Matthieu 8, 22
Jésus lui dit : « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. »
Jésus lui dit : « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. »
Le nom de disciples ne s'applique pas seulement aux douze apôtres, car nous voyons qu'outre les apôtres, Jésus eut plusieurs disciples.
Ou bien encore, ce scribe, qui est un des docteurs de la loi, demande à Jésus s'il doit le suivre, comme si la loi ne disait pas clairement que c'est le Christ, et qu'il a tout intérêt de marcher à sa suite. Il trahit donc l'incrédulité de son âme par cette question de défiance, car on ne doit pas interroger, mais suivre les inspirations et les enseignements de la foi.
Ce disciple ne demande pas non plus s'il doit suivre Jésus ; il croit que c'est pour lui une obligation, et il demande simplement qu'il lui Soit permis d'aller ensevelir son père.
D'ailleurs, comme nous avons appris à dire au commencement de l'Oraison dominicale : « Notre Père qui êtes dans les cieux, » et que ce disciple représente tout le peuple croyant, le Seigneur lui rappelle ici qu'il n'y a pour lui qu'un Père qui est dans les cieux (Mt 23, 9), et que les droits que donne ce nom de père ne sont pas laissés au père infidèle à l'égard de son fils devenu fidèle. Il nous apprend encore à ne pas mêler à la mémoire des saints le souvenir de ceux qui sont morts dans l'infidélité, et à regarder comme morts ceux qui vivent en dehors de la vie de Dieu. Que les morts donc ensevelissent leurs morts ; car pour ceux qui sont vivants, ils doivent s'attacher au Dieu vivant par la foi qu'ils ont en lui.
Comme Jésus-Christ ne guérissait pas seulement les corps, mais qu'il rendait encore les âmes meilleures en leur enseignant la vraie sagesse, il a voulu montrer dans sa personne non-seulement la puissance qui guérit les maladies, mais encore l'humilité qui fuit toute ostentation ; c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute : « Or, Jésus se voyant environné d'une grande foule de peuple, ordonna à ses disciples de passer à l'autre bord. Il agissait de la sorte pour nous enseigner la modestie dans nos actions, calmer l'envie des Juifs, et nous apprendre à ne rien faire par amour de la vaine gloire.
Remarquez qu'il ne renvoie pas directement la foule, pour ne pas la blesser ; mais il ordonne à ses disciples d'aller au delà, en laissant au peuple l'espérance de pouvoir l'y suivre.
Voyez aussi quel est son orgueil : il arrive, et à son langage, on voit qu'il dédaigne d'être confondu avec la foule, et qu'il veut montrer qu'il lui est supérieur.
Le Sauveur répond ici non pas à la question contenue dans ses paroles, mais à la pensée renfermée dans son âme. Et Jésus lui dit : « Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » C'est-à-dire pourquoi voulez-vous me suivre dans l'espérance des richesses et des avantages du siècle, moi dont la pauvreté est si grande que je ne possède pas même un petit réduit, et que je couche sous un toit qui ne m'appartient pas.
Notre-Seigneur ne lui tient pas ce langage pour le repousser, mais pour lui reprocher sa mauvaise intention, et il lui accorderait ce qu'il demande, s'il consentait à pratiquer la pauvreté en marchant à sa suite. Mais voyez, sa malice est si grande que cette leçon ne peut le convertir et qu'il ne s'écrie pas : « Je suis prêt à vous suivre. »
Gardons-nous de croire que le Sauveur nous commande de refuser à nos parents l'honneur qui leur est dû ; il nous apprend à ne rien voir de plus nécessaire que l'affaire de nos intérêts éternels, à nous y appliquer avec toute l'ardeur possible, sans le plus léger retard, quelque inévitables, quelque irrésistibles que soient les attachements qui nous retiennent. Car quoi de plus nécessaire, et aussi quoi de plus facile que d'ensevelir son père ? L'accomplissement de ce devoir ne demandait pas grand temps. Par là encore le Seigneur a voulu nous arracher à une multitude de maux, à la douleur, à l'affliction, et à tout ce qui accompagne de semblables accidents. Après les funérailles, en effet, seraient venus les débats sur le testament, le partage de la succession, et ces agitations successives auraient pu l'éloigner considérablement de la vérité. Si votre coeur se soulève encore, rappelez-vous que souvent on laisse ignorer à des malades la mort de leur père, ou de leur fils, ou de leur mère, et qu'on ne leur permet pas de les accompagner jusqu'au lieu de leur sépulture. Loin que ce soit là de la cruauté, c'est la conduite contraire qui mériterait ce reproche. Ce serait un bien plus grand mal de détourner un homme des enseignements spirituels, alors surtout que d'autres pourraient le remplacer pour rendre ces derniers devoirs ; c'est justement ce qui avait lieu ici ; c'est ce qui fait dire au Sauveur : « Laissez les morts ensevelir leurs morts. »
Ces paroles indiquent que celui qui était mort n'était pas un de ses disciples, mais qu'il était du nombre des infidèles. Vous admirez ce jeune homme qui, en présence d'un devoir aussi pressant, vient demander à Jésus ce qu'il faut faire, et ne veut point agir de lui-même ; mais qu'il est bien plus admirable d'avoir obéi à la défense qui lui était faite, non point par un sentiment d'ingratitude ou de négligence, mais pour ne pas interrompre une affaire plus importante !
Si ce scribe, qui ne connaissait que la lettre qui tue (cf. Rm 7), avait dit : « Seigneur, je vous suivrai partout ou vous irez, » il n'eût pas été repoussé par le Sauveur ; mais comme il ne le considérait que comme un maître ordinaire, qu'il n'était lui-même qu'un homme attaché à la lettre extérieure, et n'avait pas les oreilles intérieures de l'âme, il n'a rien en lui où Jésus puisse reposer sa tête. Nous voyons aussi que ce scribe a été rejeté, parce qu'à la vue des prodiges étonnants opérés par le Sauveur, il ne voulait le suivre que pour recueillir du profit de ces oeuvres. Il désirait ce que Simon le magicien voulait plus tard acheter de saint Pierre. (Ac 8.)
Quelle différence entre le scribe et ce disciple ! Celui-ci l'appelle simplement maître, celui-là le reconnaît pour son Seigneur. L'un, obéissant à un sentiment de piété filiale, désire aller ensevelir son père ; l'autre promet de suivre Jésus partout, mais ce n'est pas la personne du Maître qu'il recherche, c'est le gain qu'il espère en retirer.
Si donc c'est aux morts à ensevelir les morts, nous devons prendre soin des vivants, et non point des morts, de peur que cette préoccupation pour les morts ne nous fasse ranger nous-mêmes parmi les morts.
Il est évident que le jour où Jésus ordonna à ses disciples de passer à l'autre bord ne fut pas le lendemain du jour où il avait guéri la belle-mère de Pierre, car ce jour là il se retira dans le désert, comme le racontent saint Marc et saint Luc.
Ou bien encore, le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête dans votre foi ; les renards ont leurs tanières dans votre âme pleine de ruses ; les oiseaux du ciel ont aussi leurs nids dans votre coeur dominé par l'orgueil ; avec cet esprit de ruse et d'orgueil vous ne pouvez me suivre ; celui qui est trompeur peut-il suivre celui qui marche simplement ?
Il est à croire que, séduit par l'éclat des miracles du Sauveur, il voulut s'attacher à lui par un motif de vaine gloire, figurée ici par les oiseaux, et qu'il a joué le personnage d'un disciple obéissant, hypocrisie qui est représentée par les renards.
Lorsque le Seigneur prépare les hommes au ministère évangélique, il rejette toutes les excuses que suggèrent les sentiments de la nature et les sollicitudes de cette vie ; c'est ce que prouvent les paroles suivantes : « Or Jésus lui dit : Suivez-moi, et laissez les morts ensevelir leurs morts. »
C'est-à-dire : votre père est mort, il y a d'autres morts qui pourront ensevelir leurs morts, car ils sont dans l'infidélité.
St.Matthieu raconte ce fait comme étant arrivé après que Jésus eut ordonné à ses disciples de passer sur l'autre bord, tandis que saint Luc le place au moment où ils étaient en chemin ; il n'y a ici aucune contradiction, puisqu'ils étaient en chemin pour arriver au bord de la mer.
Ou bien il agissait ici comme homme, pour se débarrasser des importunités de la foule. Ce peuple lui était fortement attaché, plein d'admiration pour sa personne, et ne pouvait se lasser de le voir. Qui aurait pu, en effet se séparer d'un homme qui opérait de tels prodiges ? Qui n'aurait voulu contempler l'auguste simplicité de son visage et la bouche d'où sortaient de tels oracles ? Si Moïse avait le visage resplendissant de gloire (Ex 34), et saint Etienne la figure d'un ange (Ac 7), comment le souverain Maître de toutes choses n'aurait-il point paru avec la majesté qui convenait à son auguste personne, et n'est-ce pas ce que le Roi-Prophète prédisait en ces termes : « Vous surpassez en beauté tous les enfants des hommes. »
Mais que s'est-il passé entre l'ordre donné ici par le Sauveur et son exécution ? L'Évangéliste a pris soin de nous l'apprendre. Et voici qu'un scribe lui dit : « Maître, je vous suivrai partout où vous irez. »
Ou bien, les renards sont des animaux rusés qui se cachent dans des trous ou dans des cavernes. Lorsqu'ils en sortent, ce n'est point dans les droits chemins, mais dans les sentiers détournés qu'on les voit courir ; quant aux oiseaux, leur vol est très élevé au-dessus de terre. Il faut donc entendre par les renards les démons de la ruse et de la fourberie, et par les oiseaux les démons de l'orgueil. Voici donc le sens des paroles de Jésus : Les démons de la ruse et de la vaine gloire trouvent place dans votre coeur, mais mon humilité ne peut se reposer dans une âme livrée à l'orgueil.
On peut dire encore que les morts ensevelissent leurs morts lorsque les pécheurs se montrent favorables aux pécheurs, car en prodiguant les louanges à celui qui pêche, ils enterrent pour ainsi dire ce mort sous le poids de leurs éloges.
Les hérétiques qui mettent toute leur confiance dans leurs subtilités sont ici figurés par les renards, et les esprits malins par les oiseaux du ciel. Les uns et les autres avaient leurs tanières et leurs nids, c'est-à-dire leur demeure dans le coeur du peuple juif.
Cette maxime du Sauveur nous apprend aussi qu'il faut quelquefois sacrifier un bien moins important à un bien qui l'est davantage.
1070. Vient ensuite le reproche qui lui est adressé : SUIS-MOI, car celui qui veut suivre le Christ ne doit pas tarder à le suivre en raison d’une affaire temporelle. Ainsi, en Ps 44[45], 11, il est dit : Oublie ton peuple et la maison de ton père. De même, [Jésus] lui ordonna cela parce qu’il y en avait d’autres qui pouvaient enterrer. C’est pourquoi il dit : LAISSE LES MORTS ENSEVELIR LES MORTS. De même, parce qu’il arrive souvent que celui qui est empêché de faire une chose parce qu’une autre l’attire se précipite dans autre chose. Ainsi, s’il était allé ensevelir son père, il aurait peut-être par la suite pensé au testament de son père, et ainsi il se serait peut-être totalement retiré, Is 5, 18 : Malheur à vous qui tirez l’iniquité des fils de la vanité. Ainsi, ce ne fut pas par cruauté [que le Seigneur s’y opposa], mais comme si, voyant que quelqu’un est trop bouleversé par la mort de son père, on lui interdit de participer aux funérailles en raison du danger, comme on le lit en Si 30, 25 : La tristesse en fait périr plusieurs. Mais [Jésus] dit MORTS au pluriel, parce qu’il était mort d’une double mort : la mort de l’infidélité et la mort du corps. Il était donc mort dans son corps et dans son âme.
1071. [Jésus] donne ainsi quatre enseignements. Le premier est que celui qui est appelé à l’état de perfection n’accorde pas à son père charnel une affection désordonnée, plus loin, 23, 9 : Il n’y a qu’un seul Père qui est dans les cieux. Le deuxième est que le sentiment fraternel soit écarté [des rapports] entre les fidèles et les infidèles, ainsi, Lc 14, 26 : Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, son épouse et ses fils, ses frères et ses sœurs, et même sa propre âme, il ne peut être mon disciple. Et cela est vrai là où le père et la mère s’écartent de Dieu. Le troisième [enseignement] est qu’il ne faut pas faire mémoire des infidèles défunts chez les saints. Le quatrième, que «tous ceux qui vivent en-dehors du Christ sont morts, car il est lui-même la vie», selon Grégoire.
1071. [Jésus] donne ainsi quatre enseignements. Le premier est que celui qui est appelé à l’état de perfection n’accorde pas à son père charnel une affection désordonnée, plus loin, 23, 9 : Il n’y a qu’un seul Père qui est dans les cieux. Le deuxième est que le sentiment fraternel soit écarté [des rapports] entre les fidèles et les infidèles, ainsi, Lc 14, 26 : Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, son épouse et ses fils, ses frères et ses sœurs, et même sa propre âme, il ne peut être mon disciple. Et cela est vrai là où le père et la mère s’écartent de Dieu. Le troisième [enseignement] est qu’il ne faut pas faire mémoire des infidèles défunts chez les saints. Le quatrième, que «tous ceux qui vivent en-dehors du Christ sont morts, car il est lui-même la vie», selon Grégoire.
Mais Jésus lui dit. Notre-Seigneur a effrayé à dessein le premier disciple qui était ou trop ardent ou trop
ambitieux ; il presse au contraire le second qui est trop hésitant. Sa demande était cependant très légitime : le
sentiment de la nature et jusqu’à un certain point de la religion, Cf. Gen. 25, 9 ; 35, 29 ; Tob. 6, 15, la lui
avait dictée. Mais Jésus qui connaît cet homme au caractère irrésolu voit que, s’il accède à son désir, c’en est
fait de sa vocation. Il faut qu’il choisisse « ici et maintenant », ou bien il ne choisira jamais. Voilà pourquoi il
lui fait cette réponse, sévère en apparence, bien qu’elle soit inspirée par l’amour le plus sincère : Suis-moi,
sans le moindre délai. - Laisse les morts... Il y a dans cette dernière phrase un jeu de mots facile à saisir. « Il
est clair que le Christ a voulu jouer avec finesse sur l’ambiguïté de ce mot. Quand il nomme deux fois les
morts, il ne fait aucun doute qu’il ne donne pas aux deux le même sens », Maldonat. Le premier « morts »
doit s’entendre au figuré, le second dans le sens propre. Celui-ci désigne les morts ordinaires, celui-là les
morts spirituels. Jésus-Christ veut donc dire que la mort intérieure doit aller de pair avec la mort extérieure :
ce sont deux sœurs, qu’elles s’entraident mutuellement ! « Laisse aux gens du monde, qui pour la plupart
sont morts à la grâce, au bien, au royaume du ciel, le soin d’ensevelir les corps inanimés de leurs frères :
c’est un rôle qui leur convient parfaitement. Pour toi, il existe des obligations plus graves et plus pressantes,
celle de me suivre et de prêcher l’Évangile avec moi ». Telle est la vraie pensée de Jésus. Détruit-elle la piété
filiale, comme le prétendait Celse ? Il serait aussi absurde qu’injuste de soutenir une pareille assertion ; car il
ne s’agit nullement ici d’une règle générale, mais seulement d’un cas particulier dans lequel la vocation, et
par conséquent le salut d’une âme, était en danger. Pour combien d’affaires moins importantes ne confie-t-on
pas à d’autres le soin des funérailles de ses proches ?