Matthieu 6, 8
Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé.
Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé.
Notre-Seigneur condamne ici toutes les paroles inutiles et vaines dans la prière, comme lorsque nous demandons à Dieu non pas ce qui est digne de lui et de nous, mais la puissance, la gloire, la victoire sur nos ennemis, de grandes richesses. Il nous défend donc ici les longues prières, je ne dis pas longues par leur durée, mais par la multitude des paroles dont elles sont composées. Cependant la persévérance dans la prière est nécessaire : « Persévérez dans la prière » nous dit l'apôtre (Rm 12 ; Col 4, 2 ; Ep 6, 18). Ce n'est pas qu'il nous ordonne de faire des prières composées de dix mille phrases ; il veut simplement que nous les prolongions par les instances de notre coeur ; c'est ce que Notre-Seigneur nous insinue indirectement par ces paroles : « N'affectez pas de parler beaucoup. »
Vous ne priez donc pas pour instruire Dieu, mais pour le fléchir, pour vous unir intimement à lui par la continuité de la prière, pour vous humilier, pour réveiller en vous le souvenir de vos péchés.
Quelques philosophes ont pris occasion de là pour formuler comme un dogme cette impiété : Si Dieu connaît par avance et l'objet de nos prières, et les besoins que nous voulons lui exposer, il est inutile de les lui dire. Nous leur répondons que nous faisons à Dieu non pas un récit mais une prière, et qu'il y a une grande différence entre raconter à quelqu'un ce qu'il ignore, et lui demander ce qu'il sait déjà.
Le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans leurs prières et de n'y chercher d'autres fruits que la louange des hommes ; ainsi le propre des païens (c'est-à-dire des Gentils) est de penser que c'est à force de paroles qu'ils seront exaucés dans leurs prières. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Or en priant, ne parlez pas beaucoup.
Cependant ce n'est pas faire de longs discours en priant, comme plusieurs le pensent, que de prier longtemps. Les longs discours n'ont rien de commun avec la durée du sentiment intérieur. En effet, n'est-il pas dit du Seigneur lui-même, qu'il passa la nuit à prier (Lc 6), et ailleurs qu'il redoubla sa prière pour nous donner l'exemple ? (Lc 22) On dit que nos frères d'Égypte se livrent à de fréquentes mais très courtes prières qu'ils lancent pour ainsi dire vers le ciel à la dérobée afin que la ferveur d'intention si nécessaire à celui qui prie ne soit pas soumise à une espèce de violence pendant une prière trop prolongée. Par là ils nous apprennent que de même qu'il ne faut pas fatiguer cette intention, si elle ne peut durer plus longtemps, on ne doit pas non plus l'interrompre si elle veut encore continuer. Ne multiplions pas les paroles dans la prière, mais multiplions-y les supplications, si la ferveur de l'intention se soutient. Parler beaucoup dans la prière c'est noyer une demande nécessaire dans un flot de paroles superflues ; tandis que prier beaucoup c'est importuner pour ainsi dire celui que nous prions par les cris continuels de notre coeur : car presque toujours cette affaire se traite bien mieux par des gémissements que par des discours, et plus efficacement avec des larmes qu'avec des paroles.
Et en effet toute abondance superflue de paroles vient des païens, qui beaucoup plus occupés du soin d'exercer leur langue que de changer leur coeur, transportent ce flux habituel de paroles jusque dans les prières qu'ils adressent à Dieu.
Si cette abondance de paroles a pour objet de dissiper l'ignorance de celui à qui on s'adresse, qu'en est-il besoin vis-à-vis de celui qui connaît toutes choses ? C'est pourquoi il ajoute : « Votre Père céleste sait avant que vous le lui demandiez, ce qui vous est nécessaire. »
Ce n'est pas par nos paroles que nous devons chercher à obtenir de Dieu ce que nous désirons, mais par les dispositions habituelles de notre âme, par la droiture de notre intention, la pureté de notre amour, la simplicité de notre coeur.
Cependant de temps à autre nous adressons à Dieu des prières vocales, afin que ces signes extérieurs nous réveillent, nous fassent connaître quels sont nos progrès dans le saint désir de la prière, et nous excitent plus vivement à l'augmenter en nous. Car ce désir qui s'attiédit au contact de mille soins divers, finirait par se refroidir et s'éteindre tout à fait, si nous ne ravivions fréquemment sa flamme. Les paroles nous sont donc nécessaires non pas pour apprendre à Dieu ce qu'il ne sait pas, ou pour le fléchir, mais pour nous donner de salutaires avertissements, et nous faire examiner l'objet de nos prières.
On pourrait demander encore en quoi la prière elle-même (qu'elle consiste en paroles ou en sentiments intérieurs) est nécessaire si Dieu sait par avance ce dont nous avons besoin, s'il n'était évident que la seule volonté de la prière est pour l'âme une source de paix et de pureté, et la rend plus propre à recevoir les dons spirituels que Dieu répand en nous. Dieu n'exauce pas nos prières par le désir qu'il a d'être prié, car il est toujours prêt à donner sa lumière, mais nous ne sommes pas toujours disposés à la recevoir, inclinés que nous sommes vers d'autres biens. Dans la prière notre coeur se tourne donc vers Dieu, et en excluant le désir des biens temporels l'oeil intérieur de notre âme se purifie, et ainsi rendu à sa pureté il devient capable de supporter la lumière dans toute sa clarté, et de demeurer dans cette sublime contemplation avec ce sentiment de joie qui est la perfection du bonheur.
La prière véritable consiste dans les gémissements amers de la componction et non dans des paroles arrangées avec art ; aussi Notre-Seigneur conclut-il, « Ne vous rendez donc pas semblables à eux. »
La Glose
Notre-Seigneur condamne la multitude des paroles qui provient de l'incrédulité, ce qu'il exprime en disant : « Ainsi que font les païens. » Cette abondance de paroles était nécessaire aux païens pour instruire les démons de l'objet de leurs demandes, « car, » dit Jésus-Christ, « ils sont persuadés que c'est à force de paroles qu'ils seront exaucés. »
891. Et parce qu’eux agissent ainsi, VOUS DONC, mes fidèles, NE FAITES PAS COMME EUX, à savoir, par la multiplication des paroles, parce que vous croiriez que Dieu est influencé par des paroles persuasives. Isidore [écrit] : «Ce n’est pas par le bavardage que les hommes sont écoutés, comme s’ils cherchaient à influencer Dieu par des paroles persuasives.» De même, afin que vous ne pensiez pas que votre Dieu ignore ce que vous demandez : EN EFFET, VOTRE PÈRE SAIT BIEN CE DONT VOUS AVEZ BESOIN. Voici la raison de l’interdiction, comme s’il disait : «Il n’est pas nécessaire que vous priiez avec une multitude de paroles, mais en vérité et avec la simplicité du sentiment qui vient du cœur», comme le dit Raban. Car VOTRE PÈRE SAIT CE DONT VOUS AVEZ BESOIN, c’est-à-dire ce qui vous est nécessaire, AVANT QUE VOUS LE DEMANDIEZ. Pourquoi alors faut-il prier ? La réponse est [la suivante] : non pas pour que tu l’informes, mais pour que tu le fléchisses, pour que tu lui deviennes proche, pour que tu t’humilies, pour que tu te rappelles tes péchés. Et [Jésus] dit délibérément : VOTRE PÈRE. Chrysostome [écrit] : «En disant “Père”, il a indiqué d’un seul mot le pardon des péchés, l’abolition des peines, la justification, la sanctification, la libération et l’adoption des fils, l’héritage de Dieu et la fraternité associée au Fils unique, ainsi que les dons les plus généreux du Saint-Esprit.»
892. Ici, Jérôme et Raban [Maur] posent la question : si Dieu sait avant que nous ne demandions, pourquoi demandons-nous à Celui qui sait ? La réponse est qu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles nous parlons à Celui qui sait et le prions. La première, afin que nous confessions et sachions que nous recevons de Lui ce que nous demandons ; ainsi Raban [écrit] : «Il n’est pas nécessaire de raconter, mais de supplier. » La seconde, afin que soit donné l’exemple ; ainsi Raban [écrit] : «Dieu veut qu’on lui adresse des demandes pour que sa bonté apparaisse aux peuples.» La troisième, afin que notre esprit soit stimulé ; ainsi Jérôme [écrit] : «Nous nous stimulons au moment de la prière.» La quatrième, afin que la dévotion de ceux qui sont présents soit stimulée. Ainsi, Jérôme [écrit] : «Nous parlons, non pas pour faire part de notre volonté, mais pour stimuler l’expression d’une pieuse dévotion.» La cinquième, afin que le désir soit enflammé. La sixième, afin que le cœur soit purifié. La Glose interlinéaire parle de ces deux points : «Le cœur est enflammé par les paroles et est apaisé par les prières.» La septième, afin que l’esprit occupé à des paroles saintes soit éloigné de pensées superflues.
892. Ici, Jérôme et Raban [Maur] posent la question : si Dieu sait avant que nous ne demandions, pourquoi demandons-nous à Celui qui sait ? La réponse est qu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles nous parlons à Celui qui sait et le prions. La première, afin que nous confessions et sachions que nous recevons de Lui ce que nous demandons ; ainsi Raban [écrit] : «Il n’est pas nécessaire de raconter, mais de supplier. » La seconde, afin que soit donné l’exemple ; ainsi Raban [écrit] : «Dieu veut qu’on lui adresse des demandes pour que sa bonté apparaisse aux peuples.» La troisième, afin que notre esprit soit stimulé ; ainsi Jérôme [écrit] : «Nous nous stimulons au moment de la prière.» La quatrième, afin que la dévotion de ceux qui sont présents soit stimulée. Ainsi, Jérôme [écrit] : «Nous parlons, non pas pour faire part de notre volonté, mais pour stimuler l’expression d’une pieuse dévotion.» La cinquième, afin que le désir soit enflammé. La sixième, afin que le cœur soit purifié. La Glose interlinéaire parle de ces deux points : «Le cœur est enflammé par les paroles et est apaisé par les prières.» La septième, afin que l’esprit occupé à des paroles saintes soit éloigné de pensées superflues.
Ne leur ressemblez pas, c’est-à-dire « ne les imitez pas » ; il ne faut pas
que les chrétiens agissent en cela comme les païens. - Car votre Père sait. La battologie est en conséquence
une chose ridicule, inutile, bien plus, injurieuse à Dieu, qu’elle suppose dénuée ou de science ou de bonté à
notre égard. Il connaît tous nos besoins avant d’avoir entendu nos gémissements et nos demandes ; il n’est
donc pas nécessaire qu’on lui fasse mille raisonnements pour le convaincre. - Mais pourquoi le prier, s’il sait tout d’avance ? S. Jean Chrysost. répond : « Non pour que tu lui fasses la leçon, mais pour que tu le
fléchisses. Pour que par le grand nombre de tes supplications tu lui deviennes familier, pour que tu t’humilies
et te rappelles tes péchés. », In Matth. hom. 19.
Nos prières doivent être fréquentes mais courtes, de peur que notre ennemi ne prenne occasion d'une prière trop prolongée pour jeter ses pernicieuses insinuations dans notre âme.
Sommes-nous convaincus que " nous ne savons que demander pour prier comme il faut " (Rm 8, 26) ? Demandons-nous à Dieu " les biens convenables " ? Notre Père sait bien ce qu’il nous faut, avant que nous le lui demandions (cf. Mt 6, 8) mais il attend notre demande parce que la dignité de ses enfants est dans leur liberté. Or il faut prier avec son Esprit de liberté, pour pouvoir connaître en vérité son désir (cf. Rm 8, 27).