Matthieu 7, 20

Donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.

Donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.
Saint Jean Chrysostome
Notre-Seigneur avait ordonné précédemment à ses disciples de ne point faire parade devant les hommes de leurs jeûnes, de leurs prières, de leurs aumônes, comme font les hypocrites. Or, pour leur apprendre que toutes ces bonnes oeuvres peuvent être faites dans un esprit d'hypocrisie, il leur dit : « Gardez-vous des faux prophètes. »

Ou bien encore : Notre-Seigneur avait dit que la porte est étroite, et qu'il en est beaucoup qui pervertissent la voie qui doit y conduire, il ajoute donc : « Gardez-vous des faux prophètes. » Il les appelle faux prophètes pour exciter la sollicitude de ses disciples à cet égard, en leur rappelant ce qui est arrivé à leurs pères, qui ont eu à subir cette même épreuve.

Cependant il paraît assez vraisemblable que par ces faux prophètes Notre-Seigneur veut désigner non pas les hérétiques, mais ceux qui mènent une vie corrompue sous les dehors de la vertu ; c'est pour cela qu'il dit : « Vous les connaîtrez à leurs fruits. » Or on rencontre souvent des moeurs vertueuses chez certains hérétiques, mais jamais dans ceux dont je viens de parler.

Les fruits que produit l'homme juste c'est aussi la confession de la foi, car celui qui en suivant l'inspiration de Dieu, fait en toute humilité une véritable confession de foi, celui-là est une brebis, tandis que celui qui fait entendre contre la vérité et contre Dieu les hurlements du blasphème, est un loup.

Nous lisons dans un des chapitres suivants, il est vrai, que la loi et les prophètes ont prophétisé jusqu'à Jean-Baptiste, parce qu'après lui, il ne devait plus y avoir de prophétie relative au Christ. Il y a eu depuis ce temps, et il y a encore des prophètes, mais leurs prophéties n'ont point le Christ pour objet et ils interprètent simplement les prédictions anciennes relatives à Jésus-Christ ; ce sont les docteurs des Églises. Car personne ne peut interpréter le sens des prophéties, s'il ne participe lui-même à l'esprit prophétique. Le Seigneur, prévoyant donc qu'il viendrait de faux docteurs, qui enseigneraient diverses hérésies, nous prémunit contre eux en nous disant : « Gardez-vous des faux prophètes. » Ces faux prophètes ne devaient pas être des païens faciles à reconnaître, mais des séducteurs cachés sous le nom de chrétiens ; aussi ne dit-il pas : « Regardez, »mais : « Prenez garde. » En effet, quand une chose est évidente, on la regarde, c'est-à-dire qu'on la voit naturellement, si au contraire elle offre quelque incertitude, on y prend garde, c'est-à-dire qu'on l'examine avec précaution. Il nous dit encore : « Prenez garde, » parce que la plus sûre garantie du salut, est de connaître ceux que l'on doit fuir. Si Notre-Seigneur nous prémunit de la sorte, ce n'est pas que le démon puisse introduire les hérésies malgré la volonté de Dieu, il ne le peut que parce que Dieu le lui permet. Dieu veut que ses serviteurs soient soumis à l'épreuve, il leur envoie donc la tentation ; mais il ne veut pas que leur ignorance soit cause de leur perte, et c'est pour cela qu'il les avertit à l'avance. Et afin que les docteurs hérétiques ne puissent se défendre en disant : Ce n'est pas nous que le Seigneur appelle faux prophètes, mais les docteurs des Juifs et des Gentils, il ajoute expressément : « Qui viennent à vous couverts de peaux de brebis. » Les brebis sont les chrétiens, et les peaux de brebis sont les dehors de christianisme et les apparences d'une fausse religion. Or rien n'est plus contraire au bien que l'hypocrisie, car on ne peut connaître, et par conséquent on ne peut éviter le mal qui se cache sous l'apparence du bien. Et de peur que ces mêmes docteurs hérétiques ne prétendent qu'il est ici question des vrais docteurs, mais qui sont dans l'état de péché, il ajoute : « Au dedans ce sont des loups ravissants. » Or les docteurs catholiques qui deviennent esclaves de la chair lorsqu'ils succombent aux passions de la chair, ne sont pas appelés pour cela des loups ravissants, parce qu'ils ne cherchent pas à perdre les chrétiens. Il est donc évident qu'il veut parler ici des docteurs hérétiques qui prennent avec intention l'extérieur des chrétiens, pour déchirer plus facilement les fidèles sous les coups d'une séduction criminelle. C'est d'eux que l'Apôtre a dit : « Je sais qu'après mon départ il entrera parmi vous des loups ravissants qui n'épargneront pas le troupeau. »

Il est facile de surprendre les hypocrites, car la voie qu'ils sont forcés de suivre est bien pénible. Or l'hypocrite ne choisira certainement pas de lui-même le travail et la peine. D'ailleurs, pour répondre à la prétendue impossibilité de les reconnaître, Notre-Seigneur vous apporte un exemple pris dans la nature en vous disant : « Peut-on cueillir des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces ? »

Le raisin est une figure mystérieuse du Christ, car de même que la grappe par l'intermédiaire du bois de la vigne tient suspendus des grains nombreux, ainsi le Christ, par le bois de la croix retient dans une étroite union la multitude des fidèles. La figue, c'est l'Église qui retient aussi la multitude de ses enfants dans les doux embrassements de sa charité, comme la figue tient cachées une quantité considérable de graines sous une seule enveloppe. Or la figue est le signe tout à la fois de la charité par sa douceur, et de l'unité par l'union de ses graines. Le raisin est tout ensemble le symbole de la patience parce qu'il est foulé dans le pressoir ; de la joie, parce qu'il réjouit le coeur de l'homme ; de la sincérité, parce qu'il n'est pas mélangé d'eau et de la suavité par le plaisir qu'il donne. Au contraire les épines et les ronces présentent des pointes de toutes parts ; et c'est ainsi que les serviteurs du démon sont pleins d'iniquités, de quelque côté qu'on les considère. Ces ronces et ces épines ne peuvent produire aucun des fruits que demande l'Église. Notre-Seigneur ne se borne pas à cette comparaison particulière du figuier et de la vigne pour rendre sensible cette vérité, il la généralise par ces paroles : « C'est ainsi que tout arbre qui est bon porte de bons fruits, et tout arbre mauvais en porte de mauvais. »

On pouvait objecter qu'un mauvais arbre porte sans doute de mauvais fruits, mais qu'il peut aussi en porter de bons et qu'il est ainsi difficile de le bien connaître à cause de cette double apparence ; le Seigneur prévient cette difficulté en ajoutant : « Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, et un mauvais arbre n'en peut produire de bons. »

Le Seigneur n'a point ordonné de châtiment contre les faux prophètes ; il les pénètre d'un effroi salutaire en les menaçant du supplice que Dieu leur réserve : « Tout arbre qui n'est pas bon, dit-il, sera coupé et jeté au feu. » Ce sont les Juifs qu'il paraît avoir en vue dans ces paroles ; c'est pourquoi il se sert des paroles de Jean-Baptiste et leur annonce dans les mêmes termes (cf. Mt 3, 10 ; Lc 9, 9) le châtiment qui les attend. Le saint précurseur, en effet, emploie les mêmes figures de hache, d'arbre et de feu qui ne s'éteint pas. Pour celui qui examine sérieusement les choses, ce sont deux peines différentes, d'être coupé et d'être brûlé. Celui qui est jeté au feu est retranché tout à fait du royaume, peine qui est la plus terrible. Il en est qui ne craignent que l'enfer ; pour moi, je déclare que la perte de cette gloire éternelle est mille fois plus amère que la peine de l'enfer. En effet, quelles souffrances, petites ou grandes, n'accepterait pas un père pour jouir de la vue d'un fils bien-aimé ? Tels doivent être nos sentiments à l'égard de cette gloire, car il n'est point de fils dont la vue soit si douce pour son père que doit l'être pour nous le repos au sein des honneurs et la dissolution du corps pour être éternellement avec Jésus-Christ (cf. Ph 1, 23). C'est un supplice intolérable que le supplice de l'enfer ; mais que l'on ajoute dix mille enfers à la suite les uns des autres, jamais ce supplice ne sera comparable à la peine d'être à jamais exclu de la gloire des bienheureux et d'être éternellement haï de Jésus-Christ.
Saint Jérôme
Ce que Notre-Seigneur dit ici des faux prophètes qui sont tout autres dans leur conduite qu'ils ne le paraissent dans leur extérieur et leurs discours, doit s'appliquer d'une manière toute spéciale aux hérétiques qui se couvrent de la continence et du jeûne comme du vêtement de la piété, et qui portant au-dedans un esprit empoisonné par le vice séduisent les coeurs simples de leurs frères.

Demandons aux hérétiques qui soutiennent l'existence de deux natures opposées l'une à l'autre, et qui prétendent qu'un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, comment Moïse, qui était un bon arbre, a pu pécher aux eaux de la contradiction, et comment Pierre a pu nier le Sauveur dans sa Passion en disant : « Je ne connais pas cet homme, » ou bien encore comment le beau-père de Moïse, qui était un mauvais arbre et qui ne croyait pas dans le Dieu d'Israël, a pu cependant donner un bon conseil ?
Saint Augustin
Ou bien après avoir dit qu'il en est peu qui trouvent la petite porte et la voie étroite, Notre-Seigneur voulant nous prémunir contre les hérétiques qui font souvent de leur petit nombre un titre de recommandation, ajoute aussitôt : « Gardez-vous des faux prophètes. »

C'est donc une question des plus importantes que de bien connaître quels sont les fruits sur lesquels le Sauveur veut attirer notre attention. Plusieurs en effet prennent pour des fruits ce qui n'est que le vêtement des brebis, et c'est ainsi qu'ils se laissent tromper par les loups. Je veux parler ici des jeûnes, ou des aumônes, ou des prières qu'ils étalent devant les hommes sans autre but que de plaire à ceux qui sont frappés de la difficulté de ces oeuvres. Ce ne sont pas là les fruits qui peuvent nous aider à les reconnaître, car si ces actions sont faites dans la vérité avec une intention droite, elles sont, il est vrai, les vêtements propres aux brebis ; mais elles ne font que couvrir les coups lorsqu'elles partent d'un coeur où l'erreur règne en maître. Ce n'est pas toutefois une raison pour les brebis d'avoir horreur de ces vêtements, parce qu'ils servent quelquefois à couvrir les loups. A quels fruits donc reconnaîtrons-nous un mauvais arbre ? L'Apôtre nous l'apprend. « Les oeuvres de la chair sont évidentes, nous dit-il ; ce sont la fornication, l'impureté, » etc. (Ga 5) Le même Apôtre nous apprend à connaître les fruits du bon arbre par ce qui suit : « Les fruits de l'esprit sont la charité, la joie, la paix, » etc.

Mais on peut savoir, en examinant leurs oeuvres, si tout cet extérieur a pour principe un désir de vaine gloire. Lorsqu'en effet, à la suite de certaines épreuves, ils se voient enlever ou refuser ce qu'ils ont obtenu ou ce qu'ils ont voulu obtenir à l'aide de ce voile trompeur, on découvre alors nécessairement si c'était un loup caché sous la peau de la brebis, ou une brebis revêtue de sa propre peau.

Il faut se garder ici de l'erreur des Manichéens qui prétendent que dans ces deux arbres il faut voir deux natures, l'une qui vient de Dieu, l'autre qui lui est étrangère. Nous soutenons, nous, que ces deux arbres ne peuvent servir d'appui à leur opinion, car il ne s'agit évidemment que des hommes, comme le prouvent les antécédents et les conséquents.

Les hommes ont souvent de l'aversion pour les natures mêmes des choses, parce qu'ils les considèrent non pas en elles-mêmes, mais d'après l'utilité qu'ils peuvent en retirer.Or, toute nature ne rend gloire à son créateur qu'autant qu'on la considère en elle-même, et non pas dans l'utilité ou le désavantage qui peuvent en résulter pour nous. Les natures créées par le seul fait de leur existence ont leur manière d'être, leur beauté, un certain accord entre les différentes parties qui les composent, et par conséquent elles sont bonnes.

De ces dernières paroles, les Manichéens concluent qu'une âme qui est mauvaise ne peut devenir meilleure, ni celle qui est bonne devenir mauvaise, comme si Notre-Seigneur avait dit : « Un arbre bon ne peut devenir mauvais, ni un arbre mauvais devenir bon ; » mais, au contraire, il s'est exprimé de la sorte « Un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits, ni un mauvais arbre en produire de bons. » Or, l'arbre c'est l'âme, c'est-à-dire l'homme lui-même ; les fruits sont ses oeuvres. L'homme qui est mauvais ne peut donc faire de bonnes actions, ni celui qui est bon en faire de mauvaises. Si donc celui qui est mauvais veut faire de bonnes actions, qu'il commence par devenir bon lui-même. Tant qu'un homme est mauvais, il ne peut porter de bons fruits. Il peut se faire que ce qui a été de la neige ne soit plus de la neige, mais il est impossible que la neige soit chaude ; ainsi peut-il arriver que celui qui a été mauvais cesse de l'être, mais jamais en demeurant mauvais il ne peut faire le bien, et si parfois il paraît faire quelque chose d'utile, ce n'est pas à lui qu'il faut l'attribuer, mais à la divine Providence.

 S'il est certain que la volonté vicieuse produit les actions mauvaises, comme un mauvais arbre produit de mauvais fruits, d'où vient à votre avis la mauvaise volonté elle-même, si ce n'est de l'ange considéré dans l'ange, et de l'homme considéré dans l'homme ? Or, qu'étaient ces deux volontés, avant qu'elles n'eussent produit le mal ? Un ouvrage digne de Dieu, deux natures bonnes et louables. C'est donc du bien que naît le mal, et on ne peut lui donner un autre principe d'existence que le bien. Je veux parler ici de la volonté mauvaise, car elle n'a été précédée ni d'aucun mal ni d'aucunes mauvaises actions, qui ne sortent que d'une volonté vicieuse comme d'un mauvais arbre. On ne peut dire cependant que la volonté mauvaise vient du bien en tant que bien, car c'est Dieu qui est essentiellement bon qui est l'auteur du bien ; mais elle est sortie d'un bien qui a été tiré du néant et non de Dieu.
Saint Grégoire le Grand
L'hypocrite est comme dominé par la paix dont jouit l'Église ; voilà pourquoi il veut paraître à nos yeux couvert du voile de la religion (cf. Jb 39). Mais qu'une persécution éclate, aussitôt les instincts féroces du loup le dépouillent de la peau de la brebis, et en persécutant le bien il montre de quelle fureur il est animé contre lui.
Rabanus Maurus
Cet arbre, bon ou mauvais, c'est l'homme suivant que sa volonté est bonne ou mauvaise ; les fruits, ce sont ses oeuvres, qui ne peuvent être bonnes si la volonté est mauvaise, de même qu'elles ne peuvent être mauvaises si la volonté est bonne.
La Glose
La comparaison qu'il vient de développer amène cette conclusion, dont l'évidence ressortait déjà de tout ce qui précède : « Vous les connaîtrez donc à leurs fruits. »
Saint Thomas d'Aquin
996. [Le Seigneur] conclut : AINSI DONC, C’EST À LEUR FRUITS QUE VOUS LES RECONNAÎTREZ.
Louis-Claude Fillion
Donc... C’est la répétition des premières paroles du v. 16, sous forme de conclusion. - Reconnaîtrez ; le grec est plus énergique : vous les connaîtrez à fond. « Nous sommes des arbres plantés dans le champ du Seigneur. Dieu est notre cultivateur. C’est lui qui fait pleuvoir, qui cultive, qui donne la fécondité. C’est lui qui accorde la grâce de porter des fruits. Si tous les arbres ne peuvent pas produire des fruits égaux, aucun, cependant, n’a le droit de demeurer stérile dans le champ du Seigneur », S. Fulgent. Sermo de Dispens.
Catéchisme de l'Église catholique
Étant d’ordre surnaturel, la grâce échappe à notre expérience et ne peut être connue que par la foi. Nous ne pouvons donc nous fonder sur nos sentiments ou nos œuvres pour en déduire que nous sommes justifiés et sauvés (cf. Cc. Trente : DS 1533-1534). Cependant, selon la parole du Seigneur : " C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez " (Mt 7, 20), la considération des bienfaits de Dieu dans notre vie et dans la vie des saints, nous offre une garantie que la grâce est à l’œuvre en nous et nous incite à une foi toujours plus grande et à une attitude de pauvreté confiante :