Matthieu 7, 23
Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !”
Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !”
C'est l'obéissance à la volonté de Dieu et non l'emploi répété de son nom qui nous fait trouver le chemin qui conduit au ciel.
Ils prétendent que leur droit à la gloire leur vient de l'efficacité de leur parole, de leur esprit prophétique, du pouvoir qu'ils avaient de chasser les démons, et d'opérer d'autres prodiges semblables, et c'est pour cela qu'ils s'adjugent le royaume des Cieux par ces paroles : « Est-ce que nous n'avons pas prophétisé en votre nom ? »
Les hypocrites se glorifient de la sorte comme s'ils étaient les auteurs des choses merveilleuses qu'ils disent ou qu'ils opèrent, et qu'on ne dût pas les attribuer tout entières à la puissance divine qu'ils invoquent. La lecture du saint Évangile mettra cette doctrine dans tout son jour, alors qu'on y verra le nom de Jésus-Christ tourmenter les démons. C'est donc à nous de mériter cette bienheureuse éternité, et nous devons coopérer à notre salut, en voulant le bien, en évitant le mal, et en faisant plutôt ce que demande la volonté de Dieu, que ce que réclame notre gloire personnelle. Il les repousse donc, il les rejette à cause de leurs oeuvres d'iniquité. « Retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité. »
On peut dire aussi que toute vérité, quelle que soit la bouche qui la profère, vient de l'Esprit saint.
En effet, la mort sépare l'âme du corps, mais elle ne change pas les dispositions de l'âme.
Le Sauveur paraît ici faire allusion aux Juifs, pour qui les croyances étaient tout, et que saint Paul réprimande en ces termes : « Si vous, qui vous appelez Juifs, et qui vous reposez sur la loi, » etc.
Ou bien encore, après nous avoir appris à reconnaître, d'après leurs fruits, les vrais et les faux prophètes, il nous enseigne ici plus clairement quels sont ces fruits qui peuvent nous servir à discerner les bons et les mauvais docteurs.
Or, quelle est cette volonté de Dieu ? Le Seigneur nous l'enseigne lui-même lorsqu'il nous dit : « La volonté de mon Père qui m'a envoyé est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle. » Le mot croire comprend ici la profession extérieure et les oeuvres de la foi. Celui donc dont la foi ou dont la vie n'est pas conforme à la parole du Christ, n'entrera pas dans le royaume de Dieu.
Il ne dit pas : « Celui qui fait ma volonté, » mais : « Celui qui fait la volonté de mon Père, » car c'était ce qu'il convenait d'abord de proposer à leur faiblesse ; mais par l'une de ces vérités il insinue l'autre indirectement, la volonté du Fils n'étant pas autre que celle du Père.
Voyez comme le Sauveur se produit insensiblement en termes encore voilés. Il a complété son enseignement comme maître ; il s'annonce maintenant comme juge. Il a déclaré plus haut que le châtiment était réservé à ceux qui pèchent ; il fuit connaître maintenant celui qui doit infliger ce châtiment par ces paroles : « Plusieurs me diront en ce jour-là. »
C'est-à-dire alors qu'il viendra dans la majesté de son Père (cf. Lc 9, 26), alors que personne n'osera défendre le mensonge ou contredire la vérité à l'aide de discussions bruyantes ; alors que les oeuvres de tous les hommes parleront et que leurs bouches seront muettes ; alors que personne n'osera intervenir pour un autre, et que tous trembleront pour leur propre compte. Car dans ce jugement, les témoins ne seront pas les hommes enclins à la flatterie, mais les anges amis de la vérité, et le juge sera le Seigneur, la justice même. Le Sauveur a parfaitement exprimé les angoisses et l'effroi qu'éprouveront alors les hommes, en leur faisant répéter deux fois : « Seigneur, Seigneur, » car celui qui est en proie à une forte crainte ne se contente pas de dire une seule fois : « Seigneur. »
Il en est qui croient que ce langage était un mensonge dans leur bouche, et que c'est la raison pour laquelle ils ont été rejetés. Mais on ne peut supposer qu'ils aient porté l'audace jusqu'à mentir devant leur juge ; d'ailleurs la question comme la réponse prouvent qu'ils ont réellement opéré ces prodiges. Tandis qu'ils avaient été sur la terre l'objet de l'admiration par les miracles qu'ils opéraient aux yeux de tous, ils se voient punis dans l'autre vie, et dans leur étonnement ils disent : « Seigneur, n'avons-nous pas fait beaucoup de miracles en votre nom, etc ? (cf. 1 Cor 12, 10) » Quelques auteurs prétendent que ce n'est pas dans le temps qu'ils opéraient des prodiges, mais par la suite, qu'ils se rendaient coupables d'iniquité. Mais alors que devient cette vérité que le Seigneur veut établir que sans la vertu, ni la foi, ni les miracles n'ont de valeur à ses yeux ? C'est ce que saint Paul enseigne par ces paroles : « Quand j'aurais toute la foi possible, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. »
Remarquez qu'ils ne disent pas : « dans l'esprit, » mais « au nom, » car s'ils prophétisent au nom du Christ, c'est dans l'esprit du démon, comme font les devins. Or le signe auquel on peut les reconnaître, c'est que les oracles du démon sont souvent faux, ce qu'on ne peut jamais dire de ceux de l'Esprit saint. Dieu a permis au démon de dire quelquefois la vérité, de manière qu'il pût donner par ce rare mélange quelque valeur à ses mensonges. Ils chassent aussi les démons au nom de Jésus-Christ, tout en ayant l'esprit même de son ennemi ; ou plutôt ils les chassent en apparence et non en réalité, les démons étant en parfaite intelligence entre eux ; ils opèrent aussi des prodiges, c'est-à-dire des miracles, sans utilité, sans nécessité, et qui ne sont pas moins nuisibles que frivoles.
Tous n'avaient pas toutes les qualités au même degré de perfection : les uns menaient il est vrai une vie pure, mais sans avoir une foi aussi grande ; pour les autres c'était le contraire. Dieu convertissait donc les premiers par les seconds et les amenait à faire profession d'une foi plus vive ; et par le don ineffable des prodiges qu'il accordait aux autres, il les appelait à devenir plus vertueux, et il leur communiquait ce pouvoir avec une grande libéralité, comme eux-mêmes le proclament : « Nous avons fait beaucoup de miracles. » Mais parce qu'ils n'ont eu que de l'ingratitude pour celui qui les avait ainsi comblés d'honneur, le Seigneur leur fait cette déclaration : « Alors je leur dirai hautement : Je ne vous ai jamais connus. »
Il leur dit : « Je ne vous ai jamais connus : » non seulement au jour du jugement, mais alors même qu'ils faisaient des miracles, car il en est beaucoup qui sont pour Dieu un objet de haine dès ici-bas, et dont il se détourne avant de les punir.
Une aussi grande sévérité devait être précédée par une grande patience, pour rendre ainsi plus juste le jugement de Dieu, et plus mérité le châtiment des pécheurs. Or il faut se rappeler que Dieu ne connaît pas les pécheurs en ce sens qu'ils ne sont pas dignes d'être connus de lui ; on ne peut pas dire qu'il ne les connaît pas du tout, mais il ne les connaît pas pour siens. Dieu par sa nature connaît tous les hommes, mais il paraît ne pas connaître ceux qu'il n'aime pas, de même qu'on peut dire de ceux qui ne lui rendent pas le culte qui lui est dû, qu'ils ne le connaissent pas.
Comme il ne veut pas détruire le mérite du repentir il ne dit pas : Vous qui avez commis l'iniquité, mais vous qui la commettez, qui jusqu'à ce jour, jusqu'à l'heure même du jugement, conservez encore l'affection, le désir du péché, alors même que vous n'en avez plus le pouvoir.
Notre-Seigneur nous a commandé d'éviter ceux qui, sous les dehors de la vertu, professent des doctrines perverses ; ici, au contraire, il nous apprend à ne pas nous confier à ceux dont la doctrine est irréprochable, mais qui la détruisent par des oeuvres mauvaises. Les serviteurs de Dieu doivent nécessairement réunir ces deux choses : soutenir leurs oeuvres par leurs discours, appuyer leurs discours par leurs oeuvres. C'est pour cela qu'il ajoute : « Ce n'est pas celui qui me dit : Seigneur, » etc.
C'est l'ordinaire des Écritures de prendre les paroles pour les actions, et c'est dans ce sens que l'Apôtre dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres. »
Ou bien encore : Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, n'est pas toujours l'effet des mérites de celui qui opère ces prodiges ; c'est à l'invocation du nom de Jésus-Christ qu'il faut les attribuer, et Dieu les permet ou pour la condamnation de ceux qui invoquent ce nom, ou pour l'utilité de ceux qui en sont témoins, car tout en méprisant ceux qui font ces miracles, ils honorent Dieu par l'invocation duquel s'opèrent d'aussi grands prodiges. Saül (1 R 10), Balaam (Nb 23), Caïphe (Jn 11), n'ont-ils pas prophétisé ? Dans les Actes des Apôtres ne voyons-nous pas les enfants de Sceva chasser les démons (Ac 19), et Judas lui-même n'a-t-il pas fait plusieurs miracles avec les autres apôtres, quand son âme était déjà ouverte à la trahison ?
C'est avec intention qu'il se sert de cette expression : « Je leur dirai hautement, » car il a gardé le silence pendant bien longtemps.
Remarquez que ces paroles « Je ne vous ai jamais connus » sont une réfutation de ceux qui prétendent que tous les hommes ont toujours vécu comme il convient à des créatures raisonnables.
N'allons pas croire que pour produire les fruits dont le Sauveur a parlé plus haut, il suffise de dire à Dieu : « Seigneur, Seigneur, » et d'avoir par là même l'apparence d'un bon arbre. Ces fruits consistent à faire la volonté de Dieu, comme l'indiquent les paroles suivantes : « Mais celui qui fait la volonté de mon Père, » etc.
Il faut prendre garde, en effet, qu'à la faveur du nom du Christ les hérétiques, ceux qui comprennent aussi mal la vérité, ou les partisans de ce monde, ne cherchent à nous tromper. C'est pour cela qu'il ajoute : « Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, » etc. Mais ici se présente une difficulté ; comment concilier avec cette maxime ces paroles de l'Apôtre : « Personne ne peut dire : Seigneur Jésus, si ce n'est dans l'Esprit saint ; » car nous ne pouvons admettre que ceux qui n'entrent pas dans le royaume des cieux aient en eux ce divin Esprit. L'Apôtre saint Paul a employé ici le mot dire dans un sens propre pour exprimer la volonté, l'intelligence de celui qui prononce ces paroles ; parce qu'en effet celui-là seul parle dans le sens vrai du mot dont la parole exprime la pensée et l'intention. Le Seigneur, au contraire, a pris le mot dire dans son sens général. Celui, en effet, qui ne veut ni ne comprend ce qu'il dit paraît aussi parler dans un certain sens.
On peut rattacher à cette question l'avertissement suivant : Nous ne devons pas nous laisser tromper, d'abord par ceux qui, se couvrant du nom du Christ, invoquent ce nom sans en pratiquer les oeuvres ; mais nous devons encore nous défier de certains prodiges, de certains miracles tels que le Seigneur en opère en faveur des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous laisser surprendre et de ne pas croire que ces miracles soient l'indice certain d'une sagesse intérieure et invisible : c'est pourquoi il ajoute : « Plusieurs me diront en ce jour-là, » etc.
Lisez pour vous en convaincre les prodiges que les Mages d'Égypte ont opérés dans un esprit d'opposition à Moïse (Ex 7, 11.22 ; 8, 7).
A Dieu ne plaise que nous admettions avec les Manichéens, que le Seigneur ait voulu parler des saints prophètes ; il n'est ici question que de ceux qui plus tard, après la prédication de l'Évangile, se sont imaginé qu'ils parlaient en son nom, alors qu'ils ne savaient ce qu'ils disaient.
Cette sentence doit nous apprendre que c'est l'humble charité et non l'éclat des miracles qui a droit à notre vénération. Aussi la sainte Église n'a-t-elle que du mépris pour les miracles des hérétiques, parce qu'elle sait qu'ils ne sont pas une marque de sainteté ; en effet la preuve de la sainteté n'est pas de faire des miracles, c'est d'aimer le prochain comme soi-même, d'avoir sur Dieu des idées vraies et des autres une opinion plus favorable que de soi-même.
1006. ALORS JE LEUR DIRAI EN FACE : «JE NE VOUS AI JAMAIS CONNUS», c’est-à-dire : «Je ne vous ai pas approuvés, même lorsque vous faisiez des miracles», 2 Tm 2, 19 : Le Seigneur connaît les siens. Il dit : «JE NE VOUS AI PAS CONNUS», puisqu’il dit : ÉCARTEZ-VOUS DE MOI, car vous n’avez jamais été approuvés.
Hélas ! ces dons extérieurs qui les ont aveuglés ne leur
donnent aucun droit sur le ciel : Jésus-Christ le leur dit froidement. - Je leur dirai ; le grec signifie
« annoncer à haute voix ». - Je ne vous ai jamais connus. Bien que vous alléguiez mon nom et la puissance
qu’il a pu vous conférer, vous n’en êtes pas moins des inconnus pour moi, ce qui prouve qu’entre vous et moi
il n’y a jamais eu d’union réelle. Je ne vous reconnais pas pour mes disciples. « Tous les anciens auteurs l'ont
observé… le mot connaître en ce lieu et en d’autres ne se rapporte pas à la connaissance mais à l’affection et
à l’approbation… Dieu connaît tout le monde, mais ne reconnaît pas tous les hommes pour siens »,
Maldonat. - Retirez-vous : cette sentence terrible et inattendue tombera sur eux comme un coup de foudre. Ils
seront alors éclairés sur le véritable état de leur conscience, ils verront à nu toutes leurs misères et seront
forcés de reconnaître que, malgré leurs miracles, ils n’ont été en réalité que des ouvriers d’iniquité. Cf. Luc.
13, 25 et ss. - Il est facile d’expliquer théologiquement le désaccord qui semble exister entre les pouvoirs
surnaturels accordés par Dieu à ces hommes tandis qu’ils étaient sur la terre et la manière sévère dont il les
traite dans l’autre vie. Une chose est la « grâce prévenante », secours divin à un homme pour qu'il aide un
autre homme à se tourner vers Dieu (c’est donc un bienfait concédé principalement en vue du salut d’autrui),
autre chose la « grâce sanctifiante » qui rend l’homme digne de Dieu, capable de Dieu et agréable à Lui. La
première est ainsi définie par S. Thomas : « La grâce qui est donnée gratuitement est d’abord et avant tout celle qui se rapporte au salut d’autrui », Summ. Theol. 1a 2ae quaest. 111 ; elle ne suppose donc pas
nécessairement la grâce sanctifiante dans celui qui l’a reçue, Dieu pouvant employer parfois des instruments
indignes pour procurer le salut des hommes. « Faire des miracles n’est pas une preuve de sainteté », dit S.
Grégoire, Moral. 20, 8. C’est ce qu’affirme également S. Paul dans sa première Épître aux Corinthiens, 13,
1-3. Balaam ne fut-il point prophète comme Isaïe ? Judas ne fit-il pas des miracles comme les autres
apôtres ?
La prophétie et le don des miracles ne sont pas toujours des preuves certaines de la sainteté et du mérite de ceux à qui Dieu en fait part ; témoin Balaam et Judas lui-même