Matthieu 7, 6
« Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré ; ne jetez pas vos perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne les piétinent, puis se retournent pour vous déchirer.
« Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré ; ne jetez pas vos perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne les piétinent, puis se retournent pour vous déchirer.
Ou bien encore, le Sauveur nous avait ordonné plus haut d'aimer nos ennemis et de faire du bien à ceux mêmes qui nous ont offensé. Or les prêtres pouvaient peut-être conclure de là qu'il fallait aussi les admettre à la participation des choses divines ; il combat cette pensée en disant : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, » comme s'il disait : Je vous ai commandé d'aimer vos ennemis, de les assister de vos biens temporels, mais non pas de leur distribuer indistinctement mes trésors spirituels ; car s'ils ont avec vous une commune nature, ils n'ont pas une même foi ; et si Dieu répand également les biens de la terre sur les méchants comme sur les bons, il n'en est pas de même des grâces spirituelles.
Ou bien encore, les choses saintes, c'est le baptême, la grâce du corps de Jésus-Christ, et les autres trésors spirituels de même nature. Les perles sont les mystères de la vérité, car de même que les perles sont renfermées dans des coquilles, et cachées au fond de la mer, ainsi les mystères de la vérité sont cachés sous l'enveloppe des paroles et renfermés dans les profondeurs du sens de la sainte Écriture.
Pour ceux qui sont doués d'intelligence et d'une âme vertueuse, la connaissance qu'ils ont des mystères leur inspire pour eux une plus grande vénération. Ceux au contraire qui n'ont ni sentiment ni raison, ont plus de respect pour ce qu'ils ignorent.
Remarquez la justesse de cette expression : « S'étant retournés, » car ils affectent un certain air de douceur pour se faire instruire, et déchirent ensuite ceux qui les ont enseignés.
On peut encore dire que le chien et le porc sont des animaux immondes, mais avec cette différence que le chien l'est sous tous rapports, parce qu'il ne rumine pas et n'a pas la corne divisée en deux, tandis que le porc n'est immonde que sous un rapport, parce qu'il porte la corne fendue par le milieu, mais ne rumine pas. Aussi je pense que les chiens figurent ici les Gentils qui sont tout à fait immondes, et dans leur vie, et dans leur foi ; et les pourceaux, les hérétiques, parce qu'ils invoquent extérieurement le nom du Seigneur. Or on ne doit pas donner les choses saintes aux chiens, parce que le baptême et les autres sacrements ne doivent être administrés qu'à ceux qui font profession de la foi chrétienne. De même les mystères de la vérité figurés par les perles ne doivent être exposés qu'a ceux qui les désirent, et qui vivent d'une manière conforme à la raison. Si vous les jetez aux pourceaux, c'est-à-dire à ceux qui sont comme abrutis dans la fange des plaisirs sensuels, ils n'en comprendront pas le prix, mais les confondront avec les fables profanes, et les fouleront aux pieds par l'indignité d'une vie toute charnelle.
Ou bien les pourceaux non-seulement foulent les perles aux pieds, par leur conduite toute charnelle, mais encore à peine convertis de quelques jours, ils déchirent ceux qui les leur ont offertes. Presque toujours on les voit se scandaliser et calomnier ceux qui les enseignent comme s'ils annonçaient de nouveaux dogmes. Les chiens aussi foulent les choses saintes aux pieds en déchirant le prédicateur de la vérité par leurs sentiments, leur manière d'agir et leurs disputes.
La défense qui nous est faite de jeter les perles aux pourceaux est pleine de sagesse, car s'il est défendu de les jeter aux pourceaux qui sont moins immondes, à plus forte raison ne doit-on pas les jeter aux chiens qui le sont bien davantage. Quant à la distribution des choses saintes, nous ne pouvons suivre la même règle de conduite, car souvent nous répandons nos bénédictions même sur des chrétiens qui vivent à la manière des bêtes (cf. Za 11, 4), non parce qu'ils les méritent, mais de peur qu'en les leur refusant nous ne les scandalisions et ne soyons la cause de leur perte.
La simplicité que le Seigneur nous recommande par ce qui précède, pouvait induire quelques esprits en erreur, et leur donner à croire qu'on pèche en dissimulant quelquefois la vérité, comme en disant un mensonge ; il ajoute pour rectifier cette erreur : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux. »
Examinons ce que sont ici les choses saintes, les chiens, les pierres précieuses, les pourceaux. Ce qui est saint, c'est ce qu'on ne peut profaner sans crime, et ce crime, la volonté s'en rend coupable, alors même que la chose sainte reste inviolable. Les pierres précieuses sont les choses spirituelles du plus grand prix. Cependant une seule et même chose peut réunir à la fois ces deux qualités, d'être sainte et pierre précieuse ; sainte, parce qu'on doit prendre garde de la profaner ; pierre précieuse, parce qu'on doit se garder d'en mépriser la valeur.
D'après une interprétation assez juste, les chiens sont ceux qui attaquent la vérité, et les pourceaux ceux qui la méprisent. Comme les chiens s'élancent pour déchirer leur proie, et qu'ils mettent en pièces ce qu'ils déchirent, Jésus-Christ nous dit : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, »car autant qu'il dépend d'eux, ils mettraient en pièces la vérité, si elle n'était inaccessible à leurs efforts. Quant aux pourceaux, quoiqu'ils n'aient pas l'habitude de déchirer avec les dents ce qu'ils rencontrent, ils le souillent en le foulant çà et là dans la fange, et c'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux.
On foule aux pieds ce qu'on méprise, et c'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « De peur qu'ils ne les foulent aux pieds.
« Et que s'étant retournés, ils ne vous déchirent. » Remarquez qu'il ne dit pas : « Ils ne déchirent les perles, car pour elles, elles sont foulées aux pieds ; » et lorsqu'ils se sont retournés pour entendre encore quelque vérité, ils déchirent celui dont ils ont foulé les perles aux pieds ; car comment trouver grâce devant un homme qui méprise ce qui a coûté tant de travaux et de peines ? Il est donc impossible que ceux qui enseignent de telles gens ne soient pas comme déchirés par l'indignation et la douleur.
Il faut donc se garder de rien expliquer à celui qui n'est pas en état de comprendre ; car il vaut mieux le laisser chercher ce qui est caché pour lui, que de l'exposer à profaner par la haine comme le chien, ou par le mépris comme le pourceau, ce qui lui aura été découvert. De ce que l'on peut s'abstenir de dévoiler une vérité, il ne faut pas conclure qu'il soit permis de dire un mensonge, car le Seigneur, qui n'a jamais menti, a cependant cru devoir cacher quelques vérités comme le prouvent ces paroles : « J'ai beaucoup d'autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. » Si quelqu'un se trouve dans l'impossibilité de comprendre les vérités saintes à cause des souillures de son âme, nous devons l'en purifier par la parole ou par les oeuvres, autant qu'il est possible. De ce que le Seigneur ait souvent enseigné des vérités qu'un grand nombre de ceux qui l'écoutaient n'ont pas voulu recevoir, par mépris ou par opposition, il ne faut pas en conclure qu'il donnait les choses saintes aux chiens, ou qu'il jetait les perles devant les pourceaux. Il parlait pour ceux qui pouvaient le comprendre, et qui entendaient ses divines leçons, et qu'il n'était pas juste d'abandonner à cause de l'indignité des autres. Ceux qui venaient pour le tenter séchaient de douleur, et trouvaient la mort dans la sagesse de ses réponses, mais il y en avait un grand nombre d'autres capables de les comprendre, et qui profitaient de cette occasion pour entendre des leçons utiles. Celui qui est en état de répondre, doit le faire lorsqu'il s'agit de choses nécessaires au salut, dans l'intérêt de ceux qui seraient tentés de désespoir parce qu'ils s'imaginent que la difficulté qu'ils proposent est insoluble. Au contraire, dans les choses vaines et dangereuses, on doit ne rien dire, mais se contenter d'expliquer pourquoi on ne peut répondre à de semblables questions.
Ou bien, les chiens sont ceux qui sont retournés à leur vomissement, et les pourceaux ceux qui n'étant pas encore convertis se vautrent dans la fange du vice.
La Glose
Il dit : « De peur, » car ils peuvent se repentir de leur vie impure.
971. Vient ensuite : NE JETEZ PAS AUX CHIENS CE QUI EST SACRÉ. Par quoi [le Seigneur] montre que le jugement doit être pondéré. Il faut donc remarquer ce que veulent dire SACRÉ et PERLES. Augustin [écrit] : «Les choses saintes doivent être préservées inviolées et immaculées ; et les perles ne doivent pas être méprisées.» Par les CHIENS, qui déchirent de leurs dents, sont signifiés les hérétiques ; par les PORCS, qui foulent de leurs pieds, les gens impurs. DONNER AUX CHIENS LES CHOSES SAINTES, c’est donc administrer les choses saintes aux hérétiques. De même, si quelque chose de spirituel est exprimé et que cela est méprisé, cela est donné aux porcs. Ou bien par les choses saintes, [sont signifiés] les sacrements de l’Église ; par les perles, les mystères de la vérité. Le chien est un animal totalement impur ; le porc est en partie impur, et en partie il ne l’est pas. Par les chiens, [sont signifiés] les infidèles ; par les porcs, les mauvais fidèles.
972. NE JETEZ DONC PAS AUX CHIENS CE QUI EST SACRÉ, c’est-à-dire ne donnez pas les sacrements aux infidèles. Les PERLES, c’est-à-dire les sens spirituels, ne doivent pas être donnés aux porcs, 1 Co 2, 14 : L’homme [sous son aspect] animal ne perçoit pas les choses de Dieu, de crainte qu’il ne les méprise. Pr 27, 7 : L’âme rassasiée foule aux pieds le rayon de miel. C’est pourquoi les convertis s’en prennent aux péchés ou lancent des calomnies. Mais pourquoi ? Le Christ n’a-t-il pas dit beaucoup de bonnes choses aux infidèles et ceux-ci ne s’en prenaient-ils pas à ses paroles ? Je dis qu’il a fait cela pour les bons qui se trouvaient parmi les méchants, et qui ainsi progressaient.
972. NE JETEZ DONC PAS AUX CHIENS CE QUI EST SACRÉ, c’est-à-dire ne donnez pas les sacrements aux infidèles. Les PERLES, c’est-à-dire les sens spirituels, ne doivent pas être donnés aux porcs, 1 Co 2, 14 : L’homme [sous son aspect] animal ne perçoit pas les choses de Dieu, de crainte qu’il ne les méprise. Pr 27, 7 : L’âme rassasiée foule aux pieds le rayon de miel. C’est pourquoi les convertis s’en prennent aux péchés ou lancent des calomnies. Mais pourquoi ? Le Christ n’a-t-il pas dit beaucoup de bonnes choses aux infidèles et ceux-ci ne s’en prenaient-ils pas à ses paroles ? Je dis qu’il a fait cela pour les bons qui se trouvaient parmi les méchants, et qui ainsi progressaient.
Beaucoup d’exégètes ont nié l’existence d’une liaison quelconque entre ce
verset et les précédents ; Maldonat, par exemple, qui ne craint pas de soutenir qu'en cet endroit
« L’Évangéliste a rapporté les paroles du Christ non dans l’ordre qu’il les avait dites, mais dans l’ordre
qu’elles lui venaient à l’esprit ». Néanmoins la plupart des commentateurs admettent une connexion réelle
entre les vv. 5 et 6, bien qu’ils ne la déterminent pas tous de la même manière. L’enchaînement le plus
naturel et le plus logique nous semble être celui qu’indiquait déjà S. Thomas d’Aquin dans les termes
suivants : « Vient ensuite : ne donnez pas les choses saintes aux chiens, par quoi il enseigne la nécessité du
discernement ». Ainsi donc, après avoir prescrit la règle générale que nous venons d’étudier, vv. 1-5, Jésus
établit une exception. En effet le zèle peut faire naufrage contre deux écueils, la sévérité et le laxisme ; il ne
lui arrive que trop fréquemment de tomber dans l’un ou l’autre de ces extrêmes. Si parfois il juge trop
sévèrement, d’autres fois il omet tout à fait de juger. Le Sauveur attaque ce manque de discernement. - Les
choses saintes représente les choses saintes en général, par conséquent les mystères de la foi, la vérité
évangélique, les sacrements, etc. Il serait arbitraire de restreindre le sens de cette expression à la Sainte
Eucharistie, ou aux viandes consacrées aux Juifs. - Vos perles : c’est la même idée exprimée à l’aide d’une
métaphore, Cf. Matth. 13, 45. Les choses de la religion, appelées saintes parce qu’elles viennent de Dieu,
sont comparées à des perles à cause de leur précieuse valeur. « Saint, du fait qu’il ne pas être corrompu;
perle, du fait qu’il ne peut pas être méprisé », S. Aug. in h.l. - Aux chiens, devant les cochons. Ces deux
sortes d’animaux ont toujours inspiré aux Orientaux une égale aversion. Chez les Juifs, les chiens, aussi bien
que les pourceaux, étaient classés parmi les bêtes impures selon la Loi, et la Bible les signale souvent comme
le type des hommes impudents qui aboient avec audace même contre ce qu’il y a de plus respectable. Quant
aux porcs ils symbolisent par tous pays la corruption et la dépravation. Les deux noms réunis de « chiens » et
de »porcs » désignent donc en général tous ceux que leur caractère cynique et leur conduite immorale
rendent indignes des choses saintes ; ils aboient contre elles comme des chiens, ils les foulent aux pieds à la façon des pourceaux. Horace fait une association semblable lorsqu'il dit de quelqu'un : « Il aurait vécu
comme un chien immonde, ou comme une truie qui aime la boue », Epist. 1, 2, 22. C'étaient du reste des
locutions proverbiales en Judée ; Cf. Rosenmüller in h.l.- De peur... Jésus, développant la même image,
indique les inconvénients auxquels les ouvriers évangéliques exposeraient et la religion et leurs propres
personnes, s’ils s’abandonnaient à un zèle indiscret et aveugle. La religion courrait le risque d’être profanée,
tournée en dérision, foulée aux pieds, ainsi qu’il arriverait à des perles si on les jetait à des pourceaux. Les
apôtres imprudents pourraient déchaîner inutilement contre eux-mêmes la persécution et les violences, en
surexcitant par des révélations intempestives la haine des hommes mal disposés. - Se retournant ils ne vous
déchirent. C’est ainsi que les chiens ou les pourceaux, quand on leur jette un objet qui leur déplaît, fût-il
excellent en soi, se retournent pleins de fureur contre le donateur après avoir souillé le don. La discipline du
secret, longtemps en vigueur dans la primitive Église, n’eut pas d’autre origine que ces paroles du Sauveur
dont les premiers chrétiens expérimentèrent souvent la vérité d’une manière désastreuse.