Matthieu 6, 33
Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.
Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.
C'est par ces signes éclatants que se fait connaître la Providence divine. Comment expliquer, en effet, sans une Providence spéciale, la durée de tous les êtres (de ceux en particulier qui sont soumis aux lois de la génération et de la corruption), la place qu'ils occupent, le rang qui leur est assigné dans la création d'après un plan constamment suivi ? Mais il en est qui prétendent que Dieu ne s'occupe que de l'existence des créatures en général, que sa providence se borne à maintenir cet ordre général, mais que les choses particulières sont abandonnées au hasard. Or, on ne peut donner que trois raisons de cette conduite de la Providence abandonnant au hasard les choses particulières : ou bien Dieu ignore qu'il est bon d'étendre sur elles sa providence, ou bien il ne le veut pas, ou c'est chez lui impuissance. Quant à l'ignorance, elle répugne souverainement à cette divine et bienheureuse nature Et comment voudrait-on que Dieu ignorât ce qui ne peut échapper à l'homme sage : que la ruine des choses particulière entraîne la ruine des choses générales ? Or, comment empêcher cette destruction des êtres individuels sans une puissance toute providentielle ? Dira-t-on que Dieu ne le veut pas ? Ce ne pourrait être que par négligence ou parce qu'il regarde comme indigne de lui cette Providence de détail. La négligence ne peut venir que de deux causes : ou de l'attrait d'un plaisir qui nous captive, ou d'une crainte qui nous détourne d'agir. Or, il n'est pas permis de supposer en Dieu l'une de ces deux causes. S'ils disent qu'il est inconvenant pour Dieu et indigne de cette béatitude infinie de descendre aux petites choses, pourquoi n'est-il pas inconvenant qu'un ouvrier qui s'occupe de l'ensemble de son ouvrage s'applique en même temps aux plus petits détails, parce qu'ils contribuent à la perfection du tout ? Et n'est-ce pas une souveraine inconvenance que de prétendre que le Dieu créateur du monde est inférieur à un simple artisan ? Si Dieu ne le peut pas, il y a chez lui faiblesse, impuissance de faire le bien. Que si cette Providence qui s'étend aux plus petits détails de la création est incompréhensible pour nous, est-ce une raison pour nier son existence ? Pourquoi donc aussi ne pas nier qu'il y ait des hommes sur la terre, parce que nous ignorons le nombre de ceux qui existent.
En effet, dans leur opinion, les choses humaines dépendent de la fortune et non de la Providence ; elles ne sont point gouvernées par les justes décrets de Dieu, mais par le hasard et à l'aventure. Leurs craintes et leurs défiances sont donc fondées, puisqu'ils ne croient à aucune direction supérieure. Mais pour celui qui croit à n'en pouvoir douter que c'est la main de Dieu qui gouverne son existence, il lui abandonne le soin de sa nourriture, c'est pourquoi le Sauveur ajoute : « Car votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses. »
Il ne dit pas : « Dieu sait, » mais : « Votre Père sait, » pour accroître ainsi leur confiance, car si c'est un Père, pourra-t-il négliger le soin de ses enfants, alors que les hommes eux-mêmes ne se rendent pas coupables de cet oubli. Il ajoute : « Que vous manquez de toutes ces choses, » car il s'agit du nécessaire. Quel est le père, en effet, qui refuserait le nécessaire à ses enfants ? S'il s'agissait, au contraire, du superflu, la même confiance serait déplacée.
Que celui donc qui croit qu'une Providence divine gouverne son existence, lui abandonne le soin de sa nourriture, qu'il tourne toutes ses pensées sur ce qui est bien, sur ce qui est mal ; sans cette pensée sérieuse, il ne pourra ni fuir le mal, ni faire le bien. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice. » Le royaume de Dieu c'est la récompense des bonnes oeuvres ; sa justice, c'est la voie de la piété qui conduit à ce royaume. Si la gloire des saints devient l'objet de vos méditations, la crainte du supplice vous éloignera nécessairement du mal ou le désir de la gloire vous fera prendre la voie du bien. Et si vous réfléchissez sur la justice de Dieu, c'est-à-dire sur ce qui est l'objet de sa haine ou de son amour, la justice elle-même, qui suit ceux qui l'aiment, vous fera connaître ses voies. Nous n'aurons pas à rendre compte de ce que nous sommes pauvres ou riches, mais de nos bonnes ou de nos mauvaises actions qui dépendent de notre libre arbitre.
Il ne dit pas : « Elles vous seront données, » mais : « Elles vous seront ajoutées, » pour nous apprendre que les choses présentes ne sont rien en comparaison de la magnificence des biens à venir.
La terre, à cause des péchés des hommes, a été frappée de malédiction et de stérilité par cette sentence : « La terre sera maudite dans ton travail. » Dieu la bénit, au contraire, lorsque nous faisons le bien. Cherchez donc la justice et le pain ne vous manquera pas ; les paroles suivantes vous en assurent : « Et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. »
Ce n'est pas depuis une époque déterminée que Dieu connaît ces choses ; de toute éternité, il a prévu dans sa prescience toutes les choses futures, le temps aussi bien que la matière de nos prières.
Quant à ceux qui soutiennent que la science de Dieu ne peut embrasser toutes ces choses, parce qu'elles sont infinies, il leur reste à dire que Dieu ne connaît point tous les nombres, qui sont très certainement infinis. L'infinité des nombres ne peut être incompréhensible pour celui dont l'intelligence n'est point soumise aux lois des nombres. Si donc tout ce que la science peut embrasser est comme limité par l'intelligence qui comprend, on peut dire que toute infinité trouve des limites ineffables dans la science de Dieu pour laquelle rien n'est incompréhensible.
C'est-à-dire les biens temporels : le Sauveur nous enseigne assez clairement que ce ne sont pas là les véritables biens en vue desquels nous devons pratiquer la vertu, mais que cependant ils nous sont nécessaires. Le royaume de Dieu et sa justice, voilà notre bien véritable dans lequel nous devons placer notre fin. Mais parce que nous avons à combattre en cette vie pour conquérir ce royaume, et que nous ne pouvons la conserver sans le soutien de ces biens temporels, le Seigneur nous dit : « Ils vous seront donnés comme par surcroît. » Ces paroles : « Cherchez d'abord » ne veulent pas dire qu'il faut chercher en second lieu les choses de la terre dans l'ordre du temps, mais selon l'estime que nous devons en faire ; cherchons le royaume de Dieu comme notre bien et les choses de la terre comme une nécessité de la vie. Ainsi, par exemple, nous ne devons pas annoncer l'Évangile pour nous procurer de quoi manger, ce serait faire moins de cas de l'Évangile que de la nourriture ; mais nous devons manger afin de pouvoir annoncer l'Évangile. Or, si nous cherchons d'abord le royaume de Dieu et sa justice, c'est-à-dire si nous les préférons à tout et que nous leur rapportions tous les autres biens, n'ayons aucune crainte que le nécessaire nous manque, car il est dit : « Et toutes ces choses vous seront données par surcroît, » c'est-à-dire sans aucune difficulté pour vous et sans crainte qu'en cherchant ces biens vous ne soyez détournés des premiers ou obligés de vous proposer deux fins à la fois.
Lorsque nous lisons que l'Apôtre eut à souffrir de la faim et de la soif, n'allons pas croire que Dieu ait failli à ses promesses ; ces biens sont des secours, le divin Médecin sait quand il faut nous les donner ou nous les refuser, selon ce qui nous est le plus utile. S'ils viennent à nous manquer, ce que Dieu permet souvent pour notre épreuve, cela ne doit ébranler en aucune manière le plan de vie que nous avons adopté, mais nous confirmer, au contraire, dans le choix réfléchi que nous en avons fait.
Le Seigneur renouvelle cette recommandation pour nous faire comprendre sa nécessité et la graver plus profondément dans nos coeurs.
Remarquez qu'il ne dit pas : « Ne soyez ni inquiet ni soucieux de la nourriture, de la boisson, du vêtement, » mais : « De ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, de quoi vous pourrez vous vêtir, » il me paraît condamner ici ceux qui, n'ayant que du mépris pour la manière ordinaire de se nourrir ou de se vêtir de ceux au milieu desquels ils vivent, affectent de rechercher des aliments ou des vêtements plus délicats ou plus austères.
La Glose
Après avoir successivement exclu toute sollicitude à l'égard de la nourriture et du vêtement par des raisons empruntées aux créatures inférieures, Notre-Seigneur combat ici cette double sollicitude : « Ne vous inquiétez donc point en disant : Que mangerons-nous ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? »
Il est encore une autre sollicitude superflue et qui tient à un principe vicieux du coeur humain. Vous voyez des hommes, désespérant pour ainsi dire de la bonté de Dieu, réserver au delà du nécessaire les richesses et les fruits de la terre et sacrifier les intérêts de leur âme à la préoccupation exclusive de ces biens temporels. C'est ce que Notre-Seigneur défend, lorsqu'il ajoute : « Car les païens recherchent toutes ces choses. »
Ou bien cette expression : « La justice » signifie que c'est par la grâce de Dieu et non par vos efforts que vous êtes justes.
958. Que ferez-vous donc ? Il parle de trois choses : CHERCHEZ D’ABORD LE ROYAUME DE DIEU, comme fin, parce que le royaume est la béatitude. «Règne» vient de «régner» : en effet, le règne s’exerce sur l’homme lorsqu’il est soumis à la volonté de celui qui règne. Or, cela se réalisera au ciel, selon Lc 14, 15 : Bienheureux celui qui mange du pain dans le royaume de Dieu. De même, la justice mène au royaume, Pr 8, 20 : Je marcherai dans les voies de la justice, au milieu des sentiers du jugement, pour enrichir ceux qui m’aiment et remplir leurs trésors, etc. C’est pourquoi il dit : ET SA JUSTICE. Et il dit : ET SA, et non pas celle de l’homme, car personne ne veut accéder au royaume par sa propre justice. Troisièmement, il dit : ET TOUT CELA VOUS SERA DONNÉ PAR SURCROÎT, comme [s’il disait] : «Tout cela sera ajouté en plus», Pr 10, 3 : Le Seigneur n’afflige pas l’âme du juste par la faim.
959. Nous ne devons donc pas chercher ces choses temporelles, et cela ni comme fin, ni comme récompense. Ainsi, nous ne devons pas évangéliser afin de manger, mais plutôt l’inverse. Mais, à cela Augustin objecte ce que dit Paul : J’ai travaillé dans la faim, dans la soif et dans le dénuement [2 Co 11, 27]. Et il répond que, de même que le médecin soustrait parfois la nourriture et la boisson à un malade afin de le soigner, de même le Seigneur, à qui il revient de pourvoir, permet que l’homme souffre, soit pour qu’il soit soigné, s’il doit être soigné de certaines choses, soit pour que les autres en prennent exemple.
959. Nous ne devons donc pas chercher ces choses temporelles, et cela ni comme fin, ni comme récompense. Ainsi, nous ne devons pas évangéliser afin de manger, mais plutôt l’inverse. Mais, à cela Augustin objecte ce que dit Paul : J’ai travaillé dans la faim, dans la soif et dans le dénuement [2 Co 11, 27]. Et il répond que, de même que le médecin soustrait parfois la nourriture et la boisson à un malade afin de le soigner, de même le Seigneur, à qui il revient de pourvoir, permet que l’homme souffre, soit pour qu’il soit soigné, s’il doit être soigné de certaines choses, soit pour que les autres en prennent exemple.
Jésus nous a indiqué les choses qu’il ne faut pas rechercher
avec une trop grande anxiété ; passant du négatif au positif, il nous apprend maintenant quels sont les biens
que nous devons surtout tâcher d’acquérir. - Cherchez donc... Ne courez pas après les biens terrestres,
comme le font les païens, mais après les biens célestes, comme il convient à mes disciples. - Premièrement
n’est pas synonyme de « seulement », attendu que le Sauveur, comme nous l’avons dit plus haut, n’a pas
l’intention de proscrire absolument l’acquisition des biens de ce monde, de condamner toute espèce de
sollicitude relativement aux nécessités matérielles. Jésus permet qu’on s’occupe du temporel, à la condition
de le subordonner au spirituel, de même que l’on subordonne le secondaire au principal. « Premièrement »
signifie donc « principalement, préférablement à toute autre chose ». - Le royaume de Dieu, ce royaume dont
il a été déjà si souvent question, royaume céleste fondé par le Christ au milieu d’un monde déchu qu’il est
destiné à sauver, mais complètement séparé du monde et des intérêts mondains : tel doit être l’objet de notre
sollicitude. - Nous devons chercher encore sa justice (de Dieu), cette justice ou sainteté parfaite dont Jésus
trace le tableau depuis l’exorde de son discours. - Et toutes ces choses vous seront données... Si nous sommes
fidèles à pratiquer cette recommandation de Jésus, alors, chose étonnante ! avec le royaume de Dieu, avec la
justice de Dieu, nous trouverons aussi et très amplement la satisfaction de nos besoins terrestres. Nous avons
négligé l’accessoire pour aller droit à l’essentiel ; Dieu nous dédommagera en nous faisant rencontrer
l’accessoire en même temps que le principal. « Toutes ces choses » désigne, comme au v. 32, le boire, le
manger, les vêtements, etc. - Comparez Ps. 33, 11 : « Qui cherche le Seigneur ne manquera d'aucun bien » ;
36, 25, etc.
La vertu de solidarité va au delà des biens matériels. En répandant les biens spirituels de la foi, l’Église a, de surcroît, favorisé le développement des biens temporels auquel elle a souvent ouvert des voies nouvelles. Ainsi s’est vérifiée, tout au long des siècles, la parole du Seigneur : " Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît " (Mt 6, 33) :