Matthieu 7, 5
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.
Ou bien le péché contre le Saint-Esprit consiste à nier la puissance de la vertu divine, et à refuser de reconnaître une substance éternelle en Jésus-Christ, par qui l'homme doit s'élever de nouveau jusqu'à Dieu, parce qu'étant Dieu lui-même il s'est abaissé jusqu'à se faire homme. D'après Notre-Seigneur, il y a donc autant de différence entre le péché contre le Saint-Esprit et les autres crimes, qu'entre une poutre et un fêtu de paille, et les infidèles se rendent coupables de ce péché lorsqu'ils reprochent aux autres leurs fautes extérieures, sans voir eux-mêmes le crime qui pèse sur eux, c'est-à-dire leur incrédulité aux promesses de Dieu, parce qu'ils ont l'oeil de l'âme aveugle comme si une poutre était tombée sur leurs yeux. « Ou comment pouvez-vous dire à votre frère : Laissez-moi tirer la paille de votre oeil, pendant que vous avez une poutre dans le vôtre ? »
Il en est plusieurs qui en voyant un moine porter de riches vêtements ou user d'une nourriture abondante, le blâment avec amertume, tandis qu'eux-mêmes se livrent tous les jours à la rapine ou aux excès de la table.
Ou bien encore Notre-Seigneur s'adresse ici aux docteurs, car la gravité ou la légèreté d'une faute se mesure sur la personne qui la commet, et le péché d'un simple fidèle n'est qu'une paille légère auprès du péché d'un prêtre, péché qui est ici comparé à une poutre.
C'est-à-dire de quel front osez-vous reprendre votre frère, vous qui êtes coupable de la même faute et peut-être plus coupable que lui ?
Ou bien dans un autre sens : « Comment dites-vous à votre frère, » c'est-à-dire dans quelle intention ? Est-ce par charité, pour assurer son salut ? Non, car alors vous chercheriez tout d'abord à vous sauver vous-même. Ce que vous vous proposez, ce n'est donc pas de guérir les autres, mais de vous servir de la saine doctrine comme d'un manteau pour couvrir vos actions coupables ; vous recherchez auprès des hommes une vaine réputation de science, et non pas la récompense que Dieu accorde à celui qui édifie. Aussi écoutez ce que vous dit le Sauveur : « Hypocrite, enlevez plutôt la poutre de votre oeil. »
Il est à remarquer que toutes les fois que Notre-Seigneur veut signaler un péché d'une certaine gravité, il débute par un terme de reproche. « Mauvais serviteur, dit-il ailleurs, je vous ai remis toute votre dette, » et ici : « Hypocrite jetez d'abord, » etc. On connaît mieux ce qui est en soi, que ce qui se passe chez les autres ; on voit plus facilement ce qui est grand que ce qui est petit ; et on a pour soi plus d'affection que pour son prochain. C'est pour cela que Notre-Seigneur défend à celui qui s'est rendu esclave de fautes nombreuses, de juger avec amertume les péchés des autres, alors surtout qu'ils sont légers. Ce n'est pas qu'il nous interdise la correction ou la réprimande ; mais il ne veut pas qu'en fermant les yeux sur nos propres fautes, nous poursuivions avec sévérité les fautes des autres. Commencez par examiner avec soin votre propre conduite, avant de discuter la conduite du prochain. « Et alors, ajoute Notre-Seigneur, vous songerez à ôter le fêtu de l'oeil de votre frère. »
Le Sauveur parle ici de ceux qui, esclaves qu'ils sont du péché mortel, ne pardonnent pas à leurs frères des fautes bien plus légères.
Notre-Seigneur vient de nous prémunir contre le jugement téméraire et injuste, jugement téméraire dont se rendent coupables ceux qui se prononcent légèrement et avec sévérité dans les choses incertaines, qui aiment mieux blâmer et condamner que de corriger et de ramener au bien, ce qui est toujours un effet de l'orgueil et de l'envie. Il poursuit sa pensée et ajoute : « Pourquoi voyez-vous une paille dans l'oeil de votre frère, tandis que vous ne voyez pas une poutre dans le vôtre ? »
Ainsi encore votre frère pèche par colère et vous le reprenez par haine ; or entre la colère et la haine il y a la différence qui existe entre une paille et une poutre, car la haine c'est la colère invétérée. Il peut se faire qu'en vous mettant en colère contre un homme, votre intention soit de le ramener au bien, ce qui vous sera toujours impossible si vous avez pour lui de la haine.
Lors donc que nous serons obligés de faire une réprimande, faisons-nous d'abord cette question : N'ai-je jamais commis cette faute ? et pensons alors qu'étant aussi des hommes fragiles, nous aurions pu la commettre. Si nous en avons été coupables, et que nous ayons cessé de l'être, rappelons-nous notre commune fragilité, afin que notre réprimande soit inspirée non par la haine, mais par la miséricorde. Mais si nous découvrons en nous ce même péché, abstenons-nous de tout reproche, confondons nos gémissements et excitons-nous mutuellement à de courageux efforts pour en sortir. Ce n'est du reste que rarement et lorsqu'il y a nécessité pressante qu'il faut employer les réprimandes sévères, et jamais dans des vues personnelles, mais dans l'intérêt de la gloire de Dieu.
Il n'appartient qu'à la vertu de reprendre le vice, et lorsque les méchants essaient de le faire, ils usurpent un rôle qui leur est étranger. C'est ce que font les comédiens qui cachent sous un déguisement emprunté ce qu'ils sont, et s'en servent en même temps pour paraître ce qu'ils ne sont pas.
Une fois que nous aurons ôté de notre oeil la poutre de la jalousie, de la malice, de la fausseté, nous songerons à enlever la paille de l'oeil de notre frère.
970. Vient ensuite : HYPOCRITE, ENLÈVE D’ABORD LA POUTRE QUI EST DANS TON ŒIL. Le Seigneur commence à dénoncer, comme il le fait plus loin, le mauvais serviteur, etc. Augustin [écrit] : «Il montre qu’il a l’intention de réprimander celui qui se donne une autorité qui ne lui appartient pas», Ps 49[50], 16 : Mais Dieu a dit au pécheur : «Pourquoi racontes-tu ma justice et as-tu mon alliance à la bouche ? Tu as détesté mon enseignement, etc.» ENLÈVE D’ABORD, en jeûnant et en priant, LA POUTRE QUI EST DANS TON ŒIL, et alors tu pourras voir la paille qui est dans l’œil de ton frère.
Avant de juger et de reprendre ses frères, il faut savoir se juger soi-même et
se corriger des défauts qu’on leur reproche. Jésus exprime cette pensée en termes ironiques et mordants :
mais l’odieux de la conduite qu’il réprouve méritait un blâme sévère. - Paille, poutre, expressions
métaphoriques usitées dans tout l’Orient pour figurer les légers défauts ou les manquements considérables.
« Un jour, dit le Talmud de Babylone, Baba Bathra, F. 15, 2, un homme dit à un autre homme : Arrache le
fétu qui est dans ton œil. - A la condition, répondit celui-ci, que tu arracheras toi-même la poutre qui est dans
le tien ». Nous lisons une phrase tout à fait analogue dans le célèbre auteur arabe Hariri : « Je vois une poutre
dans ton œil et tu es surpris d’apercevoir un fétu dans le mien ! ». Hélas ! aveugles pour nos propres défauts,
nous avons des yeux d’Argus pour ceux d’autrui. « Il arrive, je ne sais trop pourquoi, que nous apercevons
plus facilement les fautes dans les autres qu’en nous-mêmes », Cicer. De offic. 1, 41. « C’est le propre de la
stupidité de contempler les défauts des autres et d’oublier les siens », id. Tuscul. 3, 31. « Vous avez remarqué
des boutons chez autrui, vous qui êtes affligés de plusieurs ulcères. Ce qui est le fait de quelqu’un qui se
moquerait des verrues des corps les plus beaux, tout en étant défiguré par la gale », Senec. de Vita Beat. 27 ;
Cf. Horace, Sat. 1, 3, 73 ss. Et plusieurs vers célèbres de notre bon La Fontaine. - Hypocrite. Jésus a raison :
« Dénoncer les vices est le devoir des bons et des bienveillants. Quand les méchants le font, ils jouent un
rôle, comme les hypocrites qui couvrent d’un manteau la personne qu’ils sont, et montrent la personne qu’ils
ne sont pas », S. August. Serm. Dom. in monte, 2, 64. - Tu verras comment ôter la paille ; c’est-à-dire « tu
verras distinctement, ce qui te permettra d'enlever... ». Un homme qui a une poutre dans l’œil est en effet un
fort mauvais opérateur pour guérir la vue d’autrui légèrement atteinte.