Matthieu 8, 28

Comme Jésus arrivait sur l’autre rive, dans le pays des Gadaréniens, deux possédés sortirent d’entre les tombes à sa rencontre ; ils étaient si agressifs que personne ne pouvait passer par ce chemin.

Comme Jésus arrivait sur l’autre rive, dans le pays des Gadaréniens, deux possédés sortirent d’entre les tombes à sa rencontre ; ils étaient si agressifs que personne ne pouvait passer par ce chemin.
Saint Thomas d'Aquin
1080. Vient ensuite : LORSQUE JÉSUS EUT ATTEINT L’AUTRE RIVE. Parce qu’ont été présentés les miracles par lesquels le Seigneur en a libéré plusieurs de dangers extérieurs, ici sont présentés des miracles par lesquels se réalise la libération de dangers intérieurs, c’est-à-dire spirituels. Premièrement, le miracle est présenté [8, 28] ; deuxièmement, son effet, en cet endroit : SORTANT ALORS, ILS S’EN ALLÈRENT DANS LES PORCS [8, 32].

1081. À propos du premier point, la malice des démons est d’abord montrée par les sévices qu’ils infligent aux hommes [8, 28] ; deuxièmement, par [leur] impatience, en cet endroit : ET VOICI QU’ILS SE MIRENT À CRIER, etc. [8, 29] ; troisièmement, par leur méchanceté, parce qu’ils causèrent du tort à des animaux sans raison, en cet endroit : ET LES DÉMONS DEMANDAIENT À JÉSUS, etc. [8, 31].

1082. À propos du premier point, l’endroit est d’abord décrit ; en second lieu, les sévices des démons sont indiqués.

1083. Il y avait donc une région dite des Géraséniens. Gérasa veut dire «chassant le fermier» ou «étranger qui approche», parce qu’elle est proche des Gentils. DEUX DÉMONIAQUES S’APPROCHÈRENT. Les sévices sont indiqués, d’abord par le fait que [les démons] les opprimaient ; deuxièmement, parce qu’ils tentaient de tromper les hommes. Mais on se demande pourquoi les autres évangélistes n’en mentionnent qu’un seul, et [Matthieu], deux. Il faut dire qu’il y en avait sans aucun doute deux, mais que l’un était plus connu. Et [les démons] étaient violents, car ils affectaient non seulement le corps, mais aussi l’esprit. Ainsi, ils demeuraient dans des tombeaux afin d’infliger de la terreur aux hommes. De là vient l’erreur, formulée par certains, que les démons ramenaient une âme dans le corps des morts, comme on lit à propos de Simon le magicien [Ac 8, 9s]. Mais cela n’était rien, car les démons faisaient semblant afin de tromper les hommes. Ainsi, Porphyre dit que l’engeance des démons est trompeuse. De sorte que ces magiciens utilisent surtout les corps des morts, car les démons habitaient dans les sépulcres, Is 65, 4 : Ceux qui habitent dans les sépulcres et dorment dans les sanctuaires des idoles. En effet, ils étaient si violents, QUE PERSONNE NE POUVAIT PASSER PAR CETTE ROUTE, car sur la route où je marchais les orgueilleux, c’est-à-dire les démons, ont caché un piège, Ps 141[142], 4.
Louis-Claude Fillion
Lorsqu'ils furent arrivés à l'autre bord. Après cette digression nécessaire, revenons à la guérison des démoniaques de Gadara. Nous en trouvons le récit dans les trois premiers Évangiles ; mais tandis que S. Marc et S. Luc entrent dans des détails très circonstanciés, S. Matthieu se borne à une relation abrégée, ce qui ne l’empêche pas de noter tous les faits principaux de ce célèbre miracle. - Au pays des Géraséniens. L’état du texte grec soulève ici une grave difficulté, car il présente trois leçons différentes entre lesquelles la critique est fort embarrassée pour choisir. Quelques manuscrits portent comme la Vulgate et l’Itala ; d’autres manuscrits, en plus grand nombre, plusieurs Pères, les versions syriaque et persane ; enfin le « Textus Receptus », leçon favorisée par la plupart des témoins anciens. Cette triple variante n’existe pas seulement ici ; on la rencontre de même dans les passages parallèles de S. Marc et de S. Luc, de telle sorte que le texte des deux autres synoptiques ne peut nous être d’aucun secours pour dirimer la question. La leçon du « Textus Receptus », qui semble n’avoir conquis une si grande autorité que grâce au puissant crédit d’Origène, son auteur probable, est aujourd’hui universellement abandonnée. Il est effet devenu à peu près certain que la conjecture du grand docteur d’Alexandrie a pour base une fausse donnée topographique. La prétendue ville ancienne de Gergesa, patrie des Gergéséniens, qu’il dit avoir existé du vivant de Jésus sur les bords du lac de Tibériade, est tout à fait problématique. Il est vrai que Moïse, Gen. 15, 2 ; Deut. 7, 1 ; Josué, 24, 11, et l’historien Josèphe à leur suite, Antiq. 1, 6, 2, font mention des Gergéséniens, peuple que les Hébreux trouvèrent en Palestine quand ils en prirent possession ; mais il ne resta aucune trace de ce peuple dont les conquérants, ajoute Josèphe, détruisirent toutes les cités. - Les critiques attaquèrent la leçon de la Vulgate et de l’Itala ou « Gerasenorum », pour un motif analogue. La cité de Gérasa, aujourd’hui Jérash, était située bien loin du lac de Tibériade, jusque sur les confins du désert d’Arabie, et il n’est pas possible, dit Origène, que les évangélistes, toujours bien instruits de tout ce qui regarde leur pays, aient pu proférer un mensonge si évident. Un regard jeté sur une carte de Palestine suffit donc pour renverser cette autre variante. On a cependant objecté que Gérasa étant alors une des villes principales de la Pérée (ses ruines grandioses, parmi lesquelles on reconnaît les restes de plusieurs temples, d’un amphithéâtre et d’un rempart immense, attestent son importance passée, il serait possible qu’elle eût embrassé un territoire considérable, de telle sorte que la « regio Gerasenorum » se fût étendu jusqu’au bord du lac ; mais c’est là une hypothèse très invraisemblable, vu l’existence, tout auprès de la mer de Galilée, d’autres villes importantes qui ne dépendaient en rien de Gérasa. - Reste donc la troisième leçon, qui bien qu’elle soit moins en faveur que les deux autres auprès de la critique proprement dite, demeure cependant la seule possible au point de vue géographique qu’on ne saurait négliger en un tel cas. Gadara, l’une des villes de la Décapole, n’était distante de Tibériade que de 60 stades, Joseph. Vita, c. 65 : ses ruines, que Burckhart et d’autres voyageurs ont retrouvées, ne sont qu’à une lieue au S. E du lac ; elle pouvait donc facilement prolonger son territoire jusqu’au rivage. Elle était assise sur une colline qui s’avance à l’extrémité septentrionale des montagnes de Galaad. A ses pieds coulait le fleuve Hiéromax dans un lit profond. On avait tiré parti de ce que sa situation avait de remarquable sous le rapport stratégique, en l’entourant de fortifications puissantes dont on retrouve encore les débris. C’est donc près de là, Cf. v. 33, selon toute vraisemblance, qu’eut lieu la scène décrite par S. Matthieu. - Deux possédés. Nous nous trouvons en face d’une nouvelle difficulté qui doit nous arrêter à son tour pendant quelques instants. Comment se fait-il que S. Matthieu mentionne la présence de deux démoniaques à Gadara, tandis que S. Marc et S. Luc ne parlent que d’un seul ? La réponse à cette question est assez difficile, comme le montre la multitude des conjectures qu’elle a occasionnées, et peut-être avons-nous ici une de ces divergences peu importantes, il est vrai, mais pourtant assez extraordinaires, que nous ne pourrons jamais concilier d’une manière entièrement satisfaisante, parce que nous manquons de données. Dans tous les cas, S. Matthieu parle trop clairement de deux possédés pour qu’il soit possible de songer à n’en admettre qu’un seul. S. Marc et S. Luc signalent donc ou le plus féroce, au dire de S. Jean Chrysostôme, ou le plus connu, comme le pense S. Augustin, ou encore, d’après Stier et Gerlach, celui qui joua le rôle principal dans cette scène et qui, après sa guérison, exprima le désir d’accompagner Jésus, Marc. 5, 18 ; Luc. 8, 38. Quoi qu’il en soit du motif, il est évident que l’un des possédés passa bientôt à l’arrière-plan et ne tarda pas à disparaître totalement du récit évangélique. Mais ni la relation de S. Marc, ni celle de S. Luc, ne nécessitent d’une manière absolue la présence d’un seul démoniaque à Gadara. Plus loin, dans une circonstance analogue, S. Matthieu parlera de deux aveugles guéris par Notre-Seigneur, tandis que les autres synoptiques ne mentionneront de nouveau qu’un seul miraculé. - Vinrent au-devant de lui. S. Pierre Chrysologue fait à ce sujet une belle réflexion : « Ils s’exhibent non de leur plein gré ; ils viennent sur l’ordre de qui leur commande, non de leur propre initiative. Ils sont attirés malgré eux, ils n’accourent pas spontanément. Ensuite, en présence du Christ, les hommes sortent de leurs tombeaux et font captifs à leur tour ceux qui les avaient faits captifs. Ils imposent des sévices à ceux qui leur avaient infligé des tortures. Ils citent en jugement ceux par qui ils avaient été confinés dans des sépulcres ». - Sortant des tombeaux. Les sépulcres des Juifs pouvaient offrir, en cas de besoin, de vastes et d’excellents abris, puisqu’ils consistaient soit en grottes naturelles, soit en caves artificielles creusées en terre ou taillées dans le roc, selon la nature du sol. Leur situation en dehors des villes leur donnait un attrait de plus pour ceux qui voulaient éviter toute société humaine. Il en existe un très grand nombre dans les roches calcaires de Gadara ; S. Épiphane en fait déjà mention dans son ouvrage « adv. hæres, » 1, 131 : les plus considérables forment des chambres qui ont jusqu’à vingt pieds carrés de dimension. C’est là que demeurent les habitants actuels d’Um-Keïs, devenus troglodytes comme les démoniaques de l’Évangile. - Si furieux : les narrations plus détaillées de S. Marc et de S. Luc justifient pleinement cette épithète ; elles nous représentent ces malheureux comme doués d’une force surhumaine, brisant les chaînes dont on les couvrait de temps en temps pour les rendre moins dangereux, courant tout nus à travers les montagnes et se frappant à coups de pierres. - Que personne ne pouvait passer. C’est un trait particulier à S. Matthieu et facilement intelligible après les renseignements qui précèdent. Mais là où les hommes ordinaires éprouvaient un effroi bien naturel, le Christ, et les siens protégés par sa toute-puissance, n’avaient aucun péril à redouter.
Fulcran Vigouroux
Gérasa (le texte grec porte : Gergésa) était situé, d’après l’opinion commune, à l’endroit où sont aujourd’hui les ruines informes de Khersa sur la rive gauche de l’ouadi es-Semak, qui se jette dans le lac de Génésareth à l’est. Là entre l’ouadi es-Semak et l’ouadi Fik, vis-à-vis de la ville de Tibériade, cessent les collines et commence la plaine qui s’étend au nord sur la rive orientale du lac. Les ruines de Khersa sont entourées d’un mur. Un peu au sud, en un seul endroit, sont des rochers très escarpés qui s’avancent en pointe dans la mer de Galilée et c’est de là que les porcs poussés par les démons durent se précipiter dans les flots. Partout ailleurs il y a une bande de terre cultivable entre les montagnes et le lac. ― Sortant des sépulcres. Les tombeaux chez les Juifs pouvaient servir d’habitation. C’étaient des cavernes ou des excavations artificielles au milieu des jardins ou des champs ou dans les flancs des montagnes. Ils étaient souvent assez vastes, renfermant des cours avec des chambres souterraines, disposées le long de corridors et remplies de niches où l’on plaçait des cadavres ; on fermait ensuite la niche avec une pierre. Sur plusieurs de ces tombeaux on élevait des édicules. Les démoniaques dont parle saint Matthieu pouvaient habiter dans l’un de ces édicules ou dans les corridors du tombeau.