Matthieu 8, 27
Les gens furent saisis d’étonnement et disaient : « Quel est donc celui-ci, pour que même les vents et la mer lui obéissent ? »
Les gens furent saisis d’étonnement et disaient : « Quel est donc celui-ci, pour que même les vents et la mer lui obéissent ? »
Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant fait éclater sur la terre de grands et d'étonnants prodiges, passe sur la mer pour y opérer des miracles plus extraordinaires encore, et se faire ainsi reconnaître partout comme le Seigneur de la terre et de la mer. « Et après qu'il fut monté dans une barque, » dit l'Évangéliste, il fut suivi de ses disciples qui n'étaient plus des disciples faibles, mais fermes et stables dans la foi. En le suivant, ils étaient moins attachés à ses pas qu'à la sainteté de sa vie qui les attirait à lui.
Après qu'il fut entré dans la barque, il commanda à la mer de s'agiter. « Et voici, dit le texte sacré, qu'une grande tempête s'éleva sur la mer. » Cette tempête ne s'éleva pas d'elle-même, mais elle obéit à la puissance de celui qui commande et qui fait sortir les vents de ses trésors. (Ps 134). La tempête fut grande pour que le miracle le fut également ; plus les flots venaient fondre sur la barque, plus aussi l'effroi bouleversait les disciples, et leur faisait désirer d'être délivrés par la puissance du Sauveur.
Chose étonnante et merveilleuse ! L'Évangéliste nous montre livré au sommeil celui qui ne dort, qui ne sommeille jamais (Ps 120, 4). Son corps dormait, mais la divinité veillait, et il prouvait par là qu'il portait un corps véritable comme le nôtre, et qu'il s'en était revêtu avec toutes ses faiblesses. Il dormait donc extérieurement pour apprendre à ses apôtres à veiller, et nous apprendre à tous à éviter le sommeil de l'âme. La crainte qui les bouleversait était si grande, qu'ils avaient presque perdu la tête, qu'ils se précipitaient près de lui et qu'au lieu de lui parler avec modération et avec douceur, ils le réveillent brusquement. Et ses disciples s'approchèrent, et ils l'éveillèrent en disant : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. »
Et vous les vrais disciples de Jésus-Christ, vous avez le Seigneur au milieu de vous, et vous craignez le danger ? La vie est avec vous, et la crainte de la mort vous préoccupe ? Peut-être vont-ils répondre : Nous sommes encore faibles, pusillanimes ; c'est pour cela que la crainte s'empare de nous. Aussi Jésus leur dit : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » C'est-à-dire : vous avez été témoins de ma puissance sur la terre, pourquoi doutez-vous que cette puissance s'étende aussi à la mer ? Et quand la mort elle-même viendrait fondre sur vous, ne devriez-vous pas la supporter avec courage ? Celui qui croit faiblement sera repris, celui qui ne croit pas du tout sera condamné.
Il commanda donc aux vents et à la mer, et à cette grande agitation succéda un grand calme. Il est digne de celui qui est grand de faire de grandes choses, et c'est pour cela qu'après avoir troublé magnifiquement les profondeurs de la mer, il commande qu'un grand calme se fasse, afin que la joie de ses disciples égale la crainte qui les a troublés.
Mais quels sont ces hommes qui furent dans l'admiration ? Ne croyez pas que cette expression désigne les Apôtres, car il n'est jamais parlé d'eux qu'en termes honorables, et ils sont toujours appelés ou apôtres ou disciples. Ceux qui étaient dans l'admiration furent donc ceux qui étaient avec le Sauveur dans la barque, et à qui cette barque appartenait.
En disant : « Quel est donc celui-ci ? » ils ne font pas une question, mais ils affirment que c'est à cet homme que les vents et la mer obéissent. « Quel est donc celui-ci ? » C'est-à-dire quelle est sa puissance, quelle est sa force, quelle est sa grandeur ? Il commande à toute créature, et elle ne transgresse pas ses ordres ; les hommes seuls lui résistent, et seront pour cela condamnés au jugement.
le sens mystique, nous naviguons tous avec le Seigneur dans la barque de l'Église sur la mer orageuse du monde ; le Seigneur cependant dort d'un sommeil de miséricorde, et attend ainsi notre patience dans les maux et le repentir des pécheurs.
Approchons-nous donc de lui avec empressement, en lui disant avec le Prophète : « Levez-vous ; pourquoi dormez-vous, Seigneur ? » (Ps 43). Et il commandera lui-même aux vents, c'est-à-dire aux démons qui soulèvent les flots, aux princes de ce monde qui suscitent les persécutions contre les saints, et le Christ fera régner un grand calme autour du corps et de l'esprit, en rendant la paix à l'Église et la tranquillité au monde.
Ou bien il dort, parce que notre propre sommeil l'assoupit au milieu de nous. C'est ce que Dieu permet pour nous faire espérer le secours du ciel au milieu de l'effroi que nous cause le danger, et plût à Dieu qu'une espérance même tardive nous donne l'assurance d'échapper au péril, grâce à la puissance du Christ qui veille au milieu de nous !
Il prend ses disciples avec lui et les fait monter dans la même barque pour leur apprendre à ne pas s'effrayer au milieu des dangers, et leur enseigner à conserver toujours l'humilité au milieu des honneurs, car il permet qu'ils soient le jouet des flots, afin de prévenir la haute idée qu'ils auraient pu avoir d'eux-mêmes en voyant que Jésus les avait se tenus de préférence aux autres. Lorsqu'il opérait des prodiges éclatants, il permettait à la foule d'en être témoin ; mais lorsqu'il s'agit de se mesurer avec les tentations, avec les craintes, il ne prend avec lui que les athlètes qu'il devait former à combattre contre l'univers entier.
Ils avaient été témoins des bienfaits que Jésus répandait si libéralement sur les autres ; mais comme nous ne jugeons pas de la même manière de ce qui se fait dans l'intérêt des autres, et de ce que l'on fait pour nous, Notre-Seigneur voulut les faire jouir de ses bienfaits par une expérience personnelle ; il permit donc cette tempête, pour que leur délivrance leur fît comprendre plus clairement ce qu'il faisait en leur faveur. Or cette tempête était la figure des tentations qu'ils devaient éprouver dans l'avenir, et dont saint Paul a dit : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nous avons été surchargés au-dessus de nos forces. » L'Évangéliste nous dit que Jésus dormait, parce qu'il voulait laisser à la crainte le temps de s'emparer de leur âme. Car si la tempête était survenue pendant qu'il était éveillé, ou ils n'auraient eu aucune crainte, ou ils n'auraient pas imploré son secours, ou ils n'auraient pas cru qu'il pût opérer un semblable miracle.
Dira-t-on que réveiller Jésus ne fut pas chez eux un signe de peu de foi ? Au moins est-ce une preuve qu'ils n'avaient pas de lui une opinion convenable, car ils pensaient qu'il pourrait apaiser la mer étant éveillé, mais que cela lui serait impossible pendant son sommeil. Aussi est-ce pour cela qu'il n'opère pas ce miracle en présence de la foule, pour n'avoir pas à leur reprocher devant elle leur peu de foi ; il les prend seuls avec lui pour leur faire ce reproche et il apaise ensuite les flots soulevés. « Et se levant en même temps, il commanda aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme.
Ces paroles nous font voir encore que la tempête a été calmée tout d'un coup et tout entière, sans qu'il restât la moindre trace d'agitation ; chose tout à fait extraordinaire, car lorsque le soulèvement des flots s'apaise selon les lois ordinaires de la nature, ils restent encore longtemps agités, taudis qu'ici toute agitation cesse dans un instant. Ainsi Jésus-Christ accomplit en sa personne ce que le Roi-Prophète avait dit de Dieu le Père : « Il a parlé et la tempête s'est apaisée, » car d'une seule parole et par son seul commandement il a calmé la mer et mis un frein à la fureur des flots. Ceux qui étaient avec lui, à son aspect, à son sommeil, à l'usage qu'il faisait d'une barque, le regardaient seulement comme un homme ; aussi ce miracle les jette dans l'étonnement. Or les hommes furent dans l'admiration, et ils disaient : « Quel est celui-ci ? » etc.
Nous voyons une figure de cet événement dans le prophète Jonas, qui, pendant que tous tremblent à la vue du danger, seul est tranquille, et dort si profondément qu'il faut le réveiller.
Cet acte de puissance doit nous faire conclure que toutes les créatures ont le sentiment de leur Créateur, car ceux qui reçoivent un commandement doivent avoir sentiment de celui qui leur commande ; nous ne partageons pas cependant l'erreur des hérétiques qui considèrent tous les êtres comme animés, mais nous disons que la majesté du Créateur rend pour ainsi dire sensibles pour lui les créatures qui demeurent insensibles pour nous.
Si quelqu'un cependant, par esprit de contradiction, prétend que ce sont les disciples de Jésus qui furent dans l'admiration, nous répondrons que c'est à juste titre que l'Évangéliste leur donne le nom d'hommes, car ils ne connaissaient pas encore la puissance du Sauveur.
Ou bien encore la mer, ce sont les flots agités du monde, la barque dans laquelle monte Jésus-Christ ; c'est l'arbre de la croix à l'aide duquel les fidèles traversent cette mer du monde et parviennent à la céleste patrie comme à un port assuré. Jésus-Christ monte dans cette barque avec ses disciples, et c'est pour cela qu'il dit plus bas : « Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. » Lorsque le Christ fut attaché à la croix, il se fit une grande agitation, parce que l'âme de ses disciples fut troublée par le spectacle de la passion. La barque fut couverte par les flots, car la violence de la persécution se déchaîna autour de la croix sur laquelle Jésus-Christ succomba. C'est pour cela qu'il est dit : « Et lui cependant dormait. » Son sommeil était la mort. Les disciples éveillent leur Maître, alors que, bouleversés par sa mort, ils font les voeux les plus ardents pour sa résurrection, et lui disent : « Sauvez-nous en ressuscitant, car nous périssons dans le trouble où nous a jetés votre mort. Lorsqu'il ressuscite, il leur reproche la dureté de leur coeur, comme nous le voyons ailleurs. Le Seigneur a commandé aux vents, lorsqu'il a écrasé l'orgueil du démon ; il a commandé à la mer, en dissipant la fureur insensée des Juifs ; et il s'est fait un grand calme, car la frayeur des disciples s'apaisa lorsqu'ils furent témoins de la résurrection de leur Maître.
La Glose
Saint Jean Chrysostome traduit ainsi : « Quel est cet homme ? » En effet, à ne considérer que son sommeil et son extérieur, c'était un homme ; mais la mer et le calme qu'il y ramena montraient qu'il était Dieu.
Ou bien encore, la barque c'est l'Église de la terre, dans laquelle le Christ traverse avec les siens la mer de ce monde et apaise les flots des persécutions, digne objet de notre admiration et de notre reconnaissance.
1079. ALORS, SAISIS D’ÉTONNEMENT, etc. Ici est indiqué l’effet, à savoir, l’étonnement des foules. Lorsque [Matthieu] dit : LES HOMMES, il ne faut pas comprendre les apôtres, car jamais les apôtres ne sont ainsi désignés ; mais, par hommes, il faut entendre les matelots. Ou bien, selon Jérôme, «même si tu entends par hommes les apôtres, il se peut que ce soit parce qu’ils pouvaient douter en tant qu’hommes, en disant : QUEL EST CELUI-CI ?» Ici, Chrysostome ajoute «homme». En effet, parce qu’ils le voyaient endormi, ils l’appelaient homme ; parce qu’ils avaient vu un signe de la divinité, ils doutaient donc. QUE MÊME LES VENTS ET LA MER LUI OBÉISSENT, parce que toute créature obéit à son créateur, Ps 148[149], 8 : Le feu, la grêle, la neige, la glace, le souffle des tempêtes qui obéissent à sa parole, etc. Non pas parce que [ces créatures] ont une âme raisonnable, mais parce qu’elles se comportent à la manière de celui qui obéit : comme les mains et les membres obéissent à l’âme, parce qu’ils se meuvent selon sa volonté, ainsi tout obéit à Dieu.
Ces hommes furent dans l'admiration. Ce verset décrit l’effet produit
par le miracle sur ceux qui en furent témoins. Mais quels sont ces « hommes » dont parle l’évangéliste ? On
a répondu de bien des manières à cette question. Pour Fritzsche ce serait « les hommes qui considéraient
toutes ces choses comme des présages », les auditeurs subséquents du prodige ; interprétation contredite par
S. Matthieu lui-même, dont le récit suppose qu’il n’y eut aucun intervalle entre le fait et l’étonnement auquel
il donna lieu. D’après S. Jean Chrysostôme, cette expression, malgré sa généralité, désignerait les apôtres
eux-mêmes ; mais cela paraît assez difficile, car pourquoi ne porteraient-ils pas ici leur nom habituel de
« disciples » ? Cf. vv. 23 et 25. Et puis, les disciples de Jésus, qui lui avaient vu opérer déjà tant de miracles, qui venaient même d’obtenir de sa bonté toute puissante, v. 25, l’apaisement subit de la tempête, ne
pouvaient guère témoigner une admiration aussi extraordinaire que celle dont nous lisons ici la description.
Nous préférons donc croire que les hommes en question étaient ou bien des étrangers qui conduisaient la
barque, ou bien des curieux qui avaient suivi Jésus à quelque distance sur d’autres bateaux, ainsi qu’on peut
le conclure du récit de S. Marc. 4, 36. Ils pouvaient sans doute avoir contemplé de leurs propres yeux à
Capharnaüm quelqu’une des guérisons miraculeuses du Sauveur : mais le prodige auquel ils venaient
d’assister sur le lac avait un caractère plus grandiose, plus directement divin en quelque sorte ; car la Bible
semble réserver à Dieu le pouvoir d’ébranler ou de calmer à son gré les flots des mers, Cf. Ps. 64, 8. On
comprend après cela l’exclamation qui s’échappa de leurs lèvres : Quel est celui-ci ! qu’on peut traduire
d’après le grec « qui est-ce, et combien est grand celui-ci ! ». - La mer et le vent ; même la mer, même les
vents, ces êtres fougueux que nulle main, si ce n’est celle de Dieu, n’a pu dompter, sont dociles à sa voix. -
Les applications morales qu’on pouvait tirer de cet épisode étaient trop manifestes et trop frappantes pour
être négligées par les moralistes et les exégètes. Les plus belles sont celles qui concernent l’âme humaine et
surtout l’Église. « Ce navire était une image de l’Église, qui, dans la mer, i.e. dans le siècle, est agitée par les
flots, i.e. les persécutions et les tentations, la patience du Seigneur ressemblant à un sommeil. Réveillé à la
fin par les prières des saints, le Christ dompte le siècle et rend la tranquillité aux siens », Tertul. de Bapt. 12.
N’est-ce pas, aujourd’hui plus que jamais, l’image de l’Église de Jésus ? - Signalons parmi les œuvres d’art
inspirées par ce miracle, outre de nombreuses fresques des catacombes, un tableau de Rembrandt et un riche
oratorio de Gounod.
Jésus vivait en pleine harmonie avec la création, et les autres s’en émerveillaient : « Quel est donc celui-ci pour que même la mer et les vents lui obéissent ? » (Mt 8, 27). Il n’apparaissait pas comme un ascète séparé du monde ou un ennemi des choses agréables de la vie. Il disait, se référant à lui-même : « Vient le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et l’on dit : voilà un glouton et un ivrogne» (Mt 11, 19). Il était loin des philosophies qui dépréciaient le corps, la matière et les choses de ce monde. Cependant, ces dualismes malsains en sont arrivés à avoir une influence importante chez certains penseurs chrétiens au long de l’histoire, et ont défiguré l’Évangile. Jésus travaillait de ses mains, au contact direct quotidien avec la matière créée par Dieu pour lui donner forme avec son habileté d’artisan. Il est frappant que la plus grande partie de sa vie ait été consacrée à cette tâche, dans une existence simple qui ne suscitait aucune admiration. « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ?» (Mc 6, 3). Il a sanctifié de cette manière le travail et lui a conféré une valeur particulière pour notre maturation. Saint Jean-Paul II enseignait qu’« en supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié pour nous, l’homme collabore en quelque manière avec le Fils de Dieu à la Rédemption ».