Matthieu 7, 2

de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera.

de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera.
Saint Hilaire de Poitiers
Ou bien encore Dieu nous défend de nous ériger en juges de ses desseins providentiels, car de même que tout jugement parmi les hommes porte sur des points douteux, ainsi tout jugement contre Dieu a pour objet des matières pleines d'obscurité. Il veut donc éloigner de nous cette disposition et nous laisser sous la garde d'une foi inébranlable, car si dans d'autres matières le jugement téméraire est chose coupable, quand il attaque les choses de Dieu, c'est un commencement de crime.
Saint Jean Chrysostome
Aussi ne dit-il pas : « N'arrêtez pas celui qui pèche, » mais : « Ne jugez pas, » c'est-à-dire ne soyez pas un juge sévère : reprenez, à la bonne heure, non pas comme un ennemi qui veut se venger, mais comme un médecin qui cherche à guérir.

Ou bien si l'on veut une autre liaison avec ce qui précède, jusqu'ici, Notre-Seigneur a déduit les conséquences du précepte de l'aumône, il va maintenant exposer les conséquences du précepte de la prière. Les enseignements qui suivent font en un certain sens partie de la prière, de manière que ces paroles : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, » feraient suite à celles-ci : « Remettez-nous nos dettes. »

Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que Notre-Seigneur ne nous défend pas ici de reprendre nos frères par un principe de charité, mais qu'il interdit seulement aux chrétiens de se mépriser les uns les autres par une vaine affectation de justice, de les prendre en haine et de les condamner sur de simples soupçons, en couvrant des apparences de la piété les inspirations d'une haine personnelle.

C'est afin de prévenir cette amertume dans la réprimande que les chrétiens se font entre eux, que Notre-Seigneur a dit : « Ne jugez point. » Mais quoi ! est-ce que par cela seul qu'ils se seront abstenus de cette réprimande amère ils obtiendront la rémission de leurs péchés en vertu de ces paroles : « Vous ne serez pas jugés ? » Est-ce qu'on est digne d'obtenir le pardon du mal qu'on a commis, par cela seul qu'on n'y a pas ajouté un autre mal ? Non sans doute, et notre dessein en parlant de la sorte est de faire comprendre que ces paroles du Sauveur ne nous défendent pas de juger ceux qui pêchent contre Dieu, mais ceux qui nous offensent personnellement. Car celui qui ne juge pas son prochain par suite d'une offense qu'il en a reçue, ne sera pas jugé lui-même ; Dieu lui pardonnera comme il a pardonné.

Ou bien encore, cette défense de juger ne s'étend pas à tous les péchés quels qu'ils soient, mais elle s'adresse à ces hommes qui remplis de vices sans nombre, reprennent sévèrement les autres pour les moindres fautes. C'est ainsi que saint Paul lui-même ne défend pas de juger ceux qui sont en faute, mais il reprend les disciples qui veulent juger leurs maîtres, et nous apprend par là à ne pas juger ceux qui sont au-dessus de nous.
Saint Jérôme
S'il nous est défendu de juger, comment saint Paul a-t-il pu légitimement juger l'incestueux de Corinthe, et saint Pierre convaincre de mensonge Ananie et Saphire ? (Ac 4.)
Saint Augustin
On ne peut savoir quelle intention nous porte à rechercher les biens temporels pour l'avenir, et nous pouvons les acquérir avec une intention simple ou avec duplicité de coeur. Notre-Seigneur ajoute donc très à propos : « Ne jugez pas. »

Ou bien enfin je pense que le Seigneur, par ces paroles, ne nous ordonne autre chose que d'interpréter en bonne part les actions dont le motif nous est inconnu. Il est des actions dont l'intention ne peut être bonne, comme les outrages à la pudeur, les blasphèmes et autres crimes semblables, Dieu nous permet de les juger. Il est au contraire des actions intermédiaires ou indifférentes que l'on peut faire avec une intention bonne ou mauvaise ; c'est une témérité de les juger, surtout pour les condamner. Il est deux circonstances où nous devons éviter le jugement téméraire : lorsque l'intention qui a dirigé telle action nous est inconnue, et quand nous ignorons ce que deviendra par la suite une personne qui nous paraît être actuellement bonne ou mauvaise. Ne blâmons donc pas des actions dont nous ne connaissons pas l'intention, et quant à celles qui sont manifestement mauvaises, ne les reprenons pas de manière à rendre impossible la guérison. On peut être étonné de ce que dit Notre-Seigneur : « Vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres. » Est-ce que si nous jugeons témérairement, Dieu nous jugera de la même manière ? Et si nous nous sommes servis d'une mesure injuste, Dieu nous appliquera-t-il une mesure semblable ? car ces expressions mesure et jugement ont ici, je pense, le même sens. Ces paroles signifient donc que la témérité dont vous aurez rendu les autres victimes, sera elle-même votre châtiment ; car souvent l'injustice ne nuit en rien à celui qui en est l'objet, mais elle nuit toujours à celui qui en est l'auteur.

Comment peut-il être vrai, disent quelques-uns, que nous serons mesurés selon la mesure avec laquelle nous aurons mesuré les autres, si un péché dont la durée a été limitée est puni d'un supplice éternel ? Ils ne font point attention qu'il ne s'agit pas ici d'une mesure semblable quant à la réciprocité de la peine, en ce sens que celui qui a fait le mal souffre un mal semblable, quoique cependant on pourrait appliquer ces paroles au sujet traité alors par le Sauveur, c'est-à-dire aux jugements et aux condamnations. Donc celui qui juge et condamne injustement reçoit dans la même mesure lorsqu'il est jugé et condamné selon toute justice, quoiqu'il ne reçoive pas ce qu'il a donné ; car il s'est servi du jugement pour commettre une injustice, Dieu se sert du jugement pour lui infliger le châtiment qu'il a justement mérité.
Saint Thomas d'Aquin
963. Vient ensuite la raison : DU JUGEMENT QUE VOUS PORTEREZ, VOUS SEREZ JUGÉS, c’est-à-dire vous serez jugés de la manière dont vous aurez jugé, Ps 7, 17 : Sa peine se retournera contre lui, etc. Et plus loin, 26, 52 : Celui qui aura frappé par le glaive, périra par le glaive. Ou encore : ceux qui jugent doivent craindre que le Seigneur ne permette qu’ils soient punis par le même jugement, comme en Is 33, 1 : Prends garde, toi qui détruis, de n’être pas détruit !

964. DE LA MESURE, etc. Ici, [le Seigneur] donne la raison sous la forme de l’exemple d’un jugement. En effet, le juge est comme une règle vivante. Lorsque tu veux établir l’égalité entre deux choses, tu t’en rapportes à une règle, et tu enlèves ce qui est en excédent chez l’une. Ainsi, si quelqu’un veut obtenir d’un autre plus qu’il ne doit avoir, [le juge] supprime cela et rend à chacun ce qui lui appartient. C’est [ce que veut dire] : IL NOUS SERA RENDU SELON CETTE MESURE.

965. Mais on soulève une objection : quelqu’un pèche de manière temporaire, et il est puni éternellement. Il semble que le jugement ne soit pas équitable. Je dis que, dans le péché, deux choses doivent être prises en considération : la durée et l’offense. Dans l’offense, deux choses [doivent être considérées], à savoir, l’aversion et la conversion. Du point de vue de la conversion, la faute est finie ; mais du point de vue de l’aversion, elle est infinie, car on se détourne de Dieu qui est infini. Lorsque quelqu’un se détourne de l’infini, il doit être puni de manière infinie. De même, du point de vue de la durée, il faut considérer deux choses, à savoir, l’acte et la souillure. L’acte est momentané, mais la souillure est infinie, c’est-à-dire éternelle. Ainsi, il doit être puni de manière infinie, c’est-à-dire éternelle. De sorte que si la souillure pouvait être effacée chez les démons, ils pourraient être libérés et de la peine et de la souillure. De même, du point de vue de la peine, il y a une âpreté, et celle-ci est finie. Il y a aussi une durée, et celle-ci est infinie.
Louis-Claude Fillion
Ne jugez pas est employé sans doute dans le sens de condamner, jugement en mauvaise part. Naturellement il ne s’agit pas ici des jugements officiels rendus au nom de l’autorité, ni même de certains jugements privés qui deviennent parfois nécessaires, Cf. vv. 6 et 20 ; Cor. v. 12 ; ce que Jésus interdit c’est une disposition d’esprit malheureusement trop commune, qui nous porte à considérer d’une manière défavorable le caractère ou les actions d’autrui et qui conduit invariablement à prononcer des jugements injustes et précipités. Une telle tendance ruinant la loi d’amour, il faut se tenir en garde contre ses pernicieux résultats. On connaît là-dessus les belles règles tracées et pratiquées par les Saints : « Quand on doute de quel esprit sont animées des choses, il est préférable de les prendre en bonne part », August. « Excuse l’intention si tu ne peux excuser l’œuvre. Pense à l’ignorance, pense à la surprise, pense au hasard », S. Bernard serm. 40 in Cant. « Pour juger son prochain, disait de son côté le Rabbi Hillel, attends que tu sois à sa place », Pirke Ab. 2, 5. - Pour que vous ne soyez pas jugés. C’est la raison pour laquelle on doit éviter de juger : tous les juges téméraires qui se seront installés d’eux-mêmes sur un tribunal dépourvu de justice et d’autorité trouveront plus tard leur Juge souverain, qui leur appliquera en toute rigueur le « droit du talion ». Dieu traitera sans pitié ceux qui auront traité leurs frères sans pitié, Cf. v. 7 ; 6, 15. Le verbe au passif, sans indication de l’agent, a quelque chose d’expressif et de solennel. - Car vous serez jugés..., Cf. Marc. 4, 24 ; Luc. 6, 37. Jésus-Christ commente dans le second verset le second hémistiche du premier, et son commentaire consiste à affirmer, par deux formules proverbiales, le grand principe qui dirigera les jugements divins. Malheur aux censeurs acerbes et systématiques, car ils seront un jour sévèrement critiqués par celui à qui rien n’échappe ! - On se servira envers vous de la mesure... « Chez les Juifs, il y a une distinction célèbre entre ce que mesurent la justice et la miséricorde », Rosenmüller, Schol. in h.l.