Matthieu 6, 1

« Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.

« Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Saint Jean Chrysostome
Dans une action qui a de l'éclat, la vaine gloire trouve plus facilement à se glisser, aussi Notre-Seigneur nous prémunit tout d'abord contre ce danger : il a compris qu'il est mille fois plus pernicieux pour les hommes que tous les vices de la chair : car tandis que toutes les tentations mauvaises assaillent les serviteurs du démon, celle de la vaine gloire attaque de préférence les serviteurs de Dieu.

Aussi Notre-Seigneur nous ordonne d'éviter avec soin ce danger en nous disant : « Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes. » C'est notre coeur qui doit être l'objet de cette vigilance, car le serpent qu'on nous commande de surveiller est invisible, il pénètre secrètement dans notre âme pour nous séduire. Mais si le coeur dans lequel se glisse cet ennemi est pur, le juste reconnaît bientôt qu'il est sollicité par un esprit étranger. Si au contraire le coeur est rempli d'iniquités, il ne se rend pas facilement compte des suggestions du démon. Voilà pourquoi Notre-Seigneur a commencé par dire : « Ne vous mettez pas en colère, ne convoitez pas, » car un homme esclave de ses passions n'est pas capable de veiller sur les mouvements de son coeur. Mais comment est-il possible que nous ne fassions pas l'aumône devant les hommes, et dans cette hypothèse même, comment pourrons-nous y rester insensibles ? Car si un pauvre se présente à nous devant une autre personne, comment lui donner l'aumône en secret, et si vous le tirez à l'écart, c'est un moyen de trahir votre aumône ? Remarquez, que Notre-Seigneur ne dit pas seulement : « Ne faites pas devant les hommes, » mais qu'il ajoute « pour en être considérés. » Celui donc qui n'agit point dans le dessein d'être vu des hommes, bien qu'il agisse en leur présence, n'est pas censé faire des bonnes oeuvres devant les hommes ; car celui qui agit pour Dieu, ne voit dans son coeur que Dieu pour lequel seul il agit ; de même que l'ouvrier a toujours devant les yeux celui qui lui a commandé son travail.

Que pourrez-vous recevoir de Dieu, vous qui n'avez rien donné à Dieu ? Ce que l'on fait pour Dieu, c'est à Dieu qu'on l'offre, et Dieu le reçoit ; ce que l'on fait pour les hommes s'évanouit dans les airs. Or quelle folie de donner un bien aussi précieux pour de vaines paroles, et de faire mépris des récompenses divines ? Considérez celui de qui vous attendez la louange, il croit que vous agissez pour Dieu, autrement il aurait pour vous un profond mépris. Or celui qui recherche les regards des hommes avec une volonté pleine et entière, agit évidemment pour les hommes. Si au contraire une pensée de vanité s'élève dans votre coeur et y fait naître le désir le paraître aux yeux des hommes, mais que la partie intelligente de votre âme s'oppose à ce désir, on ne peut dire que vous agissez pour les hommes ; car cette pensée est une pensée de la chair, mais c'est le jugement de votre âme qui a déterminé votre choix.

Considérez avec attention ses commencements comme si vous aviez à vous prémunir contre une bête féroce difficile à connaître et prête à dépouiller celui qui n'est pas sur ses gardes. Elle se glisse imperceptiblement ; et nous enlève par le moyen des sens tout ce que nous possédons à l'intérieur.

Admettons en principe que le désir de la gloire aime à habiter avec la vertu.
Saint Augustin
En disant : « Pour être vus par eux, » sans rien ajouter, Notre-Seigneur nous défend évidemment de placer dans l'opinion des hommes la fin de nos bonnes oeuvres. Car l'apôtre qui d'un côté fait entendre ces paroles : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais plus le serviteur de Jésus-Christ, » dit ailleurs : « Je m'efforce de plaire à tous en toutes choses. » Or s'il agissait ainsi, ce n'était pas pour plaire aux hommes, mais à Dieu, et pour convertir à son amour les coeurs des hommes par là même qu'il leur était agréable ; de même qu'un homme pourrait dire avec raison : je cherche un navire, toutefois ce n'est pas le navire que j'ai en vue, mais la patrie.

Notre-Seigneur ajoute : « Pour être vus par eux ; » il en est en effet qui ne font pas leurs oeuvres devant les hommes dans l'intention que les hommes les voient, mais afin qu'ils voient leurs bonnes oeuvres et glorifient le Père céleste qui est dans les cieux, car ils ne s'attribuent pas à eux-mêmes le mérite de leur propre justice, mais en renvoient toute la gloire à Dieu seul dans la foi duquel ils vivent (Ga 2, 29 ; 3, 1).

Par ces paroles : « Autrement vous n'en recevrez pas la récompense de votre Père, qui est dans les cieux, » le Sauveur veut nous apprendre surtout à ne point rechercher la gloire humaine comme récompense de nos bonnes oeuvres.

Or il n'y a que ceux qui ont lutté contre l'amour de la vaine gloire, qui puissent comprendre quelle puissance elle exerce contre nous ; car s'il vous est facile de ne pas désirer la louange qu'on vous refuse, il vous est fort difficile de ne pas vous complaire dans celle qui vous est offerte.
Saint Grégoire le Grand
Si nous ne cherchons que la gloire de celui qui nous donne la grâce de bien faire, nos oeuvres, même celles que nous faisons en public demeurent secrètes sous la protection de ses regards, mais si dans ces oeuvres nous nous proposons notre propre gloire, elles sont bannies de la présence de Dieu, quand même elles seraient ignorées du grand nombre. C'est l'effet d'une haute perfection de chercher dans les oeuvres faites en public la gloire de l'auteur de tout bien, et de ne pas se complaire intérieurement dans la gloire individuelle qui peut nous en revenir. Mais comme les âmes encore faibles ne sont pas capables de ce parfait mépris qui nous fait triompher de la vaine gloire, ils doivent s'appliquer à dérober aux regards des hommes le bien qu'ils font.
La Glose
Le Sauveur après avoir accompli la loi quant aux préceptes, commence à l'accomplir en ce qui concerne les promesses, car il veut que nous observions les commandements de Dieu en vue des récompenses célestes, et non pour les récompenses temporelles que promettait la loi. Or ces récompenses temporelles se rapportent surtout à ces deux points ; la gloire humaine et l'abondance des biens de la terre ; la loi promettait l'une et l'autre ; la gloire en ces termes : « Le Seigneur ton Dieu t'élèvera au-dessus de toutes les nations qui habitent la terre ; »et un peu plus loin la richesse : « Le Seigneur te donnera en abondance toute sorte de biens ; » et c'est pour cette raison que Notre-Seigneur Jésus-Christ exclut l'une et l'autre de l'intention des fidèles.
Saint Thomas d'Aquin
859. GARDEZ-VOUS DE PRATIQUER VOTRE JUSTICE DEVANT LES HOMMES [6, 1]. La seconde partie commence en cet endroit : VOILÀ POURQUOI JE VOUS DIS [6, 25], dans laquelle, après avoir invité à la perfection évangélique, il invite à une intention droite. Et celle-ci se divise en deux [parties] : d’abord, il invite à la simplicité d’une sainte intention [6, 25s] ; en second lieu, à la pureté d’un saint comportement, en cet endroit : MÉFIEZ-VOUS DES FAUX PROPHÈTES [7, 15].

860. La simplicité d’une sainte intention est affaire de cœur et d’action. Si 2, 14[12] s’oppose à la duplicité de l’action : Malheur au pécheur qui emprunte deux voies; Jc 1, 8 [s’oppose] à la duplicité du cœur : L’homme à l’âme partagée est inconstant dans ses actions. [Le Seigneur] écarte la première dans le présent chapitre [6, 1 18], et il écarte la duplicité de l’action en cet endroit : NE VOUS AMASSEZ PAS DES TRÉSORS SUR LA TERRE [6, 19].

861. La duplicité du cœur existe lorsque, pour obtenir la faveur du monde, on fait une chose qui est bonne en elle-même. En premier lieu, [Jésus] écarte donc la recherche de la faveur du monde dans toutes les actions d’une manière générale [6, 1] ; en second lieu, d’une manière spéciale, en cet endroit : QUAND DONC TU FAIS L’AUMÔNE [6, 2]. De plus, il présente en premier lieu l’exclusion de la faveur du monde ; en second lieu, il en donne la raison, en cet endroit : SINON, VOUS N’AUREZ PAS DE RÉCOMPENSE AUPRÈS DE VOTRE PÈRE [6, 1].

862. Il dit donc : GARDEZ-VOUS [6, 1], c’est-à-dire soyez prudents et attentifs, DE PRATIQUER VOTRE JUSTICE (la Glose dit : «À savoir, les œuvres de votre justice») dans ce but (selon la Glose) : DEVANT LES HOMMES, AFIN D’ÊTRE VUS PAR EUX, c’est-à-dire de manière à rechercher la faveur des hommes. Augustin [écrit] : «Il n’interdit pas d’être vu afin que Dieu soit loué, mais afin d’être eux-mêmes louangés.» Chrysostome [écrit] : «De même qu’on ne peut cacher des lampes, de même il n’est pas nécessaire de cacher l’œuvre de la justice.»

863. AUTREMENT, comme s’il disait : «Si vous ne faites pas cela, VOUS N’AUREZ PAS DE RÉCOMPENSE AUPRÈS DE VOTRE PÈRE QUI EST DANS LES CIEUX. [Commentaire] de la Glose : «Car la faveur des hommes vous est accordée, pour l’amour de laquelle vous accomplissez [la justice]», Ag 1, 6 : Il a amassé son salaire et l’a placé dans une bourse percée. Jérôme [écrit] : «Ce n’est pas la vertu, mais la cause de la vertu qui est récompensée par Dieu.»
Louis-Claude Fillion
Gardez-vous. C’est un avertissement de la dernière gravité que Jésus se propose de donner à ses auditeurs ; aussi les excite-t-il à une grande vigilance dans leur conduite : l’adversaire spirituel contre lequel il veut les mettre en garde est si dangereux, si subtil ! Il se glisse si habilement jusque dans les âmes les plus saintes ! Donc, prenez garde ! - Vos œuvres de justice... « justice » est très expressif par sa généralité, et transforme le v. 1 en un titre qui domine le paragraphe entier des bonnes œuvres, dont Jésus-Christ va parler pendant quelques instants. Le sens de « justice » est tout à fait le même qu’au chap. précédent, v. 20 ; il représente la sainteté, la vertu en général. Associé au verbe faire par imitation de la très ancienne tournure hébraïque, Gen. 18, 19 et ailleurs, il équivaut à l’expression plus latine « donner des exemples de sa vertu » ; Cf. Matth. 23, 5. - Devant les hommes : ce n’est point sur ces deux mots que porte l’avertissement « gardez-vous » ; Jésus se contredirait lui-même, Cf. v. 16, il contredirait aussi la nature des choses s’il voulait empêcher les bonnes œuvres de se manifester au dehors. Ce qu’il interdit, c’est le bien fait par ostentation, le bien directement accompli en vue d’attirer les regards des hommes. - Pour en être vus. « Ut » qui signifiait plus haut, v. 16, « de telle sorte que », reprend en ce passage le sens plus ordinaire de « pour que, afin que ». Là il indiquait une conséquence naturelle de l’acte, tout en supposant que l’agent se proposait une fin distincte de cette conséquence, « et qu'ils glorifient... » ; actuellement il indique le but réel, l’intention intime de l’agent. Autre chose est donc de faire simplement, sans scrupule, le bien devant les hommes pour la plus grande gloire de Dieu, autre chose de montrer au public ses actes de prétendue vertu par esprit de vaine gloire et d’amour-propre. « L’action peut même être faite en public pourvu qu’elle demeure secrète par l’intention, pour que nous donnions au prochain l’exemple de bonnes œuvres que nous désirons toujours maintenir secrètes, en ne cherchant à plaire qu’à Dieu », dit S. Grégoire-le-Grand cherchant à concilier ces deux passages, Hom. 11 in Evang. Ces orgueilleux n’ont qu’une sainteté de théâtre ! La vanité, ce grand voleur de mérites, tel est l’ennemi que Jésus nous recommande de combattre activement. - Et pourquoi devons-nous le combattre et le vaincre ? Autrement vous n'aurez pas de récompense. Le grec emploie le temps présent, « vous n'avez pas » : la récompense est déjà toute prête dans le ciel appartenant d’avance à ceux auxquels elle est destinée. - Auprès de votre Père... Dieu ne doit rien et ne donne rien à ceux qui n’ont rien fait pour lui : c’est la stricte justice.
Catéchisme de l'Église catholique
Comme déjà chez les prophètes, l’appel de Jésus à la conversion et à la pénitence ne vise pas d’abord des œuvres extérieures, " le sac et la cendre ", les jeûnes et les mortifications, mais la conversion du cœur, la pénitence intérieure. Sans elle, les œuvres de pénitence restent stériles et mensongères ; par contre, la conversion intérieure pousse à l’expression de cette attitude en des signes visibles, des gestes et des œuvres de pénitence (cf. Jl 2, 12-13 ; Is 1, 16-17 ; Mt 6, 1-6. 16-18).

La pénitence intérieure du chrétien peut avoir des expressions très variées. L’Écriture et les Pères insistent surtout sur trois formes : le jeûne, la prière, l’aumône (cf. Tb 12, 8 ; Mt 6, 1-18), qui expriment la conversion par rapport à soi-même, par rapport à Dieu et par rapport aux autres. A côté de la purification radicale opérée par le Baptême ou par le martyre, ils citent, comme moyen d’obtenir le pardon des péchés, les efforts accomplis pour se réconcilier avec son prochain, les larmes de pénitence, le souci du salut du prochain (cf. Jc 5, 20) l’intercession des saints et la pratique de la charité " qui couvre une multitude de péchés " (1 P 4, 8).

La Loi nouvelle pratique les actes de la religion : l’aumône, la prière et le jeûne, en les ordonnant au " Père qui voit dans le secret ", à l’encontre du désir " d’être vu des hommes " (cf. Mt 6, 1-6 ; 16-18). Sa prière est le " Notre Père " (Mt 6, 9-13).