, elles sont une sorte d'autoportrait du Christ et, précisément pour cela, elles sont des invitations à le suivre et à vivre en communion avec lui

Cette vocation à l'amour parfait n'est pas réservée à un groupe de personnes. L'invitation « va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres », avec la promesse « tu auras un trésor dans les cieux », s'adresse à tous, parce qu'il s'agit d'une radicalisation du commandement de l'amour du prochain, comme l'invitation « viens, suis-moi » est la nouvelle forme concrète du commandement de l'amour de Dieu. Les commandements et l'invitation de Jésus au jeune homme riche sont au service d'une unique et indivisible charité qui tend spontanément à la perfection dont Dieu seul est la mesure : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Dans l'Evangile de Luc, Jésus explicite la portée de cette perfection : « Montrez-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36).

En reconnaissant ces commandements, le cœur du chrétien et notre charité pastorale entendent l'appel de Celui qui « nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). Dieu nous demande d'être saints comme lui-même est saint (cf. Lv 19, 2), d'être, dans le Christ, parfaits comme lui-même est parfait (cf. Mt 5, 48) : la fermeté exigeante du commandement se fonde sur l'amour miséricordieux et inépuisable de Dieu (cf. Lc 6, 36), et le commandement a pour but de nous conduire, avec la grâce du Christ, sur le chemin de la plénitude de la vie propre aux fils de Dieu.